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26.septembre.202326.9.2023 // Les Crises

Comment la Grande-Bretagne a soutenu le coup d’État sanglant de Pinochet au Chili

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Lorsque les militaires chiliens ont renversé le gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende en septembre 1973, des responsables britanniques ont soutenu la nouvelle junte et lui ont apporté leur concours alors qu’elle se livrait à des atrocités à grande échelle, comme le montrent des dossiers déclassifiés.

Source : Declassified UK, Mark Curtis
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le palais présidentiel du Chili a été atteint par des tirs de chars et d’avions à réaction en octobre 1973. (Photo : Bettmann via Getty)

  • « Pour les intérêts britanniques, il ne fait aucun doute que le Chili gouverné par la junte est bien préférable au cheminement chaotique d’Allende vers le socialisme », a déclaré le ministre des Affaires étrangères.
  • « Il est clair que pour les entreprises britanniques au Chili, l’horizon est beaucoup plus favorable sous le nouveau régime », a convenu l’ambassadeur britannique à Santiago.
  • Les responsables britanniques et américains craignaient que des politiques économiques couronnées de succès d’Allende ne puissent être imitées partout en Amérique latine.

Le 11 septembre 1973, le gouvernement chilien démocratiquement élu du président Salvador Allende a été renversé par un coup d’Etat brutal organisé par l’armée chilienne avec le soutien de la CIA.

Le palais présidentiel a été pilonné par les militaires et Allende s’est suicidé. Des milliers de personnes ont été emprisonnées, le Congrès a été suspendu et tous les partis politiques et les mouvements syndicaux ont été interdits.

Le général Augusto Pinochet s’est rapidement imposé comme le chef de la junte militaire, tandis que des exécutions sommaires avaient lieu dans tout le pays. Au moins 3 000 personnes ont été tuées, la plupart exécutées, mortes sous la torture ou « disparues ».

Pinochet a ensuite dirigé le Chili pendant 17 ans. Son régime est considéré comme l’un des plus répressifs et des plus sanglants de l’histoire moderne de l’Amérique latine.

Après la chute de la dictature en 1990, une commission nationale de la vérité a confirmé que plus de 40 000 personnes avaient été torturées et que plus de 200 000 s’étaient exilées [Créée en 1990, la Commission de vérité et de réconciliation est également le fruit des revendications portées par la société civile et plus particulièrement les associations des victimes et de leurs proches, NdT].

Des dossiers britanniques déclassifiés montrent que des responsables du Royaume-Uni ont décrit le coup d’état de 1973 comme étant de « sang-froid » et « implacable ». Le monde entier a largement condamné ce coup d’État, le qualifiant de renversement illégitime d’un gouvernement progressiste.

Il a également suscité l’indignation de l’opinion publique, y compris du public britannique, d’autant plus que le gouvernement d’Eward Heath n’a fait aucune déclaration publique pour condamner fermement le coup d’Etat.

De fait, en privé, son gouvernement conservateur a fortement soutenu ce dernier comme le montrent les dossiers déclassifiés des Archives nationales.

« De bonnes relations »

Les décideurs britanniques, tant à Londres qu’à Santiago, la capitale du Chili, ont immédiatement entrepris de nouer de bonnes relations avec les militaires au pouvoir alors que la répression s’intensifiait, et ont même été secrètement de connivence avec la junte pour induire l’opinion publique britannique en erreur.

Ils étaient parfaitement au courant de l’ampleur des atrocités. Trois jours après le coup d’Etat, l’ambassadeur Reginald Secondé a déclaré au Foreign Office « qu’il est probable que les victimes se comptent par milliers, et que le coup d’Etat est loin de s’être déroulé sans effusion de sang. »

« Une telle effusion de sang a choqué les populations »

Six jours plus tard, il notait : « Les récits relatifs aux débordements de l’armée et au nombre croissant de victimes ont commencé à se répandre de plus en plus largement. Les effusions de sang ont choqué la population. »

Mais cela ne semblait choquer ni Secondé ni son équipe à Santiago. Il a immédiatement indiqué que « les enjeux des relations économiques avec le Chili sont encore suffisamment importants pour nécessiter de bonnes relations avec le gouvernement en place. »

