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Les dénégations de Bush père le 41e lors de la Surprise d’octobre. Par Robert Parry

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Source : Consortium News, Robert Parry, 03-12-2018

« Nier tout ». Le traître britannique Kim Philby a dit que c’était un moyen pour les puissants de bluffer suite à leurs crimes, ce que George H.W. Bush savait quand il a nié ses propres accusations de quasi trahison dans l’affaire Surprise d’octobre, a écrit Robert Parry le 4/6/2016.

Une étude récemment découverte par feu le traître britannique Kim Philby contient une leçon qui peut aider à expliquer comment George H.W. Bush a pu bluffer et fanfaronner devant des preuves de plus en plus nombreuses que lui et les autres républicains avaient conspiré en 1980 pour bloquer la libération des 52 otages américains en Iran et assurer ainsi l’élection de Ronald Reagan, une supposée manœuvre qui confine à la trahison elle-même.

Dans un discours prononcé à Berlin-Est en 1981 – tout juste diffusé par la BBC – le double agent soviétique Philby expliquait que pour quelqu’un comme lui né dans ce qu’il appelait « la classe dirigeante de l’Empire britannique », il était facile de simplement « nier tout ». Lorsque des preuves ont été présentées contre lui, il n’avait qu’à garder son sang-froid et à affirmer que tout cela était faux. Avec ses relations puissantes, il savait que peu de gens oseraient le défier.

« Parce que je suis né dans la classe dirigeante britannique, parce que je connaissais beaucoup de gens influents, je savais qu’ils [ses collègues de l’agence d’espionnage du MI-6 britannique] ne seraient jamais trop durs avec moi », a dit Philby aux membres de la Stasi, en Allemagne de l’Est. « Ils n’essaieraient jamais de me tabasser ou de me démolir, car s’ils avaient eu tort par la suite, j’aurais pu faire un énorme scandale. »

C’est pourquoi les preuves croissantes et les soupçons grandissants de la trahison de Philby se sont dissipés pendant qu’il continuait à espionner pour l’Union soviétique. Il a finalement disparu en janvier 1961 et est apparu quelques mois plus tard à Moscou, où il a vécu jusqu’à sa mort en 1988.

L’agent double britannique Philby, qui a espionné pour l’Union soviétique et s’est enfui à Moscou en 1961.

Bien que les circonstances soient évidemment très différentes, la confirmation par Philby que sa naissance patricienne et ses relations puissantes lui ont donné des protections extraordinaires pourrait s’appliquer à George H.W. Bush et à ses dénégations énergiques de tout rôle dans le scandale Iran-Contra – il prétendit faussement être « hors du circuit » – et aussi à la question de savoir à propos de l’affaire de la Surprise d’octobre, si les négociations entre Reagan-Bush avec l’Iran avaient commencé en 1980, par l’entrave aux négociations du président Jimmy Carter pour libérer 52 otages de l’Ambassade américaine, arrêtés le 4 nov 1979 par les Iraniens radicaux.

L’échec de Carter à obtenir la libération des otages avant les élections américaines, qui ont eu lieu exactement un an plus tard, a condamné ses chances de réélection et permis à Reagan et aux républicains de prendre le contrôle de la Maison Blanche et du Sénat. Les otages n’ont été libérés qu’après le serment de Reagan en tant que président le 20 janvier 1981 et la nomination de Bush à la vice-présidence.

Nous savons maintenant que peu de temps après l’inauguration de Reagan-Bush, des cargaisons clandestines d’armes approuvées par les États-Unis se dirigeaient vers l’Iran par Israël. Un avion argentin transportant l’une des cargaisons s’est écrasé en juillet 1981, mais les circonstances incriminantes ont été dissimulées par le département d’État de Reagan, selon Nicholas Veliotes, alors secrétaire d’État adjoint pour le Moyen-Orient, qui a fait remonter les origines du marché d’armes à la campagne de 1980.

Cette réalité difficile à croire – que l’administration de durs à cuire Reagan-Bush, envoyait secrètement des armes en Iran après que les mollahs de Téhéran eurent humilié les États-Unis lors de la prise d’otages – restait un sujet de rumeurs intermittentes à Washington, et ceci, seulement quelques mois après, en novembre 1986, quand un journal beyrouthin publia le premier article qui décrit un autre envoi clandestin. Cette histoire s’est rapidement étendue à l’affaire Iran-Contra parce qu’une partie des profits des ventes d’armes a été détournée vers les rebelles Contras nicaraguayens soutenus par les États-Unis.

