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4.juin.20254.6.2025 // Les Crises

Yémen : L’accord de cessez-le-feu de Trump avec les Houthis nous ramène à la case départ

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L’accord de cessez-le-feu conclu par Donald Trump avec le Yémen aboutit au même résultat que si Trump n’avait jamais commencé à bombarder le Yémen.

Source : Jacobin, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Les partisans houthis du Yémen brandissent des armes et crient des slogans lors d’une manifestation organisée contre Israël et les États-Unis le 9 mai 2025 à Sanaa, au Yémen (Mohammed Hamoud / Getty Images)

Notre numéro de printemps, « Progress », a été qualifié par un commentateur de « tout à fait lisible ». Cliquez ici pour en savoir plus.

Nous savions déjà que la campagne de bombardements de Donald Trump contre le Yémen était inconstitutionnelle. Il s’avère qu’elle était aussi complètement inutile.

En début de semaine, Donald Trump et les dirigeants houthis du Yémen ont annoncé un cessez-le-feu soudain qui en a surpris plus d’un, le président américain déclarant que les Houthis « ne voulaient plus se battre » et qu’ils avaient « capitulé. » Après deux mois de bombardements américains souvent aveugles, a déclaré Trump à la presse, les Houthis ont dit qu’ils « ne feraient plus exploser de navires, et c’est le but de ce que nous faisions », et les États-Unis « honoreront cela. »

L’accord a été une rare bonne nouvelle sur le front de la politique étrangère, à la fois pour les Américains, qui en ont assez d’être aspirés dans une guerre sans fin au Moyen-Orient et ailleurs, et pour les Yéménites innocents, dont plusieurs dizaines ont été tués par les bombes américaines au cours des deux derniers mois. Mais si l’on y réfléchit un instant, l’annonce du cessez-le-feu par Trump ressemble moins à une grande réussite de la diplomatie présidentielle qu’à un George H. W. Bush fictif écrivant la dernière ligne de ses mémoires dans la série des Simpsons : « Puisque j’avais atteint tous mes objectifs en tant que président en un seul mandat, il n’était pas nécessaire d’en faire un second. »

Le détail essentiel qui manque à l’accord de cessez-le-feu est la promesse faite par les Houthis de cesser d’attaquer les navires israéliens. C’est un détail essentiel, car c’était la raison pour laquelle Trump a commencé à bombarder le Yémen.

Comme je l’ai expliqué en mars, les Houthis n’ont commencé à attaquer les navires américains qu’après que l’administration Trump a commencé à bombarder le Yémen, et la raison pour laquelle elle a commencé à bombarder le Yémen était d’essayer de dissuader les Houthis de bombarder les navires israéliens. (Et ces attaques contre les navires israéliens étaient elles-mêmes une réponse au gouvernement israélien qui renouvelait sa politique d’affamer et de massacrer la population de Gaza, sans qu’aucune attaque des Houthis n’ait lieu pendant que le cessez-le-feu de Gaza négocié par Trump était en place).

Nous avons maintenant le même résultat que si Trump n’avait jamais commencé à bombarder le Yémen. Essentiellement, tout ce qu’il a accompli ici, c’est de se sortir, lui et le pays, du pétrin dans lequel il s’était lui-même fourvoyé, et il l’a fait sans atteindre l’objectif central de cette intervention : dissuader les Houthis de lancer des attaques contre Israël.

À l’heure où vous lisez ces lignes, les Houthis continuent de bombarder régulièrement des cibles israéliennes, et ces attaques se sont même intensifiées pendant la campagne de bombardement de Trump, dépassant le stade des attaques de bateaux pour atteindre le sol israélien. En fait, Israël est maintenant plus exposé : les Houthis, une force militaire pauvre et peu technologique, ont réussi à plusieurs reprises à déjouer les systèmes de défense aérienne d’Israël, démontrant publiquement à quel point le pays serait vulnérable dans le cas d’une guerre totale avec un ennemi qui est en fait à égalité avec Israël en termes de puissance militaire.

L’aventure a également été extrêmement coûteuse pour les États-Unis. La campagne de bombardements a peut-être tué de nombreux civils yéménites, mais aussi macabre soit-elle, le pays et sa population ont déjà prouvé la décennie dernière qu’ils avaient une tolérance extraordinairement élevée pour absorber la souffrance humaine. Au même moment, côté USA, plus d’un milliard de dollars de munitions ont été engloutis et les stocks d’armes se sont épuisés au point que les commandants américains s’inquiètent sérieusement de la capacité de l’armée à mener une guerre potentielle contre la Chine. Rien qu’au cours des huit derniers jours, les États-Unis ont perdu deux avions de combat de 67 millions de dollars l’unité, déployés en mer Rouge, l’un en tombant d’un porte-avions et en plongeant dans l’eau, l’autre à la suite d’une erreur à l’appontage.

