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16.mai.201616.5.2016 // Les Crises

État d’urgence : Amnesty International France dénonce les dérives d’un régime d’exception

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Excellente position d’Amnesty, que je soutiens totalement… La défense de nos libertés est une nécessité fondamentale, pour ne pas laisser la victoire aux obscurantistes…

Source : Amnesty International, 12/05/2016

Amnesty International France rend compte de sa récente mission : la nécessité de l’état d’urgence n’est toujours pas démontrée et les violations des droits humains perdurent.

A la veille du débat parlementaire sur le renouvellement de l’état d’urgence, Amnesty International France dénonce la pérennisation d’un régime aux conséquences extrêmement lourdes pour les droits humains, comme en témoignent aujourd’hui des personnes visées par ces mesures.

« L’Assemblée nationale doit s’opposer à cette prolongation, à moins que le gouvernement ne justifie pleinement de sa nécessité, au regard de la menace encourue mais aussi du cadre législatif existant », a déclaré Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France. « Le Parlement français ne doit pas se laisser influencer par le discours de peur du gouvernement. Il doit prendre ses responsabilités en mettant fin à cet état d’urgence contraire aux engagements de la France en matière de droits humains. »

Suite à une récente mission, Amnesty International a rassemblé des témoignages dans la continuité de la recherche menée depuis novembre 2015 (www.amnesty.fr/etat-urgence). Ces témoignages montrent que, 6 mois après l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, l’impact négatif sur les droits humains est totalement disproportionné au regard des résultats escomptés. Ainsi, selon les informations dont dispose Amnesty International, aucune enquête pénale pour des infractions liées au terrorisme en vertu du droit français n’a été ouverte contre une personne faisant ou ayant fait l’objet d’une assignation à résidence. Cela comprend notamment les 69 personnes qui restaient soumises, au 3 mai 2016, au régime d’assignation à résidence, depuis bientôt 6 mois.

Le 4 mai 2016, le gouvernement français a présenté un projet de loi visant à prolonger de deux mois supplémentaires l’état d’urgence en vigueur depuis les attentats du 13 novembre 2015. Approuvée le 10 mai par les sénateurs, cette prolongation doit désormais être débattue le 18 mai à l’Assemblée nationale.

Le gouvernement a légitimé ce projet de loi en se référant au fait que le pays continue d’être la cible potentielle de nouvelles attaques violentes, en particulier dans le contexte des événements sportifs internationaux à venir en France en juin et juillet 2016 (Championnat d’Europe de football et Tour de France). Les autorités ont fait valoir que ces événements vont attirer des millions de supporters, nécessitant la prolongation de mesures de protection exceptionnelles.

Il est du devoir du gouvernement de prendre des mesures efficaces pour assurer la sécurité publique, qui soient respectueuses des droits humains. Les autorités n’ont pas justifié de façon satisfaisante la nécessité de prolonger un régime dérogatoire qui se doit de rester exceptionnel et limité dans le temps. Le gouvernement devrait notamment démontrer l’insuffisance des pouvoirs ordinaires de police et de l’arsenal législatif antiterroriste existant pour assurer la protection du public pendant ces évènements sportifs.

Impact sur les droits humains des personnes assignées à résidence

Environ 80% des 344 assignations à résidence ordonnées depuis le 26 novembre 2015 n’ont pas été renouvelées après le 26 février.

Pour des personnes toujours soumises à ce régime d’exception, les raisons invoquées par les autorités restent pour l’essentiel similaires aux raisons invoquées initialement, sans que celles-ci ne soient étayées par d’autres éléments que les « notes blanches » des services de renseignements. Il est donc extrêmement difficile pour les personnes incriminées de contester les mesures prises à leur encontre et de démontrer leur innocence. Les conséquences de ces mesures sont pourtant particulièrement lourdes : stigmatisation, perte d’emploi et précarité guettent les personnes interrogées par Amnesty International ces dernières semaines.

Antho, président d’une association fournissant assistance et soutien aux détenus, est assigné à résidence à son domicile dans la banlieue de Paris depuis le 17 Novembre 2015. Les autorités ont justifié les mesures à son encontre en faisant valoir qu’il aurait recruté des « combattants étrangers » et aurait apporté un soutien financier à des organisations considérées comme terroristes par les autorités. Mais il n’a connaissance d’aucune enquête criminelle ouverte contre lui.

« On m’a accusé d’être proche de gens dont le comportement représente une menace pour la sécurité publique par le biais de mon organisation. On m’a accusé de beaucoup de choses, mais, par exemple, ma maison n’a jamais été perquisitionnée, ni le siège de l’association… ils n’ont jamais gelé les comptes de l’association ».

