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18.septembre.201918.9.2019 // Les Crises

G7 de Biarritz : Plus de jeux que d’enjeux ! Par Guillaume Berlat

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Source : Proche & Moyen-Orient, Guillaume Berlat, 02-09-2019

« Le rôle d’un diplomate est d’accourir avec un seau partout où le feu menace » (Metternich). Après l’échec retentissant de la précédente édition de la réunion de ce club sous présidence canadienne en raison des foucades de Donald Trump1, il tenait à cœur à Emmanuel Macron de relever le défi en faisant du G7 de Biarritz (24-26 août 2019) un immense succès à porter au crédit de sa diplomatie « balnéaire » (la côte d’Azur à Brégançon et la côte Basque à Biarritz2) et sa diplomatie du « profilage » (il se livrerait à des analyses poussées de la psychologie de ses interlocuteurs afin de les caresser dans le sens du poil pour parvenir à ses fins diplomatiques, ignorant que les États sont des monstres froids). Il avait choisi de mettre cette rencontre sous le signe de « la lutte contre les inégalités ». Un thème parfait pour le « président des riches » !

On l’aura compris le défi à relever était de taille et cela d’autant plus que l’environnement international n’a fait que se dégrader au cours des derniers mois. Dans un climat commercial particulièrement tendu entre la Chine et les États-Unis3, les mauvaises nouvelles sur l’activité économique mondiale s’accumulent et les bourses sont dans l’expectative4. L’Amazonie brûle5, créant une crise diplomatique franco-brésilienne6 (avec échange permanent d’amabilités peu diplomatiques entre les deux rives de l’Atlantique à jet continu). Les crises se succèdent (Inde-Pakistan à propos du Cachemire, États-Unis avec la Corée du nord et l’Iran sur des questions nucléaires, avec la Chine sur le commerce, Hongkong7, Libye, Syrie8, Yémen, Ukraine…). Quant aux membres du G7, ils ne sont pas au mieux de leur forme : l’Italien, Guiseppe Conte expédie les affaires courantes, le Canadien, Justin Trudeau est empêtré dans une affaire de conflit d’intérêts, le Japonais, Shinzo Abe est en conflit larvé avec la Corée du sud sur les questions mémorielles, le Britannique, Boris Johnson joue son avenir sur le « Brexit », la chancelière allemande, Angela Merkel parvient en fin de règne à la tête d’une grande coalition paralysée par le début d’une récession économique, le président du conseil de l’UE, Donald Tusk attend la relève, l’américain, Donald Trump veut en finir avec le multilatéralisme et le libre-échange, le Français, Emmanuel Macron se prépare à une rentrée chaude9. La Russie est toujours maintenue à l’écart de ce cénacle en raison de son invasion de la Crimée et la Chine n’en fait pas partie (elle participe au G20).

La sauterie estivale préparée par Emmanuel Macron dans une ville aux allures de forteresse se présentait objectivement sous les pires auspices en dépit de ses bonnes paroles (24 août 2019 à 13h00 dans la lucarne) pour expliquer au bon peuple de France les objectifs et les défis du barnum de Biarritz. Mais, au bout du compte, bien que le résultat soit moins pire qu’imaginé, le G7 est aussi contesté et contestable, aussi paralysé qu’impuissant et aussi inutile qu’inefficace.

UN G7 CONTESTÉ ET CONTESTABLE

Au fil du temps, cette « diplomatie des clubs » fait de moins en moins recette auprès d’une opinion publique qui la perçoit comme un déni de démocratie directe sur les grands problèmes du moment qu’ils soient politiques, économiques, stratégiques ou environnementaux. Tout naturellement, le G7 de Biarritz est aussi contesté que contestable.

