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17.février.201517.2.2015 // Les Crises

[Baga, « hameau du monde »] Si tous les gens bien pensants sont unis contre le terrorisme, où sont les bannières ‘Je suis Nigeria’ ?, par Patrick Cockburn

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« Naaaaaoooon, mais là, c’est pas pareil, en fait…. »

Des djihadistes type Al-Qaïda ont tué 2 000 personnes en quelques jours, ce que le monde a largement ignoré

Le président Obama est critiqué pour ne pas avoir rejoint les 40 autres chef d’état lors de la manifestation de masse à Paris à la suite du massacre de Charlie Hebdo. Cependant, en faisant profil bas plutôt que de faire face aux assassinats terroristes, Obama a peut être fait preuve de plus de prudence que les dirigeants présents, dans sa manière de gérer de telles attaques, aussi atroces soient-elles.

Que des gouvernements et des personnes veuillent montrer leur solidarité contre le terrorisme, cela peut se comprendre. Mais à bien des égards, le nombre gargantuesque et l’exagération des réactions verbales répondant aux meurtres de dix-sept personnes par trois terroristes, traitant l’affaire comme s’il s’agissait de Pearl Harbour ou du 11 septembre, revient à faire le jeu d’Al-Qaïda et de ses clones.

Les trois terroristes, Chérif et Saïd Kouachi ainsi qu’Amedy Coulibaly, étaient plutôt de pitoyables individus avant le 7 janvier, mais ils ont maintenant acquis un statut diabolique. Leur action a jeté des millions de personnes dans les rues, a amené la plupart des dirigeants du monde à Paris et mobilisé des dizaines de milliers de soldats et de policiers. Ces trois hommes auraient été fiers d’avoir provoqué une telle réponse à partir d’un attentat plutôt banal selon les critères du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.

Cette réaction excessive des médias dans leur couverture en continu pourrait se révéler contre-productive. La raison est identifiée avec éloquence par un commentateur israélien, Uri Avnery, qui écrit : « Pour d’autres terroristes potentiels à travers l’Europe et l’Amérique, cette sur-réaction ressemble à une belle victoire. C’est une invitation pour des individus et de petits groupes à faire de même, partout. »

« Le terrorisme veut dire frapper de terreur. Ces trois là, dans Paris, ont vraiment réussi. Ils ont terrorisé la population française. Et si trois jeunes sans qualification peuvent le faire, imaginez ce que pourraient faire 30 personnes ou 300 ! »

La concentration excessive sur les événements de Paris nous détourne des attaques bien plus violentes qui ont été menées ailleurs dans le monde par des mouvements de type Al-Qaïda. Ils sont aujourd’hui en mesure d’agir librement dans au moins sept pays du Moyen-Orient et d’Afrique du nord où se déroulent des guerres civiles – Afghanistan, Irak, Syrie, Yémen, Libye, Somalie et le nord-est du Nigeria – et qui ont presque tous subi depuis le début de l’année des actes de terrorisme ayant fait plus de victimes qu’à Paris.

Même s’il ne s’agissait que de leur propre intérêt, les français, les britanniques et les américains devraient porter plus d’intérêt à ce qui se passe là-bas, dans la mesure où ce sont les terreaux physiques et idéologiques de mouvements de type Al-Qaïda, dont les activités affectent de plus en plus l’Europe occidentale.

La pire atrocité commise cette année par un mouvement extrémiste islamiste a été de loin le massacre de plus de 2 000 personnes, perpétré la semaine dernière par Boko Haram au nord-est du Nigeria. Les images satellite diffusées par Amnesty International montrent deux villes, Baga et Doron Baga, complètement dévastées, avec 3 700 structures endommagées ou détruites.

Le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, s'adressant aux troupes.