Il poursuit : « j’ai essayé de me défendre au Tribunal administratif et puis au Conseil d’Etat, j’ai produit d’abord 27, puis 35 témoignages au Conseil d’Etat. Mais j’ai eu l’impression qu’ils avaient déjà décidé. La juge du Conseil d’Etat m’a reproché quelque chose qui n’était même pas dans le mémoire du Ministère, en arguant qu’on avait changé les statuts de l’association il y a à peine trois mois pour élargir notre champ d’action aux non musulmans. Or, nous les avions changés en janvier 2013. Même cela a été utilisé contre moi. »

Lorsqu’Antho a annoncé à son employeur – une société informatique basée à Paris, qu’il ne pouvait plus aller au travail en raison de son assignation à résidence, il a été licencié pour motifs réels et sérieux.

« Aujourd’hui, la précarité me guette, je ne peux pas travailler, je ne peux plus payer la pension alimentaire de mes enfants qui vivent en Angleterre, je survis de mes économies », dit-il.

« La vie des personnes ne revient que rarement à la normale après une assignation à résidence. Elles sont aujourd’hui confrontées à une forte stigmatisation qui impacte lourdement leur capacité à gagner leur vie et plonge nombre d’entre elles dans la précarité », explique Geneviève Garrigos. « Les personnes soumises à ces mesures d’urgence doivent avoir accès à des voies de recours et de dédommagement efficaces et rapides. »

Plusieurs personnes ayant fait l’objet d’assignations à résidence, désormais levées, ont signalé à Amnesty International être visées par des procédures de révision de leur statut de réfugié. Si l’on ne connait pas la nature des éléments et informations sur lesquelles sont basées les procédures administratives, il semble qu’elles aient été enclenchées sur la base des mêmes informations vaguement formulées provenant des services de renseignement. Amnesty International avait déjà vigoureusement dénoncé l’usage de ces « notes blanches » comme unique base d’information pour ordonner des mesures restrictives dans le cadre de l’état d’urgence.

Islam, un réfugié tchétchène qui vit en France depuis sept ans, travaillait comme vigile pour une école jusqu’à ce que, le 21 décembre 2015, le Conseil national des activités privées de sécurité suspende son autorisation pour travailler dans le secteur de la sécurité.

Assigné à résidence le 12 janvier 2016, la levée de son assignation le 26 février ne lui a pas permis de récupérer son autorisation de travailler.

« Je n’ai pas vraiment compris les raisons pour lesquelles j’avais été assigné à résidence. Ils m’ont dit que j’étais en Syrie et que je recrutais des gens qui voulaient partir en Syrie. Cela sans me donner des informations plus précises. Aujourd’hui je ne peux plus travailler, j’ai introduit un recours contre la décision de retirer ma carte professionnelle et j’attends. Pourtant il n’y a aucune enquête contre moi et je ne suis plus assigné à résidence. J’ai six enfants, j’essaie de trouver un travail dans un autre domaine, mais ce n’est pas facile. »

En outre, il a reçu une convocation à l’OFPRA le 1er mars 2016 pour une procédure de retrait de son statut de réfugié selon l’article 711.6.1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

« L’OFPRA m’a convoqué le 8 avril pour me retirer le statut de réfugié. Ils ont dit qu’ils allaient prendre une décision dans un mois, j’attends. Je suis très inquiet car je connais un autre monsieur tchétchène auquel le statut a été retiré. Mes parents en Tchétchénie continuent d’être harcelés par les Russes qui veulent savoir où je suis, ce que je fais. Je ne peux absolument pas y retourner. »

« Quelle que soit l’issue de ces procédures, elles ne devraient en aucun cas mener vers le renvoi de personnes vers des pays où elles encourraient un risque de traitements cruels, inhumains ou dégradants et d’autres violations des droits humains », s’inquiète Geneviève Garrigos. « C’est d’ailleurs une obligation qui s’impose en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme et la Convention des Nations-Unies contre la torture, deux textes ratifiés par la France. »

Note aux rédacteurs
Une délégation d’Amnesty International a remis le 12 mai au Président de l’Assemblée nationale une pétition, signée par plus de 60 000 personnes, appelant les parlementaires à garantir les libertés et les droits humains de tous.

Informations complémentaires
– Appel aux parlementaires « Pas de sécurité sans respect des droits »
– Témoignages de personnes toujours assignées à résidence disponibles sur demande.
– Rapport de février 2016 : « Des vies bouleversées »
– Des photos de la remise des 60 000 pétitions sont disponibles sur demande.