Mais il a suggéré que ces bonnes relations puissent être tenues secrètes en écrivant : « Ce ne serait dans l’intérêt personne de trop se rapprocher des responsables du coup d’Etat. »

« Un gouvernement bien organisé »

Après avoir fait part à Londres d’un nombre de victimes s’élevant à plusieurs milliers, Secondé a déclaré au Foreign Office que « quels que soient les débordements des militaires pendant le coup d’Etat », le gouvernement Allende était en train d’entraîner le pays vers une « ruine économique. »

Par conséquent, la Grande-Bretagne devait saluer les nouveaux dirigeants car « il y a toutes les raisons de penser qu’ils vont maintenant… tâcher de mettre en place un gouvernement rationnel et méthodique. »

Secondé a, en réalité, cautionné la répression politique, notant que « l’absence de vie politique n’est, pour l’instant, pas une perte. »

L’ambassadeur a également dit au Foreign Office que « la plupart des hommes d’affaires britanniques […] seront enthousiasmés par les perspectives de stabilisation qu’offre le nouveau régime militaire. » Les entreprises britanniques, telles que Shell, a-t-il ajouté, « respirent toutes avec soulagement. »

Il faisait référence à la campagne de nationalisation menée par Allende, qui avait permis de s’emparer de certains intérêts commerciaux occidentaux clés dans le pays, notamment le cuivre, principale ressource économique du pays.

« C’est le moment d’entrer dans le jeu » a-t-il recommandé, tout en exhortant le gouvernement britannique à reconnaître rapidement le nouveau régime sur le plan diplomatique.

« De meilleures perspectives »

Le 21 septembre, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement conservateur d’Edward Heath, Alec Douglas Home, a envoyé à plusieurs ambassades britanniques une note d’orientation officielle détaillant le soutien britannique à la nouvelle junte.

On pouvait y lire : « Pour les intérêts britanniques, il ne fait aucun doute que le Chili gouverné par la junte est bien préférable au cheminement chaotique d’Allende vers le socialisme, nos investissements devraient enregistrer de meilleurs résultats, nos prêts pourraient être rééchelonnés avec succès, nos crédits à l’exportation pourraient reprendre plus tard, et le prix exorbitant du cuivre (important pour nous) devrait baisser au fur et à mesure que la production chilienne sera relancée. »

Et c’est ce qu’il s’est passé, le Foreign Office a décidé de se donner un mal fou pour convaincre la junte chilienne du désir de la Grande-Bretagne d’entretenir de bonnes relations.

« Ils sont impatients d’établir rapidement de bonnes relations avec le nouveau gouvernement. »

Onze jours après le coup d’Etat, Secondé a rencontré l’amiral Huerta, nouveau ministre des Affaires étrangères de la junte. Les notes de l’ambassadeur concernant cette réunion indiquent : « Je lui dirai franchement que le gouvernement de Sa Majesté comprend les difficultés auxquelles les forces armées chiliennes étaient confrontées avant le coup d’Etat et qu’elles affrontent aujourd’hui : cela explique qu’il soit désireux d’établir rapidement de bonnes relations avec le nouveau gouvernement. »

Secondé a ensuite déclaré qu’il évoquerait « notre problème interne d’opinion publique. Il serait donc utile qu’il [c’est-à-dire Huerta] accepte que nous puissions dire quelque chose pour rassurer l’opinion publique nationale. »

Le compte rendu de Secondé au sujet de sa rencontre avec Huerta confirme qu’il a déclaré que le gouvernement britannique « comprenait les motivations des forces armées, l’intervention et les problèmes auxquels le gouvernement militaire était confronté » – langage diplomatique pour exprimer un soutien à la junte.

L’ambassadeur britannique a ensuite remis à Huerta un brouillon de la formulation que le gouvernement britannique comptait utiliser en public, et il a demandé à Huerta de l’approuver.

« Déclaration concertée »

Cette déclaration concertée était une apologie des agissements de la junte militaire, rédigée afin d’apaiser l’opinion publique britannique.

