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21.janvier.201921.1.2019 // Les Crises

Les Etats-Unis entrent en guerre contre la CPI pour couvrir des crimes de guerre présumés en Afghanistan. Par Murtaza Hussain

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Source : The Intercept, Murtaza Hussain, 12-09-2018

 

Photo : Andrew Harnik /AP

Les États-Unis n’ont jamais été des amis de la Cour pénale internationale. Alors que les relations entre les États-Unis et la CPI ont fluctué au cours des différentes administrations, le gouvernement américain a toujours refusé de faire ce que 124 autres États ont fait pour ratifier le Statut de Rome et devenir ainsi membre de l’organisme juridique international. Le mandat de la CPI d’enquêter sur les crimes de guerre a donc été entravé par le refus de la seule superpuissance mondiale de s’engager dans l’organisation.

De récentes déclarations de l’administration Trump suggèrent que les États-Unis se préparent maintenant à entrer en guerre contre la CPI elle-même, motivés en grande partie par un effort pour réduire au silence les enquêtes sur les crimes de guerre américains présumés commis en Afghanistan, ainsi que les crimes présumés commis par Israël pendant la guerre de 2014 dans la bande de Gaza. Dans un discours prononcé lundi à l’occasion d’une manifestation organisée par la Société Fédéraliste à Washington, le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, John Bolton, a dénoncé la CPI comme « illégitime » et a exprimé clairement ses intentions envers l’institution. « Nous ne coopérerons pas avec la CPI », a dit M. Bolton. « Nous n’apporterons aucune aide à la CPI. Nous n’adhérerons pas à la CPI. Nous laisserons la CPI mourir toute seule. Après tout, à toutes fins utiles, la CPI est déjà morte pour nous. »

En plus de ce désir de mort contre le tribunal, M. Bolton a déclaré que les États-Unis exerceraient des représailles contre toute enquête de la CPI sur les activités américaines en sanctionnant les déplacements et les finances des fonctionnaires de la CPI, voire en menaçant de les poursuivre devant les tribunaux américains.

Le rapport de la CPI de 2016 fait état de crimes graves commis par les États-Unis, notamment « torture, traitements cruels, atteintes à la dignité de la personne et viols ».

Parce qu’il implique les responsables américains eux-mêmes, au centre de la campagne contre la CPI se trouve un rapport des procureurs de la CPI de 2016 qui traite en partie de la guerre en Afghanistan. Ce rapport fait état de crimes généralisés commis par les talibans et les forces gouvernementales afghanes. Mais le rapport fait également état de crimes graves commis par les forces militaires américaines et la CIA, notamment « torture, traitements cruels, atteintes à la dignité de la personne et viols ».

Les crimes en question semblent avoir été liés à des programmes de détention mis en œuvre en Afghanistan pendant les premières années de l’occupation américaine. Bien que le rapport ne nomme pas les personnes responsables ni leurs victimes, il indique qu’il existe des dizaines de cas de torture, de traitements cruels et d’agressions sexuelles commis par des soldats américains et des agents de la CIA en Afghanistan entre 2003 et 2004.

Le rapport indique également que les crimes allégués « n’étaient pas des abus commis par quelques individus isolés », ajoutant qu’« il y a des motifs raisonnables de croire que ces crimes présumés ont été commis dans le cadre d’une politique ou de politiques visant à obtenir des informations par le recours à des méthodes d’interrogatoire cruelles ou violentes qui permettraient aux États-Unis d’atteindre leurs objectifs dans le conflit en Afghanistan ».

Compte tenu du refus de longue date des États-Unis de coopérer aux enquêtes de la CPI, il est peu probable que le document de 2016 – un rapport préliminaire du bureau du procureur – aurait permis de traduire des responsables américains en justice à La Haye. La campagne de Bolton semble donc avoir pour but de confirmer le fait que les États-Unis sont exempts de normes internationales sur la conduite en matière de droits de la personne, et que ceux qui enquêtent même sur ses actions sont exposés à des menaces.

Le fait que L’enquête de la CPI remonte à l’époque de George W. Bush, lorsque Bolton était ambassadeur des Nations Unies, est justifié. Dans les années qui ont suivi les invasions américaines en Afghanistan et en Irak, les États-Unis ont commencé à faire l’objet d’un examen minutieux pour leurs politiques de détention dans ces pays. Outre des cas de torture très médiatisés dans des prisons comme celle d’Abu Ghraib, la CIA et l’armée américaine ont été accusées de brutaliser et même d’assassiner des prisonniers détenus dans des centres de détention comme la base aérienne de Bagram en Afghanistan.

