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21.novembre.201521.11.2015 // Les Crises

Recommandé [2012] Analyse de la situation en Syrie, par Alain Chouet

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Billet publié initialement sur ce blog le 14/08/2012, le premier sur la Syrie sur ce blog.

Vous écoutez ce très haut fonctionnaire.

Vous comparez avec Fabius et les médias.

Vous avez envie de pleurer.

Solidarité avec la DGSI et la DGSE qui doivent souffrir de voir les conséquences de 3 ans de Fabius.

Conférence sur la Syrie par Alain CHOUET Invité de l’Association Régionale Nice Côte d’Azur de l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale), le 27 juin 2012, Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE, reconnu bien au-delà de l’Hexagone pour son expertise du monde arabomusulman, a livré aux auditeurs son sentiment au cours d’une conférence qui a connu un vif succès.

NOS MINISTRES, JUPPÉ HIER, FABIUS AUJOURD’HUI SONT-ILS MAL RENSEIGNÉS, MAL CONSEILLÉS, OU NAïFS ?

Les pires conjectures formulées au premier semestre 2011 concernant les mouvements de révolte arabes deviennent aujourd’hui réalité. Je les avais largement exposées dans divers ouvrages et revues à contre courant d’une opinion occidentale généralement enthousiaste et surtout naïve. Car il fallait tout de même être naïf pour croire que, dans des pays soumis depuis un demi-siècle à des dictatures qui avaient éliminé toute forme d’opposition libérale et pluraliste, la démocratie et la liberté allaient jaillir comme le génie de la lampe par la seule vertu d’un Internet auquel n’a accès qu’une infime minorité de privilégiés de ces sociétés.

Une fois passé le bouillonnement libertaire et l’agitation des adeptes de Facebook, il a bien fallu se rendre à l’évidence. Le pouvoir est tombé dans les mains des seules forces politiques structurées qui avaient survécu aux dictatures nationalistes parce que soutenues financièrement par les pétromonarchies théocratiques dont elles partagent les valeurs et politiquement par les Occidentaux parce qu’elles constituaient un bouclier contre l’influence du bloc de l’Est : les forces religieuses fondamentalistes. Et le « printemps arabe » n’a mis que six mois à se transformer en « hiver islamiste ».

En Tunisie et en Égypte, les partis islamistes, Frères musulmans et extrémistes salafistes se partagent de confortables majorités dans les Parlements issus des révoltes populaires. Ils cogèrent la situation avec les commandements militaires dont ils sont bien contraints de respecter le rôle d’acteurs économiques dominants mais s’éloignent insidieusement des revendications populaires qui les ont amenés au pouvoir. Constants dans leur pratique du double langage, ils font exactement le contraire de ce qu’ils proclament. En, Égypte, après avoir affirmé sur la Place Tahrir au printemps 2011 qu’ils n’aspiraient nullement au pouvoir, ils revendiquent aujourd’hui la présidence de la République, la majorité parlementaire et l’intégralité du pouvoir politique.

En Tunisie, et après avoir officiellement renoncé à inclure la chari’a dans la constitution, ils organisent dans les provinces et les villes de moyenne importance, loin de l’attention des médias occidentaux, des comités de vigilance religieux pour faire appliquer des règlements inspirés de la chari’a. Ce mouvement gagne progressivement les villes de plus grande importance et même les capitales où se multiplient les mesures d’interdiction en tous genres, la censure des spectacles et de la presse, la mise sous le boisseau des libertés fondamentales et, bien sûr, des droits des femmes et des minorités non sunnites.

Et ces forces politiques réactionnaires n’ont rien à craindre des prochaines échéances électorales. Largement financées par l’Arabie et le Qatar pour lesquels elles constituent un gage de soumission dans le monde arabe, elles ont tous les moyens d’acheter les consciences et de se constituer la clientèle qui perpétuera leur domination face à un paysage politique démocratique morcelé, sans moyens, dont il sera facile de dénoncer l’inspiration étrangère et donc impie.

La Libye et le Yémen ont sombré dans la confusion. Après que les forces de l’OTAN, outrepassant largement le mandat qui leur avait été confié par l’ONU, ont détruit le régime du peu recommandable Colonel Kadhafi, le pays se retrouve livré aux appétits de bandes et tribus rivales bien décidées à défendre par les armes leur pré carré local et leur accès à la rente. L’éphémère « Conseil National de transition » porté aux nues par l’ineffable Bernard Henri Lévy est en train de se dissoudre sous les coups de boutoir de chefs de gangs islamistes, dont plusieurs anciens adeptes d’Al-Qaïda, soutenus et financés par le Qatar qui entend bien avoir son mot à dire dans tout règlement de la question et prendre sa part dans l’exploitation des ressources du pays en hydrocarbures.