La Grande-Betagne y reconnaissait que la situation interne au Chili « était bien entendu du ressort exclusif du gouvernement chilien » et que l’ambassadeur britannique avait fait part de la « très forte émotion ressentie dans de nombreux milieux en Grande-Bretagne suite à la mort du président Allende et d’autres personnes, ainsi que suite aux nombreuses arrestations. »

La déclaration précisait que « le gouvernement chilien a donné l’assurance qu’il traiterait avec humanité » les personnes détenues et les opposants politiques – un mensonge flagrant, puisque Secondé et Whitehall étaient parfaitement au courant du nombre et du caractère atroce des exactions commises.

Douglas Home était ravi que Secondé ait réussi à trouver un accord avec la junte quant à une formulation. Il a envoyé un câble à l’ambassadeur pour le féliciter de s’être acquitté d’une « mission difficile », ajoutant : « Grâce à cette déclaration, nous avons pu justifier, face aux critiques internes, le fait que nous avions reconnu rapidement le nouveau gouvernement. »

« Une perspective satisfaisante »

La destitution du gouvernement démocratiquement élu a été justifiée par Secondé. Il a déclaré dans une dépêche détaillée de 20 pages, trois semaines après le coup d’Etat, que « le renversement du gouvernement constitutionnel était loin d’être ce que l’on pouvait en penser en Grande-Bretagne. »

S’il y reconnaissait que les forces armées faisaient face à des condamnations internationales, « il faut remettre cela dans son contexte », ajoutait Secondé.

Dans son analyse, il évoque les échecs répétés du gouvernement d’Allende au Congrès ainsi que son maintien au pouvoir sur la base des 36 % de voix obtenues par Allende lors de l’élection présidentielle de 1970, ce qui, comme Secondé en est persuadé, ne pourrait jamais arriver en Grande-Bretagne.

« De toute évidence, la situation des entreprises britanniques au Chili est nettement plus favorable. »

Quant à la nouvelle junte militaire, Secondé notait : « Les circonstances les pousseront en outre à prendre des directions que l’opinion publique britannique réprouvera et les prochaines années pourraient bien être des années sombres, au cours desquelles la liberté d’expression risque de souffrir. »

« Mais ce régime convient beaucoup mieux aux intérêts britanniques que celui qui l’a précédé, a-t-il conclu, ajoutant : La situation des entreprises britanniques au Chili est nettement plus favorable avec le nouveau régime… Les nouveaux dirigeants sont incontestablement de notre côté et veulent faire des affaires avec nous, au sens le plus large du terme. »

Tout cela se produisait alors que les décideurs britanniques avaient une parfaite connaissance du fait que « des tortures sont pratiquées au Chili » et aussi de « l’inclination quasi-fasciste déclarée des nouveaux dirigeants. »

On reconnaissait également, comme l’a noté Secondé plus haut, que le nouveau régime allait continuer à être répressif pendant un long moment. Comme l’a noté un responsable du Foreign Office : « Il semble bien difficile d’envisager un retour, avant de longues années, à un gouvernement démocratique comme celui auquel le Chili est habitué depuis de nombreuses années. »

Soutien au régime

Lors de rencontres privées avec Judith Hart, ministre pour le développement à l’étranger du cabinet fantôme du parti travailliste, le ministre des Affaires étrangères, Leo Amery, a bien précisé que le programme d’aide et les prêts du Royaume-Uni ne seraient pas suspendus, contrairement à ce qu’avaient fait certains donateurs.

En réponse à une question du parlement, le ministère des Affaires étrangères a rédigé un projet : « Nos priorités en Amérique latine sont largement déterminées par nos intérêts en matière de commerce et d’investissement… En ce qui concerne les récents événements au Chili, notre ligne de conduite consiste à refuser d’entrer dans la controverse quant aux droits ou aux torts du gouvernement du président Allende ou du nouveau gouvernement militaire. »

La question des exportations d’armes britanniques vers la junte était d’autant plus pertinente que les avions Hawker Hunter fournis par la Grande-Bretagne avaient été utilisés lors du coup d’État pour attaquer le palais présidentiel et la résidence d’Allende.

Selon les mots de l’ambassadeur : « les Hawker Hunter ont déferlé avec une précision remarquable en tirant leurs roquettes sur le palais, qui a été sévèrement touché et a pris feu. »

La junte étant au pouvoir, les responsables britanniques ont assuré que les contrats d’armement conclus avec Allende seraient honorés, soit huit Hawker Hunters et d’autres équipements à hauteur de plus de 50 millions de livres Sterling.