Un G7 contesté par les citoyens… voire par les dirigeants français

En dépit de l’entretien qu’il accordait le 23 août 2019, à la veille de la réunion de Biarritz, à des représentants de la société civile et des patrons engagés dans la recherche de modèles de croissance moins inégalitaires et plus soucieux de l’environnement et de son déjeuner pré-G7 avec Donald Trump, les choses n’ont pas beaucoup évolué concrètement pour les citoyens en un an. Le « capitalisme est devenu fou » (discours d’Emmanuel Macron devant l’OIT, Genève, juin 2019). Avec le bon sens qui les caractérise, les citoyens du monde ont pris conscience, depuis belle lurette, de l’imposture du fameux mythe de la « mondialisation heureuse ». Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, qui ne passe pourtant pas pour une tête brûlée ou un extrémiste dangereux, allait encore plus loin lorsqu’il déclarait récemment : « Le capitalisme tel que nous l’avons connu au XXe siècle a conduit à la destruction des ressources naturelles et à la croissance des inégalités : il est dans une impasse, nous devons les refonder ». Le diagnostic est parfaitement posé. Ce n’est donc pas une surprise que la mobilisation contre les méfaits de la mondialisation non régulée, la progression échevelée des inégalités, des risques environnementaux incommensurables mobilisent la société civile fortement autour du G7 de Biarritz10. Du côté de Bayonne et d’autre villes des deux côtés de la frontière franco-espagnole où se réunit un contre-sommet11, l’air est parfumé au gaz lacrymogène12 alors que le dîner officiel au Phare du 24 août 2019 fleure la bonne cuisine gastronomique confiée à un chef local13, la « gastronodiplomatie » chère à l’ex-ministre des Affaires qui lui sont toujours restées étrangères, Laurent Fabius. Manifestement, le fossé entre dirigeants et citoyens ne cesse de s’élargir tant l’incompréhension croit sur les prétendus bienfaits de la mondialisation, du capitalisme, du libre-échange et autres fadaises auxquelles personne ne croit plus. Les peuples sont encore plus confortés dans leur démarche de contestation et de rejet de l’ordre établi par la récession économique qui s’annonce pour la rentrée et dont les dirigeants se gardent bien de les informer pour ne pas les affoler14. À trop vouloir dissimuler la réalité, elle vous explose parfois à la figure au moment où l’on s’y attend le moins (Cf. la crise des « gilets jaunes » en France ou la crise libyenne avec ses innombrables rebondissements). Ce ne sont que les tristes leçons de l’Histoire sur lesquelles les promoteurs du monde nouveau font l’impasse.

Un G7 contestable par sa nature… déconnectée du monde réel

Lorsqu’il fut lancé, en 1975, par Valéry Giscard d’Estaing, la réunion des puissances occidentales recoupait l’ordre occidental du monde issu de l’après Seconde Guerre mondiale. « L’ordre international, c’est l’Occident qui le décidait », déclarait Emmanuel Macron recevant la presse présidentielle à l’Élysée le 21 août 2019. À l’époque, les exclus du G7 ne pesaient pas plus que 30% de la richesse globale. « Aujourd’hui, c’est 52%. Cet ordre est remis en cause », ajoutait-il. Cette diplomatie des clubs, qui fut utile durant plusieurs décennies, démontre amplement ses limites. Le bilatéralisme honni des multilatéralistes idéologues, reprend petit à petit droit de cité. Une fois encore, Donald Trump montre la voie, lui qui ne croit qu’aux rapports de force (Cf. avec le Danemark au sujet du Groenland avec lequel il pratique une forme de « révisionnisme territorial » qui viole les principes posés dans les accords d’Helsinki15). Avant le sommet de Biarritz, le président de la République confesse à tour de Bras à Brégançon (le russe, Vladimir Poutine), à Chantilly (l’indien, Narendra Modi16), à l’Élysée (le britannique, Boris Johnson17, le grec, Kyriakos Mitsotakis18, l’iranien Mohammad Djavad Zarif) sans parler des visiteurs du soir. Pour la seconde journée du sommet, on convie à Biarritz un panel de représentants d’État ayant leur mot à dire dans les affaires du monde sans connaître les critères précis retenus pour opérer une sélection subjective par nature. On y reconnait le maréchal Al-Sissi et Paul Kagamé (?) mais on n’y trouve ni les Chinois, ni les Russes dont la présence aurait été incongrue pour régler les grands problèmes du monde. Pressés par les contraintes de l’actualité internationale, l’ordre du jour, soigneusement préparé durant des mois par d’obscures conseillers en costumes sombres, est soigneusement remis en cause par leurs maîtres. Résultat, chaque sommet a la priorité du pays hôte, empêchant une vision stratégique, de long terme sur les thèmes qui préoccupent les citoyens. D’où une déconnexion croissante entre dirigeants et citoyens donnant l’impression que les uns et les autres vivent sur deux planètes distinctes qui ne se rencontrent rarement. Ainsi va le monde nouveau qui reproduit fidèlement les schémas de l’ancien monde alors que les paramètres principaux de la gouvernance mondiale ont profondément évolué.

Tout cela pour dire que l’on ne peut traiter les affaires du monde dans l’entre-soi dans un période de défiance croissante des citoyens envers la mondialisation et sans se concentrer sur quelques sujets essentiels. Rien n’est pire que de pratiquer la diplomatie de l’inventaire à la Prévert, marque de fabrique des G7, formule ancien monde. On sait dans quelle impasse elle conduit depuis plusieurs années le G7 qui affiche sa paralysie et son impuissance.

