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18.février.202318.2.2023 // Les Crises

Voyage de Blinken à Tel-Aviv : Quels sont les objectifs de politique étrangère des États-Unis vis-à-vis d’Israël ?

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Plusieurs stratégies complexes sont en jeu et le secrétaire d’État le sait – au grand dam des « pions » sur le terrain.

Source : Responsible Statecraft, Roxane Farmanfarmaian
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

De gauche à droite : le secrétaire d’État américain Antony Blinken et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou se serrent la main après leur rencontre dans le bureau du Premier ministre à Jérusalem, le lundi 30 janvier 2023. DEBBIE HILL/Pool via REUTERS

Dimanche (29/01/23), le secrétaire d’État Anthony Blinken est arrivé en Israël pour une visite officielle, dans un contexte d’effusion de sang entre Palestiniens et Israéliens. Pourtant, le sujet principal de la visite n’était pas la politique israélienne locale mais la menace iranienne.

Bien que Blinken soit le plus haut responsable américain se rendant à Jérusalem, sa visite suit de près deux autres visites américaines importantes la semaine dernière : le conseiller à la Sécurité nationale Jake Sullivan, premier haut responsable de l’administration à se rendre sur place depuis l’entrée en fonction du Premier ministre Netanyahou, et le directeur de la CIA Bill Burns, arrivé 24 heures après Sullivan. Pourquoi tant de poids lourds à Jérusalem en même temps ?

Quant à Blinken, il a atterri quelques heures seulement après une explosion dans un complexe de défense iranien à Ispahan laquelle aurait, selon les responsables américains, été orchestrée par Israël. Parallèlement, un incendie s’est déclaré dans une unité de production de pétrole dans la province orientale de l’Azerbaïdjan, mais le gouvernement iranien a nié qu’il ait été dû à une attaque étrangère.

Pour ne pas rester en dehors du jeu, Mykhailo Polodyak, conseiller du président ukrainien Volodymir Zelenski, a tweeté dimanche matin : « Nuit explosive en Iran – [l’Ukraine] vous a prévenus », ce qui a incité le ministère iranien des Affaires étrangères à convoquer le chargé d’affaires ukrainien pour lui faire préciser que l’Ukraine n’était pas derrière l’attaque.

Plusieurs stratégies complexes sont en jeu, reliant différents objectifs de politique étrangère sur un même plateau de jeu. Dans chaque stratégie, les joueurs sont nombreux,, les États-Unis, Israël et la Russie étant les pièces maîtresses, les autres étant de simples pions.

Jeu 1 : Les accords d’Abraham

La première stratégie implique Israël, l’Iran, les Palestiniens, les États-Unis et l’Arabie saoudite. La visite d’État de Blinken pour rencontrer Netanyahou était une opération de communication essentielle pour montrer le soutien de l’administration Biden à Israël, et elle a eu lieu quelques jours après que les deux pays se sont engagés dans l’un des plus grands exercices militaires jamais réalisés, l’opération Juniper Oak, en préparation d’une éventuelle attaque contre l’Iran. Washington et Jérusalem sont tout à fait d’accord pour dire que l’Iran est une menace. Mais ils ne sont pas d’accord sur les mesures à prendre pour le contenir.

Washington espère que le renforcement des Accords d’Abraham, accord qui a amélioré les relations entre Israël et plusieurs États du Golfe au cours des quatre dernières années, peut être amplifié afin d’exercer davantage de pression sur l’Iran. Cela implique d’intégrer l’Arabie saoudite dans les Accords. Mais tant qu’Israël ne proposera pas d’accord de paix aux Palestiniens, l’Arabie saoudite ne bougera pas.

La montée de la violence entre Palestiniens et Israéliens ne pouvait donc pas tomber à un pire moment pour la visite de Blinken. Souriant à côté de Netanyahou lors de leur conférence de presse commune, Blinken a parlé de paix et d’une solution à deux États. Netanyahou, également souriant, a parlé d’une « solution viable », une différence de langage que les personnes présentes à Riyad ont certainement notée, et qui réduit à néant toute chance pour l’Arabie saoudite de rejoindre les Accords et de formaliser son alliance avec Israël.

Cela signifie que le plan américain pour un grand pacte du Moyen-Orient contre l’Iran arrivé sur une case serpent doit donc reculer de plusieurs cases et attendre – peut-être jusqu’à ce que Netanyahou se rende à Washington. L’invitation vient d’être lancée dans le cadre de cette visite, en espérant que cela permettra d’arriver sur une case échelle.

Jeu 2 : Les contorsions à propos de l’Ukraine

La deuxième stratégie implique Israël, les États-Unis, la Russie, l’Iran, l’Ukraine et la Syrie. La promptitude et la détermination des responsables américains à affirmer que l’explosion d’Ispahan est l’œuvre d’Israël indiquent qu’il existe un accord possible entre Sullivan et Netanyahou quant à la poursuite de la guerre de l’ombre que Téhéran et Jérusalem se livrent depuis quelques années. Après avoir fait une pause pendant le gouvernement Lapid, le retour de Netanyahou au poste de premier ministre est en train de relancer la machine.

