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L’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) : comment investir dans la sécurité sanitaire de nos concitoyens ?

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Source : Sénat, 19-03-2020

II. DES STOCKS STRATÉGIQUES MOINS IMPORTANTS MAIS GÉRÉS DE FAÇON PLUS FIABLE

A. LA POLITIQUE GOUVERNEMENTALE DE DIMINUTION DES STOCKS STRATÉGIQUES

1. Des besoins évalués au niveau interministériel mais une décision demeurant une prérogative du ministre chargé de la santé

Les stocks nationaux de produits de santé nécessaires pour répondre aux situations sanitaires exceptionnelles – dits « stratégiques » – sont évalués, en premier lieu, dans le cadre des plans gouvernementaux de défense et de sécurité, élaborés sous l’égide du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), placé auprès du Premier ministre. Ces plans sont ensuite déclinés en scénarios de réponse, en fonction des différents types de risques :

– pour les menaces terroristes et les risques d’accidents d’origine nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC), la gestion des stocks stratégiques est déterminée en fonction des menaces, des valeurs cibles de stocks à atteindre et de la répartition des moyens prévus par le contrat général interministériel (CGI), introduit par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 et piloté par le SGDSN. Plus spécifiquement, en cas d’accident nucléaire, le plan national de réponse en cas d’accident nucléaire ou radiologique majeur de février 2014 prévoit le maintien d’un stock de comprimés d’iode couvrant la totalité de la population (soit 130 millions de comprimés) ;

– s’agissant des risques infectieux, comme par exemple le risque de pandémie grippale ou d’épidémie de virus Ebola, les besoins sont évalués par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), constitué de personnalités qualifiées et de directeurs généraux du ministère chargé de la santé, à partir des modèles de propagation de maladie développés par l’InVS. Par exemple, dans le cadre du plan national de prévention et de lutte « pandémie grippale », élaboré en 2011, les objectifs de couverture de la population sont de l’ordre de 20 % à 30 % pour les antiviraux tandis que 13 millions de personnes auraient un accès prioritaire à la vaccination. Concernant les populations cibles à atteindre pour les masques, la doctrine gouvernementale est en cours de redéfinition. Toutefois, une nouvelle doctrine du SGDSN a d’ores et déjà établi que le stock national géré par l’EPRUS concernerait désormais uniquement les masques de protection chirurgicaux à l’attention des personnes malades et de leurs contacts, tandis que la constitution de stocks de masques de protection des personnels de santé (notamment les masques FFP2 pour certains actes à risques) étaient désormais à la charge des employeurs.

Par ailleurs, la DGS peut saisir l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) concernant le choix de certains produits (disponibilité, qualité, efficacité et sécurité).

La distinction entre « stocks stratégiques » et « stocks tactiques »

L’instruction ministérielle du 2 novembre 2011 relative à la préparation de la réponse aux situations exceptionnelles dans le domaine de la santé a établi une distinction entre deux types de stocks de produits de santé :

– les stocks dits « stratégiques » sont détenus et gérés au niveau national par l’EPRUS, à partir de ses différentes plateformes. Succédant au « stock national santé » créé à partir de 2001, les stocks stratégiques comprennent à la fois des médicaments (antiviraux, antidotes, vaccins, pastilles d’iode…), des dispositifs médicaux (masques chirurgicaux, aiguilles…), des équipements de protection individuelle (masques, combinaisons…), du petit matériel stocké dans le cadre du plan variole et enfin des consommables (blouses, draps d’examen). Ces stocks doivent permettre à l’État de maintenir une capacité d’intervention pour répondre à des menaces épidémiques ou terroristes, en renfort des moyens conventionnels et tactiques ;

– les moyens dits « tactiques » sont des produits et des équipements situés dans les établissements de santé sièges de service d’aide médicale urgente (SAMU) ou de structure mobile d’urgence et de réanimation (SMUR). Ces stocks doivent permettre d’assurer une réponse précoce dans l’attente de la mobilisation, le cas échéant, des stocks stratégiques. Certains de ces équipements, notamment les postes sanitaires mobiles de deuxième génération (PSM 2) ont une vocation interrégionale ou zonale et peuvent intervenir en complément des moyens de première ligne déployés par les établissements de santé. L’acquisition des stocks tactiques estprise en charge par les établissements de santé et financée par des crédits relevant de leurs missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC).

