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2.février.20232.2.2023 // Les Crises

Derrière les discours menaçants, l’administration Biden reste très docile avec l’Arabie saoudite

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Une fois les élections de mi-mandat terminées, toute mention de la responsabilité de MBS a disparu, et en fait, Biden semble maintenant le servir.

Source : Responsible Statecraft, Daniel Larison
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

PHOTO DE FICHIER : Le président américain Joe Biden et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salman arrivent pour la photo de famille lors du sommet de Jeddah sur la sécurité et le développement (CCG+3) dans un hôtel de Jeddah, en Arabie saoudite, le 16 juillet 2022. Mandel Ngan/Pool via REUTERS/File Photo

L’administration Biden n’a mis à exécution aucune de ses menaces de réclamer des comptes à l’Arabie saoudite et, selon un nouveau rapport, elle n’a pas l’intention d’imposer un quelconque coût à son gouvernement.

Le Wall Street Journal a rapporté la semaine dernière que l’administration renonçait à ses menaces contre le royaume en réponse au rôle joué par Riyad dans la réduction de la production de pétrole de l’OPEP+ en octobre. La colère de la Maison Blanche concernant cette réduction s’était déjà calmée peu après les élections de mi-mandat et, depuis lors, l’administration n’a été que trop prompte à répondre aux demandes saoudiennes.

L’administration est allée jusqu’à faire pression contre une nouvelle résolution contre la guerre au Yémen, qui aurait pu obliger les États-Unis à mettre fin à leur soutien en matière de renseignement à la campagne du gouvernement saoudien. Comme l’indique le rapport du Journal, l’administration travaillait avec des responsables saoudiens pour faire échouer cette mesure.

Sous Biden, non seulement les États-Unis n’utilisent pas leur influence pour faire pression sur l’Arabie saoudite afin qu’elle modifie son comportement, mais ils font également pression sur les membres du Congrès pour satisfaire les Saoudiens. Loin de « recalibrer » la relation avec l’Arabie saoudite, les États-Unis cèdent invariablement à la pression saoudienne et ne font rien pour répondre, même lorsque leur gouvernement agit directement contre les intérêts américains.

À un moment donné, l’automne dernier, il semblait que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salman avait finalement contrarié Biden et les Démocrates du Congrès une fois de trop et qu’il pourrait en payer le prix. La réduction de la production contredisait directement un accord secret que les États-Unis et les Saoudiens avaient conclu plus tôt dans l’année, elle profitait à la Russie, et elle intervenait juste avant les élections de mi-mandat, de sorte qu’elle semblait conçue pour exaspérer l’administration et ses alliés.

Malgré tout cela, l’administration a fini par prendre la voie de la moindre résistance et a laissé l’Arabie saoudite faire ce qu’elle voulait. Biden avait déjà signalé, lors de sa visite l’été dernier, que le gouvernement saoudien pouvait agir en toute impunité, et le recul de ces derniers mois a confirmé que les États-Unis ne pénaliseront jamais leur client saoudien pour quoi que ce soit.

Au moment propice, un avertissement saoudien concernant une attaque iranienne « imminente » en novembre a conduit à un renforcement de la coopération américano-saoudienne dans les semaines qui ont suivi le différend sur la réduction de la production. L’attaque n’a jamais eu lieu, et il est possible qu’il n’y en ait jamais eu, mais l’avertissement a servi à détourner l’attention de l’administration de ses désaccords antérieurs avec le gouvernement saoudien.

Les responsables de l’administration se vantent maintenant qu’une démonstration de force américaine dans la région a empêché l’attaque. Le rapport cite Colin Kahl, sous-secrétaire à la Défense pour la politique, qui a déclaré : « Nous pensons que la combinaison de ce partage rapide du renseignement et du repositionnement [des moyens militaires] est ce qui a fait reculer les Iraniens. » Bien que cela soit possible, une autre explication est que les gouvernements saoudien et américain ont exagéré la menace potentielle pour l’Arabie saoudite afin de détourner l’attention de la faille dans les relations et de l’orienter vers l’Iran.

Le renforcement de la coopération militaire avec l’Arabie saoudite est exactement la mauvaise voie à prendre pour les États-Unis, que la cible de cette coopération soit le Yémen ou l’Iran. Les États-Unis devraient chercher des moyens de réduire et, à terme, de mettre fin à l’assistance militaire qu’ils fournissent aux Saoudiens, y compris les ventes d’armes. C’est important pour les États-Unis afin qu’ils ne soient plus complices des crimes saoudiens, mais c’est également essentiel pour corriger le surinvestissement des ressources américaines au Moyen-Orient. Les États-Unis ne devraient pas se lancer dans les « nouveaux projets militaires et de renseignement » mentionnés dans le rapport, mais devraient plutôt réduire leur engagement militaire dans la région.