Au Yémen, le départ sans gloire du Président Ali Abdallah Saleh rouvre la porte aux forces centrifuges qui n’ont pas cessé d’agiter ce pays dont l’unité proclamée en 1990 entre le nord et le sud n’a jamais été bien digérée, surtout par l’Arabie Séoudite qui s’inquiétait des foucades de ce turbulent voisin et n’a eu de cesse d’y alimenter la subversion fondamentaliste. Aujourd’hui, les chefs de tribus sunnites du sud et de l’est du pays, dont certains se réclament d’Al-Qaïda et tous du salafisme, entretiennent un désordre sans fin aux portes de la capitale, Sana’a, fief d’une classe politique traditionnelle zaydite – branche dissidente du chi’isme – insupportable pour la légitimité de la famille séoudienne.

Seul le régime syrien résiste à ce mouvement généralisé d’islamisation au prix d’une incompréhension généralisée et de l’opprobre internationale.

Avant de développer ce sujet, je crois devoir faire une mise au point puisque d’aucuns croient déceler dans mes propos et prises de positions des relents d’extrême droite et de complaisance pour les dictatures.

Je me rends régulièrement en Syrie depuis 1966 et y ai résidé pendant plusieurs années. Je ne prétends pas connaître intimement ce pays mais je pense quand même mieux le connaître que certains de ces journalistes qui en reviennent pleins de certitudes après un voyage de trois ou quatre jours.

Mes activités m’ont amené à devoir fréquenter à divers titres les responsables des services de sécurité civils et militaires syriens depuis la fin des années 70. J’ai pu constater qu’ils ne font ni dans la dentelle ni dans la poésie et se comportent avec une absolue sauvagerie. Ce n’est pas qu’ils ont une conception différente des droits de l’homme de la nôtre. C’est qu’ils n’ont aucune conception des droits de l’homme…

Leur histoire explique en grande partie cette absence. D’abord, ils puisent leur manière d’être dans quatre siècle d’occupation par les Turcs ottomans, grands experts du pal, de l’écorchage vif et du découpage raffiné. Ensuite, ils ont été créés sous la houlette des troupes coloniales françaises pendant le mandat de 1920 à 1943, et, dès l’indépendance du pays, conseillés techniquement par d’anciens nazis réfugiés, de 1945 jusqu’au milieu des années 50, et ensuite par des experts du KGB jusqu’en 1990. Tout ceci n’a guère contribué à développer chez eux le sens de la douceur, de la tolérance et du respect humain.

Quant au régime syrien lui-même, il ne fait aucun doute dans mon esprit que c’est un régime autoritaire, brutal et fermé. Mais le régime syrien n’est pas la dictature d’un homme seul, ni même d’une famille, comme l’étaient les régimes tunisien, égyptien, libyen ou irakien. Tout comme son père, Bashar el-Assad n’est que la partie visible d’un iceberg communautaire complexe et son éventuel départ ne changerait strictement rien à la réalité des rapports de pouvoir et de force dans le pays. Il y a derrière lui 2 millions d’Alaouites encore plus résolus que lui à se battre pour leur survie et plusieurs millions de minoritaires qui ont tout à perdre d’une mainmise islamiste sur le pouvoir, seule évolution politique que l’Occident semble encourager et promouvoir dans la région.

Quand je suis allé pour la première fois en Syrie en 1966, le pays était encore politiquement dominé par sa majorité musulmane sunnite qui en détenait tous les leviers économiques et sociaux. Et les bourgeois sunnites achetaient encore – parfois par contrat notarié – des jeunes gens et de jeunes filles de la communauté alaouite dont ils faisaient de véritables esclaves à vie, manouvriers agricoles ou du bâtiment pour les garçons, bonnes à tout faire pour les filles.

Les Alaouites sont une communauté sociale et religieuse persécutée depuis plus de mille ans. Je vous en donne ici une description rapide et schématique qui ferait sans doute hurler les experts mais le temps nous manque pour en faire un exposé exhaustif.