À ce jour, M. Passaro, un civil, est la seule personne à avoir été tenue légalement responsable des actes de torture et des meurtres commis dans le cadre du programme de détention de la CIA.

Des prestataires civils travaillant pour la CIA se sont également impliqués dans l’assassinat de détenus afghans, dont David Passaro, qui a battu à mort un Afghan nommé Abdul Wali qui s’était rendu aux autorités après avoir été accusé de participation à une attaque militante. Passaro a ensuite été condamné à huit ans et demi de prison par un tribunal américain. Après sa libération, il est brièvement revenu sur le devant de la scène publique lors d’entrevues avec les médias pour justifier son implication dans le meurtre.

À ce jour, M. Passaro, un civil, est la seule personne à avoir été tenue légalement responsable de torture et de meurtre commis dans le cadre du programme de détention de la CIA, en Afghanistan ou ailleurs. Et ce, en dépit d’un comité sénatorial du renseignement de 2014 qui a fait date et qui a documenté, avec des détails atroces, de nombreuses preuves de torture et d’autres abus commis par des fonctionnaires de la CIA.

La réticence ou l’incapacité des tribunaux américains à enquêter sérieusement sur les crimes de guerre commis par des citoyens américains explique en partie pourquoi le mandat de la CPI en Afghanistan a été considéré comme un effort important visant à établir un niveau minimum de responsabilité dans le conflit. En novembre dernier, la Cour a annoncé qu’elle avait l’intention de poursuivre les enquêtes découlant de son rapport de 2016.

Dans une déclaration en réaction aux menaces de Bolton, la CPI a déclaré que « la CPI, en tant que cour de justice, continuera à faire son travail sans être découragée, conformément à ces principes et à la notion fondamentale de l’État de droit ».

Compte tenu de leur intransigeance de longue date à l’égard de la CPI, il était peu probable que les États-Unis aient jamais coopéré à leur enquête sur les crimes de guerre en Afghanistan, même sous une administration moins belliqueuse. Mais les menaces de l’administration Trump de cibler certains fonctionnaires de la CPI dans le cadre de leurs enquêtes sur les crimes de guerre entrent dans un nouveau domaine d’hostilité envers le droit international. Les conséquences pourraient être une nouvelle dégradation des normes internationales déjà fragiles concernant les droits humains dans les zones de conflit.

« La CPI n’intervient pas dans le seul but de saper la souveraineté des États-Unis, comme Bolton l’a formulé. C’est vraiment absurde. Elle interviennent parce que nous avons échoué – les États-Unis n’ont pas respecté l’État de droit », a déclaré Jamil Dakwar, directeur du Programme des droits de la personne de l’ACLU [Union américaine pour les libertés civiles, NdT] dans un reportage télévisé de Democracy Now ! mardi matin au sujet des commentaires de Bolton. « C’est le même gouvernement Trump qui a un bilan abyssal en matière de droits de l’homme ici aux États-Unis et qui essaie d’encourager d’autres pays à suivre son modèle ».

Photo du haut : John Bolton, conseiller à la sécurité nationale, prend la parole lors d’un déjeuner de la Société Fédéraliste à l’hôtel Mayflower, le 10 septembre 2018, à Washington, D.C.

Source : The Intercept, Murtaza Hussain, 12-09-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Commentaire recommandé

Kokoba // 21.01.2019 à 09h41

Comment espérer que la CPI marche ?
Un organisme international n’a aucune légitimité et ne peut marcher que grace au bon vouloir de tous ses membres.
Ou alors cela marche par rapport de force et/ou corruption.

Mais le bon vouloir/rapport de force/corruption ne peuvent pas marcher si l’organisme s’attaque directement aux interets (réels ou fantasmés) des pays les plus puissants.

L’existence même de la CPI est vicié dés le début.
On va se retrouver avec un organisme qui attaque uniquement les faibles et jamais les forts.

Bien sur, on peut aussi avancer que si elle ne peut rien faire, elle peut au moins accuser.
Donc d’un coté, on a la CPI qui sert de bras armé aux occidentaux pour éliminer des dirigeants qui ne lui plaise pas avec pas mal d’efficacité.
Et en échange, on a quelques vagues accusations contre les USA.
Je ne suis pas sur que ce soit équilibré.
Il serait peut être plus sage que la CPI n’existe tout simplement pas.