UN G7 PARALYSÉ ET IMPUISSANT

Comme dans les relations humaines, il existe un gouffre entre le vouloir et le pouvoir dans les relations internationales. La réunion de Biarritz n’échappe pas à la règle. Résultat, nous constatons un G7 largement paralysé par ses divisions de plus en plus apparentes, impuissant à relever les immenses défis du XXIe siècle, faute d’une véritable révolution de la pensée. Et cela en dépit de quelques accords sur des principes généraux et généraux qui ne débouchent sur rien de concret, du moins à ce stade.

Un G7 paralysé par ses divisions… de plus en plus apparentes

Le moins que l’on puisse dire est que l’ambiance n’est pas à l’union mais à la division entre les Sept. Depuis l’arrivée de Donald Trump, qui participe aujourd’hui à son troisième G7 (Taormina, Charlevoix et Biarritz), les choses ont été de mal en pis. Le 45ème président des États-Unis ne veut plus entendre parler de multilatéralisme (ONU, UNESCO, OMC…) pas plus que de ces clubs inutiles que sont, à ses yeux, le G7, le G20, l’OTAN, l’Union européenne dont il verrait d’un bon œil la dissolution dans la foulée du « Brexit » … Les dirigeants du G7 ne sont plus à l’unisson en dépit de l’affirmation d’Emmanuel Macron selon laquelle les membres de ce club « partagent les mêmes valeurs démocratiques » (lesquelles ?, le Japon ignore la sacro-sainte présomption d’innocence dans l’affaire Carlos Ghosn). Le président français, qui réunit six partenaires affaiblis et divisés, ne peut se contenter d’un « coup de poing sur la table » (Jean-Pierre Raffarin) pour régler les problèmes du présent (Afrique, climat, inégalités, commerce mondial, crises…) et du futur. Donald Trump affiche ostensiblement sa complicité avec un Boris Johnson inflexible sur le « Backstop »19. Angela Merkel et Emmanuel Macron ont plus de sujets de divergence que de convergence. L’italien fait de la figuration compte tenu de la crise politique actuelle. Le Canadien se contente de porter beau et de tenir par son costume. Le Japonais est insaisissable. Le président du Conseil européen partant se contente de prendre des notes (pour qui ?, pour quoi ?). L’agitation brouillonne de ce ballet diplomatique réglé par l’ambassadeur, chef du protocole, introducteur des ambassadeurs, Frédéric Billet (il vient juste de recevoir sa première ambassade qui plus est en Europe, à Varsovie) ne parvient pas à masquer l’ampleur des désaccords (Les majordomes du château sont toujours bien récompensés de leurs services rendus). L’optimisme béat et de circonstance de Jupiter ne fait qu’accentuer la paralysie du G7 et par voie de conséquence son impuissance à relever les multiples défis du XXIe siècle. La proposition d’octroi d’une aide de 20 millions de dollars pour lutter contre les feux en Amazonie est rejetée par les Brésiliens, très à cheval sur leur souveraineté… qui, dans un second temps, serait accepté Pour le reste, les décisions concrètes sont renvoyées au futur et au résultat hypothétiques de réunions d’experts. Une vieille méthode destinée à masquer l’ampleur des problèmes et des désaccords.

Un G7 impuissant à relever les défis du XXIe siècle… faute d’une révolution de la pensée

Lors de sa brève intervention du 24 août 2019 (toutes choses égales par ailleurs) destinée à expliquer à nos compatriotes les enjeux et les défis du G7 de Biarritz, Emmanuel Macron a parfaitement résumé la problématique. Reprenons-en les principaux points. Le chef de l’État concentre son analyse sur trois enjeux : assurer la stabilité et la sécurité dans les monde (en traitant des grandes crises : Iran, Syrie, Libye, Ukraine) ; remédier aux désordres de l’économie mondiale (en apaisant les tensions commerciales, en faisant une vraie relance économique par plus de croissance et plus d’emplois) et lutter de manière concrète contre les inégalités (en associant les pays émergents et la société civile pour travailler à l’égalité hommes-femmes20, œuvrer au décollage improbable de l’Afrique, à une révolution numérique, répondre à l’urgence climatique en dépit des désaccords avec les États-Unis, l’appel des océans et de la forêt qui brûle en Amazonie, notre bien commun). Emmanuel Macron prévient que le G7 ne parviendra pas à réussir sur tous ces sujets. Monsieur de la Palice n’aurait pas dit mieux. Mais, la France, « l’embêteuse du monde » (Jean Giraudoux) veut/doit montrer le chemin au monde des demeurés en étant une puissance de médiation (sur l’Iran en invitant le ministre des Affaires étrangères à rencontrer Emmanuel Macron, Jean-Yves Le Drian et Bruno Le Maire mais aucun des dirigeants participants à ce « happening ») d’inspiration et en montrant son esprit de résistance. La France éternelle fera de son mieux pour parvenir à des résultats concrets en agissant ensemble (?) dans un esprit de réconciliation pour sauver la planète inspirée par Dieu tout puissant21. Tout ceci relève plus du dogme et de la liturgie que de la pratique diplomatique. Quelle solution les membres du G7 ont-ils apporté à la perspective de récession économique qui se profile ?22 Aucune.