Si les objectifs de population à couvrir pour répondre aux différents risques identifiés sont établis dans un cadre interministériel et avec le recours à une expertise extérieure (du HCSP ou de l’InVS), in fine, la décision d’acquisition ou de renouvellement des stocks stratégiques appartient exclusivement au ministre chargé de la santé. Comme indiqué précédemment, l’article L. 3135-1 du code de la santé publique prévoit que seul le ministre chargé de la santé peut demander à l’EPRUS d’acquérir ou de renouveler des stocks.

Cette prérogative exclusive du ministre est largement compréhensible, dans un domaine régalien tel que la réponse aux situations sanitaires exceptionnelles. Néanmoins, l’EPRUS, ayant accumulé une certaine expérience, il ne peut plus être considéré comme un simple exécutant.

Recommandation n° 4 : afin de tirer parti de l’expertise développée par l’EPRUS et de son rapprochement avec l’InVS, prévoir la possibilité pour la future agence nationale de santé publique de transmettre au ministre chargé de la santé des propositions en matière d’acquisition et de renouvellement des stocks stratégiques.

2. La forte diminution des stocks depuis 2010

S’agissant des stocks stratégiques détenus et gérés par l’EPRUS, la première évolution notable, depuis la mission de contrôle effectuée en 2009, est la baisse significative de la quantité et de la valeur des stocks. La composition et la répartition de ces stocks constituant des données sensibles, votre rapporteur spécial se limitera à une analyse générale de l’évolution de la valeur des stocks.

Comme l’illustre le graphique ci-après, la valeur des stocks est passée d’un maximum de 992 millions d’euros à la fin de l’année 2010 à472 millions d’euros fin 201415(*). Au 19 mars 2015, elle s’élevait à 416 millions d’euros.

La valeur des stocks ne devrait pas connaître de hausse significative dans les prochaines années. En effet, selon les informations transmises à votre rapporteur spécial, les besoins en produits de santé sont estimés par l’EPRUS et la DGS à 33 millions d’euros par an sur la période 2016-2018.

Évolution de la valeur des stocks stratégiques détenus par l’EPRUS

(valeur au 31 décembre de chaque année, en millions d’euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données transmises par l’EPRUS)

Cette évolution s’explique par une inflexion de la politique de constitution et de renouvellement des stocks mise en oeuvre par le ministre chargé de la santé, sur le fondement de la doctrine développée par le SGDSN et les avis du HCSP.

D’une part, il a été décidé de ne pas renouveler certains stocks arrivant à péremption, par exemple, en raison de la plus grande disponibilité de certains produits et de leur commercialisation en officine de ville ou du transfert de la responsabilité de constituer certains stocks vers d’autres acteurs (par exemple, les établissements de santé et les établissements médico-sociaux pour les masques de protection FFP2 de leurs personnels).

D’autre part, le ministre chargé de la santé a décidé de développer une nouvelle modalité d’acquisition : la réservation de capacités de production et d’acquisition auprès de laboratoires. Cet outil, aussi appelé « sleeping contract » va prochainement être utilisé pour des vaccins contre une grippe de type pandémique. Un avis de marché public a ainsi été publié par l’EPRUS le 8 août 2014 concernant « une tranche ferme constituée de la réservation de capacités de production de 5 millions d’euros de doses de vaccins pandémiques (et) une tranche conditionnelle permettant, en cas de déclaration d’une pandémie avérée, la production et la livraison de doses vaccinales »16(*). La conclusion de ce marché a toutefois pris du retard en raison du caractère infructueux de la première consultation.

La réservation de capacités de production offrirait, en principe, une situation optimale, en particulier pour les produits peu stables ou pour lesquels la souche de virus n’est pas encore identifiée, comme les vaccins contre une pandémie grippale. Du point de vue des finances publiques, elle permettrait également de réaliser des économies considérables en termes de coût d’achat, de stockage et, in fine, de destruction17(*). Elle comporte toutefois certaines difficultés liées aux priorités propres des laboratoires pharmaceutiques et à l’évaluation de leur capacité de production dans des délais très courts, dans un contexte où les ruptures d’approvisionnement en matières premières sont de plus en plus fréquentes. De l’avis de l’ensemble des personnes entendues par votre rapporteur spécial, la réservation de capacités de production ne peut constituer une solution unique pour prévenir les situations sanitaires exceptionnelles.

Compte tenu de l’intérêt de cette piste, votre rapporteur spécial suivra néanmoins avec attention les résultats de l’appel d’offres de réservation de vaccins pandémiques et souhaite encourager le développement de cet outil.