Issus au Xè siècle aux frontières de l’empire arabe et de l’empire byzantin d’une lointaine scission du chiisme, ils pratiquent une sorte de syncrétisme mystique compliqué entre des éléments du chiisme, des éléments de panthéisme hellénistique, de mazdéisme persan et de christianisme byzantin. Ils se désignent eux mêmes sous le nom d’Alaouites – c’est à dire de partisans d’Ali, le gendre du prophète – quand ils veulent qu’on les prenne pour des Musulmans et sous le nom de Nosaïris – du nom de Ibn Nosaïr, le mystique chiite qui a fondé leur courant – quand ils veulent se distinguer des Musulmans. Et – de fait – ils sont aussi éloignés de l’Islam que peuvent l’être les chamanistes de Sibérie.

Et cela ne leur a pas porté bonheur…. Pour toutes les religions monothéistes révélées, il n’y a pas pire crime que l’apostasie. Les Alaouites sont considérés par l’Islam sunnite comme les pires des apostats. Cela leur a valu au XIVè siècle une fatwa du jurisconsulte salafiste Ibn Taymiyya, l’ancêtre du wahhabisme actuel, prescrivant leur persécution systématique et leur génocide. Bien que Ibn Taymiyyah soit considéré comme un exégète non autorisé, sa fatwa n’a jamais été remise en cause et est toujours d’actualité, notamment chez les salafistes, les wahhabites et les Frères musulmans. Pourchassés et persécutés, les Alaouites ont dû se réfugier dans les montagnes côtières arides entre le Liban et l’actuelle Turquie tout en donnant à leurs croyances un côté hermétique et ésotérique, s’autorisant la dissimulation et le mensonge pour échapper à leur tortionnaires.

Il leur a fallu attendre le milieu du XXè siècle pour prendre leur revanche. Soumis aux occupations militaires étrangères depuis des siècles, les bourgeois musulmans sunnites de Syrie ont commis l’erreur classique des parvenus lors de l’indépendance de leur pays en 1943. Considérant que le métier des armes était peu rémunérateur et que l’institution militaire n’était qu’un médiocre instrument de promotion sociale, ils n’ont pas voulu y envoyer leurs fils. Résultat : ils ont laissé l’encadrement de l’armée de leur tout jeune pays aux pauvres, c’est à dire les minorités : Chrétiens, Ismaéliens, Druzes, Chiites et surtout Alaouites. Et quand vous donnez le contrôle des armes aux pauvres et aux persécutés, vous prenez le risque à peu près certain qu’ils s’en servent pour voler les riches et se venger d’eux. C’est bien ce qui s’est produit en Syrie à partir des années 60.

Dans les années 70, Hafez el-Assad, issu d’une des plus modestes familles de la communauté alaouite, devenu chef de l’armée de l’air puis ministre de la défense, s’est emparé du pouvoir par la force pour assurer la revanche et la protection de la minorité à laquelle sa famille appartient et des minorités alliées – Chrétiens et Druzes – qui l’ont assisté dans sa marche au pouvoir. Ils s’est ensuite employé méthodiquement à assurer à ces minorités – et en particulier à la sienne – le contrôle de tous les leviers politiques, économiques et sociaux du pays selon des moyens et méthodes autoritaires dont vous pourrez trouver la description détaillée dans un article paru il y maintenant près de vingt ans.

Face à la montée du fondamentalisme qui progresse à la faveur de tous les bouleversements actuels du monde arabe, son successeur Bachar al-Assad se retrouve comme les Juifs en Israël, le dos à la mer avec le seul choix de vaincre ou mourir. Les Alaouites ont été rejoints dans leur résistance par les autres minorités religieuses de Syrie, Druzes, Chi’ites, Ismaéliens et surtout par les Chrétiens de toutes obédiences instruits du sort de leurs frères d’Irak et des Coptes d’Égypte.

Car, contrairement à la litanie que colportent les bien-pensants qui affirment que « si l’on n’intervient pas en Syrie, le pays sombrera dans la guerre civile »…. eh bien non, le pays ne sombrera pas dans la guerre civile. La guerre civile, le pays est dedans depuis 1980 quand un commando de Frères musulmans s’est introduit dans l’école des cadets de l’armée de terre d’Alep, a soigneusement fait le tri des élèves officiers sunnites et des alaouites et a massacré 80 cadets alaouites au couteau et au fusil d’assaut en application de la fatwa d’Ibn Taymiyya. Les Frères l’ont payé cher en 1982 à Hama – fief de la confrérie – que l’oncle de l’actuel président a méthodiquement rasée en y faisant entre 10 et 20 000 morts. Mais les violences intercommunautaires n’ont jamais cessé depuis, même si le régime a tout fait pour les dissimuler.