À trop tirer sur la corde, elle finit par rompre. Et cela d’autant plus brutalement que l’on faisait semblant de ne pas voir, de ne pas comprendre l’ampleur du problème de l’inadéquation criante entre problèmes et solutions.

UN G7 INUTILE ET INEFFICACE

Au bout du compte, réussite sur le plan de la communication pure (la venue de l’Iranien sur la Côte basque)23, le G7 de Biarritz n’a pas pu faire de miracle comme cela était amplement prévisible dans le contexte actuel de tensions et de défiance. Il aura au moins servi à jouer le rôle de révélateur de son inutilité dans le climat actuel en raison de ses inconvénients majeurs et de son inefficacité par son essence même.

Un G7 inutile par ses inconvénients majeurs

Il est tellement certain que le G7 de Biarritz sera une rencontre inutile qu’on se passera cette fois d’un communiqué final. De toute manière, ils étaient longs, illisibles à tel point que personne ne prenait la peine et le temps de les lire. On se contentera de bouts de papier sur tel ou tel sujet extraits de leur contexte global et dans lesquels on couchera quelques formules creuses (il faut s’occuper du terrorisme en Afrique, il faut stopper le feu en Amazonie, il faut s’occuper d’une éventuelle taxations des GAFA et le reste est à l’avenant…). On les complète par une sorte de déclaration commune d’une page, sorte de catalogue des accords de principe (le concept de lutte contre les inégalités, objet du G7 ne figure pas dans ce document !) . Reliques des années 1970, ces sommets ne sont plus que de vulgaires opérations de communication à destination des opinions publiques et non des mécanismes destinés à produire de la confiance, du consensus et, en dernière analyse, des solutions efficaces à des problèmes structurels24. Comment s’accorder sur un cap, une vision alors que l’on n’est d’accord sur rien sauf sur ses désaccords parfois très profonds ? Certains ne veulent plus entendre parler de la mondialisation (Donald Trump qui sera mauvaise pour l’économie américaine) et d’autres la défendent encore (les Européens et leur commission européenne qui ne jurent que par les accords de libre-échange tels le CETA et le Mercosur dont Emmanuel Macron ne voudrait plus depuis les « mensonges » de son homologue brésilien). Le bad boy britannique ne jure plus que par l’appel du grand large et se rit des oukases du bidule bruxellois. S’il n’obtenait pas raison sur la question irlandaise, il menace de ne pas régler 30 milliards d’euros qu’il doit en cas de non-accord. Le G7 ne vit que par des coups médiatiques comme l’arrivée surprise à Biarritz du ministre iranien des Affaires étrangères qui rencontre son homologue français25. Coup de théâtre qui n’aura été, du moins à ce stade encore, qu’un coup d’épée de l’eau de l’Atlantique26. Le clergé médiatique ose parler d’un « coup de poker géopolitique ». Seul l’avenir nous le dira Faute d’accord sur la substance, on s’évertue à inventer d’hypothétiques pseudo-consensus sur des banalités ou à enfoncer des portes ouvertes que l’on sert aux perroquets à carte de presse pour nourrir leurs articles ou leurs reportages insipides pour celui qui a un minimum de connaissance des relations internationales. Inutile devient rapidement synonyme d’inefficace.