Pour Bush, l’émergence de ce scandale dévastateur, qui aurait pu lui faire perdre sa propre chance à la Maison Blanche, était le moment de tester sa capacité à « tout nier ». Il a donc nié savoir que la Maison-Blanche avait secrètement mené une opération de réapprovisionnement aux Contras au mépris du Congrès, même si son bureau et ses principaux collaborateurs étaient au centre de tout. En ce qui concerne les ventes d’armes à l’Iran, Bush a insisté publiquement sur le fait qu’il était « hors du coup ».

Derrière des portes closes où il courait le risque d’accusations de parjure, Bush était plus ouvert. Par exemple, dans un témoignage non public devant le FBI et le procureur Iran-Contra, « Bush a reconnu qu’il était régulièrement informé des événements liés aux ventes d’armes en Iran ». [Voir le rapport final du procureur spécial Iran-Contra, p. 473].

Mais l’histoire publique d’un Bush « hors du coup », a plus ou moins tenu le coup jusqu’à l’élection présidentielle de 1988. La seule fois où il a été directement confronté à des questions détaillées sur Iran-Contra, c’était lors d’une confrontation en direct avec le présentateur de CBS News [journal télévisé sur la chaîne CBS, NdT], Dan Rather, le 25 janvier 1988.

Au lieu de s’engager dans une discussion directe, Bush est passé à l’offensive, attaquant Rather pour lui avoir prétendument tendu une embuscade avec des questions inattendues. Bush se souvient aussi d’un épisode embarrassant où Rather laissa son fauteuil de présentateur vacant, sans attendre la fin d’un match de tennis qui passait avant les informations.

« Que diriez-vous si je jugeais votre carrière à ces sept minutes quand vous avez quitté le plateau à New York ? » demanda Bush avec humeur. « Qu’est-ce que vous diriez de ça ? »

En accord avec l’observation de Philby, Bush a gagné la partie avec ses fanfaronnades. La plupart des médias d’élite américains, y compris Newsweek où je travaillais à l’époque, se sont rangés du côté de Bush et ont critiqué Rather pour son interrogatoire parfois énergique du patricien Bush.

Ayant remis Rather à sa place et ayant mis un terme à la question Iran-Contra – du moins en ce qui concerne la campagne de 1988 – Bush a gagné la présidence. Mais l’histoire menaçait encore de le rattraper.

Le mystère de la Surprise d’octobre

L’affaire de la Surprise d’octobre 1980 était une sorte de prélude à l’affaire Iran-Contra. Elle a précédé les événements Iran-Contra, mais elle a refait surface publiquement suite aux révélations de l’Iran-Contra. Cette première phase s’est lentement dévoilée lorsqu’il est devenu évident que les ventes d’armes à l’Iran approuvées par les États-Unis n’avaient pas commencé en 1985, comme le prétendait l’histoire officielle Iran-Contra, mais des années plus tôt, peu après que Reagan et Bush ont pris le pouvoir.

De plus, dans la foulée de l’affaire Iran-Contra, de plus en plus de témoins ont fait surface pour décrire cette première phase du scandale, totalisant finalement environ deux douzaines, dont l’ancien assistant au secrétaire d’état Veliotes, d’anciens hauts fonctionnaires iraniens, tels le président Abolhassan Bani-Sadr et le ministre de la Défense Ahmad Madani, des agents des renseignements israéliens comme Ari Ben-Menashe et un agent iranien de la CIA Jamshid Hashemi. Plusieurs de ces témoins ont été cités dans un documentaire de PBS que j’ai coécrit en avril 1991, intitulé « l’élection prise en otage ».

Après la diffusion du documentaire – et avec l’intérêt croissant du public- des pressions se sont exercées sur le Congrès pour qu’il ouvre une nouvelle enquête sur cette préquelle, mais le président Bush a clairement indiqué que sa réaction serait de « tout nier ».

Le 3 mai 1991, lors d’un point de presse de la Maison-Blanche, on a demandé à Bush s’il s’était rendu à Paris en octobre 1980 pour sceller personnellement l’accord sur la libération des 52 otages seulement après les élections – comme l’avait décrit l’officier israélien Ben-Menashe.