Le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, s’adressant aux troupes lors d’une visite à Maiduguri, la capitale de l’état du Borno ; la plus grande partie de la région a été envahie par Boko Haram
(AFP/Getty)

Ce massacre a eu une faible médiatisation jusqu’à ce que la consternation des événements de Paris ne retombe, et pourtant les tueurs au Nigeria et en France avaient des croyances et des méthodes similaires. Mais vous noterez la différence dans les réactions internationales à ces deux atrocités. Mon ami et ancien collègue Richard Dowden, directeur de la Royal African Society, a écrit que si tous les gens bien-pensants sont unis contre le terrorisme, on se demande « où est le mouvement ‘je suis Nigeria’ ? »

Il y a certainement des explications et des excuses au fait que l’attention se soit focalisée sur les événements de France plutôt que sur ceux au Nigeria. Les meurtres de Charlie Hebdo ont eu lieu dans l’un des centres médiatiques mondiaux, tandis que le lointain nord-est du Nigeria, à la limite du Sahara, est l’un des endroits les moins visités, les plus appauvris et dangereux de la planète. Le gouvernement nigérian du président Goodluck Jonathan a fait preuve d’ une incompétence et d’une force d’inertie exceptionnelles dans sa lutte contre Boko Haram.

L’armée nigériane a prouvé son incapacité à arrêter les colonnes de combattants motorisés de Boko Haram qui opèrent avec la même efficacité meurtrière que leurs homologues de l’Etat Islamique d’Irak et du Levant (EIIL), en Irak et en Syrie. Dans les deux cas, les atrocités ont pour but de causer terreur, panique et démoralisation des opposants, avant même que ne commence la vraie bataille.

En 2004, j’ai comparé l’Irak au Nigeria, en disant que le gouvernement de Bagdad risquait de devenir comme celui du Nigeria : un pays pétrolier qui non seulement était corrompu, mais constituait une kleptocratie institutionnalisée dans laquelle tout était volé et rien n’était construit. Puis lorsque Nouri al-Maliki, en tant que premier ministre irakien, a conduit le pays à la ruine, j’ai pensé que la comparaison était injuste vis-à-vis du Nigeria. Mais finalement, j’avais tort. L’incapacité et le vol du revenu du pétrole à grande échelle, par tous ceux qui sont liés au gouvernement dans les deux pays, ont beaucoup en commun.

Ce qui se passe dans des villages tels que Baga et Doron Baga dans l’état de Borno, dont la plupart ont été envahis par Boko Haram, peut donner l’impression que ce qui se passe ensuite à Londres et Paris n’a rien à voir. Mais c’est dans ces mêmes endroits du monde – rudes, isolés et frappés par la pauvreté – que des mouvements comme Al-Qaïda trouvent les terres les plus fertiles pour se développer sans attirer l’attention, jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour les arrêter. Ce qui était le cas pour les déserts de l’ouest de l’Irak, l’est de la Syrie et le sud du Yémen. Là, ils pouvaient fuir ou battre les armées gouvernementales gangrenées par la corruption, dont la brutalité contre les communautés locales garantissait aux djihadistes la sympathie et de nouvelles recrues.

La défense de la France, du Royaume-Uni et d’autres pays, contre les attaques terroristes, comme celle contre Charlie Hebdo, dépend de la capacité à trouver des solutions pour les sept autres guerres civiles ayant lieu du Pakistan au Nigeria. Ce sont les endroits où la violence fanatique sunnite prospère, celle qui a maintenant touché l’Europe occidentale. Les mesures de sécurité et les décisions politiques doivent être coordonnées et, tant qu’elles ne le seront pas, la marche de 40 chefs d’état à Paris restera une vaine gesticulation.

À l’élaboration de politiques efficaces dans la lutte contre Al-Qaïda, ces mêmes 40 chefs d’état devraient penser à ces sept guerres mentionnées plus haut comme étant autant de marais où des moustiques porteurs de malaria se multiplient. Il devrait être possible d’empêcher ces moustiques d’Al-Qaïda d’atteindre l’Europe et d’autres endroits du monde. Certains moustiques pourraient être identifiés et éliminés à leur arrivée. Mais quelles que soient les mesures prises, quelques-uns de ces moustiques – qui ont de nos jours tant d’environnements propices – passeront et s’en prendront aux gens, avec des résultats mortels.