Un G7 inefficace par son essence même

Comme la soulignait à plusieurs reprises Emmanuel Macron, dans ses prises de position publiques, le G7 n’a jamais été une enceinte décisionnelle. Il le serait encore moins dans cette période de division profonde sur l’avenir du monde et de sa gouvernance. Tout au plus, peut-il se présenter comme une instance qui note les différences, enregistre les convergences et tente de lever les malentendus par la multiplication des rencontres, la poursuite du dialogue (avec la Russie par exemple) et non par le recours à la diplomatie de l’exclusion et de l’anathème ! Pour le reste, il se limite à de généreuses pétition de principe : accord sur un « objectif de reforestation de l’Amazonie » (quand ? par qui ? avec quels financements ?, sous quelles conditions ?…) ; sur « une pacification de la situation mondiale » (comment ? dans quel cadre ?, avec quel objectif ?, en invectivant publiquement le président brésilien démocratiquement élu à la veille du G7 ?27) ; sur deux objectifs sur l’Iran : le pays ne doit pas posséder l’arme nucléaire et nous ne devons pas contribuer à la déstabilisation de la région….28 Tout ceci est tellement vague que cela ne signifie plus rien en termes de solutions efficaces à des problèmes complexes et concrets. Il est clair qu’un G7 démonétisé et impuissant ne sauvera ni l’Amazonie, ni le climat29. En dépit d’images particulièrement bien choisies, le G7 de Biarritz tourne au dialogue de sourds. Il n’est que le reflet de la grave crise du multilatéralisme que traverse le monde du début du XXIe siècle30. Tant qu’une réflexion globale sérieuse sur la gouvernance du monde pour ce siècle ne sera pas lancée, il y a toutes les chances que toutes les organisations internationales continuent à tourner en rond et ne résolvent aucun des sérieux problèmes qui sont devant nous. Aujourd’hui, le temps de la diplomatie de connivence est révolu, y compris au sein G7. Nous sommes parvenus au temps de la diplomatie du désaccord permanent, de la désunion en dépit des « bobards » que nous servent les communicants de Jupiter sur le succès diplomatique de la farce de Biarritz. Il faut soit continuer à le déplorer, soit trouver des solutions créatives dans cette période de transition entre deux mondes. Où est la « stratégie de l’audace » qu’évoque Emmanuel Macron devant les ambassadeurs et les ambassadrices le 27 août 2019 ?

Emmanuel Macron dresse un bilan avantageux (de 30 minutes le 26 août 2019 à 20 heures sur Antenne 2) de son sommet « utile » qu’il s’agisse de l’Iran (acceptation sous condition par Donald Trump, qui fait le choix momentané de l’apaisement31, d’une rencontre avec son homologue Rohani32), des GAFA (accord de principe sur un mécanisme complexe de taxation des profits dont les modalités doivent être mises au point par les experts33), de l’Amazonie (charge contre le président brésilien et volte-face par rapport à ce qu’il nous disait il y a peu encore34, du commerce international (il faut changer l’organisation du commerce mondial, de l’Afrique ou du numérique. Tout ceci est bel et bien bon – cela aurait pu être pire – 35 mais fait l’impasse sur deux principes cardinaux de la diplomatie de l’ancien monde. La première est que dans une négociation tant que l’on n’est pas d’accord sur tout, on n’est d’accord sur rien. La seconde est que le diable est dans les détails. S’accorder sur des principes généraux et généreux ne signifie pas automatiquement que l’on soit d’accord sur leur mise en œuvre et cela d’autant plus que les enjeux sont importants et les questions particulièrement techniques en apparence. Pour faire court, ce n’est que dans plusieurs mois ou plusieurs années que nous pourrons juger objectivement du succès ou de l’échec du G7 de Biarritz. Pour ce qui nous concerne, nous restons particulièrement circonspects à la lumière du passé et de la difficulté du passage de la parole aux actes, du vouloir au pouvoir36. Vaste programme, une fois de plus. Emmanuel Macron apparaît, une fois de plus, comme un superbe illusionniste qui nous fait passer des vessies pour des lanternes. L’illusion que la rencontre de Biarritz a été un succès d’estime pour la diplomatie française. Ils sont si rares.

UN SOMMET EN TRUMP L’ŒIL37

« Il s’agissait d’un de ces ‘pétards diplomatiques’ qui font beaucoup de bruit, mais sont dépourvus d’efficacité » (Robert Schuman, 1964). L’Histoire ne serait-elle qu’un éternel recommencement ? Nous aurions tendance à le penser. Reprenons in extenso la conclusion de notre article précité consacré aux résultats du G7 de Charlevoix La Malbaie de juin 2018 :

Début de citation :

