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Afghanistan : Ignorer les talibans ne les fera pas disparaître

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S’occuper de la crise humanitaire en Afghanistan peut aider à contenir les pires impulsions des nouveaux dirigeants du pays.

Source : Responsible Statecraft, Obaidullah BaheerTraduit par les lecteurs du site Les-Crises


Une femme afghane tient son enfant alors qu’elle et d’autres attendent de recevoir un colis distribué par un groupe d’aide humanitaire turc dans un centre de distribution à Kaboul, Afghanistan, le 15 décembre 2021. REUTERS/Ali Khara

Les commentaires sur l’Afghanistan sont toujours enlisés dans la phase d’insurrection des talibans et le caractère illégitime de leur prise de pouvoir. Cela empêche le monde de prendre des mesures pragmatiques pour contenir le pire totalitarisme des talibans.

Les talibans ne sont pas un mal absolu, ils ne sont qu’une autre entité non idéale à la tête d’un pays. En nous obsédant sur ce qui existe et sur la façon dont cela a pu se produire, nous ne nous préoccupons guère d’améliorer la réalité actuelle. La crise humanitaire actuelle, les droits civils des Afghans et la menace du terrorisme devraient être des causes suffisantes pour pousser le monde à s’engager de manière significative vis-à-vis des talibans.

Le récit général concernant l’Afghanistan se concentre trop sur les souvenirs des gains perdus au lieu de penser à préserver ce qui reste. Oui, la démocratie a été perdue. Oui, l’accès des femmes et des filles au travail et à l’éducation a été restreint. Oui, l’espace médiatique a été modifié et confiné. Mais il y a encore des activistes civils en Afghanistan qui ont besoin de soutien.

Les pressions internes et externes ont finalement poussé les talibans à ouvrir des universités publiques pour les femmes et à promettre d’ouvrir des écoles de filles en mars. Il existe des universités privées qui dispensent un enseignement aux femmes afghanes qui ne peuvent plus guère payer les frais de scolarité. Il existe des pistes dans l’économie qui peuvent être développées pour que davantage de femmes puissent chercher un emploi. Par-dessus tout, les talibans ont montré une certaine volonté d’engagement, comme en témoigne leur rencontre avec leurs opposants politiques en Iran et avec la société civile en Norvège. Les talibans ont également adopté une déclaration humanitaire lors de leur récente visite à Genève. Il existe des moyens viables de progresser, mais éviter les talibans n’en est pas un.

Nous devons nous interroger sur la sagesse d’éviter les talibans dans le processus d’aide, car cela crée plus de problèmes que cela n’en résout. Bien que cela puisse dispenser les États-Unis et leurs alliés d’avoir l’air de soutenir les talibans, cela finit par priver l’Afghanistan de toute chance de gouvernance durable. Les talibans ont gagné contre toute attente et il est peu probable qu’ils disparaissent de sitôt. La communauté internationale, en choisissant des organisations internationales pour fournir des services de base dans le pays, prive les talibans de la possibilité de s’intégrer dans un rôle de gouvernance et d’apprendre au cours du processus.

Nous devons nous interroger sur la sagesse de pousser les organisations internationales à jouer un rôle gouvernemental parallèle de fourniture de services, avec ses frais généraux importants et son manque de connaissances locales. L’émergence des talibans n’est pas la seule raison de l’effondrement économique qu’a connu le pays. Sa dépendance absurde à l’égard de l’aide était une raison essentielle. Cette même dépendance à l’aide est à nouveau créée dans le pays avec le modèle actuel. Il y a aussi la question de savoir comment la communauté internationale, en empêchant l’argent ou l’aide de tomber dans les mains des talibans, provoque la faim et le désespoir dans leurs rangs, ce qui produit à son tour un comportement de recherche de rente parmi les talibans, ce qui crée une coupure encore plus grande entre les talibans et les citoyens afghans. Tous ces problèmes peuvent être évités si un contrôle strict est mis en place et si les conséquences du non-respect des règles sont communiquées.