Alors, proposer aux Alaouites et aux autres minorités non arabes ou non sunnites de Syrie d’accepter des réformes qui amèneraient les islamistes salafistes au pouvoir revient très exactement à proposer aux Afro-américains de revenir au statu quo antérieur à la guerre de Sécession. Ils se battront, et avec sauvagerie, contre une telle perspective.

Peu habitué à la communication, le régime syrien en a laissé le monopole à l’opposition. Mais pas à n’importe quelle opposition. Car il existe en Syrie d’authentiques démocrates libéraux ouverts sur le monde, qui s’accommodent mal de l’autoritarisme du régime et qui espéraient de Bashar el-Assad une ouverture politique. Ils n’ont obtenu de lui que des espaces de liberté économique en échange d’un renoncement à des revendications de réformes libérales parfaitement justifiées. Mais ceux-là, sont trop dispersés, sans moyens et sans soutiens. Ils n’ont pas la parole et sont considérés comme inaudibles par les médias occidentaux car, en majorité, ils ne sont pas de ceux qui réclament le lynchage médiatisé du « dictateur » comme cela a été fait en Libye.

Si vous vous vous informez sur la Syrie par les médias écrits et audiovisuels, en particulier en France, vous n’aurez pas manqué de constater que toutes les informations concernant la situation sont sourcées « Observatoire syrien des droits de l’homme » (OSDH) ou plus laconiquement « ONG », ce qui revient au même, l’ONG en question étant toujours l’Observatoire syrien des droits de l’homme.

L’observatoire syrien des droits de l’homme, c’est une dénomination qui sonne bien aux oreilles occidentales dont il est devenu la source d’information privilégiée voire unique. Il n’a pourtant rien à voir avec la respectable Ligue internationale des droits de l’homme. C’est en fait une émanation de l’Association des Frères musulmans et il est dirigé par des militants islamistes dont certains ont été autrefois condamnés pour activisme violent, en particulier son fondateur et premier Président, Monsieur Ryadh el-Maleh. L’Osdh s’est installé à la fin des années 80 à Londres sous la houlette bienveillante des services anglo-saxons et fonctionne en quasi-totalité sur fonds séoudiens et maintenant qataris.

Je ne prétends nullement que les informations émanant de l’OSDH soient fausses, mais, compte tenu de la genèse et de l’orientation partisane de cet organisme, je suis tout de même surpris que les médias occidentaux et en particulier français l’utilisent comme source unique sans jamais chercher à recouper ce qui en émane.

Second favori des médias et des politiques occidentaux, le Conseil National Syrien, créé en 2011 à Istanbul sur le modèle du CNT libyen et à l’initiative non de l’État turc mais du parti islamiste AKP. Censé fédérer toutes les forces d’opposition au régime, le CNS a rapidement annoncé la couleur. Au sens propre du terme…. Le drapeau national syrien est composé de trois bandes horizontales. L’une de couleur noire qui était la couleur de la dynastie des Abbassides qui a régné sur le monde arabe du 9è au 13è siècle. L’autre de couleur blanche pour rappeler la dynastie des Omeyyades qui a régné au 7è et 8è siècle. Enfin, la troisième, de couleur rouge, censée représenter les aspirations socialisantes du régime. Dès sa création, le CNS a remplacé la bande rouge par la bande verte de l’islamisme comme vous pouvez le constater lors des manifestations anti-régime où l’on entend plutôt hurler « Allahou akbar ! » que des slogans démocratiques.

Cela dit, la place prédominante faite aux Frères musulmans au sein du CNS par l’AKP turc et le Département d’État américain a fini par exaspérer à peu près tout le monde. La Syrie n’est pas la Libye et les minorités qui représentent un bon quart de la population entendent avoir leur mot à dire, même au sein de l’opposition. Lors d’une visite d’une délégation d’opposants kurdes syriens à Washington en avril dernier, les choses se sont très mal passées. Les Kurdes sont musulmans sunnites mais pas Arabes. Et en tant que non-arabes, ils sont voués à un statut d’infériorité par les Frères. Venus se plaindre auprès du Département d’État de leur marginalisation au sein du CNS, ils se sont entendus répondre qu’ils devaient se soumettre à l’autorité des Frères ou se débrouiller tout seuls. Rentrés à Istanbul très fâchés, ils se sont joints à d’autres opposants minoritaires pour démettre le président du CNS, Bourhan Ghalioun, totalement inféodé aux Frères, et le remplacer par un Kurde, Abdelbassett Saïda qui fera ce qu’il pourra – c’est à dire pas grand chose – pour ne perdre ni l’hospitalité des islamistes turcs, ni l’appui politique des néo-conservateurs Américains, ni, surtout, l’appui financier des Séoudiens et des Qataris.