Mais ils sont allés plus loin encore, puisque, selon les dossiers secrets, ils précisent : « il nous faudra, en temps voulu, tirer le meilleur parti possible des nouvelles opportunités qui seront liées au changement de gouvernement. »

On s’attendait à de nouvelles demandes d’armes en provenance de la junte, mais « nous voudrions qu’elles se déroulent le plus discrètement possible pendant un certain temps encore » compte tenu de la forte hostilité de l’opinion publique.

Le gouvernement Heath a fait fi des appels du Parti travailliste pour imposer au Chili un embargo sur les armes et tous les Hawker Hunter avaient été livrés au moment des élections générales britanniques de 1974.

Une autre de ses principales responsabilités était de contrer les protestations britannique et internationale face aux atrocités commises par le régime militaire.

« Des récits d’atrocités »

Une incroyable note adressée par Hugh Carless, du Foreign Office, à Secondé, en décembre 1973, indique que « malheureusement, il y a (comme vous nous l’avez fait remarquer) une grande partie de faits avérés dans les récits d’atrocités et cela seul nous empêche de contrecarrer la propagande. »

« Nous ne pouvons pas faire grand-chose quand il s’agit de la presse », a-t-il ajouté, « mais vous pouvez leur assurer [à la junte chilienne] que nous et nos ministres comprenons parfaitement la situation. »

Carless a également observé que « les Chiliens doivent se demander pourquoi diable … on accorde une attention aussi injuste à leur changement de gouvernement ».

Il a poursuivi en notant qu’en raison de l’émergence d’un mouvement mondial de solidarité hostile au nouveau régime et en faveur du Chili : « Il nous faudra, à l’occasion, faire profil bas, et bien plus que nous le souhaiterions. »

Cela a notamment été le cas lorsqu’il s’est agi des fournitures d’armes, d’aide à la junte pour un allègement de la dette et pour « éviter qu’elle ne se retrouve clouée au pilori lors des réunions internationales. »

« Une révolution violente »

Les conséquences du coup d’État ont été très brutales pour les Chiliens. Mais la destitution d’un gouvernement apprécié par la population peut également avoir eu des répercussions au-delà du pays, indiquant qu’une voie pacifique et démocratique visant à améliorer la situation des pauvres dans un pays en développement se heurterait à la violence.

L’ambassadeur Secondé a indiqué dans une dépêche après le coup d’État que « le sceau final de l’échec de cette expérience a maintenant été apposé par les forces armées chiliennes. »

« Les forces armées chiliennes viennent de graver définitivement dans le marbre l’échec de cette expérience »

« Cela présente des avantages évidents », a-t-il estimé, mais aussi des inconvénients, notamment celui d’en « arriver à la conclusion que seule la révolution violente permet de lutter contre le communisme. »

Douglas Home a également estimé que « le renversement d’Allende a réduit à néant les chances de tout changement social démocratique en Amérique latine. »

« Notre principal intérêt au Chili est le cuivre »

Une note du ministère des Affaires étrangères précise que « la raison principale de notre intérêt envers le Chili est le cuivre », qui représente un tiers des importations britanniques de ce métal.

Les bouleversements survenus au Chili du temps d’Allende et la « peur de l’avenir » ont récemment entraîné une forte hausse des prix du cuivre, ce qui a entraîné un coût supplémentaire de 500 000 livres sterling en devises pour le Royaume-Uni. « Il est donc de notre plus grand intérêt que le Chili retrouve la stabilité, indépendamment de toute politique », a déclaré le Foreign Office.

Vue de Londres et de Washington, la nationalisation a été incontestablement la principale hérésie d’Allende. En juillet 1971, l’industrie du cuivre – qui représentait 70 % des recettes d’exportation du Chili – a été entièrement nationalisée et les mines de cuivre appartenant aux États-Unis ont été reprises par le gouvernement, avec l’approbation unanime du Congrès.

Les États-Unis ont réagi brutalement en supprimant tout crédit et toute nouvelle aide au gouvernement, et en faisant pression sur la Banque mondiale pour qu’elle en fasse de même. Les principales sociétés minières américaines, Kennecott et Anaconda, ont alors entamé une procédure judiciaire contre le gouvernement.

