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29.novembre.202129.11.2021 // Les Crises

Les États-Unis ont tout à perdre en choisissant l’inaction face à Israël

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S’il ne met pas tout le monde au même niveau de responsabilité, Biden finira par porter le chapeau de la dernière répression palestinienne de Tel Aviv.

Source : Responsible Statecraft, Sarah Leah Whitson
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Ce fut un honneur d’accueillir aujourd’hui le Premier ministre israélien Naftali Bennett à la Maison Blanche. Nous avons renforcé le partenariat durable entre nos deux nations et souligné l’engagement indéfectible des États-Unis envers la sécurité d’Israël. (photo de la Maison Blanche)

L’administration Biden n’a pas donné de nouvelles après sa rencontre en tête-à-tête de jeudi avec des responsables israéliens pour entendre leurs « preuves secrètes » derrière la décision de Tel Aviv de désigner six organisations palestiniennes, parmi lesquelles des groupes de défense des droits humains éminents et bien placés, comme « organisations terroristes. »

Alors que de telles mesures prises par d’autres pays déclenchent souvent une condamnation indignée des États-Unis, voire des sanctions, dans le cas d’Israël, la réponse de l’administration semble se limiter à une demande de « clarification » et à des plaintes selon lesquelles le gouvernement israélien n’a pas fourni de « notification préalable » de la désignation.

Si l’administration Biden choisit finalement de détourner le regard, ce ne sera pas seulement hypocrite, mais cela servira d’exemple classique de la façon dont le partenariat étroit de l’Amérique avec des gouvernements du Moyen-Orient qui n’ont pas de comptes à rendre, sape les intérêts américains en nous faisant supporter le coût de leurs politiques abusives.

Avec l’utilisation, la semaine dernière, d’une loi israélienne antiterroriste de 2016, ce n’est pas la première fois que les autorités israéliennes s’en prennent à ces six anciennes ONG palestiniennes, dont trois groupes palestiniens de défense des droits humains de premier plan : al-Haq ; Addameer ; Defense for Children International–Palestine ; l’Union des comités de travail agricole (UAWC) ; Bisan Center for Research and Development ; et l’Union des comités de femmes palestiniennes.

Au cours de la dernière décennie, les autorités israéliennes, qui maintiennent la Cisjordanie et la bande de Gaza sous une occupation militaire agressive, ont fait des descentes dans les bureaux de ces groupes et d’autres groupes de la société civile, empêché les membres de leur personnel de voyager, arrêté des membres du personnel et plaidé pour que leurs donateurs, y compris les gouvernements européens, cessent de les soutenir. Le gouvernement israélien a également pris pour cible des groupes internationaux de défense des droits humains, en expulsant le directeur de Human Rights Watch pour Israël-Palestine et en empêchant le responsable de campagne d’Amnesty International de voyager.

Mais la désignation de ces six groupes comme organisations terroristes va bien au-delà des mesures antérieures. Cette désignation rend leurs activités illégales et criminalise le fait de travailler pour eux ou de les soutenir. Le gouvernement israélien peut désormais les faire fermer ; il peut saisir leurs biens et emprisonner leur personnel ; il peut même emprisonner pendant trois ans toute personne qui exprime son soutien, ses louanges ou sa sympathie pour ces organisations, en vertu de la section 24(a)(1) de la loi antiterroriste israélienne. Bien que la désignation terroriste ne concerne qu’Israël, elle est susceptible de dissuader les sympathisants européens et américains de ces groupes de les financer et les banques de traiter leurs transactions financières, de peur d’éveiller les soupçons des services répressifs étrangers.

Le gouvernement israélien dénigre ces organisations par une tactique de culpabilité par association. Les six groupes ont un profil laïque et progressiste, tout comme le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), un parti politique doté d’une branche militaire armée que le gouvernement israélien, ainsi que certains gouvernements étrangers comme les États-Unis, désignent comme une organisation terroriste. Le gouvernement israélien affirme, sur la base de ce qu’il dit être des preuves secrètes, que les groupes agissent comme une façade pour le FPLP.

Les organismes et organisations internationaux de défense des droits humains, dont beaucoup ont travaillé en étroite collaboration avec ces groupes pendant des années, ont condamné ces allégations, y voyant un effort à peine voilé pour anéantir ce qui reste de la société civile palestinienne militante. Sous la pression du gouvernement israélien et des ONG qui lui sont associées, les bailleurs de fonds européens, gouvernementaux et privés, ont contrôlé ces six organisations, mais n’ont constaté aucun détournement de fonds. Un tribunal britannique a ordonné à une ONG britannique associée au gouvernement israélien de retirer les allégations selon lesquelles l’un des groupes était étroitement lié au FPLP.