7 réactions et commentaires

  • Kokoba // 21.01.2019 à 09h41

    Comment espérer que la CPI marche ?
    Un organisme international n’a aucune légitimité et ne peut marcher que grace au bon vouloir de tous ses membres.
    Ou alors cela marche par rapport de force et/ou corruption.

    Mais le bon vouloir/rapport de force/corruption ne peuvent pas marcher si l’organisme s’attaque directement aux interets (réels ou fantasmés) des pays les plus puissants.

    L’existence même de la CPI est vicié dés le début.
    On va se retrouver avec un organisme qui attaque uniquement les faibles et jamais les forts.

    Bien sur, on peut aussi avancer que si elle ne peut rien faire, elle peut au moins accuser.
    Donc d’un coté, on a la CPI qui sert de bras armé aux occidentaux pour éliminer des dirigeants qui ne lui plaise pas avec pas mal d’efficacité.
    Et en échange, on a quelques vagues accusations contre les USA.
    Je ne suis pas sur que ce soit équilibré.
    Il serait peut être plus sage que la CPI n’existe tout simplement pas.

      +16

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    • Dominique65 // 21.01.2019 à 12h00

      « Il serait peut être plus sage que la CPI n’existe tout simplement pas. »
      Ou de faire en sorte qu’elle fasse bien son travail, de manière équilibrée.

        +4

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      • Narm // 21.01.2019 à 14h05

        d’accord Dominique, mais croyez vous que ça soit possible ?

          +2

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        • Dominique65 // 21.01.2019 à 18h58

          L’espoir fait vivre, dit-on.
          Histoire de rester en vie, je garde toujours un peu d’espoir, y compris sur le fait que l’humanité va se réveiller dans la lutte contre le changement climatique.

            +1

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  • Louis Robert // 21.01.2019 à 14h27

    L’humanité doit créer urgemment un monde dont les nouvelles institutions répondent à ses besoins essentiels dans une perspective mondiale, planétaire. Seule la communauté humaine peut accomplir pareil geste prométhéen qui la libère du crime permanent consistant à détruire l’univers au prétexte de le dominer.

    Manque, vraisemblablement, le temps d’y parvenir, mais avant tout la flamme ardente de Prométhée.

      +1

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  • RGT // 21.01.2019 à 20h19

    Finalement, les USA, bien que leur réaction semble franchement « ignoble » vis à vis des bobos bien intentionnés, ne fait qu’entériner le vrai statut de la « CPI » qui n’est que le « bras armé » de la « justice » occidentale qui ne punit que les dirigeants qui refusent de se plier au diktat des « démocraties exemplaires ».

    Si on se penche sur les jugements de cette cour, ils ne concernent que des « parias » infâmes qui parfois étaient de véritables criminels (mais pas pires que les « défenseurs du camp du Bien ») et souvent ce sont simplement des types qui dû subir des foudres de « nos » dirigeants car ils n’ont pas voulu se soumettre à leurs injonctions.

    Et quand l’issue du procès est trop aléatoire et que certaines révélations dérangeantes risquent de « fuiter » on se contente de laisser crever lesdits dirigeants dans une geôle en espérant qu’ils ne survivent pas trop longtemps avant de laisser tomber les accusations.

    Un VRAI tribunal pénal international se penchant sur des crimes commis à l’encontre de populations qui ne demandaient qu’à vivre en paix est une chose trop sérieuse pour être confiée à des « juges » inféodés au pouvoir politique.

    Un tribunal de « gilets jaunes » serait à mon avis bien plus compétent pour inculper et juger ces criminels de guerre avec un mandat international leur donnant le droit d’aller les chercher « jusque dans les chiottes ».

    Quand je parle de crimes de guerre, je parle de guerre militaire, de guerre par proxy (Daech) mais aussi de guerre économique bien sûr, cette dernière étant souvent bien plus meurtrière que les deux autres réunies.

      +9

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  • Haricophile // 22.01.2019 à 10h25

    Au moins les choses deviennent claires : Il n’y a plus aucun doute que les États Unis sont pleinement et entièrement conscients de la gravité des multiples crimes contre l’Humanité commis par les eux même, et de ceux qu’ils ont couvert en Israël.

    Cette déclaration plus que tout sonne comme des aveux.

      +4

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