Tout cela fait désordre, bien sûr, mais est surtout révélateur de l’orientation que les États islamistes appuyés par les néo-conservateurs américains entendent donner aux mouvements de contestation dans le monde arabe.

Ce ne sont évidemment pas ces constatations qui vont rassurer les minorités de Syrie et les inciter à la conciliation ou à la retenue. Les minorités de Syrie – en particulier, les Alaouites qui sont en possession des appareils de contrainte de l’État – sont des minorités inquiètes pour leur survie qu’elles défendront par la violence. Faire sortir le président syrien du jeu peut à la rigueur avoir une portée symbolique mais ne changera rien au problème. Ce n’est pas lui qui est visé, ce n’est pas lui qui est en cause, c’est l’ensemble de sa communauté qui se montrera encore plus violente et agressive si elle perd ses repères et ses chefs. Plus le temps passe, plus la communauté internationale entendra exercer des pressions sur les minorités menacées, plus les choses empireront sur le modèle de la guerre civile libanaise qui a ensanglanté ce pays de 1975 à 1990.

Il aurait peut être été possible à la communauté internationale de changer la donne il y a un an en exigeant du pouvoir syrien des réformes libérales en échange d’une protection internationale assurée aux minorités menacées. Et puisque l’Arabie et la Qatar – deux monarchies théocratiques se réclamant du wahhabisme – sont théoriquement nos amies et nos alliées, nous aurions pu leur demander de déclarer la fatwa d’Ibn Taymiyyah obsolète, nulle et non avenue afin de calmer le jeu. Il n’en a rien été. À ces minorités syriennes menacées, l’Occident, France en tête, n’a opposé que la condamnation sans appel et l’anathème parfois hystérique tout en provoquant partout – politiquement et parfois militairement – l’accession des intégristes islamistes au pouvoir et la suprématie des États théocratiques soutenant le salafisme politique.

Débarrassés des ténors sans doute peu vertueux du nationalisme arabe, de Saddam Hussein, de Ben Ali, de Moubarak, de Kadhafi, à l’abri des critiques de l’Irak, de l’Algérie et de la Syrie englués dans leurs conflits internes, les théocraties pétrolières n’ont eu aucun mal à prendre avec leurs pétrodollars le contrôle de la Ligue Arabe et d’en faire un instrument de pression sur la communauté internationale et l’ONU en faveur des mouvements politiques fondamentalistes qui confortent leur légitimité et les mettent à l’abri de toute forme de contestation démocratique.

Que les monarchies réactionnaires défendent leurs intérêts et que les forces politiques fondamentalistes cherchent à s’emparer d’un pouvoir qu’elles guignent depuis près d’un siècle n’a rien de particulièrement surprenant. Plus étrange apparaît en revanche l’empressement des Occidentaux à favoriser partout les entreprises intégristes encore moins démocratiques que les dictatures auxquelles elles se substituent et à vouer aux gémonies ceux qui leur résistent.

Prompt à condamner l’islamisme chez lui, l’Occident se retrouve à en encourager les manœuvres dans le monde arabe et musulman. La France, qui n’a pas hésité à engager toute sa force militaire pour éliminer Kadhafi au profit des djihadistes et à appeler la communauté internationale à en faire autant avec Bashar el-Assad, assiste, l’arme au pied, au dépeçage du Mali par des hordes criminelles qui se disent islamistes parce que leurs rivaux politiques ne le sont pas.

De même les médias et les politiques occidentaux ont assisté sans broncher à la répression sanglante par les chars séoudiens et émiratis des contestataires du Bahreïn, pays à majorité chiite gouverné par un autocrate réactionnaire sunnite. De même les massacres répétés de Chrétiens nigérians par les milices du Boko Haram ne suscitent guère l’intérêt des médias et encore moins la condamnation par nos politiques. Quant à l’enlèvement et la séquestration durable de quatre membres de la Cour Pénale Internationale par des « révolutionnaires » libyens, elle est traitée en mode mineur et passe à peu près inaperçue dans nos médias dont on imagine l’indignation explosive si cet enlèvement avait été le fait des autorités syriennes, algériennes ou de tel autre pays non encore « rentré dans le rang » des « démocratures », ces dictatures islamistes sorties des urnes.

