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Juste des ombres : le nouvel ouvrage d’Éric Juillot

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Le nouveau livre de notre collaborateur Éric Juillot vient de paraître.

Avec Juste des ombres (éd. Sabot Rouge), l’auteur retrace le parcours de cinq combattants anonymes de la Grande Guerre ; cinq poilus « morts pour la France » qu’il a souhaité tirer de l’oubli pour rendre compte, à travers eux, du destin tragique de leur trop nombreux semblables, et pour interroger le lien qui nous unit à eux : l’artilleur Jules Calvet, le lieutenant Maurice Roy, le sergent Pierre Carbonel, le tirailleur Mamadou Darémé et le caporal Arsène Hut. Tous sont enterrés dans le cimetière militaire d’Épinal.

Vous pouvez vous procurer le livre ICI ou chez votre libraire habituel.

Extrait :

Lieutenant Maurice Roy, 30ème Bataillon de Chasseurs à pied :

« […] À partir du 2 septembre, les Allemands recherchent clairement le contact, […]. Le 30e bataillon renoue alors avec le combat, en subissant plusieurs attaques frontales de l’infanterie ennemie. Ce sont les 4e et 5e compagnies installées au col des Bagenelles, un peu au nord du Bonhomme, qui encaissent le choc. Le combat s’engage à 13 h 45, lorsque les Allemands tombent sur les positions françaises et tentent de s’en emparer en les prenant d’assaut brusquement, sans préparation d’artillerie.

Les chasseurs gagnent sous le feu ennemi leurs emplacements de combat dans les tranchées creusées au cours des jours précédents. Ils disposent heureusement de l’appui d’un canon de leur batterie, qui entre en action promptement en tirant à pleine cadence sur les formations ennemies. Très vite, les sections placées en réserve, légèrement en retrait du col, reçoivent l’ordre de le gagner à vive allure et de prendre position sur la gauche du dispositif français, pour tenter de déborder l’ennemi fixé par les autres sections. C’est en exécutant ce mouvement que le lieutenant Roy, arrivé au contact de l’ennemi, trouve la mort à la tête de ses hommes. Il est 14 h 30 lorsqu’il s’écroule, frappé par une balle allemande. Le sous-officier au grade le plus élevé prend immédiatement le commandement de la section et l’attaque allemande est rapidement enrayée. Une seconde attaque à 15 h 15 est également repoussée.

Pendant plusieurs heures, les Allemands continuent cependant à se manifester en tirant, sans grande efficacité, sur la ligne française depuis une position lointaine. Le combat cesse aux environs de 18 h 30. Les hommes du lieutenant Roy peuvent alors ramener dans leurs lignes le corps de leur chef, devant lequel ils se recueillent une dernière fois avant que certains d’entre eux ne le descendent dans la vallée.

Maurice Roy, officier d’active comptant huit années de service, aura connu trois semaines de guerre au cours desquelles il aura participé en première ligne à deux combats importants (Sattel et Gunsbach) avant d’être tué par l’ennemi au début du troisième. Peut-être a-t-il pris plus de risques que nécessaire ce jour-là, incité à l’audace par les succès précédents ? Le volume de l’ennemi se limitait à deux compagnies, sans mitrailleuses ni canon. Peut-être a-t-il tout simplement manqué de chance, mais ce début de guerre est si meurtrier pour toutes les troupes engagées que, d’un simple point de vue statistique, les chances de survie d’un fantassin en 1914 et 1915 sont très minces.

Le feu est si violent que l’expérience accumulée au fil des combats ne peut suffire à s’en prémunir durablement. La guerre broie les hommes en nombre, mois après mois, indépendamment de leur courage et de leur intelligence. La mort frappe en masse, implacable, et chaque combat auquel un soldat survit accroît la probabilité qu’il meure au combat suivant. La mort s’acharne particulièrement sur les lieutenants et les capitaines, ces officiers subalternes qui vivent le combat aux côtés de leurs hommes et dont on attend un comportement au feu exemplaire, sinon héroïque.

Le lieutenant Roy est le second officier tué du bataillon. Quatre autres mourront au cours du mois de septembre, dont le capitaine Bonelle qui commandait la 5ecompagnie. À l’échelle de la guerre, 33 % des officiers d’infanterie vont mourir au combat. Aucune autre partie de l’armée française n’endurera proportionnellement de telles pertes. Après la disparition rapide d’un grand nombre de jeunes officiers d’active, c’est aux officiers de réserve qu’il appartiendra souvent de commander directement les troupes en première ligne.

Le lieutenant Roy est donc l’un des innombrables officiers tués au cours ce conflit gigantesque, si long qu’il n’avait à peu près aucune chance d’en voir le terme. Si, à l’inverse, le lieutenant de Gaulle, qui participe au conflit dès le mois d’août 1914, y survit, c’est probablement parce qu’il est capturé en juillet 1916 à Verdun après avoir reçu un coup de baïonnette dans la cuisse. Aurait-il survécu deux années de plus aux combats qu’il aurait eu à livrer ?