L’ambassadeur américain, Nathaniel Davis, a déclaré à Réginald Secondé que le gouvernement américain était préoccupé « non seulement par les pertes subies par les sociétés de cuivre, mais aussi par le précédent que l’action chilienne créerait quant à une nationalisation d’autres grands intérêts américains dans l’ensemble du monde en développement. »

Plusieurs banques ont également été nationalisées et, au début de 1972, le gouvernement a annoncé son intention de reprendre 91 entreprises clés qui représentaient environ la moitié de la production économique du Chili.

Un document du parti conservateur britannique note que des entreprises britanniques ont été touchées par la nationalisation « mais il a été généralement estimé à l’époque que lorsque la nationalisation d’actifs britanniques avait eu lieu, la compensation octroyée avait été équitable. »

Dans une dépêche publiée huit jours seulement avant le coup d’État, Secondé a admis que le Chili « a au moins pris ses problèmes sociaux à bras le corps : nombre de gens des couches les plus pauvres et les plus défavorisées de la société ont, grâce à la gouvernance du président Allende, atteint un nouveau statut et ont au moins goûté, dans les premiers temps, à un meilleur niveau de vie, bien que celui-ci ait été érodé par l’inflation. »

Secondé en a conclu qu’il « s’agit là d’une réalisation majeure qui a distingué le Chili de la plupart des autres États d’Amérique latine. »

La menace du bon exemple

Pourtant, c’est précisément parce que le gouvernement d’Allende réussissait que les décideurs britanniques et américains voulaient qu’il soit destitué.

Après avoir été élu en 1970, Allende a été nommé président d’un gouvernement d’unité populaire avec l’accord du parti démocrate-chrétien. Il a hérité d’une économie qui, comme dans la plupart des pays d’Amérique latine, était sous le contrôle d’une petite élite.

Dans son discours de la victoire en novembre 1970, Allende a annoncé un programme de changement économique radical, proposant d’abolir les monopoles « qui confèrent à quelques dizaines de familles la maîtrise totale de l’économie. »

Il s’est également engagé à supprimer le système fiscal qui favorisait les riches, à abolir les « grandes propriétés qui condamnent des milliers de paysans au servage » et à « mettre fin à la mainmise étrangère sur notre industrie.».

« La voie du socialisme passe par la démocratie, le pluralisme et la liberté », clamait Allende.

Sa stratégie consistait à restructurer la société sur la base du principe de la propriété publique, mixte et privée des ressources, principalement par l’extension rapide du contrôle de l’État sur de larges pans de l’économie, soit par la nationalisation directe, soit par l’investissement public.

Ces politiques ont amélioré la situation des pauvres, en particulier au début de la présidence d’Allende, grâce à l’augmentation du salaire minimum et à des primes spéciales versées aux travailleurs mal payés.

Cette amélioration s’est accompagnée d’une hausse de la popularité du gouvernement. Lors des élections au Congrès de l’année du coup d’État, en 1973, la coalition de l’Unité populaire a augmenté son score pour atteindre 44 %.

« Redistribution des richesses »

Le Joint Intelligence Committee (JIC) britannique a reconnu que « le gouvernement Allende a orienté ses efforts économiques principalement vers une redistribution des richesses » dans le cadre de laquelle les prix ont été contenus et les salaires ont pu augmenter.

Sa stratégie consistait à « corriger ce qu’il considèrait comme des injustices économiques et sociales (y compris la mainmise étrangère sur certains secteurs de l’économie) ». Allende s’est dit « déterminé à démontrer que le socialisme peut être instauré au Chili de manière pacifique et démocratique. »

Trois mois seulement après l’entrée en fonction d’Allende, le JIC concluait : « Washington est manifestement très préoccupé par l’évolution de la situation au Chili. »

« Washington est manifestement très préoccupé par l’évolution de la situation au Chili »

Selon le JIC, en plus de la nationalisation des intérêts commerciaux américains : « Les États-Unis voient très certainement d’un très mauvais œil l’éventualité d’un régime d’extrême gauche moyennement couronné de succès au Chili, ne serait-ce qu’en raison de son impact potentiel ailleurs en Amérique latine. »