« Étais-je déjà à Paris en octobre 1980 ? », répondit un Bush clairement agacé, répétant la question avec les lèvres pincées. « Définitivement, définitivement, non. »

Bush revient cinq jours plus tard sur le sujet de la Surprise d’octobre, sa colère reste bien visible : « Je ne peux que dire catégoriquement que les allégations à mon sujet sont fausses, erronées, des mensonges éhontés. »

Pourtant, malgré la colère de Bush – et malgré les attaques « déstabilisantes » de la New Republic néoconservatrice et de mes anciens employeurs à Newsweek contre l’histoire de la Surprise d’octobre – la Chambre et le Sénat ont chacun ouvert des enquêtes, quoique avec une certaine tiédeur et sans ressources suffisantes.

Le président George H. W. Bush s’adresse à la nation le 16 janvier 1991 pour discuter du lancement de l’opération Tempête du désert.

Pourtant, les enquêtes du Congrès sur la Surprise d’octobre ont semé la panique à la Maison-Blanche de Bush. Le Président, qui s’attendait à être réélu en 1992, considérait la question de la Surprise d’octobre – ainsi que la poursuite de l’enquête Iran-Contra par le procureur spécial Lawrence Walsh – comme des menaces à son maintien au pouvoir.

À l’automne 1991, l’administration Bush retirait des documents de divers organismes fédéraux qui pourraient être pertinents pour l’enquête sur la Surprise d’octobre. L’idée était de concentrer les documents entre les mains de quelques fonctionnaires de confiance à Washington. Dans le cadre de ce processus, la Maison-Blanche a été informée qu’il semblait y avoir confirmation d’une accusation clé pour la Surprise d’octobre.

Dans une note de service datée du 4 novembre 1991, le conseiller juridique adjoint de la Maison-Blanche, Paul Beach Jr., a écrit que l’un des documents mis au jour était celui du directeur de campagne de Reagan, William J. Casey, qui se rendait à Madrid, en Espagne, ce qui pourrait confirmer l’affirmation de Jamshid Hashemi que Casey avait rencontré Mehdi Karrubi, principal envoyé iranien, fin juillet puis mi-août 1980.

L’ambassade des États-Unis à Madrid a confirmé le voyage de Casey auprès du conseiller juridique du département d’État Edwin D. Williamson, qui était chargé de rassembler les documents du département d’État, suivant la note. Williamson a passé le mot à Beach, qui a écrit que Williamson a dit que parmi les documents du département d’État, « des documents potentiellement pertinents pour les allégations de la Surprise d’octobre, [se trouvait] un télégramme de l’ambassade de Madrid indiquant que Bill Casey était en ville, dans un but inconnu ».

On ne saurait trop insister sur l’importance de cette confirmation du voyage de Casey à Madrid. L’influente histoire de la dénonciation de la Surprise d’octobre – qui a fait la une de Newsweek et de The New Republic – reposait sur l’interprétation erronée [par ces journalistes, NdT] de certains états de présence à une conférence historique à Londres qui, selon eux, ont prouvé que Casey était là et n’avait donc pu se rendre à Madrid. Cela signifie, selon les deux magazines, que l’agent iranien de la CIA, Jamshid Hashemi, mentait sur l’organisation des deux rencontres de Casey avec Karrubi à Madrid.

Dans leur démolition à double détente de l’histoire de la Surprise d’octobre, Newsweek et The New Republic ont créé une « pensée de groupe » à Washington, selon laquelle l’affaire Surprise d’octobre n’était qu’une « théorie conspirationniste » sans fondement. Mais les deux magazines avaient tort.

Je savais déjà que leurs analyses des états de présence à Londres étaient inexactes. Ils n’ont pas non plus interviewé les principaux participants à la conférence, y compris l’historien Robert Dallek qui avait cherché Casey et m’avait confirmé que Casey avait séché le 28 juillet 1980 la séance clé du matin.

Mais il n’y avait pas Internet en 1991, il était donc presque impossible de contrer les faux reportages de Newsweek et de The New Republic, surtout étant donné la puissante croyance populaire qui avait pris forme contre l’histoire de la Surprise d’octobre.

Ne voulant pas ébranler cette « pensée de groupe », la Maison-Blanche de Bush n’a pas divulgué la découverte par Williamson-Beach des preuves du voyage de Casey à Madrid. Cette information n’a été communiquée ni au public ni aux enquêteurs du Congrès. Au lieu de cela, une opération de camouflage bien conçue a été organisée et mise en œuvre.

Le camouflage prend forme

Le 6 novembre 1991, deux jours après la note de service de Beach, le patron de Beach, le conseiller juridique de la Maison-Blanche, C. Boyden Gray, a convoqué une séance de stratégie inter-agences et expliqué la nécessité de contenir l’enquête parlementaire sur l’affaire Surprise d’octobre. L’objectif avoué était de faire en sorte que le scandale ne nuise pas aux espoirs de réélection du président Bush en 1992.