Cela a également été politiquement coûteux pour Trump lui-même. Le bombardement du Yémen par le président a été à l’origine du scandale sans doute le plus préjudiciable et le plus dérangeant de sa présidence, qui n’a même pas quatre mois, la controverse du « Signalgate », qui a vu ses responsables de la sécurité nationale envoyer accidentellement des plans de guerre au Yémen à un journaliste, déclenchant ainsi des semaines d’histoires embarrassantes sur l’utilisation par son équipe de communications non sécurisées pour envoyer des informations hautement sensibles et classifiées. Cette affaire a contribué à faire tomber la tête de son conseiller à la Sécurité nationale et a failli faire de même à son secrétaire à la Défense.

Entre-temps, la campagne de bombardements a déclenché certaines des premières et des plus fortes dissensions au sein de son mouvement. Une série de personnalités du MAGA [Make America Great Again], dont la députée Marjorie Taylor Greene, Tucker Carlson et Steve Bannon, ont critiqué l’aventure au Yémen, soulignant à juste titre qu’elle allait à l’encontre des promesses faites lors de la campagne électorale, à savoir que les États-Unis ne participeraient pas à des guerres étrangères.

Mais même si elle a simplement ramené les choses au statu quo d’avant le 20 mars 2025, l’affaire pourrait être plus importante qu’il n’y paraît à première vue. Outre le large front de désaccord anti-guerre qu’elle a activé, elle pourrait également avoir accidentellement catalysé ce qui semble être l’impatience croissante de Trump à l’égard d’Israël et de son Premier ministre, Benjamin Netanyahou, et sa volonté de les défier tous les deux.

Le fait que Trump ait négocié et accepté le cessez-le-feu sans informer ou impliquer Israël – sans parler de la mise à l’écart et du fait qu’il ait « laissé Israël dans l’ignorance » ou l’ait « abandonné » dans l’accord lui-même, pour citer le Times of Israel, un journal de droite – n’est pas anodin. Les responsables israéliens ont réagi avec « stupéfaction » et choc à l’annonce, tandis que dans leur pays, un groupe bipartisan de membres du Congrès favorables à Israël s’est plaint que l’accord de Trump « laisse Israël dangereusement vulnérable et ne parvient pas à faire face à la menace plus large posée par le réseau de mandataires de l’Iran. »

À l’heure où nous écrivons ces lignes, Trump ne semble pas avoir été ému par ces critiques : son prochain voyage au Moyen-Orient ne concerne pas Israël, des sources affirmant aux médias qu’il est à bout de patience avec Netanyahou. Il serait prêt à présenter au Premier ministre israélien un accord « global » de cessez-le-feu à Gaza comme un fait accompli qu’il pourrait soit accepter, soit se retrouver tout seul. Cela s’ajoute à la façon dont Trump a défié le leadership israélien dans ses tentatives de réintégrer l’accord sur le nucléaire iranien qu’il avait déchiré lors de son premier mandat et à la façon dont il semble se préparer à mettre à nouveau le pays à l’écart en poursuivant un accord avec l’Arabie saoudite.

Personne ne devrait retenir son souffle. Trump est connu pour ses brusques changements d’avis, ses reculades et ses revirements politiques soudains : il suffit de se rappeler la façon dont il a forcé Netanyahou à accepter un cessez-le-feu peu avant son investiture, puis l’a laissé le violer deux mois plus tard et reprendre malgré tout la destruction de la bande de Gaza. Et rien ne garantit que son mécontentement actuel à l’égard du gouvernement israélien perdurera. Mais dans la mesure où le cessez-le-feu des Houthis est un signe qu’il est prêt à poursuivre une politique étrangère qui refuse de laisser les dirigeants israéliens entraîner les États-Unis dans une nouvelle guerre autodestructrice au Moyen-Orient, il s’agit au moins d’un développement positif.

*

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden [L’homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT]. Il vit à Chicago, dans l’Illinois.