À défaut de logique, la morale et la raison nous invitent tout de même à nous interroger sur cette curieuse schizophrénie de nos politiques et nos médias. L’avenir dira si notre fascination infantile pour le néo-populisme véhiculé par Internet et si les investissements massifs du Qatar et de l’Arabie dans nos économies en crise valaient notre complaisance face à la montée d’une barbarie dont nous aurions tort de croire que nous sommes à l’abri.

Alain Chouet, 27/06/2012


Son site est une pépite pour ceux que ça intéresse – j’adore le « L’article XV de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen stipule que tout agent public doit rendre compte de sa gestion à ses mandants. »

Je lui ai fait pour ma part un petit mail de remerciement…


Tu m’étonnes qu’il soit TRÈS énervé en ce moment – et qu’il vaut mieux qu’il n’y ait pas de commission d’enquête…

Ca va devenir intéressant quand certaines familles de victimes vont commencer à réagir…

Commentaire recommandé

Astatruc // 21.11.2015 à 23h38

Remarquable, merci.

25 réactions et commentaires

  • Astatruc // 21.11.2015 à 23h38

    Remarquable, merci.

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  • BELLEMAIN Serge // 21.11.2015 à 23h47

    Fulgurant! La clarté de l’exposé rend imparable la conclusion : la guerre menée, à laquelle on nous invite à collaborer sans rechigner, elle est contre l’intelligence, donc contre notre humanité.

      +20

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  • john // 21.11.2015 à 23h53

    Moment de démence tout à l’heure sur France 2 où Léa Salamé nous explique que les attentats n’auraient peut-être pas eu lieu si la Syrie avait été bombardée suite aux attaques chimiques de 2013.

    Avec les médias et politiques en place, on n’est pas sorti de l’auberge.

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  • Chris // 21.11.2015 à 23h53

    J’avoue avoir appris bien des choses sur la Syrie.
    « Alors, proposer aux Alaouites et aux autres minorités non arabes ou non sunnites de Syrie d’accepter des réformes qui amèneraient les islamistes salafistes au pouvoir revient très exactement à proposer aux Afro-américains de revenir au statu quo antérieur à la guerre de sécession. Ils se battront, et avec sauvagerie, contre une telle perspective »
    Une phrase qui trouve tout son sens.

      +14

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    • john // 22.11.2015 à 00h11

      Et qui explique aussi l’accélération des départs quand le régime syriens vacillait.

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  • dupontg // 22.11.2015 à 00h47

    un tas de choses passionnantes qu’il n’est pas necessaire de connaitre
    pour tenir la mairie de Tulle

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  • bluetonga // 22.11.2015 à 02h41

    Il est toujours fascinant de constater le décalage entre l’expertise réelle d’un homme averti comme Chouet et la totale indigence des journalistes MSM chargés de nous expliquer la situation. Décalage, que dis-je, gouffre béant, espace intersidéral.

    Les attentats de Mehra ou de Charlie Hebdo ont suscité une émotion et une indignation grand public, certes, mais qui était largement amplifiées par la conviction populaire que les cités, ghettos musulmans, se radicalisaient et échappaient à tout contrôle. Dans le cas des attentats du 13 novembre, il a de suite été évoqué que les attentats avaient été commandités par Daesh et exécutés par des séides locaux (ou non) ayant combattu en Syrie. D’où l’énorme malaise des responsables politiques et de leurs courtisans de la presse, qui se sont vus contraints d’exécuter un tête-à-queue précipité dans leur narrative, de s’allier aux Russes et à leur campagne de pilonnage intensif, nonobstant toutes les réticences et réserves initiales, remiser le départ de Bachar à plus tard, et ne plus trop savoir que faire de leur campagne de regime changes au proche- et moyen-orient. Gageons cependant que nos amis néo-cons ne resteront pas longtemps les bras ballants, et qu’ils nous réservent d’autres tours à leur façon.

    A propos de néo-cons, j’ai lu avec intérêt un des derniers opus de PC Roberts, très en verve, qui grosso modo, suppute que si les attentats de Paris ont réellement été organisés par Daesh, alors on peut imaginer qu’il ont reçu l’aval des sponsors de Daesh. Sponsors que nous connaissons bien, désormais.

    http://off-guardian.org/2015/11/19/paul-craig-roberts-more-paris-puzzles/

    Qui va maintenant aller demander des comptes (bombarder?) aux émirats, à la Turquie ou à Langley? Personne, ne rêvons pas. Les exécuteurs, oui; les commanditaires, non. Ils possèdent déjà la moitié de la France.