Recommandation n° 5 : afin de réduire les coûts d’acquisition et de stockage, poursuivre le développement de la réservation de capacités de production de produits de santé, tout en maintenant des stocks physiques pour les produits stables et, en particulier, pour les comprimés d’iode.

3. Les efforts de lissage des acquisitions et la nécessité de développer les achats groupés

Depuis 2011, l’EPRUS a entrepris de « lisser » dans le temps ses acquisitions de produits de santé afin de s’assurer de la disponibilité de stocks à tout moment et d’éviter les variations trop importantes de son budget. Avant cette date, les stocks étaient en effet généralement acquis en une seule foi, entraînant par conséquent l’arrivée à péremption simultanée des stocks détenus. C’est notamment ce qui est advenu des stocks acquis en 2009 lors de la pandémie grippale.

Tirant les leçons de cette expérience, et conformément à l’une des orientations du contrat d’objectifs et de performance 2011-2013, l’établissement élabore désormais un programme d’achats pluriannuel des stocks stratégiques, qui a pour objet d’étaler l’acquisition d’un stock cible sur une durée correspondant à la durée de validité indiquée par le fabricant. Par exemple, un cinquième du stock est renouvelé chaque année si le produit a une durée de validité de cinq ans. De plus, les marchés d’approvisionnement comportent une clause spécifiant que la date de péremption des produits livrés doit au minimum être égale aux deux tiers de leur durée de validité totale.

Cette procédure apparaît satisfaisante pour garantir la continuité des stocks stratégiques et leur disponibilité, mais ses résultats sont plus mitigés du point de vue budgétaire. En effet, le rythme de consommation des dotations reste irrégulier et des écarts subsistent entre la prévision budgétaire initiale et l’exécution (cf. graphique supra). Ces sous-exécutions ou sur-exécutions ne sont toutefois généralement pas directement imputables à l’EPRUS. Par exemple, en 2014, la sous-exécution de 30 millions d’euros des dépenses résulte pour l’essentiel de l’échec de la consultation en vue de la conclusion d’un marché de réservation de vaccins pandémiques.

Une nouvelle étape consisterait par ailleurs à intégrer au programme d’achats pluriannuel des stocks stratégiques la problématique des achats groupés. Des rapprochements ont déjà eu lieu avec le service de santé des armées (SSA) pour l’achat de certains produits mais les établissements de santé disposant de stocks tactiques pourraient également profiter de tels achats groupés. Ceux-ci permettraient en effet de faire bénéficier un plus grand nombre d’acteurs de l’expertise de l’EPRUS mais, surtout, d’obtenir des prix plus compétitifs grâce aux économies d’échelle.

Au niveau européen, la piste des achats groupés de vaccins a fait l’objet d’une initiative spécifique à la suite de la crise de la grippe A/H1N1. Afin d’éviter la concurrence entre États membres et, au contraire, de bénéficier d’une plus grande force de négociation, le Conseil de l’Union européenne a ainsi demandé en septembre 2010 à la Commission européenne de préparer une procédure de passation conjointe de marchés afin de répondre à une future épidémie. Sur le fondement d’une décision du Conseil du 22 octobre 201318(*), l’accord de passation conjointe de marché pour l’achat de contre-mesures médicales a été adopté par la Commission européenne le 10 avril 2014. Le champ de l’accord est donc aujourd’hui plus large que les seuls vaccins. Il est notamment envisagé d’y recourir notamment pour l’achat de combinaisons de protection dans le cadre de la lutte contre l’épidémie d’Ebola.

Au printemps 2015, cet accord avait été signé et approuvé par vingt États membres. Après la signature de la lettre d’intention du Gouvernement français, le projet de loi de ratification devrait prochainement être déposé devant le Parlement.

Recommandation n° 6 : développer le recours aux achats groupés au niveau national avec le service de santé des armées et les établissements de santé dépositaires de stocks tactiques afin de tirer parti de la compétence technique acquise par l’EPRUS et de bénéficier de prix plus compétitifs, ainsi qu’au niveau européen grâce à l’accord-cadre relatif à l’achat groupé de vaccins et de contre-mesures médicales.