Lors de la réunion, M. Gray a expliqué comment contrecarrer l’enquête Surprise d’octobre, qui était considérée comme un développement dangereux de l’enquête Iran-Contra où certains enquêteurs du procureur Walsh en sont venus à soupçonner que les origines des contacts Reagan-Bush avec l’Iran remontaient à la campagne de 1980.

La perspective que les deux séries d’allégations se fondent en un seul récit représentait une grave menace pour l’avenir politique de George H.W. Bush. Comme l’a dit Ronald von Lembke, conseiller adjoint de la Maison-Blanche, l’objectif de la Maison-Blanche en 1991 était de « tuer/dégonfler cette histoire ». Pour parvenir à ce résultat, les républicains ont coordonné la contre-offensive par l’intermédiaire du bureau de Gray, sous la supervision de l’avocate associée Janet Rehnquist, la fille du défunt juge en chef William Rehnquist.

Gray : enquête confinée. (oregonlive.com)

M. Gray a expliqué les enjeux de la séance de stratégie de la Maison-Blanche. « Quelle que soit la forme qu’elles prendront en fin de compte, les enquêtes de la Chambre et du Sénat sur la Surprise d’octobre, comme les enquêtes Iran-Contra, impliqueront des relations inter-agences et seront particulièrement utiles au président », a indiqué Gray, dans le procès-verbal. [Accentuation dans l’original.]

Parmi les « points forts » cités par M. Gray, mentionnons « l’absence de surprises à la Maison-Blanche et le maintien de la capacité à réagir aux fuites en temps réel. C’est partisan ». Les « points de discussion » de la Maison-Blanche sur l’enquête Surprise d’octobre invitaient à limiter l’enquête à la période 1979-1980 et à imposer des délais stricts pour la publication de toute conclusion, selon le document.

En d’autres termes, tout comme l’administration Reagan avait insisté pour cloisonner l’enquête Iran-Contra à une période allant de 1984-86, l’administration Bush voulait cloisonner l’enquête Surprise d’octobre pour 1979-80. Cela permettrait de s’assurer que le public ne considérerait pas les deux scandales apparemment distincts comme une affaire vraiment laide.

Pendant ce temps, alors que la Maison-Blanche de Bush faisait échouer les enquêtes du Congrès en traînant les pieds, en faisant du slow-roll [Terme de poker: pour retarder ou éviter de montrer la main gagnante à l’abattage, généralement considéré comme une mauvaise étiquette NdT] et en faisant d’autres obstructions, le président Bush lançait parfois des invectives contre les soupçons de la Surprise d’octobre.

À la fin du printemps 1992, Bush a évoqué l’affaire de la Surprise d’octobre lors de deux conférences de presse, soulevant lui-même le sujet. Le 4 juin 1992, Bush s’en prend à un journaliste qui lui demande si un avocat indépendant était nécessaire pour enquêter sur la drague de Saddam Hussein (Irak) par l’administration, avant la guerre du Golfe.

« Je me demande s’ils vont utiliser les mêmes procureurs qui essaient de voir si j’étais à Paris en 1980 », a répondu le président clairement irrité. « Je veux dire, où allons-nous avec l’argent des contribuables en cette année politique ? Je n’étais pas à Paris, et nous n’avons rien fait d’illégal ou de mal » à propos de l’Irak.

Suivant l’exemple du président, les républicains de la Chambre ont menacé de bloquer le financement de l’enquête sauf si les démocrates admettaient que Bush n’était pas allé à Paris. Bien que l’alibi de Bush pour le week-end clé des 18 et 19 octobre 1980 ait été précaire, avec des détails extraits de ses registres des services secrets et des témoins supposés se corroborer les uns les autres, les démocrates ont accepté de donner à Bush ce qu’il voulait.

Lors d’une autre conférence de presse au sommet mondial de l’environnement au Brésil, Bush a de nouveau évoqué le cas de la Surprise d’octobre, qualifiant les enquêtes du Congrès de « chasse aux sorcières » et demandant au Congrès de le disculper d’avoir voyagé à Paris.

Après avoir laissé Bush s’en tirer pour Paris, l’enquête n’a pas abouti à une conclusion claire, la Maison-Blanche retenant des documents clés et gardant certains témoins clés comme Donald Gregg, ancien conseiller de Bush pour la sécurité nationale, hors de portée.