    Sinon, un autre article très intéressant d’un journaliste allemand qui est allé rendre visite aux combattants de Daesh, sur place :

    https://www.rt.com/news/322996-islamic-state-journalist-todenhofer/

    Qui conclut bien évidemment que si on veut éradiquer le mouvement, il faut tarir ses sources d’approvisionnement (Turquie, Emirats?), et qui au passage, résume bien le phénomène des recrues jihadiste européennes : ce sont des hommes jeunes qui s’estiment traités en Europe comme des citoyens de deuxième classe, et se sentent enfin importants, utiles, en combattant aux côté des islamistes.

    Eh oui amis journalistes, tout ça n’est pas si compliqué. La frustration nourrit la radicalisation. Si ces types avaient le sentiment de pouvoir se faire apprécier ici, il est probable que la plupart ne seraient jamais partis. Mais pour ça, on revient au point de départ. Il faudrait des jobs, des perspectives. It’s the economy, stupid. Et là, franchement, que va faire le gouvernement?

      +12

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    • Paul Pegaz // 22.11.2015 à 16h12

      « tarir ses sources d’approvisionnement »

      Une question à laquelle a répondu le Général de division (r) Vincent Desportes, lors de son audition en commission des affaires étrangère, de la défense et des forces armées le 17 décembre 2014.

      Quant à la question de rompre les flux qui en assurent le soutien, je pense, sans connaître le détail opérationnel en cause, qu’une part de la difficulté tient au fait que l’on frapperait là en territoire ami. ( contenu dans sa dernière réponse de l’audition )

      Source : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20141215/etr.html#toc7

      Bien plus dommageable quand ces exigences sont le fait de résolutions édictées par le Conseil de Sécurité de l’ONU et transgressées par certain de leur signataire. Clairement stipulées et étendues à tout soutiens de quelque nature que se soit !

      S/RES/2133 du 27.01.2014
      Déterminé à soutenir les efforts tendant à empêcher les terroristes d’avoir accès à des fonds et à des services financiers, …renforcer la lutte contre le blanchiment de capitaux et les circuits de financement du terrorisme à l’échelle mondiale

      Invariablement exprimé dans les suivantes :

      S/RES/2170 du 15.08.2014 – S/RES/2178 du 24.09.2014 – S/RES/2195 du 19.12.2014 – S/RES/2199 du 12.02.2015

      Des sanctions contre les contrevenants ………. !

      A quoi ressemblera celle votée ce vendredi ?

      Source : http://www.un.org/fr/sc/documents/resolutions/

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  • Richard // 22.11.2015 à 03h30

    Une petite vidéo sur l’observatoire Syrien des droits de l’homme, source des médias et de l’opinion

    http://youtu.be/m2XpVSzYwXc

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  • sadsam // 22.11.2015 à 07h25

    Merci beaucoup Olivier de porter à notre connaissance ces analyses faites par de vrais spécialistes qui ont une longue connaissance du terrain, de la langue, de l’histoire, de la culture et des populations de ces régions.

    On ne les trouve pas en pianotant tout seul dans son coin sur internet.

    Effectivement ces spécialistes doivent beaucoup souffrir ces temps-ci.

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  • Eric83 // 22.11.2015 à 08h03

    …et toujours aucun article MSM sur l’interview de Squarcini.

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  • francois marquet // 22.11.2015 à 10h34

    Merci Olivier, un peu de lumière dans la nuit, une analyse qui éclaire la complexité de la situation.

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  • Bruno // 22.11.2015 à 11h01

    Impressionnant. Pourquoi ne lisons nous jamais ce genre d’analyse dans les grands médias? Il est frappant de constater que sur la Syrie et la Russie, les seules sources de Libération, par exemple sont liées aux officines US. J’ai essayé de trouver une explication à cela en analysant les intérêts d’Altice,l’entreprise du propriétaire aux états-unis. Pas évident…
    https://beerblogsite.wordpress.com/

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  • TuYolPol // 22.11.2015 à 11h18

    Chapeau.
    À propos, on cherche un semi-remorque de chapeaux comestibles, pour Hollande, Fabius, Valls, Sarko, BHL, et un tas d’autres. Urgent.