S’opposer au terrorisme ou soutenir la liberté d’expression, c’est comme être en faveur de la maternité ou contre le péché. Le problème avec les manifestations de Paris et d’ailleurs est qu’elles risquent d’être un substitut à des décisions politiques difficiles. Beaucoup d’entre elles, comme par exemple fermer la frontière entre la Turquie et la Syrie, ou mettre la pression sur l’Arabie Saoudite pour contrôler les médias pro-djihadistes, seraient difficiles à mettre en œuvre. Mais sans de telles actions, tout le reste n’est que grandiloquence. Peut être que le président Obama a eu raison de rester à l’écart.

Source : Patrick CockBurn, The Indepedent, le 18/01/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Commentaire recommandé

VladimirK // 17.02.2015 à 03h43

Non, mais il ne comprend rien ce journaliste.

Charlie, c’est le prix Nobel de la paix 2015 (après Barrack Obama et l’Union Européenne, ce serait logique), alors que le Nigéria… qui est-ce qui sait où ça se trouve ?

11 réactions et commentaires

  • pikpuss // 17.02.2015 à 02h14

    MODERATION: si vous voulez publier ce genre de choses ici vous avez intérêt à bétonner vos propos avec des sources indiscutables.

      +1

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  • VladimirK // 17.02.2015 à 03h43

    Non, mais il ne comprend rien ce journaliste.

    Charlie, c’est le prix Nobel de la paix 2015 (après Barrack Obama et l’Union Européenne, ce serait logique), alors que le Nigéria… qui est-ce qui sait où ça se trouve ?

      +14

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  • FifiBrind_acier // 17.02.2015 à 08h31

    Les mêmes causes produisent les mêmes effets, c’est ce que découvre ce journaliste.
    Il croit encore naïvement que les pays occidentaux sont contre les djihadistes?
    Et qu’ils vont aider le Nigéria?
    Que d’illusions…

      +8

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  • Babar // 17.02.2015 à 08h55

    Si moraliser la vie politique, assurer une plus juste répartition des ressources et s’engager vers la démocratie, est la seule solution pour l’Irak, la Syrie, le Nigeria et le Pakistan etc…et plus généralement la lutte contre le terrorisme, c’est pas gagné….
    Quand on a dit cela on a pas tellement avancé, ce n’est pas enfoncer une porte ouverte mais un portail béant. Même avec une volonté forte de la communauté internationale, cela se heurte à tellement d’intérêts particuliers qui dans le contexte ultra libéral actuel et la compétition accrue entre les puissances économiques que cela ressemble à du voeu pieux…

      +3

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  • Lysbethe Levy // 17.02.2015 à 11h17

    Sur le nouveau mot employé par Valls, l’islamofascisme, il faut savoir que Bush l’utilisait dès l’après 11 septembre 2001 :

    http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2005/10/07/m-bush-denonce-l-islamo-fascisme-dont-l-objectif-est-de-reduire-en-esclavage-des-nations-entieres_696817_3222.html

    Ce n’est pas un hors sujet car on va beaucoup l’entendre dans les jours, mois, années à venir….

      +7

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    • anne jordan // 17.02.2015 à 17h54

      oui , @lysbethe !
      puisqu’ici , on parle volontiers – et à raison – de la justesse des mots , avez vous tous entendu , comme moi ,, Dimanche soir le mot  » CARNAGE  » , employé à plusieurs reprises par journalistes , invité set correspondants locaux dans le bled de l’A

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  • Damien // 17.02.2015 à 14h27

    Le Nigéria… C’est où ce truc ?
    Des chrétiens (on s’en fout) et des musulmans (beurk, pouah), en plus ils sont noir et ils ne consomment pas ! Lamentable !
    Non vraiment, aucun intérêt…
    Ce commentaire vous était présenté par l’Association des Amis de David Pujadas.

      +5

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    • MOBUTU SESE SEKO // 17.02.2015 à 15h30

      David Pujadas, l’icône de la propagande et de la désinformation ?