Source : Jacobin, Branko Marcetic, 12-05-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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6 réactions et commentaires

  • Savonarole // 04.06.2025 à 14h26

    « Il faut toujours voir le bon coté des choses » chantaient les Monty Pythons , ici les côtés positifs ne manquent pas. Tout ce « cirque volant » a démontré pleins de trucs qu’il fallait rapeller : les opérations de « relations publiques » : c’est cher et ça sert à rien, les groupes aéronavales : c’est cher et ça sert à rien, soutenir mordicus la politique d’un état voyou : c’est très cher et ça sert à rien.
    Dans les autres points positifs : Trump a viré Valls … attendez non, je me trompe de traitre : Michael Waltz , le mec qui a fait sortir les conversations lunaires des gros cons qui croivent (du verbe croiver) encore qu’ils peuvent changer le monde avec trois bombes et quelques sanctions :).
    Bref , le reel a passé quelques vanités aux bucher …

    • Rob Ducan Spencer // 04.06.2025 à 16h25

      On se demande pouquoi la Chine tente de mettre en place 2 ou 3 groupes d’aéronavale…?…un pays mal conseillé ? La Corée du Sud aussi (des moyens différents, des bateaux porteurs de drones) le Japon aussi

      • Savonarole // 04.06.2025 à 17h39

        À par à claquer de l’oseille dans un concours de kikalaplusgross, je vois pas bien l’utilité réelle. Il parrait que ça sert à « peser dans le game » comme disent les jeunes.
        Ça fait surtout beaucoup de sous à ceux qui les vendent… De toutes façons il n’y a que deux types de bateaux , les sous-marins et les futurs sous-marins ( L’idée de base de la série I400 mais avec des drones , c’est un concept à creuser…).

        • La Mola // 04.06.2025 à 20h02

          « marrant » comme concept

          mais une chose est probable, c’est qu’un tel naufrage moral du « camp du bien » n’ira pas sans conséquences majeures – et plus tôt que tard !

  • Lt Briggs // 04.06.2025 à 14h55

    Je ne sais pas ce que donneront ses à-coups douaniers, mais sur le plan géopolitique, on voit vraiment que Trump tente des coups de poker et change très rapidement d’épaule si ça n’aboutit pas. Ce n’est que du court terme et c’est pris comme tel par ses partenaires comme par ses adversaires. Il ne reste plus grand chose des Accords d’Abraham signés sous son égide. De même, à quoi ont donc servi le déplacement de l’ambassade américaine d’Israël à Jérusalem ou l’établissement de relations diplomatiques entre le Maroc et Israël, présentés à l’époque comme des tournants majeurs dans la région ?
    Des régimes autoritaires comme la Russie ou la Chine avec une direction stable sont bien mieux armés pour peser à long terme sur le cours des choses. Il existe bien sûr le risque qu’un dingue parvienne aux manettes avec aucun contrepouvoir en face, comme Staline ou Mao. Mais les temps ont changé. Ni Poutine ni Xi ne veulent créer un Homme nouveau, juste profiter de la faiblesse relative des Etats-Unis pour consolider leurs positions. Ils sont plus à l’aise dans un monde multipolaire que ne le sont les Etats-Unis de Trump II. Biden n’a finalement représenté qu’une parenthèse, avalisant les choix opérés par Trump I.

  • Rob Ducan Spencer // 04.06.2025 à 16h23

    Mais dans la mesure où le cessez-le-feu des Houthis est un signe qu’il est prêt à poursuivre une politique étrangère qui refuse de laisser les dirigeants israéliens entraîner les États-Unis dans une nouvelle guerre autodestructrice au Moyen-Orient, il s’agit au moins d’un développement positif.

    Une conclusion hasardeuse pour une population qui n’est qu’un pion de l’Iran. Le Yemen est un pays totalement détruit, revenu 30 années en arrière, ravagé par une gurre qui est d’abord et avant tout un conflit local entre des chefs de clan, le tout instrumentalisé par des puissances extérieures.

    Pas s’en me rappeler le Polisario mais dans ce cas le mandataire est autre.

    Au même moment, côté USA, plus d’un milliard de dollars de munitions ont été engloutis et les stocks d’armes se sont épuisés au point que les commandants américains s’inquiètent sérieusement de la capacité de l’armée à mener une guerre potentielle contre la Chine

    Bon la peur du manque….le budget militaire présenté par l’administration Trump bat tous les records précédents dont le projet Dome d’Or copié sur Israel au coût de 1800 milliards de $ us

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