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  • passant // 22.11.2015 à 12h37

    de Mr Chouet:  »Car il fallait tout de même être naïf pour croire que, dans des pays soumis depuis un demi-siècle à des dictatures qui avaient éliminé toute forme d’opposition libérale et pluraliste, la démocratie et la liberté allaient jaillir comme le génie de la lampe »

    C’est ennuyeux de commencer une prise de position par une telle condescendance sans préciser, détail anodin surement, que ces dictatures se sont maintenues en place grâce à des états  »libéraux »,  »pluralistes » et  »démocratiques ». Et vous Mr Chouet, vous auriez la naïeveté de croire qu’une opposition à ces régimes dictatoriaux auraient comme aspiration ces idéaux ( »libéraux »,  »pluralistes » et  »démocratiques ») ??

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    • lvzor // 22.11.2015 à 18h17

      C’est amusant, cette propension, chez les gens qui ne comprennent rien, à vouloir que tout le monde le sache…

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  • Merle // 22.11.2015 à 14h20

    Incroyable billet et incroyable conclusion: nous serons bien les maréchals pétains de demain, après une bonne guerre civile.

    Nous serons jugés par l’Histoire pour avoir aidé diplomatiquement et militairement des fous religieux contre investissement économique de leur part.

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  • Sempre // 22.11.2015 à 14h21

    Vraiment merci pour ces éclairages. J’ai l’impression par vos articles de m’enrichir sans cesse.

    On en revient sans cesse à des problèmes de répartition des richesses dans tous les pays, soit au niveau de classes sociales en occident, soit au niveau de groupes religieux ou ethniques ailleurs. Peut être une caractéristique chimique propre à l’espèce.

    L’instruction telle qu’elle est dispensée à elle seule ne suffit pas à remettre en cause ces inégalités, car elle privilégie ce que j’appelle le vomi (on prend et on revomit ce que l’on nous enseigne pour avoir une bonne réussite scolaire). Peu d’argumentation, peu de réflexion, peu de doute, peu de remise en cause, car c’est un effort énorme que de remettre en cause nos cultures.

    Alors même en France qui se targue de la qualité de son système éducatif il est facile de diriger la masse des individus vers la direction que l’on désire, aujourd’hui la guerre et comme il est plus facile d’activer les réaction reptiliennes héritées de l’homme préhistorique inscrites dans nos gênes (Qui eux ne changent pas à la vitesse d’internet) qu’a faire réagir sa partie humaine, on assiste comme dans tous les moments de guerre à un regroupement autour du chef, serrés comme une meute qui a peur et qui montre ses dents.

    Preuve que notre pays n’est pas encore adulte.

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  • ulule // 22.11.2015 à 16h18

    Décapant…
    Thinkerview – Interview de Michel Éléftériadès

    Ajoutée le 3 nov. 2013 – Homme d’affaires Libanais hors normes, homme de réseaux, proche de l’armée libanaise, torturé à l’âge de 15 ans par les milices Libanaises chrétiennes d’extrême droite, victime de deux tentatives d’assassinat manquées dont une par voiture piégée, à connu l’exile politique.
    Il demeure bien implanté dans le pays où il joue le rôle d’ardillon de la politique libanaise. Son analyse théâtrale du bourbier syrien, sans concessions, sort des sentiers battus.
    Interview en français réalisé le 8 Octobre 2013 à Beyrouth LIBAN.

    https://www.youtube.com/watch?v=oFG-CmlEvLA#t=179

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  • Fool Prophet // 22.11.2015 à 17h43

    Léa Salamé… Qu’Attendre d’autre d’elle ?
    Fille de Ghassan Salamé membre du Siècle…
    Membre du board de l’Open Society de George Soros et membre du conseil d’administration du tet qui promeut les guerres révolutions de couleur, arabes etc de l’OTAN

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  • Georges // 22.11.2015 à 19h48

    Exceptionnel

    Et dire que l’article issu de la conférence est de juin 2012.

    Ca éclaire sobrement l’actualité présente, même en ayant été prononcé il y a trois ans, contrairement aux tonnes de papier des journaux mainstream totalement inutiles pour nous (utiles pour les gens de pouvoir, c’est bien comme cela qu’ils sont conçus ces journaux, pour manipuler) !!!!

    Et ça accuse indirectement, au minimum, nos politiques d’incapables car ils avaient moyen de savoir beaucoup de choses. Leurs actes sont vraiment inexcusables.

    Il y a donc bien des intérêts cachés promus par nos politiques sans aucune morale, et donc avec un cynisme impressionnant lorsqu’on voit leur jeu télévisuel, car ils ne peuvent vraiment pas invoquer « la surprise du phénomène ».

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