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  • Christophe Vieren // 17.02.2015 à 17h43

    « Le président Obama est critiqué pour ne pas avoir rejoint les 40 autres chef d’état lors de la manifestation de masse à Paris à la suite du massacre de Charlie Hebdo »

    On ne peut pas être à Paris (17 morts du terrorisme islamiste pour reprendre la terminologie la plus usitée) et à Ryad (presque) en même temps pour la mort d’un innocent. J’ai nommé le roi Abdallah d’Arabie Saoudite, en fonction bien avant le 11 septembre 2001 et bien après. Et qui bien sûr n’a pas aidé de quelque manière que ce soit à cet attentat (lire « L’Arabie saoudite tient la France et les Etats-Unis en otages » après la 2e photo au sujet des 28 pages non déclassifiées du rapport sur l’enquête). C’est vrai que cet attentat n’a fait que 3.000 victimes (+ les dizaines de milliers de morts suite à l’invasion de l’Iraket de l’Afghanistan + la dizaine de milliers de malades/morts dans le déblaiements des tours).
    Comme disait l’autre (un certain G.W. Bush) : « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes. ». L’Arabie saoudite avec nous ????

      +2

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  • christiangedeon // 17.02.2015 à 18h04

    Cet article est juste,j’allais dire banalement juste. il ne peut être compris et lu qu’à la lumière de la dépossession de leur souveraineté dont sont victimes les états,les pauvres sous forme de corruption totale et de destruction,les riches sous forme d’une démocratie qui n’est guère plus que formelle.Le tout sur fond de gigantesques intérêts financiers,qui par définition,n’ont ni foi,ni loi. Et le tout sous l’emprise,non pas d’un complot,(parce que le complot est secret par définition),mais d’une stratégie de destruction des structures sociales générales,condition indispensable à la mainmise sur les richesses du monde.Parler aujourd’hui de politique « américaine  » ou européenne est une vue de l’esprit. Tant il est vrai que ces « politiques » sont dictées par des intérêts qui n’ont rien à voir avec les peuples américain ou européen,mais avec ceux de dirigeants,pas occultes du tout,qui mènent action après action,sans que rien ne semble pouvoir arrêter le cours de leurs méfaits. Trois exemples sont tellement frappants. La destruction de la Yougoslavie,au milieu d’une marée de propagande et de mensonges . Les guerres d’Irak faites sur la base de WMD totalement inexistants. La destruction de la Lybie qui a eu lieu sous nos yeux ahuris…le tout,sans que les « opinions publiques  » occidentales  » ne cillent,ou presque. Et pourtant aucune des ces actions criminelles n’était secrète,ni dissimulée…on peut même dire qu’elles ont eu lieu avec l’opposition probable de la majorité des populations des pays occidentaux…mais elles ont eu lieu. L’Afrique est à ce sujet bien « pratique »,en quelque sorte. Peu de gens s’y intéressent vraiment ou alors de façon tellement folklorique ou droitdel’hommiste que cet intêret se limite à peu de choses. merveilleux terrain de manoeuvres pour les « meilleurs  » d’entre nous(sic!),puisqu’on peut y faire à peu près tout et n’importe quoi. Avec la complicité de dirigeants africains actuels ou futurs,selon…le seul grain de sable qui peut se glisser dans ce processus est la « perte de contrôle  » des frankenstein qui ont été créé pour la cause,comme Al Qaïda,comme l’EI,comme Boko Haram…ou alors,un grain de sable beaucoup plus gros,comme l’échec du plan  » américano-européen » de mettre l’Egypte sous la coupe des Frères Musulmans. Les vieux peuples restent les vieux peuples…on ne peut pas tout leur faire… l’exemple egyptien est à cet égard frappant. Non,il n’y aura pas de Je suis le Nigéria ou de je suis les Coptes,ou je suis les chrétiens d’Irak. Les médias mainstream veillent bien à « limiter  » les dégâts…mais une fois de plus,méfiance…les frankenstein finissent par avoir leur vie propre!

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  • Ysabeau // 18.02.2015 à 11h01

    La différence c’est qu’à Paris on s’est attaqué à des journalistes, que ce milieu est très corporatiste et a souvent tendance à se croire un peu au dessus du reste du monde. La différence c’est que les médias se sont sentis vraiment concernés. Alors que le Nigéria… c’est loin, c’est dangereux et il n’y avait même pas de vedette à se mettre sous la dent.
    Et, de toute façon, l’affaire Charlie-hebdo n’a abouti qu’à un peu moins de liberté, notamment de liberté d’expression, et de démocratie.
    Bref nihil nove sub sole.

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