Ce qui est peut-être plus important encore, c’est que les informations sur l’affaire de Madrid contenues dans la note de service de Beach n’ont jamais été communiquées au Congrès, selon le président du groupe de travail de la Chambre, Lee Hamilton, que j’ai interviewé au sujet du document disparu en 2013.

L’intérêt du Congrès pour l’affaire de la Surprise d’octobre s’est encore plus estompé après que Bush eut perdu les élections de 1992 au profit de Bill Clinton. Il y avait un sentiment palpable autour des officiels de Washington qu’il serait injuste d’accabler le président vaincu. On pensait que Bush (et Reagan) devraient être autorisés à s’éloigner vers la lumière du soleil couchant avec leur héritage intact.

Ainsi, alors même que des preuves plus incriminantes parvenaient au groupe de travail de la Chambre en décembre 1992 et en janvier 1993 – y compris le témoignage du biographe du chef du renseignement français Alexander de Marenches confirmant la réunion de Paris et un rapport de la Douma russe révélant que le renseignement soviétique avait suivi les contacts républicains-iraniens en 1980 – tout cela était écarté. Le groupe de travail a simplement décidé qu’il n’y avait « aucune preuve crédible » à l’appui des allégations de la Surprise d’octobre.

Faire confiance au suspect

Au-delà de la réticence de Hamilton et de ses enquêteurs à poursuivre agressivement des pistes importantes, ils ont opéré avec l’idée naïve que le président Bush, qui était un suspect principal dans l’affaire Surprise d’octobre, rassemblerait et fournirait les preuves de sa culpabilité et scellerait son sort politique. Le pouvoir à ce niveau ne fonctionne tout simplement pas de cette façon.

Après avoir découvert la note de service de Beach, j’en ai envoyé une copie par courriel à Hamilton et j’en ai discuté avec lui par téléphone. Le député démocrate à la retraite de l’Indiana a répondu que son groupe de travail n’avait jamais été informé que la Maison-Blanche avait la confirmation du voyage de Casey à Madrid.

Casey.

« Nous n’avons trouvé aucune preuve pour confirmer le voyage de Casey à Madrid », m’a dit Hamilton. « La Maison-Blanche ne nous a pas informés qu’il avait fait ce voyage. Auraient-ils dû nous le transmettre ? Ils auraient dû parce qu’ils savaient que ça nous intéressait. »

Lorsqu’on lui a demandé si le fait de savoir que Casey s’était rendu à Madrid aurait pu changer la conclusion condescendante du groupe de travail sur la Surprise d’octobre, Hamilton a répondu oui, car la question du voyage à Madrid était essentielle pour l’enquête du groupe de travail.

« Si la Maison-Blanche avait su que Casey était là, elle aurait certainement dû le partager avec nous », a déclaré M. Hamilton. Hamilton a ajouté que « vous devez vous fier aux personnes » en position d’autorité pour vous conformer aux demandes d’information.

C’est là, bien sûr, que réside l’échec de l’enquête Surprise d’octobre. Hamilton et son équipe comptaient sur le président Bush et son équipe pour rassembler toutes les preuves en un seul endroit et les partager ensuite avec le Congrès, alors qu’ils étaient plus susceptibles de les brûler.

En fait, en réunissant à la Maison-Blanche de Bush toutes les preuves tangibles qui auraient pu prouver que Bush et Reagan avaient participé à une opération qui frisait la trahison, l’enquête de Hamilton a peut-être rendu impossible la résolution de ce mystère historique. Il y a de fortes chances que les preuves documentaires qui auraient pu exister n’existent plus.

Après avoir découvert le mémo Beach, j’ai contacté Beach et Williamson, qui ont insisté sur le fait qu’ils n’avaient aucun souvenir des dossiers de l’affaire « Casey à Madrid ». J’ai également parlé avec Boyden Gray, qui m’a dit qu’il n’avait pas participé à l’enquête Surprise d’octobre, bien que j’avais le procès-verbal de la réunion du 6 novembre 1991 où il avait rallié l’équipe de Bush pour contenir l’enquête.

J’ai également déposé une demande en vertu de la loi sur l’accès à l’information pour que les dossiers de l’ambassade des États-Unis à Madrid fassent l’objet de recherches sur le télégramme ou autres documents concernant le voyage de Casey, mais le département d’État a déclaré que rien ne pouvait être retrouvé.

Donc, la question devient : l’équipe loyale de Bush a-t-elle rassemblé tous les documents originaux en un seul endroit, non pas pour qu’ils puissent être remis au Congrès, mais plutôt pour qu’ils puissent être retirés définitivement des archives historiques, appuyant ainsi pour toujours les dénégations furieuses de George H.W. Bush ?

