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Israël menace de faire de l’Iran la nouvelle Ukraine

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Les frappes aériennes d’Israël à l’encontre de l’Iran mettent en évidence le risque que le bellicisme israélien et l’inconséquence de l’administration Biden se combinent pour produire une guerre régionale désastreuse au Moyen-Orient.

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Eli Cohen, ministre israélien des Affaires étrangères, s’exprime lors d’une conférence de presse avec Antony Blinken, secrétaire d’État américain, à Jérusalem, en Israël, le 30 janvier 2023. (Kobi Wolf / Bloomberg via Getty Images)

Au cours de ce week-end, une superpuissance militarisée qui depuis longtemps croise le fer avec son voisin et s’immisce dans les affaires, a violé son intégrité territoriale et l’a bombardé. Non, il ne s’agit pas de la Russie. Dans ce cas précis, ce à quoi je fais référence, c’est à l’attaque de drones menée dimanche par Israël contre l’Iran.

Cet incident est la première attaque contre l’Iran – à notre connaissance, en tout cas – par la coalition illibérale nouvellement élue d’Israël, composée de racistes, de fanatiques religieux et d’autres extrémistes. L’augmentation des tensions militaires avec l’Iran est un sinistre rite de passage pour chaque nouveau gouvernement israélien, son prédécesseur « libéral » ayant menacé et effectué des frappes sur des cibles iraniennes, et le gouvernement de droite qui l’a précédé, également dirigé par l’actuel Premier ministre Benjamin Netanyahou, ayant procédé à de multiples assassinats à l’intérieur du pays. En d’autres termes, pour reprendre l’un des propos les plus stupides jamais tenus sur une chaîne d’information câblée, dimanche, Benjamin Netanyahou est devenu premier ministre d’Israël… à nouveau.

L’attaque par Israël, menée avec le soutien total de l’administration Biden, est présentée par les deux gouvernements comme une tentative de « contenir » l’Iran, une formulation plutôt trompeuse. Si l’Iran est une puissance régionale qui se mêle des affaires de ses voisins, il en va de même pour Israël, qui inflige régulièrement des violences à ses voisins, dont la Syrie, et au peuple palestinien. Sans parler de la monstrueuse guerre de huit ans que l’Arabie saoudite voisine continue de mener contre le Yémen (également avec le soutien indéfectible des États-Unis).

En outre, l’Iran, encerclé par des bases américaines, se trouve à côté d’une puissance hostile dotée de l’arme nucléaire et subit depuis des années des sanctions paralysantes de la part de la plus grande économie du monde, un pays qui a également assassiné son principal chef militaire et lui a infligé des cyberattaques dévastatrices au cours de la dernière décennie, pour ne citer que quelques exemples. Qui peut honnêtement affirmer sans sourciller que le problème ici est l’absence d’endiguement ?

En tout cas, à cette fin, les armées américaine et israélienne viennent de passer une semaine à effectuer leurs plus grands exercices militaires conjoints, simulant une attaque contre l’Iran dans ce qui était implicitement et explicitement une menace contre le pays (« Si l’Iran fait des erreurs, les capacités offensives se préparent », comme l’a dit un haut responsable militaire israélien). Il s’agit de la dernière escalade en date dans la planification de la guerre par Biden et le gouvernement israélien, qui a passé plus d’un an à faire pression sur le président américain pour qu’il déclare une éventuelle guerre contre l’Iran. Les exercices étaient « un rappel que peu importe ce qui se passe dans le monde, la marmite empoisonnée du programme nucléaire iranien continue de bouillonner », a écrit David Ignatius du Washington Post, un peu comme si les lettres de menace d’un pyromane rappelaient à ses victimes qu’elles doivent installer une alarme incendie.

Ajoutant une couche d’hypocrisie hors normes à toute l’affaire, Tel Aviv et Washington pointent également du doigt la fourniture par l’Iran de drones à la Russie alors que celle-ci fait la guerre à l’Ukraine pour justifier l’attaque (Téhéran, pour sa part, affirme avoir fourni les drones avant la guerre). Dans le processus de défense des principes du droit international et de la souveraineté territoriale, tout est apparemment permis, y compris… la violation du droit international et de la souveraineté territoriale. C’est un calcul faussé, mais c’est aussi directement préjudiciable aux intérêts américains, puisque Biden continue, en grande partie sans succès, à rallier le monde du côté des États-Unis dans la guerre en Ukraine sur la base de la défense de ce qu’on appelle « l’ordre international fondé sur des règles » – un ordre dont les « règles », contrairement à ce que les responsables américains ne cessent de dire, peuvent apparemment être enfreintes sans que la structure entière ne soit menacée.