Il a également exprimé la même crainte, mais d’un point de vue britannique, affirmant que le cours des événements au Chili est susceptible d’avoir « d’importantes répercussions dans toute l’Amérique latine et peut-être au-delà. »

« La victoire d’Allende a été saluée comme un renforcement de la tendance radicale et anti-américaine qui prévaut en Amérique latine ». Cela pourrait conduire à la formation d’un bloc « d’États partageant les mêmes idées, comprenant le Chili, la Bolivie et le Pérou, dont l’attitude hostile à l’égard des investissements étrangers a déjà été démontrée. »

Action clandestine

La CIA avait, dans un premier temps, cherché à empêcher l’accession d’Allende au pouvoir. Un rapport déclassifié de la CIA révèle que, tout au long des années 1960 et 1970, les États-Unis ont encouragé « des efforts de propagande continus, y compris un soutien financier aux principaux médias d’information, en défaveur d’Allende. »

On y trouvait des « projets d’action politique » qui « soutenaient des partis spécifiques avant et après les élections de 1964 et celle d’Allende en 1970. »

Dans les années 1960, les activités comprenaient une aide financière au parti démocrate-chrétien, la distribution d’affiches et de tracts, et une aide financière à certains candidats aux élections du Congrès.

Lors de l’élection de 1964, remportée par le candidat favori des Etats-Unis Eduardo Frei du parti démocrate-chrétien, la CIA avait débloqué 3 millions de dollars pour empêcher la victoire d’Allende.

Dans la période précédant les élections de 1970, remportées par Allende, la CIA a mené des « opérations de sabotage » pour empêcher sa victoire, tandis que le président Nixon a autorisé l’agence à « chercher à fomenter un coup d’État pour empêcher Allende d’entrer en fonction. »

Declassified a révélé que la Grande-Bretagne a également mené une offensive de propagande secrète pour empêcher Allende de remporter les élections de 1964 et celles de 1970.

Le département de recherche d’informations (IRD) du ministère des Affaires étrangères britanniques a recueilli des informations destinées à nuire à Allende et à légitimer ses opposants politiques, et il a également fait parvenir des documents à des personnalités influentes de la société chilienne.

L’IRD a également partagé avec le gouvernement américain des renseignements concernant les activités de la gauche dans le pays. Les officiels britanniques en poste à Santiago ont apporté leur aide à une organisation médiatique financée par la CIA, dans le cadre d’une vaste action secrète des États-Unis visant à renverser Allende, qui a débouché sur le coup d’État de 1973.

Le renversement

Quelques jours après l’entrée en fonction d’Allende en 1970, la CIA a été autorisée à établir des contacts directs avec des officiers militaires chiliens « afin de déterminer si un coup d’État militaire pourrait être déclenché si cette décision était prise. »

Des armes, notamment des mitrailleuses et des munitions, ont été fournies à l’un des groupes qui préparaient un coup d’État.

Un fonds de 10 millions de dollars a été approuvé « pour empêcher Allende d’accéder au pouvoir ou le renverser », il a été utilisé pour renforcer les partis politiques d’opposition et aider les groupes militants de droite à saper son autorité.

« 10 millions de dollars ont été approuvés pour empêcher Allende d’accéder au pouvoir ou pour le renverser »

L’argent de la CIA a également été utilisé pour diffuser des informations dans les médias locaux et encourager l’opposition à Allende dans la presse chilienne. Les efforts visant à « encourager les entreprises chiliennes à mettre en œuvre un programme de perturbation économique » ont également été approuvés.

Edward Korry, l’ambassadeur américain a expliqué que la stratégie consistait à « faire tout ce qui est en notre pouvoir pour condamner le Chili et les Chiliens au dénuement et à la pauvreté les plus extrêmes, une politique destinée à hâter durablement au Chili les caractéristiques les plus difficiles à supporter d’une société communiste. »

Après la prise de pouvoir de Pinochet, la CIA note qu’elle « a maintenu certains des programmes de propagande en cours, notamment en soutenant les médias qui s’efforçaient de donner une image positive de la junte militaire. »

Reginald Secondé est devenu ensuite ambassadeur du Royaume Uni en Roumanie et au Venezuela, avant de mourir en 2017 à l’âge de 95 ans.