Il est certain qu’une personne aussi compétente que l’ancien président Bush (le père) dans l’utilisation du pouvoir et de l’influence n’aurait pas besoin des conseils de Kim Philby sur la façon d’utiliser les privilèges et les relations pour cacher sa culpabilité. Après tout, c’est le genre de chose qui vient naturellement à ceux qui sont nés dans les bonnes familles, qui fréquentent les bonnes écoles et qui appartiennent aux bonnes sociétés secrètes.

George H.W. Bush est venu du sein de la classe dirigeante américaine à un moment où elle s’élevait pour devenir la force la plus intimidante sur terre. Il était le petit-fils d’un puissant banquier de Wall Street, le fils d’un sénateur influent et un directeur de la Central Intelligence Agency. (En cours de route, il a fréquenté Yale et appartenait aux Skull and Bones.)

En effet, Papy Bush aurait probablement pu donner des leçons à Kim Philby sur la façon de dissiper les soupçons et dissimuler les actes répréhensibles. Il n’en demeure pas moins que l’idée que Philby se fait de la façon dont les puissants et les gens bien introduits peuvent contrecarrer les enquêtes et les questions des citoyens de moindre importance mérite qu’on s’y attarde : « Nie tout. »

[Pour visionner une vidéo de l’entretien avec Robert Parry discutant de cet article, cliquez ici.]

Le regretté journaliste d’investigation Robert Parry, rédacteur en chef fondateur de Consortium News, a publié de nombreux articles sur Iran-Contra pour The Associated Press et Newsweek dans les années 1980. Son dernier livre, « America’s stolen narrative » [l’histoire volée de l’Amérique : NdT], peut être commandé en version imprimée ici ou en version électronique (Amazon et barnesandnoble.com).

Source : Consortium News, Robert Parry, 03-12-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Commentaire recommandé

Xavier // 02.03.2019 à 11h01

Si on résume la situation actuelle dans nos démocraties occidentales : fin de la réalité, de la contradiction ou des principes, seule la force (pouvoir de classe grâce aux finances, médias et armée) prévaut.

Combien de siècles de penseurs pour en arriver à cet habillage de la lutte physique pour la parer de « valeurs progressistes » ?

Où cela mène ?…
Comment s’étonner des diverses radicalisations qui se mettent en place ?

La prise en compte du réchauffement climatique ne répond pas à ces questions !

Ceux qui en font le combat essentiel nous emmènent vers des guerres « bio » et des marchands d’armes labellisés « fair trade ».

6 réactions et commentaires

  • Xavier // 02.03.2019 à 11h01

    Si on résume la situation actuelle dans nos démocraties occidentales : fin de la réalité, de la contradiction ou des principes, seule la force (pouvoir de classe grâce aux finances, médias et armée) prévaut.

    Combien de siècles de penseurs pour en arriver à cet habillage de la lutte physique pour la parer de « valeurs progressistes » ?

    Où cela mène ?…
    Comment s’étonner des diverses radicalisations qui se mettent en place ?

    La prise en compte du réchauffement climatique ne répond pas à ces questions !

    Ceux qui en font le combat essentiel nous emmènent vers des guerres « bio » et des marchands d’armes labellisés « fair trade ».

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    • Frédéric // 02.03.2019 à 18h02

      C’est-à-dire des guerres avec des lance-marchmalow bios et fabriqués par des ouvriers syndiqués?

        +1

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  • Polchen // 02.03.2019 à 18h39

    Passionnant, mais….Histoire complexe, événements anciens, nombreux acteurs directs et indirects de nationalités diverses, cet article serait passionnant pour un lecteur peu averti s’il mettait de l’ordre dans la description des situations: le foisonnement apporte de la confusion, il serait utile de faire reprendre ce texte dans une méthode d’historien…

      +4

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    • inement // 03.03.2019 à 03h23

      C’est effectivement une façon de dire les choses sans les dire…..malheureusement.

        +0

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  • Victor // 02.03.2019 à 22h33

    le culot, déstabiliser son interlocuteur, ne plus savoir sur quel pieds danser, autant d’attribut du pervers manipulateur

      +2

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  • tchoo // 03.03.2019 à 10h03

    Effectivement demander aux coupables de rassembler les preuves de culpabilité pour les fournir à la justice ne peut qu’engendre la disparition de ces preuves et organisé l’impunité des coupables

      +0

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