Ce qui rend la situation de l’Iran d’autant plus absurde, c’est que le propre document du Pentagone sur la Stratégie de défense nationale, publié à la fin de l’année dernière, admet ouvertement que « l’Iran ne possède pas aujourd’hui d’arme nucléaire et nous pensons actuellement qu’il ne cherche pas à en obtenir une » [c’est moi qui souligne]. Ce qui semble se passer ici est un cas classique du canard boiteux, l’administration Biden suivant malencontreusement la politique de guerre de Netanyahou par crainte d’une réaction politique interne.

Il est tragique de constater que Biden a choisi de se mettre dans une situation tout à fait évitable. En refusant de simplement réintégrer l’accord avec l’Iran que son adversaire de droite défait avait violé, et en essayant plutôt d’obtenir des concessions supplémentaires de Téhéran par le biais de renégociations fastidieuses, Biden a déclenché une série d’événements qui ont finalement tué l’accord qui avait permis de maintenir une paix fragile. Aujourd’hui, Biden est largement à la merci du gouvernement de Netanyahou, qui comprend bien qu’il bénéficie du soutien militaire et politique des États-Unis, aussi réticent soit-il, pour tout ce qu’il décide de faire à l’encontre de l’Iran, et même si cela embarrasse l’administration Biden.

Ce genre d’hypocrisie n’est pas sans conséquences pour les intérêts américains. C’est exactement ce genre de double standard que les pays du Sud ont, en partie, invoqué à maintes reprises pour justifier leur refus de respecter les mesures américaines d’isolement politique et économique de Moscou après l’invasion de l’Ukraine. C’est notamment le cas de l’Inde, que Biden a essayé de faire basculer de l’autre côté, mais qui a continué à soutenir l’économie russe en dégorgeant ses exportations de pétrole au mépris des États-Unis, au nom de ses propres intérêts – qui, sous-entend-on, ne sont pas ancrés dans la défense d’un ordre fondé sur des règles trop souvent utilisées de manière sélective.

Mais il y a un point plus important ici que l’hypocrisie américaine habituelle en matière de politique étrangère. Tous ceux qui, aux États-Unis, sont consternés par le pari désastreux de Vladimir Poutine en Ukraine devraient faire tout leur possible pour empêcher Biden de répéter la même erreur – non pas parce que ce serait pire que la guerre de Moscou, mais parce qu’ils ont une influence directe réelle sur les actions de leur propre gouvernement démocratiquement élu.

Contributeur

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden (L’homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT). Il vit à Chicago, dans l’Illinois.

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic, 02-02-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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18 réactions et commentaires

  • Fabrice // 03.03.2023 à 07h12

    Franchement c’est désespérant en arriver comme seule solution de chaque problème n’envisager que la force ?

    A un moment personne ne retire des leçons des conflits passés on allume la mèche et on pense que cela finira mieux que les autres conflits ?

    Les USA ont quitté l’Afghanistan la … entre les jambes et pensent sincèrement que cela finira mieux avec l’Iran non mais sérieusement ils vont finir par grandir et apprendre de leurs erreurs avant d’avoir transformé la planète en un immense champ de bataille et de ruines ?

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    • RIVIÈRE // 03.03.2023 à 09h18

      Normal… l’histoire suit son cours et les US ne connaissent aucune limite pour assoir encore un peu plus leur hégémonie….il n’ont aucune leçon à tirer du passé et la guerre a de tout temps été la solution unique du fonctionnement de l’humanité… il y aura des guerres tant qu’il y aura des hommes…. Penser le contraire relève de l’utopie… nous vivons en Occident, nourris depuis fort longtemps par une suite de conflits armés…. Ça remonte à très loin et notre ÇA de troisième vendeur d’armes au monde en atteste pleinement… d’ailleurs, les fournisseurs d’armes dans l’hexagone se frottent les mains au regard des courbes qui s’envolent….