Maurice Roy est le 70e tué du bataillon, qui compte par ailleurs, au soir du 2 septembre, 186 blessés et 24 disparus. Ces pertes, très élevées après quelques jours de combat, auraient pu être plus lourdes encore. La maîtrise tactique des cadres a permis de le limiter. Le commandant du bataillon en particulier a toujours agi en sûreté et avec méthode, combinant efficacement le feu et la manœuvre. Il se distingue en cela de nombreux chefs de corps qui envoient inconsidérément leurs hommes à la mort en ce début de conflit, dans des attaques mal préparées et sans souci des appuis.

En 1915, cependant, le bataillon participera à des combats d’une telle violence que sa maîtrise tactique ne lui suffira pas. Au cours de la bataille du Linge, au sommet des Vosges, il sera presque entièrement anéanti.

À l’issue du conflit, le 30e BCP, devenu 30e BCA (bataillon de chasseurs alpins) aura perdu 1 307 chasseurs, tués et disparus, auxquels s’ajouteront un nombre de blessés au moins deux fois supérieur.

Les parents de Maurice Roy étaient encore en vie en 1914. Ils ont donc eu la douleur de perdre leur fils. Quatre années plus tard, cependant, la victoire de la France les a peut-être aidés à supporter cette perte en lui donnant un sens, en la justifiant au regard de la morale militaire et patriotique. À moins que, bouleversés par l’immensité des sacrifices consentis par des millions de familles, ils aient fini par douter finalement que tout cela eût un sens. »

Commentaire recommandé

Obscur // 01.10.2021 à 14h02

La guerre est le fait de gens qui ne se connaissent pas et s’entre-tuent au profit de gens qui se connaissent et ne s’entre-tuent pas.

15 réactions et commentaires

  • SanKuKaï // 01.10.2021 à 08h37

    Une petite pensée pour les nombreux jeunes hommes et pères de famille allemands que ces vaillants soldats ont assassinés. Leurs familles n’ont même pas eu la victoire pour donner un peu de sens á leur mort.
    Les véritables héros sont ceux qui ont eu le courage de s’opposer et de refuser de tirer des 2 côtés du front. À l’époque, Ils ont été fusillés pour l’exemple. La fin de cet article démontre que c’était bien eux les exemples.

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    • Hamourabi // 01.10.2021 à 09h06

      Bonjour, Soleil £evant,

      « Assassiné » des envahisseurs déchaînés… C’est là le vocabulaire d’une révélation essentielle qui insuffle un sens moral inégalé depuis longtemps, n’est-il pas ?

      Et pour vous Maxime Blasco était peur-être un des plus ƒéroces, dangereux criminels…………

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      • Fernet Branca // 01.10.2021 à 21h56

        Maxime Blasco un envahisseur pour beaucoup de Maliens, comme les soldats et mercenaires US l’étaient en Afghanistan et en Irak.
        Mais les soldats allemands étaient bien des envahisseurs

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        • Hamourabi // 02.10.2021 à 01h00

          Bonsoir, en effet, mais à votre avis, « beaucoup », cela représente combien ?
          Si vraiment trop de Maliens sont révulsés par notre intervention, il ƒaudra évidemment partir sans discutailler sur l’opportunité ((à nos yeux)) de notre engagement.

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      • SanKuKaï // 01.10.2021 à 22h11

        “Assassinat (Nom masculin): Action d’assassiner, c’est à dire de tuer une personne avec préméditation, de manière intentionnelle.”
        Maxime Blasco était tireur d’élite. Si les mots ont encore un sens, “assassiner” était son métier. Il n’y a aucune morale à déduire, c’est juste un fait.

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        • Hamourabi // 02.10.2021 à 00h55

          Parƒaitement, les massacres continuels de civils, les enlèvements massiƒs d’enƒants dans les écoles et autres actes de bravoure apparentés ne sont évidemment que de la £égitime Déƒense, selon votre belle sagesse orientale.
          En conséquence de quoi, il est sûr que vous laisserez joyeusement des cambrioleurs trucider VOS enƒants A VOUS sans protester, pour ne pas désobliger les intrus qui ont déjà tant d’ennuis……

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          • SanKuKaï // 02.10.2021 à 07h50

            “La violence en politique, sa légitimité et sa justesse, s’évaluent à sa cause.” (J’emprunte le propos à F.Begaudeau). Or il n’y a pas d’acte beaucoup plus violent qu’un assassinat (quelle qu’en soit la motivation).
            Vos exemples vous paraissent justes, parce la cause est juste (ie: défendre la veule, l’orphelin et vos/nos enfants) mais l’acte en lui même reste un assassinat.
            Exemple: Jean Moulin organisait des assassinats de soldats Allemands. C’était bien un assassin et il était d’ailleurs considéré comme un terroriste par le gouvernement Français de l’époque qui ne considérait pas sa cause (libérer la France) comme juste.
            Vous me sortez la propagande habituelle des militaires. On la voit beaucoup sur les forums Américains même parmi leur population.
            Ils sont persuadés de s’engager pour défendre leurs familles et enfants.
            Or le fait de faire croire aux militaires qu’ils se battent pour “le bien”, ou pour une cause juste et noble me paraît normal. Et réfléchir n’est pas ce qu’on leur demande, en opération cela pourrait être fatal. Ils doivent obéir, être le prolongement de leur arme, leur esprit tourné vers l’exécution de leur tâche. Dans la réalité, la vie des enfants Maliens ou des sans dents Français est tout en bas de la liste des raisons pour lesquelles ils risquent leur vie. Je pense qu’implicitement beaucoup de militaires le savent mais qu’ils doivent mettre ça de côté dans leur esprit pour ne pas devenir fous.