Ce texte est un extrait du livre de Mark Curtis, « Unpeople : Britain’s Secret Human Rights Abuses » [Unpeople désigne, pour l’auteur, ceux dont la vie a été jugée inutile, sans valeur, dans la poursuite d’objectifs de politique étrangère, NdT] (Unpeople : les violations secrètes des droits humains de la Grande-Bretagne, avec sources in extenso, livre non traduit)

Concernant l’auteur

Mark Curtis est le rédacteur en chef de Declassified UK, il est l’auteur de cinq livres et de nombreux articles portant sur la politique étrangère du Royaume-Uni.

Source : Declassified UK, Mark Curtis, 04-09-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

manuel // 26.09.2023 à 08h57

Et tous ces criminels ont fini tranquillement dans leur lit avec argent et décorations, et le super criminel Kissinger est toujours libre. Et ceux qui dénonçaient ces crimes étaient des complotistes.

8 réactions et commentaires

  • manuel // 26.09.2023 à 08h57

    Et tous ces criminels ont fini tranquillement dans leur lit avec argent et décorations, et le super criminel Kissinger est toujours libre. Et ceux qui dénonçaient ces crimes étaient des complotistes.

      +37

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    • patoche // 26.09.2023 à 09h34

      Kissinger a obtenu le prix Nobel de la paix. Obama aussi.
      Standing ovation au parlement canadien d’un vétéran ukrainien de 98 ans de la seconde guerre mondiale. Ili a combattu les russes… au côté de de l’Allemagne nazi. Un Wafen SS.

      Les usa ont pratiqué à haute dose le recyclage de nazis allemands, c’est un secret de polichinelle. Là on apprend que le Canada s’était spécialisé dans le sauvetage de nazis ukrainiens.

      https://www.huffingtonpost.fr/international/article/au-canada-volodymyr-zelensky-assiste-par-erreur-a-l-hommage-rendu-a-un-veteran-nazi_223562.html

        +20

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      • M. // 26.09.2023 à 15h59

        un ouvrage très documenté traite de ce recyclage après la guerre :
        Christopher Simpson : le boomerang américain. Editions Delga. 2023

        « le recrutement des nazis par les états unis et ses conséquences délétères sur leur politique intérieure et extérieure. »

          +12

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      • Lt Briggs // 26.09.2023 à 18h32

        Dans la même veine mais concernant la France, je viens de finir un livre de Michel Tedoldi, « Un pacte avec le diable – Quand la France recrutait des scientifiques nazis ». La crème de la crème du milieu industriel nazi recrutée à prix d’or par les autorités dès 1945 alors que la population française manquait de tout.

          +6

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  • Grd-mère Michelle // 26.09.2023 à 12h05

    Respect et reconnaissance à l’auteur, M.Curtis, et à ses collaborateurs-trices de « Declassified UK »: ce type de travail est essentiel pour favoriser une diplomatie de paix et de justice, seule voie valable pour améliorer l’état de la société et, conséquemment, celui de chacun-e des individus ainsi que de leur biotope vivant à l’heure actuelle et dans le futur.
    Merci, « Les Crises », de nous offrir sa traduction.
    Les mots prononcés/écrits par les « autorités responsables » britanniques il y a 50ans révèlent l’abominable mentalité prédatrice qui guide, jusqu’à présent, les « dirigeant-e-s » inféodé-e-s au Marché.
    D’où l’absolue nécessité, pour tou-te-s les citoyen-ne-s, de se mêler de ce qui les regarde au plus haut point: la politique menée par leurs représentant-e-s, en leur nom.
    Car leur consentement accordé « machinalement » à des politiques iniques est le résultat de leur ignorance soigneusement entretenue.
    Dans ce sens, nécessité d’enseigner aux enfants, dès « l’âge de raison », dans les écoles, la teneur des institutions de leur pays ainsi qu’internationales, et d’y pratiquer un « vivre ensemble » régi par une démocratie active.

      +11

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  • ouvrierpcf // 26.09.2023 à 15h56

    Merci. Les crises pour cet article argumenté clair précis

      +8

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  • utopiste observateur // 28.09.2023 à 09h25

    Un regard porté sur le passé pour faire oublier le présent ?

      +2

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