« Ce qui m’inquiète, est de voir que l’ordre mondial se retrouvé défié non par les suspects habituels, mais par son principal architecte et garant : les États-Unis » déclare, à la veille du G7, le président du Conseil européen, Donald Tusk. La rencontre de Charlevoix était utile si ce n’est indispensable pour mettre carte sur table plus d’un an après l’entrée en fonction de Donald Trump et la déclinaison concrète de son slogan de campagne « America First ». Désormais, les choses sont claires ! Les Américains n’ont que faire du prêchi-prêcha des Européens et autres Canadiens et Japonais (sur le climat, leur attitude est loin d’être exemplaire38). Ces derniers ne font-ils pas fausse route en défendant bec et ongles un multilatéralisme de façade, de carton-pâte plutôt que de le réinventer sur la base des réalités telles qu’elles sont et non pas telles qu’ils voudraient qu’elles soient ? Que devraient-ils faire ? Reconnaître cet état de fait, assumer le caractère désuet du G7, accepter sa disparition et défendre le seul multilatéralisme qui puisse être réellement multilatéral, à savoir des discussions et négociations au sein d’une ONU modernisée et démocratisée. Défendre le G7 et le néolibéralisme contre Trump, c’est défendre le siècle passé. À tout le moins, le G7 de Charlevoix marque la fin d’un monde. Quant au nouveau, il reste à inventer au moment où la Chine accueille le sommet de l’Organisation de Shangaï sur fond de rivalités régionales croissantes avec la participation du russe Vladimir Poutine et de l’iranien Hassan Rohani !39

Fin de citation

« Le réel, c’est quand on se cogne » (Jacques Lacan). Manifestement, les membres du G7 sont confrontés à la dure réalité du monde de ce début de XXIe siècle, y compris en France40. Et, elle est loin d’être réjouissante. Nous sommes les témoins d’une brutalisation, d’un ensauvagement des relations internationales, d’une remise en question d’un multilatéralisme d’un autre siècle inadapté aux défis et menaces de l’actuel. C’est ce que l’on appelle avoir un train de retard. Le moins que l’on soit autorisé à dire est que Biarritz, c’est Charlevoix en pire quoi qu’en disent les experts du temps médiatique !41 Le thème principal de la lutte contre les inégalités n’est ni traitée, ni abordé ! C’est plus de jeux (médiatiques) qu’en d’enjeux (stratégiques)42. Comment pouvait-il en être autrement ?43 Cela promet pour la suite… si tout change pour que rien ne change et si l’on sait que le prochain sommet du G7 aura lieu aux États-Unis, peut-être en Floride44. Quelques lendemains qui déchantent…