La dernière fois que les talibans étaient au pouvoir, leur mépris des normes internationales, associé à l’indifférence de la communauté internationale à leur égard, les a conduits à devenir des parias et, à leur tour, un État défaillant. Le vide ainsi créé est devenu le terreau idéal pour que les extrémistes étrangers puissent mener leurs aspirations panislamistes depuis l’Afghanistan. [ Le panislamisme est une idéologie politique prônant l’unité des musulmans sous un seul pays ou État islamique, NdT] La résurgence des talibans est une réaction aux mauvaises politiques adoptées à l’égard du pays.

L’extrémisme ne peut être éradiqué par l’élimination de l’extrémiste, mais plutôt par l’apaisement de la population pour qu’elle ne trouve pas ces idéologies attrayantes – ce qui s’appelle aussi assécher la source. L’espoir d’étouffer les talibans a deux conséquences négatives. Premièrement, cela punit la population que la communauté internationale aspire à protéger. Deuxièmement, cela renforce des groupes tels que l’ISKP [Etat islamique de la province de Khorasan, NdT] qui peuvent ainsi trouver davantage de recrues sous la forme de transfuges des talibans ou d’Afghans désespérés qui trouvent davantage de raisons de haïr l’Occident.

La politique actuelle à l’égard des talibans pourrait avoir un sens si la communauté internationale disposait de meilleures alternatives. Mais les États-Unis ont déjà accepté les talibans comme une réalité malheureuse avec laquelle ils ont négocié et signé un accord de paix. Alors pourquoi est-il aujourd’hui si difficile d’imaginer un processus de dialogue en vue de produire des résultats positifs ?

Bien sûr, cela ne veut pas dire que les talibans ne doivent pas être tenus pour responsables, mais plus nous retardons la question du traitement des talibans, plus ils restent incontrôlés et plus le peuple afghan souffre.

Il existe des moyens judicieux de débloquer les avoirs gelés de l’Afghanistan par étapes, sous un contrôle strict. Il est possible d’exiger des talibans qu’ils répondent aux attentes en matière de droits civils et d’éducation, mais cela doit également être communiqué de manière subtile (afin de ne pas nuire à la réputation des talibans dans leurs rangs et de ne pas provoquer de défection) et en échange d’un certain niveau d’engagement.

Compte tenu de l’influence que les États-Unis et leurs alliés ont encore sur les talibans, y compris les perspectives de libération des avoirs et d’allègement des sanctions, il existe des moyens de progresser, il suffit que le monde se rende compte de la futilité de son approche actuelle et qu’il s’en préoccupe suffisamment pour la revoir.

Source : Responsible Statecraft, Obaidullah Baheer, 05-03-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Fabrice // 04.04.2022 à 07h04

Il y a juste une question à se poser ne comprenons nous pas que ce n’est pas à nous d’imposer par des sanctions, des guerres les changements d’un pays ?

Franchement ne tirons nous pas les leçons de nos erreurs passées ? croyons nous vraiment que notre modèle qui montre ses limites (environnement, crises économiques, oligarchie,… ) voir se craquèle est universel et doit se répandre de gré ou de force ?

Respectons la diversité cela nous évitera de verser le sang de notre côté et du leur, mais ils devront assumer leur choix.

Devenons adulte en respectant et en nous mêlant que ce qui nous regarde car en fait la plupart du temps nos interventions sont poussées par l’avidité économique plus que par des valeurs qui ne sont qu’un rideau de fumé qui ne dupe plus personne ou presque.

8 réactions et commentaires

  • Fabrice // 04.04.2022 à 07h04

    Il y a juste une question à se poser ne comprenons nous pas que ce n’est pas à nous d’imposer par des sanctions, des guerres les changements d’un pays ?

    Franchement ne tirons nous pas les leçons de nos erreurs passées ? croyons nous vraiment que notre modèle qui montre ses limites (environnement, crises économiques, oligarchie,… ) voir se craquèle est universel et doit se répandre de gré ou de force ?