Source : Amnesty International, 12/05/2016


EDIT 22/07 avec cette réaction de la LDH

et six mois de plus !

Source : LDH Toulon, 20-07-2016

Le gouvernement vient de faire voter par le parlement, suivant la procédure accélérée, une loi qui, parmi d’autres mesures, prolonge de 6 mois l’état d’urgence – voyez son dossier législatif.

Communiqué LDH

Paris, le 21 juillet 2016

Une procédure d’exception pour une loi d’exception

Les assauts de démagogie qui ont présidé aux débats sur la prolongation de l’état d’urgence ne peuvent dissimuler que les mesures décidées par le Parlement à l’initiative du gouvernement restreignent nos libertés, sans pour autant être un gage d’efficacité dans la lutte contre les actes de terrorisme.

La loi prorogeant pour une quatrième fois l’état d’urgence, qui va être adoptée cet après-midi, n’est pas seulement inutile, elle est dangereuse.

Elle est dangereuse parce qu’elle pérennise une situation d’exception, parce qu’elle laisse à la discrétion du gouvernement le droit de manifester et accroît les pouvoirs de la police au point de justifier de retenir un enfant pendant quatre heures et de saisir les données personnelles sans réel contrôle puisqu’une nouvelle fois, le juge judiciaire est écarté.

Mais cette loi est aussi une atteinte directe au processus démocratique. En y intégrant des modifications pérennes du Code pénal, les parlementaires et le gouvernement ont institué une nouvelle manière de légiférer, dans la précipitation et au mépris de toute règle démocratique. Bien entendu, comme on peut s’y attendre, cette négation des principes du débat parlementaire ne sera pas soumise à l’appréciation du Conseil constitutionnel.

La LDH condamne absolument une loi d’exception adoptée par une procédure d’exception.

Communiqué du collectif « Nous ne céderons pas ! »

Paris, le 20 juillet 2016

Et six mois de plus !

Une nouvelle fois, la France vient d’être confrontée à l’horreur des attentats. Face au nombre de victimes, aux circonstances et au mode opératoire choisis, nous ne pouvons que ressentir colère et douleur.

La réponse gouvernementale, formulée au soir même de cet acte odieux, consiste à proroger une quatrième fois l’état d’urgence pour une durée d’au moins six mois. Après s’être livrés à une lamentable surenchère sécuritaire et démagogique, les parlementaires ont avalisé à une très large majorité cette prorogation d’un état d’urgence sans fin, aggravé par des dispositions qui accroissent encore les possibilités d’arbitraire ou qui valident des mesures sans rapport avec l’objet du texte.

Ainsi, les perquisitions administratives vont reprendre et même les enfants deviennent des suspects potentiels puisqu’ils pourront être retenus pendant quatre heures au cours d’une perquisition !

Ces dispositions viendront s’ajouter à celles prévues par la toute récente loi sur la réforme de la procédure pénale mais aussi par toutes les lois sécuritaires votées depuis une vingtaine d’années.

Alors que le dernier rapport parlementaire sur l’état d’urgence a montré la portée limitée d’un régime qui se voulait d’exception, la France va donc s’installer de façon durable dans une situation qui marginalise chaque jour davantage le rôle du juge judiciaire, garant des libertés individuelles, au profit du seul pouvoir exécutif. Nous savons, aujourd’hui, que l’état d’urgence a été utilisé pour autre chose que la lutte contre les actes de terrorisme, notamment pour empêcher des manifestations et assigner à résidence des militants politiques sans que tout cela ait le moindre rapport avec la lutte contre les actes de terrorisme.

Plus que jamais, il convient de rappeler qu’il n’y a pas à choisir entre sécurité et liberté, sauf à entrer dans un marché de dupes qui, à terme, ne garantit ni l’une ni l’autre.

Depuis le mois de novembre 2015, nous refusons de céder à la peur parce que celle-ci génère amalgames, discriminations et fractures au sein même d’une société légitimement inquiète et traumatisée. Pour lutter efficacement contre le terrorisme, il convient d’abord de s’interroger sur ce qui, en amont, n’a pas marché. Le pays n’a pas besoin de nouvelles dispositions législatives ou d’une pérennisation de l’état d’urgence. Il doit au contraire se retrouver autour d’une mobilisation citoyenne qui renforce la solidarité, les libertés et les valeurs portées par la démocratie.

Source : LDH Toulon, 20-07-2016

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