Les autorités israéliennes ont également accusé deux membres du personnel de l’UAWC d’avoir participé au meurtre d’un civil israélien en 2019. Si les charges dans cette affaire doivent encore être prouvées, ce qui est bien documenté, c’est la torture de l’un des membres du personnel détenu alors qu’il était en garde à vue en Israël, ce qui a nécessité son hospitalisation dans l’unité de soins intensifs d’un hôpital israélien.

Les résultats de ces groupes parlent d’eux-mêmes. L’un d’eux, Al-Haq, rend compte des violations des droits des Israéliens et des Palestiniens depuis 1979. Le directeur exécutif du groupe, Shawan Jabarin, a reçu de nombreuses distinctions internationales en matière de droits humains, notamment le Prix des Droits de l’Homme de la République française et le Prix Reebok des Droits de l’Homme 2008. Il est également vice-président de la Fédération internationale des Droits de l’Homme, commissaire de la Commission internationale des juristes et membre du Comité consultatif de Human Rights Watch pour la région MENA.

Rien que l’année dernière, Al-Haq a publié des rapports sur les travailleurs palestiniens dans les colonies israéliennes, la torture dans les prisons de l’Autorité palestinienne (AP), les violations de la liberté d’expression par l’AP et l’annexion de facto de la Cisjordanie par Israël. Al-Haq a également soumis des preuves à l’accusation de la Cour pénale internationale dans le cadre de son enquête en cours sur les crimes de guerre et les crimes israéliens et palestiniens contre l’humanité.

Ces désignations ont des conséquences non seulement pour ces groupes et les populations qu’ils servent – enfants, agriculteurs, pêcheurs, travailleurs, femmes à risque – mais aussi pour la société palestinienne dans son ensemble, qui se débat sous le poids d’une occupation vieille de 54 ans et des restrictions de déplacement qui ont fragmenté les institutions locales et nationales.

Les tactiques du gouvernement israélien visent toute résistance aux politiques et pratiques oppressives de l’armée israélienne – qu’elle soit pacifique ou non – et elles s’inscrivent dans le sillage d’une campagne menée depuis des décennies pour décapiter les groupes palestiniens qui servent de lien vital avec la communauté internationale et les instances de responsabilité. Elles font partie intégrante d’un effort, d’abord perfectionné à Gaza, visant à isoler le peuple palestinien, en le maintenant physiquement et institutionnellement coupé du reste du monde. Elles laissent délibérément peu de recours aux Palestiniens qui veulent plaider pacifiquement pour mettre fin aux crimes contre l’humanité, à l’apartheid et aux persécutions d’Israël. La poursuite de la violence et de l’instabilité en sont les conséquences probables.

Le coût des tactiques d’Israël ne sera pas seulement ressenti par la société civile palestinienne. Alors qu’Israël s’enfonce de plus en plus dans l’autoritarisme, l’intolérance et l’étouffement de la dissidence, parmi les personnes qui risquent d’être persécutées par le gouvernement israélien figurent, et continueront de figurer, des militants des droits humains, des journalistes et des universitaires israéliens et juifs. Les cibles principales peuvent sembler être les Palestiniens, mais elles comprendront de plus en plus de juifs critiques à l’intérieur et à l’extérieur d’Israël.

Et parce que le gouvernement américain continue à soutenir de manière inconditionnelle ces politiques du gouvernement israélien, dans une association qui est bien plus un handicap qu’un avantage pour sa sécurité nationale et pour la nécessité plus générale de se désengager militairement de la région, les États-Unis en paieront aussi le prix. Ils finiront par porter le chapeau des provocations israéliennes, tandis qu’Israël demandera plus d’aide militaire, plus de couverture diplomatique pour ses abus et plus de soutien politique qui serviront à maintenir indéfiniment les États-Unis empêtrés au Moyen-Orient.

Source : Responsible Statecraft, Sarah Leah Whitson, 29-10-2021

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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LibEgaFra // 29.11.2021 à 08h47

« Les États-Unis ont tout à perdre en choisissant l’inaction face à Israël
Conflit Israélo-Palestinien, Israël, USA  »

Comme si les yankees avaient le choix! La politique extérieure des yankees est décidée à Tel-Aviv.

7 réactions et commentaires

  • LibEgaFra // 29.11.2021 à 08h47

    « Les États-Unis ont tout à perdre en choisissant l’inaction face à Israël
    Conflit Israélo-Palestinien, Israël, USA  »

    Comme si les yankees avaient le choix! La politique extérieure des yankees est décidée à Tel-Aviv.

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    • patoche // 29.11.2021 à 11h50

      Cette politique ordurière est également validée avec plus ou moins de nuances par médias us. Le « quatrième pouvoir » est depuis longtemps asservi à l’oligarchie.