    Respectons la diversité cela nous évitera de verser le sang de notre côté et du leur, mais ils devront assumer leur choix.

    Devenons adulte en respectant et en nous mêlant que ce qui nous regarde car en fait la plupart du temps nos interventions sont poussées par l’avidité économique plus que par des valeurs qui ne sont qu’un rideau de fumé qui ne dupe plus personne ou presque.

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  • Anicroche // 04.04.2022 à 07h27

    Ce qui a disparu, ce sont les milliards placés aux USA et « confisqués » par les dits USA. Aucune honte à piller les plus pauvres d’entre les plus pauvres.

    Cf. Pompeo: « We cheat, we steal, we lie. » (Nous trichons, nous volons, nous mentons.)

    Tout un programme.

    Et pendant ce temps les Talibans interdisent à nouveau la culture de l’opium, interdiction en 2001 qui avait déjà été effective, alors que l’agression yankee l’a relancée pour atteindre des sommets jamais atteints auparavant.

      +15

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  • Anicroche // 04.04.2022 à 07h30

    « Les talibans ne sont pas un mal absolu, ils ne sont qu’une autre entité non idéale à la tête d’un pays.  »

    Non idéale? Cette volonté de décider pour les autres est assez époustouflante!

    « Il existe des moyens judicieux de débloquer les avoirs gelés de l’Afghanistan par étapes, sous un contrôle strict.  »

    Cela porte un nom: chantage!

      +11

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    • RGT // 05.04.2022 à 17h35

      Genre « tu laisses passer mon gazoduc et je te rends une partie de ton pognon » ?

        +2

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  • Fernande Lombard // 05.04.2022 à 13h59

    Après vingt ans de guerre et d’occupation américaines, vous essayez de nous faire croire qu’il reste encore 1 (UN) taliban vivant !…

      +0

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    • RGT // 05.04.2022 à 17h33

      Tout ce qui est sûr, c’est qu’après 43 ans de guerre il ne reste plus aucun communiste dans ce pays…

      Et que suite au départ des troupes de l’URSS (appelées à l’aide par les dirigeants de ce pays, ne l’oublions jamais) le gouvernement LÉGAL a quand-même tenu DEUX ans avant de s’effondrer sous les hordes de salafistes « combattants de la Liberté » (Al-Qaïda et les talibans) soutenus et financés par les USA et les pétromonarchies.

      Suite à l’opération de « libération » de ce pays par les « défenseurs de la liberté » les salafistes sont revenus au pouvoir alors que les dernières troupes US étaient encore en train de décamper en courant vers les avions qui les rapatriaient en urgence…

      43 ans de souffrances pour ce peuple qui n’avait rien demandé, le statut et le bien-être de la population ne risquant plus d’atteindre les niveaux atteints lorsque ce pays était dirigé par d’infâmes bolcheviks le couteau entre les dents. Sans parler de la condition des femmes…

      Et je ne vous parle même pas de ce qu’il advient d’autres populations, les yéménites entre autres, en train de crever sous les attaques permanentes des pétromonarchies avec la complicité des « démocrassies occidentales » dans un silence médiatique total.

      Pour résumer, les objectifs de guerre sont atteints : Les communistes ne reviendront plus de sitôt au pouvoir en Afghanistan et le lobby militaro-industriel s’en est mis plein les poches, c’est bien le plus important.

      Le reste ne compte pas, et si certains gueulent on s’en fout car ce sont des « complotistes ».

        +4

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  • Christian Gedeon // 06.04.2022 à 11h07

    Assez hilarant. Je suis dans l’ensemble opposé à la « politique » us. Mais là l’auteur fait dans le comique de situation. Si on n’est pas gentil, ils seront plus méchants ! Les talibans sont des tarés. Ni plus ni moins.Est si difficile de le dire? Ils seront encore pires? Eh bien soit. C’est aux Afghans de s’en débarrasser, à supposer ce qui n’est pas prouvé, qu’ils le veuillent.

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