L’administration Trump accroîtrait son partage de renseignements et son soutien militaire au Mali, au Burkina Faso et au Niger, tous trois sous domination militaire, dans le cadre d’un accord d’échanges visant à stimuler l’accès américain aux minerais essentiels tout en contestant l’influence russe et chinoise en Afrique. L’approche de l’administration pourrait bien trouver un public réceptif à Bamako, Ouagadougou et Niamey, ainsi qu’au sein des éléments faucons de la bureaucratie de la sécurité nationale à Washington. Pourtant, il est peu probable que ce soutien renforcé fasse une différence significative dans la lutte contre les insurrections dans la région troublée du Sahel.
Source : Responsible Statecraft, Alex Thurston
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Les pays du Sahel central sont en proie à des activités djihadistes depuis les années 2000, et une rébellion au nord Mali en 2012 a permis aux djihadistes de jouer un rôle encore plus important dans la région. Les opérations antiterroristes intensives menées par la France de 2013 à 2022 ont d’abord permis de faire reculer les djihadistes. Cependant, à partir de 2015, l’insurrection s’est étendue du nord du Mali aux zones centrales du pays, au Burkina Faso et au Niger, pour finalement déborder sur le Bénin, le Togo et la Côte d’Ivoire (bien que la Côte d’Ivoire ait réussi à freiner l’élan des djihadistes dans ce pays).
Alors que l’insécurité s’intensifiait dans la région, les dirigeants civils du Sahel semblaient désemparés, tandis que les armées nationales répondaient par des opérations musclées et incohérentes qui ont attisé la mobilisation des djihadistes au lieu de l’affaiblir. L’insécurité croissante et la déception généralisée des citoyens à l’égard de leurs dirigeants civils ont entraîné une série de coups d’État entre 2020 et 2023.
Les régimes militaires qui ont pris le pouvoir ont mis l’accent sur un message de souveraineté nationale et d’autonomisation, qui impliquait l’expulsion des forces françaises, la remise en cause des conditions d’extraction des ressources par les entreprises multinationales et l’intensification des campagnes militaires contre les djihadistes. Le message « souverainiste » a électrisé de nombreux citoyens au Sahel et au-delà, donnant aux régimes militaires un attrait populaire important, mais son application dans la contre-insurrection a été un désastre : la violence a augmenté, et le Mali et le Burkina Faso en particulier ont progressivement perdu le contrôle de leur territoire national. Une série d’attaques coordonnées dans l’ouest du Mali le 1er juillet a mis en évidence l’expansion et l’intensification de la violence djihadiste dans la majeure partie du pays.
Certains commentateurs attribuent à un supposé « vide sécuritaire » l’instabilité qui s’est développée sous l’égide des juntes. Pourtant, le départ des troupes françaises (et la suspension de diverses formes de coopération avec Washington, comme la décision de la junte nigérienne d’expulser les troupes américaines) n’est tout au plus qu’un facteur parmi d’autres pour expliquer la montée de la violence. Ni les opérations françaises ni l’assistance américaine n’ont arrêté l’expansion des insurrections djihadistes à la fin des années 2010, et les effets de condescendance et de distorsion de l’assistance sécuritaire occidentale ont contribué à créer les conditions qui ont conduit aux coups d’État – et à l’orientation anti-occidentale des juntes.
Pendant ce temps, alors même que Paris et Washington (sous la direction de Biden) décriaient l’adhésion des juntes sahéliennes (et en particulier du régime malien) à l’assistance russe, les déploiements antiterroristes russes n’ont fait que pousser la logique de la « guerre contre la terreur » jusqu’à sa conclusion brutale, les patrouilles russes et maliennes terrorisant les civils au nom du rétablissement de la sécurité. Tous les prétendus fournisseurs de sécurité extérieurs du Sahel offrent plus ou moins la même promesse creuse : à savoir que chaque partenaire extérieur promet qu’il possède la recette la plus sophistiquée pour tuer les djihadistes. Tous ont échoué. L’administration Trump peut même imiter la Russie en promettant une aide à la sécurité sans le genre de rhétorique moralisatrice sur les droits de l’homme, le développement et la « bonne gouvernance » que l’administration Biden utilisait et que le président français Emmanuel Macron a également pris plaisir à utiliser. Mais « ne pas prendre de gants », comme l’ont montré les actions de la Russie, ne fait qu’exacerber les souffrances des civils tout en produisant autant d’échecs que la version française et américaine de la « guerre contre la terreur » au Sahel.