Malheureusement, le gouvernement saoudien peut être assuré qu’il n’a rien à craindre du Congrès ou de l’administration Biden. Peu importe ce que quiconque à Washington peut dire contre les nombreux abus et crimes de guerre du gouvernement saoudien, il n’y a jamais de conséquences pratiques. Mohammed ben Salman a appris au cours des administrations Trump et Biden qu’il peut se permettre toute réaction négative parce qu’il peut compter sur le soutien fiable des États-Unis, quel que soit le nombre de dissidents qu’il assassine et quel que soit le nombre de civils que ses forces et ses mandataires tuent au Yémen.

Les menaces de punition vides de sens n’ont fait que rendre le prince héritier encore plus arrogant et méprisant à l’égard des États-Unis, alors que nos responsables s’empressent de le « rassurer » chaque fois qu’il porte atteinte aux intérêts américains. Cela risque de rendre le prince héritier plus téméraire à l’avenir, et il deviendra encore plus difficile de mettre un frein à ses abus. Les États-Unis sont confrontés à un leadership saoudien de plus en plus dangereux et répressif qui croit pouvoir ignorer les demandes de Washington tout en obtenant un soutien réflexe.

L’Arabie saoudite est l’exemple principal de la façon dont le soutien des États-Unis engendre un comportement pire et plus déstabilisant. Barry Posen a appelé cela une « conduite imprudente » : les clients sont tellement sûrs du soutien des États-Unis qu’ils agissent de manière irresponsable et dangereuse en pensant que les États-Unis les tireront d’affaire et les protégeront des conséquences de leurs actions. Peu de clients se sont avérés être de pires conducteurs imprudents que les Saoudiens.

Comme l’explique Posen dans son livre Restraint [A New Foundation for US Grand Strategy, Barry R Posen, non traduit, NdT] : « Sachant que les États-Unis serviront de prêteur militaire en dernier ressort, ils investissent dans des politiques qui désavantagent les États-Unis sur le plan politique, ce qui peut en fin de compte faire grimper les coûts militaires réels ». La relation unilatérale entre les États-Unis et l’Arabie saoudite ne se contente pas de desservir les intérêts américains, elle met également en péril la région environnante, car le gouvernement saoudien est encouragé à agir de manière plus agressive.

Le traitement favorable accordé à l’Arabie saoudite pourrait avoir plus de sens si l’État client pour lequel les États-Unis sont accommodants et indulgents était fiable et utile à la promotion des intérêts américains, mais le gouvernement saoudien n’est ni l’un ni l’autre. L’Arabie saoudite est une dépendance sécuritaire et un fardeau, et la guerre que son gouvernement mène depuis près de huit ans contre le Yémen est une honte déstabilisante qui implique les États-Unis dans leurs crimes.

La relation est devenue presque entièrement une affaire à sens unique dans laquelle le client attend et exige une protection, des armes et un soutien et les États-Unis fournissent automatiquement tout cela sans rien recevoir en échange. La relation américano-saoudienne est effectivement un échange, mais dans ces échanges, les États-Unis se retrouvent toujours les mains vides et chargés d’engagements supplémentaires. Une opération dans laquelle une seule partie bénéficie est généralement qualifiée d’escroquerie, et c’est ainsi qu’il faut considérer la relation avec Riyad.

Personne ne s’attendait à ce que Biden fasse de l’Arabie saoudite un État « paria », mais sa détermination à traiter la relation américano-saoudienne comme une affaire habituelle est l’une des plus grandes erreurs qu’il ait commises au cours des deux dernières années. Cela tourne en dérision la rhétorique de Biden sur la démocratie et les droits humains, et c’est également un grave préjudice pour les intérêts américains. L’administration Biden en viendra à regretter sa préférence pour le « retour aux sources » au Moyen-Orient, alors que le gouvernement saoudien continue de profiter de son attitude complaisante.

Source : Responsible Statecraft, Daniel Larison, 09-01-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

POPOV // 02.02.2023 à 07h47

H. Kissinger a dit : « Être un ennemi des USA peut être dangereux, mais être un ami est fatal ». Comme on le voit avec l’Europe, cet adage, hurle un certain réalisme. M. ben Salman doit le savoir et a trouvé un juste compromis.
Le Japon et le Corée du sud s’interroge encore.

3 réactions et commentaires

  • POPOV // 02.02.2023 à 07h47

    H. Kissinger a dit : « Être un ennemi des USA peut être dangereux, mais être un ami est fatal ». Comme on le voit avec l’Europe, cet adage, hurle un certain réalisme. M. ben Salman doit le savoir et a trouvé un juste compromis.
    Le Japon et le Corée du sud s’interroge encore.

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  • Savonarole // 02.02.2023 à 10h11

    Ce qui rapproche les USA et l’AS est sans doute plus important aux yeux des deux dirigeant que ce qui les éloignent.
    Il faut un marché pour Raytheon et il faut un marché à Aramco. Ca a beau ètre un marché de dupes pour tous le monde , tant qu’il y en a qui banquent …

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    • iaexpert // 02.02.2023 à 13h53

      Le principal client de l’AS..et de l’Aramco…la Chine…par contre l’AS est le premier investisseur aux USA, plus de 2000 milliards de $ us..

        +1

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