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      • RGT // 03.03.2023 à 11h52

        « les fournisseurs d’armes dans l’hexagone se frottent les mains au regard des courbes qui s’envolent… »

        Pas franchement, de toutes façons ils ne récupéreront que les miettes que les USA leur laisseront pour des « articles » peu rentables qu’ils ne souhaitent pas fabriquer.

        Et de toutes façons, les français au final se feront allègrement plumer (comme dans le cas de l’Ukraine).

        Souvenez-vous de l’arnaque des hélicoptères qui devaient être fournis à la Pologne, payés par la France (en grande partie) et qui au final ont été remplacés à la dernière minute par des hélicoptères US… Mais bien sûr au final payés par la France… La France aurait dû refuser de payer et aurait dû exiger que sa part soit payée par les USA.

        Mais avec les serpillières usagées censées « veiller à l’Intérêt Supérieur de la Nation » il ne faut pas espérer grand chose.

        Puis rebelote avec les sous-marins australiens (les USA ayant AUSSI récupéré les plans des fleurons de l’industrie française).

        Et je ne vous parle pas d’Alstom, de l’Ukraine, de l’acte de guerre contre l’€urope du sabotage des North Stream, et de tous les coups tordus dans lesquels « nos » dirigeants ont baissé leurs frocs et fourni la vaseline…

        De Gaulle aurait poussé une gueulante qui aurait été entendue jusqu’au confins de l’Univers.
        Oh pardon, il était un vieux dictateur qui a été détrôné suite à une « révolution de couleur » pour le « bienfait de la population ».

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  • Myrkur34 // 03.03.2023 à 08h02

    Balancer coté américain que l’Iran est à 12 jours de la fabrication d’une bombe nucléaire si elle le veut, c’est vraiment prendre les gens pour des imbéciles. Et puis Israël a largement de quoi vitrifier l’Iran avec son arsenal nucléaire à peine secret. Les iraniens doivent être un tout petit peu au courant quand même.
    D’un autre coté, il y aura bientôt quasiment effet miroir puisqu’Israël devient de plus en plus un état religieux et messianique.
    Vu les grosses manifestations contre la loi de prédominance du parlement sur les avis de la Cour Suprême en cours, espérons que la population civile reprenne les choses en main lors des prochaines élections et cela malgré la proportionnelle intégrale.

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  • Danton // 03.03.2023 à 08h48

    Pipeau et rodomontades.
    Les USA ont depuis belle lurette abandonné toute idée d’attaque frontale contre l’Iran et depuis 2006 Tsahal est juste bonne à massacrer des civils à Gaza et bombarder la Syrie à partir de l’espace aérien libanais.
    Pour mémoire, les USA n’ont rien fait suite au bombardement de leur base par les Iraniens en représailles de l’assassinat de Souleimani.

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  • Danton // 03.03.2023 à 08h56

    A propos du « pari désastreux de Poutine en Ukraine », l’auteur devrait élever un peu son point de vue et se servir des faits et de la logique plutôt que des inepties partisanes.
    S’il croit vraiment que le but de la Russie est d’envahir l’Ukraine ou d’être parti au charbon avec comme seul plan d’obtenir un effondrement ukrainien sur un coup de dé, alors il faut qu’il arrête de prétendre à une quelconque expertise en fait de géopolitique et qu’il retourne étudier l’Histoire. Surtout l’histoire militaire et surtout l’histoire militaire russe.
    Affligeant de naïveté

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    • RV // 03.03.2023 à 15h19

      Merci pour le lien.
      Par exemple pour : https://twitter.com/killedinukraine/
      il y a un tweet épinglé : https://docs.google.com/spreadsheets/d/1InyFVmu1LoSjqcWTHe4iD9cR8CNiL-5Ke5Jiz_Mlvwc/edit#gid=0
      dont la première ligne donne un lien vers la source (colonne « twitter post ») sur lequel on peut lire :
      « Captain Дмитрий ??, a reconnaissance officer, was killed in Ukraine.
      We’ll add the source when we get his full name. »
      et
      dont la dernière colonne « additionazl source’ https://vk.com/wall66878684_2458
      ouvre une page blanche : « L’utilisateur a choisi de masquer cette page.  »

      Un peu décevant comme info sourcées !
      Un tweet et une page blanche pour la première occurrence.
      Ais-je loupé quelque chose ?