        +7

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  • christian gedeon // 29.11.2021 à 09h33

    Il y a du vrai dans cet article…il y a aussi beaucoup de non dits. De pudeurs journalistiques effarouchées. D’explications partielles et partiales. Que les services isaréliens manipulent,personne n’en doute. Comme tous les services,d’ailleurs. Ques des injustices parfois effarantes soient commises,nous le savons. Mais quoi,un article autant à charge devrait aussi mettre en lumière le terreau sous jacent.Celui des deux maux qui pourrissent la vie des palestiniens et des territoires. La corruption sidérale et la lutte sans merci que se livrent l’AP et le Hamas. Une lutte à mort. Qui divise profondémment les palestiniens et donne à Israël un prétexte rêvé pour se livrer à toutes les manoeuvres dilatoires possibles et imaginables en matière de négociations! Par ailleurs,je pose et repose toujouirs la même question. Pourquoi la porte de communication de Gaza avec l’Egypte est elle quasi fermée? ça,c’est une vraie question.

      +3

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  • Mercivil // 29.11.2021 à 10h06

    Si on prend en considération les 20% de fanatiques chrétiens us – persuadés que la paix régnera des que le peuple d’Israël reconnaîtra Jésus – qui ne voterons jamais pour un président qui ne soutient pas Israël, cela ne changera pas.
    Cette relation tient de la religion, pas de la réalité.

      +10

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  • RGT // 29.11.2021 à 10h28

    Les « pratiques bienveillantes » de l’état d’Israël me rappellent étrangement celles d’autres états qui ont causé la mort de millions de civils innocents dans des campagnes sanglantes de conquêtes et de « dératisation » de territoires « qui revenaient de droit » aux « peuples suprêmes » alors que ces territoires étaient initialement peuplés de cafards.

    Rien de neuf dans la « bienveillance humaine » et le « respect d’autrui ».

    Et au final, ce sont TOUJOURS les populations (de l’agressé mais aussi de l’agresseur) qui paient le prix des infamies de leurs dirigeants élus (ou pas) mais soumis à des « bienfaiteurs » qui ne pensent qu’à accroître leurs profits en prônant des « idéologies » écœurantes.

    Je vais encore être accusé de faire des amalgames nauséabonds mais je m’en moque, je suis en paix avec ma conscience.

    Mon seul souhait est que l’on foute la paix aux autres peuples et cultures et que les « dirigeants bienveillants » soient traduits devant un véritable tribunal populaire uniquement composé de leurs victimes.

      +12

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  • koui // 29.11.2021 à 17h37

    Nous connaissons tous la solution du problème, qu’Israel quitte tous les territoires occupés en 1967 (avec un petit gain territorial sur la vieille ville de jerusalem), que les palestiniens acceptent de perdre les territoires dont ils ont été chassés en 1948, et la naturalisation des réfugiés palestiniens par les pays arabes.

    On peut aussi imaginer l’annexion par Israël de la Palestine entière ainsi que du Golan. Mais dans ce cas, les palestiniens restant en Israel seront des apatrides discriminés et expropriés. Ils n’accepteront jamais leur sort. Israel restera un pays de violence et d’Apartheid. Cette situation rendra les palestiniens et les israéliens de plus en plus cinglés et malheureux.

    Il suffirait que les USA comprennent cela, mais on t il une tête pour réfléchir? Est ce qu’il n’y a pas un problème de têtes mal faites chez tous leurs dirigeants au 21eme siècle? Pour un président dément, comme Trump ou Biden, l’inaction serait certainement une bonne option, en tout cas meilleure que le soutien total à Israël.

      +2

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  • christian gedeon // 30.11.2021 à 11h03

    En occident,en général,les positions sont tellement tranchées sur la question israélo-palestinienne qu’on tombe dans l’insignifiance. le jeu proche oriental est quand même un peu plus compliqué. Pour rappel,L’Egypte,la Jordanie, les Emirats,le Maroc,le Soudan ont signé des traités de paix avec Israël . L’Arabie saoudite et un jour la Tunisie suivront. L’Azerbaïdjan est poto avec Israël,fournisseur de drones et d’éléctronique avancée.Reste la Syrie,l’Irak et l’Algérie. ne parlons pas des états faillis comme la Lybie ou le Yémen. La Syrie gesticule beaucoup,mais ne franchira jamais les lignes rouges dessinées par son protecteur russe.Les dernières élections irakiennes montrent à l’envi que la mainmise iranienne sur le pays commence à excéder,y compris chez les chiites,ce qui est passé quasiment inaperçu des analystes de salon.Au yémen,Maarib n’est topujours pas tombé en dépit d’une hécatombe humaine invraisemblable. Et au Liban,pauvre Liban,on se dirige tout droit vers le report-annulation des élections législatives tant le tandem Amal Hezbollah craint un revers cinglant. Avec le maintien au pouvoir du général Aoun,manu militari.Vous voyez,les choses ne sont pas si simples que çà. Les palestiniens sont pour le moment,le cadet des soucis de leurs « frères « (sic!) arabes.

      +5

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