Guillaume Berlat
2 septembre 2019

1 Guillaume Berlat, G7 de Charlevoix, la fin d’un monde !, www.prochetmoyen-orient.ch , 11 juin 2018.
2 Jean-Paul Pancracio, Un G7 à la plage, www.observatoire-de-la-diplomatie.com , 20 août 2019.
3 Gilles Paris, La guerre commerciale s’envenime entre la Chine et les États-Unis, Le Monde, 25-26 août 2019, p. 9.
4 Maëlle Benisty, Les marchés d’inquiètent d’une récession, Ouest-France, 23 août 2019, p. 3.
5 Éditorial, L’Amazonie, bien commun universel, Le Monde, 25-26 août 2019, p. 26.
6 Incendies : l’Amazonie paie la politique de Bolsanoro. Joute entre Bolsonaro et Macron, Le Monde, 24 août 2019, p. 7.
7 Florence de Chanoy/Frédéric Lemâitre, Hongkong, la fin d’une exception chinoise ?, Hongkong, un territoire sous pression, Le Monde, Géopolitique, 25-26 août 2019, pp. 12-13-14.
8 Marie Jégo, L’alliance russo-turque fragilisée par l’offensive syrienne à Idlib, Le Monde, 25-26 août 2019.
9 Laurent Marchand, G7, le club des Occidentaux pèse-t-il encore ?, Ouest-France, 23 août 2019, p. 2.
10 Léa Sanchez, Un sommet sous haute protection, Le Monde, 24 août 2019, p. 5.
11 Christophe Gueugneau/Elisa Perrigueur, Des milliers de manifestants dénoncent la « mascarade » du G7, malgré un lourd dispositif de sécurité, www.mediapart.fr , 25 août 2019.
12 Rémi Barroux/Cédric Pietralunga, Les associations font monter la pression avant l’ouverture du sommet, Le Monde, 25-26 août 2019.
13 Raphaëlle Bacqué, À Biarritz, un phare pour dîner, un palace pour dormir, Le Monde, 25-26 août 2019, p. 11.
14 Marie Charrel, Les banquiers centraux dans le brouillard, Le Monde, 25-26 août 2019, p. 9.
15 Anne-Sophie Mercier, Groenland. État de glace, Le Canard enchaîné, 28 août 2019, p. 7.
16 Harold Thibault, À Chantilly, Macron soigne sa relation stratégique avec l’Inde, Le Monde, 24 août 2019, p. 6.
17 Cécile Ducourtieux, Boris Johnson prudent malgré les promesses de Donald Trump, Le Monde, 27 août 2019, p. 2.
18 Marina Rafenberg, Mitsotakis cherche des alliés pour desserrer l’étau sur la Grèce, Le Monde, 24 août 2019, p. 6.
19 Fabrice Nodé-Langlois, Premier rendez-vous pour « Boris » et « Donald » en vue d’un accord fantastique, Le Figaro, 26 août 2019, p. 2.
20 Marie Cécile Naves, « Le genre demeure trop peu mobilisé en géopolitique », Le Monde, 24 août 2019, p. 24.
21 Gaïdz Minassian (propos recueillis par), Ghassan Salamé : « La réconciliation n’est pas un fait mais un processus », Le Monde, 24 août 2019, p. 20.
22 Geoffroy Roux de Bézieux, « Nous ne sommes pas à l’abri d’une récession », Le Monde, 28 août 2019, p. 7.
23 Marc Semo, Iran, taxe GAFA : les avancées du G7 de Biarritz. Macron amadoue Trump et réussit son G7, Le Monde, 28 août 2019, pp. 1-2-3.
24 Romaric Godin, Le G7, opération de communication et usine Potemkine de la coopération internationale, www.prochetmoyen-orient.ch , 23 août 2019.
25 Isabelle Lasserre, Au G7, Macron tente une percée diplomatique sur l’Iran. Macron impose l’Iran au menu du G7, Le Figaro, 26 août 2019, pp. 1-2-3.
26 Patrick Saint-Paul, Derrière la façade, Le Figaro, 26 août 2019, p. 1.
27 Bruno Meyerfeld/Marc Semo, Macron et Bolsonaro, la bataille de l’Amazonie, Le Monde, 25-26 août 2019, p. 2.
28 Alain Frachon, Diplomatie sur la côte des Basques, Le Monde, 30 août 2019, p. 26.
29 Maxime Combes, Non, M. Macron, un G7 démonétisé et impuissant, ne sauvera ni l’Amazonie, ni le climat, Blog : sortons de l’âge des fossiles !, www.mediapart.fr , 24 août 2019.
30 Gilles Paris, La cohésion des sommets internationaux à l’épreuve de Donald Trump, Le Monde, 24 août 2019, p. 3.
31 Gilles Paris, Isolé, le président américain fait le choix de l’apaisement, Le Monde, 28 août 2019, p. 3.
32 Thomas Cantaloube, L’Iran au G7 : un coup d’épée dans l’eau ? www.mediapart.fr , 27 août 2019.
33 Romaric Godin, Au G7 de Biarritz, un vrai-faux succès sur la taxe numérique, www.mediapart.fr , 27 août 2019.
34 Amélie Poinsot, Pendant que l’Amazonie brûle, des volte-face en trompe-l’œil.au G7 de Biarritz, www.mediapart.fr , 25 août 2019.
35 Cédric Pietralunga/Marc Semo, Au G7, Emmanuel Macron mise sur le volontarisme diplomatique. Au G7, Macron impose sa médiation sur l’Iran, Le Monde, 27 août 2019, pp. 1-2-3.
36 Éditorial, L’audace, comme levier diplomatique, Le Monde, 27 août 2019, p. 24.
37 Amorce du dialogue Iran-USA, accord sur les GAFA, etc… Vraies avancées ou succès en Trump-l’œil, Le Canard enchaîné, 28 août 2019, p. 1.
38 Clémence Dubois/Anne-Céline Guyon, Macron et Trudeau, unis par leur faible engagement pour la planète, Le Monde, 10-11 juin 2018, p. 23.
39 Brice Pedroletti, La Chine accueille le sommet de l’Organisation du sommet de Shangaï sur fond de rivalités régionales, www.lemonde.fr , 9 juin 2018.
40 Cédric Pietralunga, La rentrée tous terrains d’Emmanuel Macron, Le Monde, 28 août 2019, p. 6.
41 Macron (provisoirement) sur le toit du monde, Le Canard enchaîné, 28 août 2019, p. 2.
42 Eric Martin, Three initials lessons from the G7 Summit in Biarritz, https://www.cfr.org/councilofcouncils/global_memos/p39206 dans Global perspectives : G7 Leaders’ Summit, 27 août 2019.
43 Ellen Salvi, Macron après le G7 de Biarritz : derrière la com’, le statu quo, www.mediapart.fr , 27 août 2019.
44 D.F., Le prochain G7 sera piquant, Le Canard enchaîné, 28 août 2019, p. 1.

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Source : Proche & Moyen-Orient, Guillaume Berlat, 02-09-2019

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Commentaire recommandé

M.Smith // 18.09.2019 à 06h13

Macron en pourfendeur du capitalisme, défenseur de l’écologie et chantre de la lutte contre les inégalités ! Quel sera la prochaine étape ? Macron va-t-il appeler au renversement de Macron ?