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    • Martin s’en va en paix // 03.03.2023 à 19h33

      Ne pas oublier qu’à deux occasions un accord était près/prêt d’être signé. La première fois un des négociateurs ukrainien a été assassiné (et pas par les Russes!), et la seconde fois une intervention politique extérieure a fait capoter le tout.

      Depuis de l’eau, beaucoup d’eau, a coulé sous les ponts et le sang donc, et aussi il y a eu les révélations de Porochenko, confirmées par Merkel et Hollande. Quand on a à faire à des diplomates qui vous jouent des tours de cochons, qui mentent, qui n’ont aucune parole, le principe même d’une négociation tombe à l’eau, car la confiance n’existe plus. Il ne reste plus que la capitulation.

      Quand on mène une guerre d’attrition, la plus grande erreur serait d’être pressé. Patience et longueur de temps nous disait La Fontaine, etc.

      Plus les sanctions durent et se renforcent, plus les pays européens sont en mode d’autodestruction.

      C’est normal quand la France a son plus brillant ministre de l’économie depuis la nuit des temps qui est capable de prévoir les conséquences de ses décisions et de celles de ses copains.

      Patientons donc.

        +14

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  • pucciarelli // 03.03.2023 à 09h28

    « Pari désastreux de V. Poutine »! Parlons plutôt du pari désastreux de Washington. On ne déclare en principe que les guerres que l’on peut gagner (Même si l’histoire montre que ce n’est pas souvent le cas!). La tournure des événements laisserait à priori le « camp occidental » dans un piètre état. A quoi servent les armées d’experts en tout genre de l’OTAN? A rien. Quelle nullité!

      +13

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  • Tzevtkoff // 03.03.2023 à 11h01

    Ironie de l’histoire, ceux qui se prennent pour le phare moral de l’humanité qui éclaire le monde de leurs valeurs hypocrites se feront solariser par la chose qu’ils ont le plus méprisé, la nature. Je prie tous les jours saint soleil de leur mettre une branlée monumentale même si je dois y passer aussi.

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    • azuki // 05.03.2023 à 19h06

      Tous les pervers narcissiques s’élèvent comme des modèles et travaillent ardement à leur propre image tout en détruisant méthodiquement l’image de leur victimes. C’est même ce qui les caractérise.

        +3

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  • Nick974 // 03.03.2023 à 15h12

    Très ambitieux et extrêmement irréaliste.
    L’Iran est beaucoup mieux armée que l’Ukraine ne le sera jamais. Et Israël se surestime, taper sur des palestiniens désarmés leur a monté à la tête. En plus les iraquiens majoritairement sunnites se joindront à l’Iran, le liban et la syrie aussi en profiteront sur le front nord.
    Et du coup la chine n’hésitera pas à s’investir pour que la guerre sino-américaine se passe au moyen orient et non sur le front Taïwanais.
    Très mauvaise idée tout ça pour Israël.
    Mais bons les et envolés verbales seront vulgaire et fréquente avec ce nouveau gouvernement ouvertement fasciste.

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  • Savonarole // 03.03.2023 à 17h12

    Plus les dirigeants de ce pays font des grands moulinet avec les bras en criant l’Iran l’Iran l’Iran et en faisant des sauts de cabris et plus la politique des petits pas progresses , les cimetières se remplissent et le carnage se fait dans les enclaves palestiniennes…
    C’est tellement grossier comme methode qu’on croirait qu’ils ont apris ça aux USA.

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  • max // 05.03.2023 à 08h09

    L’Iran a tout un tas de missiles pouvant atteindre Israël et ses installations sensibles, de quoi priver d’énergie Israël.
    Sur l’Iran et la Bombe, il est vraisemblable qu’à un terme plus ou moins lointain, l’Iran aura la Bombe sur des lanceurs, comme la Corée du Nord et j’ai le sentiment que ces dernières années c’est la Russie qui a freiné des quatre fers l’Iran (comme en Syrie), la prolifération est dans l’air du temps.
    Je ne dit pas que c’est bien ou pas mais c’est inévitable quand des organisations comme l’Otan rasent des pays qui ne les menacent pas.

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