Alors, me direz-vous, que vient faire l’Ukraine dans tout ça ? La politique de Biden a notamment consisté à faire pression sur Israël pour lui faire adopter une position plus ferme en faveur de l’Ukraine. Mais Israël rechigne, et pour une très bonne raison. Un accord a été conclu avec la Russie, lequel est crucial pour l’endiguement de l’Iran. Lorsque Israël attaque les installations iraniennes en Syrie, ce qui arrive régulièrement, l’accord prévoit que Moscou ferme les yeux. Israël ne veut donc pas s’aliéner la Russie en soutenant ouvertement l’Ukraine dans cette guerre.

La question qui se pose à Israël est la suivante : quels sont les moyens à mettre en œuvre pour soutenir les objectifs américains sans contrarier la Russie ? La réponse est : attaquer les installations de fabrication d’armes de l’Iran, afin de lui interdire d’envoyer de drones à la Russie (bien qu’il ne soit pas clair à l’heure actuelle que la fabrication de drones était visée).

Le tweet de Polodyak a révélé avec bonheur que l’Ukraine connaissait parfaitement les règles du jeu. Cela a fait bondir l’Iran, puisqu’il fabriquera désormais davantage de drones grâce à des unités de production souterraines, pour éviter une nouvelle attaque israélienne. Mais Israël a aussi gravi plusieurs cases grâce à aux échelles, puisque la colère russe a été évitée alors même que l’Ukraine était aidée. Les visites américaines en Israël se soldent par un match nul. Le plateau de jeu, quant à lui, est encombré de joueurs. Tout cela ressemble plus à Risk qu’à Serpents et échelles, mais cela illustre de manière frappante à quel point le Moyen-Orient est désormais partie prenante de la guerre en Ukraine.

Source : Responsible Statecraft, Roxane Farmanfarmaian, 31-01-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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4 réactions et commentaires

  • calal // 18.02.2023 à 08h25

    chaque pays est somme de choisir un camp et de se mouiller dans la guerre russo-ukrainienne. Comme les belligerants le savent, le resultat de cette guerre servira de mesure pour jauger la force du camp occidental et celui de l’axe russo-sino-iranien favorisant l’alignement de nombreux pays sur le camp percu comme vainqueur. Ce qui augmente les enjeux pour l’occident et les russes. Et donc augmente les risques d’une escalade incontrolable selon le principe du « pied dans la porte » et du « sunk cost fallacy »…

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  • antoniob // 18.02.2023 à 15h27

    au sujet de l’affirmation de l’auteur de cet article:
    « La question qui se pose à Israël est la suivante : quels sont les moyens à mettre en œuvre pour soutenir les objectifs américains sans contrarier la Russie ? La réponse est : attaquer les installations de fabrication d’armes de l’Iran, afin de lui interdire d’envoyer de drones à la Russie (bien qu’il ne soit pas clair à l’heure actuelle que la fabrication de drones était visée). »

    c’est spécieux car attaquer l’Iran en tant que celà affaiblit un pays qui est dorénavant un partenaire étroit de la Russie, en s’imaginant ne pas contrarier la Russie c’est bizarre….

    Bennett en 2021 avait obtenu une fleur de Poutine: laisser frapper des points iraniens ou du Hezbollah en Syrie. Or, continuer à frapper la Syrie, et de plus, frapper l’Iran, c’est ne pas contrarier la Russie?
    Récemment les systèmes électroniques bancaires de virements et paiements russes et iraniens, développés séparément pour contourner Swift,€ et $ ont été connectés. Les échanges commerciaux deviennent ainsi lisses et rapides. Dans le port d’Astrakhan sur la Caspienne un terminal intermodal est en développement, les navires iraniens ont reçu le droit de naviguer Volga et Don, et un terminal en Iran est en développement pour accroître le fret avec Bombay. C’est le couloir nord-sud caspien.

    Il semble plutôt que Netanayhou pousse le bouchon à la limite pour éviter de se poser activement contre la Russie.

    en Syrie les Etats-Unis occupent illégalement: une base dans le nord pour le pétrole et une dans le sud pour les djihadistes. Frappes russes un jour?

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    • jbal // 19.02.2023 à 09h29

      Damas et cela qui en parle? La direction générale des antiquités et des musées : L’agression israélienne qui a visé des points à Damas et ses environs à l’aube a causé des dégâts considérables à l’Institut technique des arts appliqués à la Citadelle de Damas et au Centre culturel de Kafar Sousseh

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      • antoniob // 19.02.2023 à 13h16

        en effet, un silence complice scandaleux.

        Olivier Berruyer pourrait établir tout un dossier de l’ampleur de celui autour du Euromaïdan en 2014, au sujet du resserrement de la « fabrique du consentement » dans la presse française, entre 2003 et environ 2009.
        2003 c’est lorsque le Quai d’Orsay et, disons, « l’état profond » français est sur ses derniers jours de gaullisme, que l’action des Etats-Unis et de la GB est dénoncée comme non pertinente dans son propos (les « armes de destruction massives » de l’Irak.)
        2009 c’est sous Juppé lorsque le Quai d’Orsay et l’Elysée ont basculé dans la doxa américaine, estampillée de plus en plus par la presse française par dérivation de l’anglais « the West » en « Occident », en tordant le coup au sens civilisationnel du terme.

        vers 2009 la Syrie était progressivement ciblée et démonisée. Ensuite il y a le long massacre et martyre de ce pays, et qui se poursuit, les « occidentaux » ayant encore tiré profit du séisme pour de la comm’ et qui sait, peut-être des tentatives d’infiltrations accrues sous couvert d’aide humanitaire via les ONG qui sont en général des outils aussi amoraux que leurs régimes.

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