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      • VVR // 03.10.2021 à 12h35

        En guise d’envahisseur déchainés, le seul objectif de guerre coté Allemands était de faire sortir la France de la guerre le plus vite possible afin de faire face aux russes en force avant que ceux ci n’aient eut le temps de finir leur mobilisation. La patrie n’a jamais été en danger.

        L’invasion de la Belgique n’était qu’un moyen, moyen également envisagé par la France d’ailleurs, même si cette voie était bloquée par la non-collaboration du gouvernement Belge et l’opposition du Royaume-Unis à une attaque contre la Belgique.

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  • Araok // 01.10.2021 à 09h31

    La guerre est une chose sérieuse, parfois mêlée de réels dangers. Les silences du colonel Bramble

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  • RGT // 01.10.2021 à 09h56

    La guerre, cette « sublimation du courage humain » pour laquelle un grand nombre de « héros » ont donné leur vie…

    Comme le disait Jacques Prévert : « La guerre serait un bienfait des dieux si elle ne tuait que les professionnels. »

    J’ajouterais aussi et surtout tous ceux qui imposent par leur avidité (politiques et profiteurs) aux simples gueux d’aller se faire massacrer pour des raisons mensongères, même encore aujourd’hui.

    Je rêve du jour béni ou les guerres entraînant le massacre de nombreux « moins que rien » embrigadés par leurs « élites » soient remplacées par des combats à mains nues dans lesquels, enfermés dans une arène, les « décideurs » s’affrontent jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un qui serait désigné vainqueur.

    Et bien sûr les « gueux » auraient légalement le droit de parier pour celui qu’ils préfèrent, même s’il est « l’ennemi ».

    Au moins les populations auraient enfin la paix et les « élites » jusqu’à présent bien planquées dans leurs bunkers à l’abri de tout risque devraient enfin payer de leur propre sang le prix de leurs forfaits.

    Mais bon, il ne faut pas rêver, ce jour béni des dieux n’est pas près d’arriver…
    Imaginez seulement notre chétif « Zupiter » ne serait-ce que combattant face à Angela Merkel…

    Une bonne fessée et il déclarerait forfait avant d’aller se précipiter sous les jupons de « maman » pour se faire consoler.

    La « grande guerre » n’a au final profité qu’aux « marchandes de canons » qui ont amassé des fortunes colossales des deux côtés…

    Et dans les conflits actuels rien n’a changé…

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    • Obscur // 01.10.2021 à 14h02

      La guerre est le fait de gens qui ne se connaissent pas et s’entre-tuent au profit de gens qui se connaissent et ne s’entre-tuent pas.

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      • Vercoquin // 02.10.2021 à 01h21

        Paul Valéry
        (Dans un soucis de qualité, merci d’étoffer un peu votre idée, votre commentaire semble bien court..)
        Je rajoute la réaction du site pour faire plus long.

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        • Gaspard des Montagnes // 02.10.2021 à 06h10

          Obscur a dit l’essentiel, des articles récents sur ce blog nous le confirment encore :
          Biden vient de relancer les commandes de matériels de guerre par centaine de milliards, juste quand le retrait afghan se termine.
          Il faut donner à manger au Moloch ! les américains se sont trouvés un nouvel ennemi (la Chine) et entrent dans une course à l’armement sur fond de ce qu’il convient d’appeler une nouvelle guerre froide.
          Notre chance (et notre risque) est l’arme nucléaire qui rend la guerre impossible, car fatale pour la civilisation (marchands d’armements compris !). Reste à trouver un proxi pour qu’il se batte pour les américains, pas gagné coté Chine, reste la Russie avec l’Ukraine, mais bon Poutine est trop malin pour lancer une guerre ouverte, il utilise son propre proxi le Donbass contre les ukrainiens, et le pays s’écroule progressivement. Ils n’auront qu’à retourner la population au bout du désastre économique.

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  • Orhan // 01.10.2021 à 23h15

    En parallèle revoir La Vie et Rien d’Autre de Travernier avec Philippe Noiret, qui retrace (en mode fiction) la quête d’un soldat mort pour être enterré sous l’arc de triomphe et devenir le fameux soldat inconnu.
    Soldat inconnu donc, pratique façon de célébrer les morts de la 1ere guerre mondiale sans connaître l’histoire justement de cet inconnu…cela évite sûrement les remords de savoir qui était cet homme envoyé se faire massacrer au front. La mythologie républicaine est parfois des plus sordides.

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