6 réactions et commentaires

  • M.Smith // 18.09.2019 à 05h57

    G7 jeux médiatiques sans enjeux stratégiques, certes, mais le pire c’est le hors jeu de la pensée.

    La cohérence de la pensée est garantie par des règles de fonctionnement comme le tiers exclu et la non contradiction. Macron et ses semblables, les communiquants, sapent les fondements de la raison, en disant tout et n’importe quoi. Et non seulement en agissant au rebour de ses propos.
    Quand on ne peut plus se fier à la parole d’un homme politique, ou d’un monde politique, et pas non plus à sa raison on approche d’un gouffre dangereux. La civilisation se différencie de la sauvagerie par des interdits comme le meurtre et l’inceste (ou plus généralement la pédocriminalité) mais aussi par des règles logiques communes. La transgression de ces règles par les pseudo élites est dangereuse, comme le dit le proverbe le poisson pourrit par la tête.
    On ne joue pas impunément et systématiquement hors jeu en se jouant du sens des mots. La logique et l’éthique ne sont pas optionnels mais indispensables à la civilisation.

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  • M.Smith // 18.09.2019 à 06h13

    Macron en pourfendeur du capitalisme, défenseur de l’écologie et chantre de la lutte contre les inégalités ! Quel sera la prochaine étape ? Macron va-t-il appeler au renversement de Macron ?

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    • Matt // 18.09.2019 à 12h08

      Nan, prochaine étape : taper sur les immigrés pour faire oublier la grogne sociale 🙂

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  • Jean-Pierre Georges-Pichot // 18.09.2019 à 10h03

    Discuter du contenu, même pour dire qu’il est nul, c’est tomber dans le piège et passer à côté du sujet. A Biarritz les moyens ont pris le pas sur la fin, et c’est eux qu’il faut considérer. Le déploiement sécuritaire sur la côte basque est le fait significatif. Il s’agit d’un exercice opérationnel par lequel le pouvoir teste et perfectionne son appareil défensif. Les classes dirigeantes anticipent des tempêtes sociales et sécuritaires, et s’y préparent, c’est à dire organisent leur propre mise à l’abri dans des enclaves protégées. Elles identifient des zones défendables, sélectionnent des méthodes et évaluent des moyens propres au contrôle de l’espace et à la mise à distance des populations. Il faut mesurer l’ampleur de la démonstration. Un espace urbain de cinquante kilomètres de long et trente de profondeur sous état de siège, 17000 hommes déployés, omniprésents. Côté espagnol, des contrôles provoquant des embouteillages de plusieurs heures sur les routes. Biarritz et Bayonne désertes en pleine saison estivale : et pas un geste de révolte de la part de la population, littéralement submergée par la mobilisation militaire et comme disparue. Que cela soit possible est la leçon essentielle du sommet de Biarritz. Quant aux parlottes dans les salons du casino de la plage, Merkel, Trump et compagnie auraient tout aussi bien pu envoyer des sosies. C’est peut-être ce qu’ils ont fait. Seul Macron est probablement venu en personne parce qu’il jouit de s’écouter parler quel que soit le public.

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  • Bienvenu sur la dune // 18.09.2019 à 11h02

    Je rejoins l’analyse de JP GP, en étant sur place le déploiement du « barnum » a commencé une dizaine de jours avant le raout… Ces comportements qui s’opèrent vont suivre ce que l’on découvre outre Atlantique et un état du MO depuis une trentaine d’années dans les « condominiums », on dresse des murs! Provoquer la population n’apporte pas le respect.

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  • Matt // 18.09.2019 à 11h54

    Merci pour la diffusion de cet article complet qui met bien en perspective les enjeux de cette réunion du G7.

    J’ajouterais un éclairage apporté par Eric Dénécé sur la chaîne Thinkerview (https://www.youtube.com/watch?v=mx5QlspmmE8) à propos du « réchauffement diplomatique » amorcé avec l’Iran et surtout la Russie. Selon lui, loin d’être une initiative marconnienne, il s’agirait d’une manœuvre de Trump.

    Empêtré dans son « russiagate » et placé sur une pente savonneuse vis à vis de l’Iran, Trump aurait mandaté Macron pour ouvrir des portes et se diriger vers un rapprochement / une détente avec Poutine. Quoiqu’il en soit, il semble peu probable que Macron soit capable / en capacité de prendre des initiatives.

    On serait donc assez loin du roman macronien complaisamment relayé par la presse et certains politiciens un peu naïfs qui prennent leurs rêves pour une réalité (exemple : https://www.marianne.net/politique/en-dialoguant-avec-la-russie-emmanuel-macron-mene-une-politique-digne-de-la-france)

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