4. La prolongation des durées de validité : une question épineuse mais incontournable

Au-delà des modalités d’acquisition des produits de santé, trois actions ont été mises en oeuvre par l’EPRUS depuis sa création pour permettre d’allonger la durée de conservation de certains produits coûteux :

– en mai 2009, une convention tripartite a été signée entre le ministère chargé de la santé, l’EPRUS et l’ANSM organisant un programme de surveillance de la stabilité d’importantes quantités de quatre produits de santé coûteux afin de proroger, le cas échéant, leur durée de validité (pour une durée maximale de dix ans). Ce plan intitulé « Qualité et renouvellement des stocks stratégiques nationaux » a permis de retarder l’acqusition de certains antibiotiques permettant ainsi d’obtenir des prix plus bas à l’occasion du renouvellement des stocks grâce à l’arrivée sur le marché de génériques. Il a toutefois dû être abandonné en 2014 pour des motifs juridiques : en l’état actuel de la réglementation nationale et européenne, la durée de validité d’un produit relève en effet de la responsabilité du fabricant. Ainsi, dès lors qu’un produit dont la date de péremption est dépassée serait mis à la disposition de la population, ceci engagerait la responsabilité pleine et entière de celui qui aurait mis à disposition ces produits – en l’occurrence l’État ;

– des campagnes de contrôle de la qualité du stock stratégique « plan variole », composé d’une part de produits acquis dans les années 1980 et d’autre part de vaccins fabriqués en 2001, sont menées régulièrement par l’ANSM afin qu’ils demeurent utilisables sur le fondement d’un arrêté ministériel pris en application de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique ;

– enfin une dérogation a été accordée à titre exceptionnel à la Pharmacie centrale des armées en 2006 pour les comprimés d’iodefabriqués par cette dernière pour le compte de l’EPRUS. Ainsi, la Pharmacie centrale des armées est autorisée à faire figurer la date de fabrication et non la date de péremption sur les boîtes d’antidotes des stocks stratégiques de l’État. Couplé à un programme de surveillance régulier par l’ANSM et à un suivi géré directement par l’établissement pharmaceutique de l’EPRUS, ce dispositif a permis de faire passer la durée de validité de l’iodure de potassium de 30 mois en 2009 à sept ans aujourd’hui. L’absence de renouvellement des stocks a permis de réaliser des économies conséquentes.

Extrait de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique

« En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. »

Outre certains problèmes juridiques, notamment de compatibilité avec le droit de l’Union européenne, l’allongement de la durée de validité des produits de santé relevant des stocks stratégiques soulève certaines questions d’acceptation par la population et de communication. En outre, les programmes de surveillance de la qualité des produits, indispensables pour permettre de prolonger la durée de vie d’un produit, présentent eux-mêmes un coût, dont l’estimation n’a pas pu être donnée à votre rapporteur spécial. Pour certains produits, le gain retiré semble toutefois supérieur aux frais de surveillance. Ainsi, la question de la prolongation de la durée de conservation, même si elle est délicate, apparaît incontournable. Le dispositif mis en place pour les comprimés d’iode constitue une solution pour certains produits pouvant être fabriqués par la pharmacie centrale des armées. S’agissant des autres produits, la recherche d’une réponse aux obstacles juridiques identifiés doit se poursuivre.

Recommandation n° 7 : afin de permettre d’allonger la durée de conservation des produits dans des conditions satisfaisantes, promouvoir, au niveau européen, un statut juridique spécifique pour les produits relevant des stocks stratégiques nationaux.

En complément de l’allongement de la durée de conservation des produits relevant des stocks stratégiques, des efforts supplémentaires pourraient être mis en oeuvre pour limiter les destructions de produits arrivant prochainement à péremption en développant les « stocks tournants ». Ce système, consistant à transférer certains produits d’usage courant (par exemple des antibiotiques) des stocks stratégiques de l’EPRUS vers les établissements de santé via les ARS, a déjà été mis en place ponctuellement, sur proposition du ministère chargé de la santé. Toutefois, il apparaît que les délais de mise à disposition des produits – huit à six semaines avant leur date de péremption – s’avèrent souvent trop courts.

Recommandation n° 8 : développer, lorsque le rapport coûts-avantages le justifie, le transfert des produits arrivant dans les six prochains mois à péremption vers les établissements de santé, afin de limiter la destruction de produits de santé issus des stocks stratégiques.

  • 15 Ces stocks sont comptabilisés en totalité au bilan de l’EPRUS.
  • 16 Avis n° 14-121328 publié le 8 août 2014 au bulletin officiel des annonces de marchés publics.
  • 17 Selon l’EPRUS, la destruction est la solution la plus rationnelle, tant d’un point de vue économique que pratique.
  • 18 Article 5 de la décision n° 1082/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative aux menaces transfrontières graves sur la santé et abrogeant la décision n° 2119/98/CE.

Source : Sénat, 19-03-2020

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