Les échecs des puissances extérieures au Sahel suggèrent que les offres d’assistance de l’administration Trump en matière de renseignement et de sécurité ne signifient pas grand-chose non plus. L’échange de renseignements peut aider à localiser les principaux chefs djihadistes, par exemple ; mais les Français ont tué plusieurs dizaines d’agents de haut rang sans démanteler l’insurrection, et la junte malienne s’est à plusieurs reprises vantée d’avoir tué et capturé des commandants djihadistes. L’échange de renseignements ne peut pas résoudre fondamentalement le problème d’une insurrection disposant d’une base massive de jeunes combattants issus des communautés urbaines et rurales, capables de paralyser les principales artères de transport, de frapper les avant-postes militaires, d’imposer des blocus économiques aux villes importantes et de tendre des embuscades aux armées nationales et aux « formateurs » étrangers dans des endroits reculés (comme Tinzaouaten, au Mali, comme les Russes l’ont appris en 2024, et Tongo-Tongo, au Niger, comme les Américains l’ont appris en 2017).
Le problème de la sécurité ne se résume pas non plus au matériel, à la formation ou même à l’argent : les insurrections sahéliennes ont des racines sociales profondes, les armées (et les paramilitaires) de la région sont déchirées par des problèmes internes et les États faméliques du Sahel sont mal équipés pour rétablir une gouvernance efficace, que ce soient des civils ou des généraux qui sont aux commandes.
Le type de transaction que les fonctionnaires de l’administration Trump ont à l’esprit pourrait également ne pas voir le jour. La sécurité des minerais semble assez simple, mais ne correspond pas à l’humeur souverainiste de la région, où les régimes et de nombreux citoyens sont désireux de contrôler davantage, plutôt que moins, l’extraction et les profits. Comme des entreprises telles que la société canadienne Barrick le découvrent au Mali, les juntes sont des adversaires redoutables, prêtes à détenir du personnel, à débaucher des cadres supérieurs et à exiger davantage de taxes.
Si les responsables de Trump espèrent ouvrir de nouvelles perspectives aux entreprises américaines, ces mêmes entreprises seraient audacieuses, voire carrément téméraires, de se précipiter dans un environnement qui évolue rapidement et qui est risqué. Les politiques d’extraction des ressources se fondent également dans le monde obscur des rivalités et des tensions au sein des juntes, et tout ministre ou interlocuteur gouvernemental qui promet quelque chose ne sert en fin de compte que le bon vouloir du ou des dirigeants militaires.
Enfin, il est frappant de constater à quel point la réflexion de Washington sur la sécurité en Afrique évolue peu. Si l’administration Trump est moins préoccupée par les droits de l’homme que ne l’étaient les administrations Biden ou Obama, les dynamiques fondamentales restent néanmoins les mêmes : en particulier l’idée que le renseignement et l’aide à la sécurité sont des leviers de transformation des conditions sur le terrain et/ou de sécurisation d’autres objectifs politiques, qu’il s’agisse d’influence géopolitique ou de minerais essentiels.
Même dans le contexte du style personnaliste et ad hoc de Trump en matière d’élaboration des politiques, la reprise de la coopération avec le Sahel est probablement une bonne nouvelle pour les bureaucraties telles que l’U.S. Africa Command, qui risquaient d’être laissées à la dérive (ou même d’être déclassées) sous Trump. En reprenant la coopération sans réfléchir sérieusement aux échecs passés, l’administration et la bureaucratie pourraient simplement retomber dans les vieux schémas de coopération en matière de sécurité qui répondent aux souhaits des gouvernements sans tenir compte des besoins des gens ordinaires.
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Alex Thurston est professeur adjoint de sciences politiques à l’université de Cincinnati. Il est l’auteur de trois livres, dont le plus récent est Jihadists of North Africa and the Sahel : Local Politics and Rebel Groups (Cambridge University Press, 2020). D’autres articles sont disponibles sur son site web Sahel Blog (sahelblog.wordpress.com).
Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.
Source : Responsible Statecraft, Alex Thurston, 18-09-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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7 réactions et commentaires
On constate une résurgence du terrorisme dans tous les endroits ou les Etats-Unis on besoin de maintenir une présence militaire. Il s’agit dans ce cas d’endiguer l’influence des Brics en Afrique et pour cela il fallait remplacer la France, ce qui fut fait avec la bénédiction de notre foutriquet national.
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AlerterLe djihadisme est le bras armée de la contestation sociale , depuis la fin de l’idéologie communiste . Pour contrecarrer les américains ou les russes , les juntes n’ont pas d’autres choix que de donner une réelle autonomie aux territoires contestés , parce que personne n’a jamais arrêté une guerrilla . Le problème c’est que l’instabilité profite aux russes et américains et qu’ils peuvent du jour au lendemain changer d’allié . Et il ne serait pas étonnant qu’ils arment déjà les djihadistes . Bel article .
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Alerter@nulnestpropheteensonpays,
=> Le djihadisme est le bras armée de la contestation sociale , depuis la fin de l’idéologie communiste.
Le djihadisme est une des multiples formes de la contestation sociale avec la particularité de se définir comme un remède à la fois matériel et spirituel. Sinon le communisme chinois se porte à merveille car l’Etat est toujours en capacité d’imposer ses choix aux plus puissants acteurs économiques alors que nous dépérissons de ne plus pouvoir le faire.
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Alerterdans les populations , l’accès à la consommation est devenu un but incompatible avec ceux qui se réclame du communisme . Le gouvernement chinois l’a bien compris avec son communisme capitaliste en donnant accès aux bien et à la propriété . Mas malgré tout ce n’est pas le style de gouvernement que je souhaite .En dehors du pouvoir réellement aux mains des habitants du pays ,par des conventions citoyennes ,aucun gouvernement n’a ma préférence . Pour moi quelqu’un qui a la prétention d’être un chef , a une pathologie , et je ne veux plus voir mon avenir aux mains d’ un malade !
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Alerter@nulnestpropheteensonpays,
Je ne pense pas que le communisme chinois soit adaptable sous nos contrés mais celui-ci n’a pas apporté que des bénéfices matériels, il a aussi instruit et soigné tout un peuple en lui offrant de surcroit l’espoir d’un avenir encore meilleur. Je ne peux m’empêcher de comparer ces résultats avec la situation actuelle des populations européennes.
La démocratie participative me semble effectivement être la solution pour sortir de l’ornière mais aucun politicien n’adhère suffisamment à ce principe pour le mettre en pratique dans son propre parti. Quoiqu’il en soit les dés sont jetés et nous sortirons du chaos plus libre que nous ne l’avons jamais été ou nous appartiendrons de nouveau à un seigneur.
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AlerterDepuis la chute de l’empire Ottoman, les « occidentaux » ont utilisés les rebelles musulmans (et autres de toutes obédiences) contre les gouvernements « locaux » rejetant leurs exigences. Les USA ont armé (et souvent entrainé) les talibans en Afghanistan depuis les années 80, divers groupes djihadistes en Syrie, et bien d’autres ailleurs. Ce n’est pas un procédé nouveau. En Afrique, certaines tribus servaient à capturer leurs voisines pour nourrir le commerce des esclaves. Aux Amériques, les tribus étaient pareillement utilisées les unes contre les autres. César avait des mercenaires « gaulois » dans ses armées pour la conquête des Gaules. Le gouvernement Israéliens sciemment a transmit l’argent Iranien au Hamas, pour briser le pouvoir politique de l’OLP après son abandon du terrorisme, de façon à empêcher les palestiniens d’avoir une représentation politique légitime.
La contestation sociale, quand à elle, utilise les « moyens » qu’elle trouve pour s’exprimer. Et ce n’est pas un hasard si les éléments politiques modérés (et généralement réfléchi) sont les premiers à être éliminés lors de tous les changements de régime violent. (Maidan/Ukraine, 2014).
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AlerterCe que cet article explique c’est que les Etats-Unis doivent contrôler les ressources, mais que pour le faire c’est mieux d’y mettre de la joliesse.
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