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15.juin.201715.6.2017 // Les Crises

L’Iran change son plan routier vers la Méditerranée pour éviter les forces américaines, par Martin Chulov

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Source : The Guardian, Martin Chulov, 16-05-2017

Un nouveau tracé routier se déplace de 140 miles vers le sud pour éviter les forces américaines massées au nord-est de la Syrie pour combattre I’EI

Les forces américaines accompagnées des combattants du YPG ( Unités de Protection du peuple Kurde), roulant près du village de Darbasiyah au nord de la Syrie.

Martin Chulov, correspondant au Moyen-Orient

Mardi 16 mai 2017

L’Iran a modifié le trajet d’un couloir routier dont le but est de tracer un chemin vers la côte méditerranéenne, car des officiels en Irak et à Téhéran s’inquiètent de la présence croissante des militaires américains au nord-est de la Syrie qui rendent le trajet original non viable.

Le nouveau couloir a été déplacé de 140 miles vers le sud pour éviter une accumulation de forces américaines assemblées là pour combattre l’État Islamique. Il utilisera maintenant la ville de Mayadinoccupée par I’EI comme carrefour dans l’est de la Syrie, évitant le nord-est kurde, que les dirigeants iraniens envisageaient auparavant comme une voie d’accès cruciale.

Ce changement a été ordonné par le Général Major Qassem Suleimani, commandant des forces Quds, et Haidar al-Ameri, leader du Front Populaire de Mobilisation en Irak, dont les forces principalement shiites se sont rapprochées de la ville irakienne de Ba’aj, un point de jonction essentiel sur la route prévue : on sait que le leader de l’EI Abou Bakr al-Baghdadi y a établi ses bases la majeure partie de ces trois dernières années.

La route de Téhéran vers la mer.

Durant toute la guerre avec le groupe terroriste, et durant les années qui l’ont précédée, l’Iran a essayé de se tailler en Irak et en Syrie des zones d’influence qu’il contrôle avec ses alliés. Mais alors que le projet prenait forme, le conflit qui progressait en Syrie a pris de nouvelles et imprévisibles dimensions qui ont rendu la sécurité d’un tel corridor de plus en plus difficile.

L’accumulation des forces américaines dans le nord-est de la Syrie a alarmé les officiels de Bagdad et de Téhéran. Des sources irakiennes de haut niveau ont dit au Guardian que les dirigeants iraniens pensent que le renforcement de la présence américaine vise à rabaisser les ambitions de Téhéran.

« En réponse ils sont en train de faire tout ce qu’ils peuvent pour mettre en place ce couloir aussi vite que possible », déclarait un haut fonctionnaire irakien. « Ce qui signifie en finir avec Ba’aj aussi vite que possible, puis chasser l’EI de Mayadin et de Deir Ez-zor. Ils veulent le faire avant que les Américains n’y arrivent ».

Ba’aj est devenu une prise particulièrement importante, maintenant que la guerre contre I’EI en Irak entre dans sa phase finale. Alors que la police irakienne et les unités militaires continuent d’encercler Mossoul, les milices chiites qui stationnent depuis ces sept derniers mois à Tel Afar, au nord-ouest de la deuxième ville d’Irak, ont commencé une offensive pendant le week end qui les a amenés à moins de trois kilomètres des faubourgs de Ba’aj.

Les observateurs disent que l’EI a combattu férocement pour défendre la ville, qui est restée un foyer de combattants djihadistes salafistes depuis l’invasion de l’Irak conduite par les américains il y a 14 ans. Les agents de renseignements de la région croient que Bagdadi était dans la ville durant une grande partie du mois de mars et de nombreux rapports le situaient là en février et lors de la majeure partie de la bataille pour la reprise de Mossoul.

La chute de Ba’aj serait dévastatrice pour la présence de l’EI déjà restreinte en Irak, lui laissant comme dernières places fortes des parties de la province d’Anbar, là où tout a commencé pour le groupe terroriste il y a plus d’une décennie.

Comme I’EI a rapidement perdu du terrain en Irak, l’attention s’est tournée vers la prochaine – et éventuellement dernière – phase de la guerre, l’offensive pour prendre ses dernières places fortes en Syrie, ce qui inclue Raqqa et Deir Ez-zor. La configuration des forces qui seront envoyées pour prendre les deux villes doit encore être finalisée, avec les Américains continuant de soutenir les troupes kurdes syriennes – au grand dam de leur alliée la Turquie qui pousse énergiquement les unités arabes qu’elle soutient à faire ce travail.

La bousculade politique a rendu le champ de bataille en Syrie encore plus complexe, obligeant l’Iran à changer de cap sur l’un de ses plus importants objectifs à long terme, au moment où sa progression semblait assurée.

Le couloir a été délimité en Syrie avec des interruptions minimales : il va de la frontière iranienne à Jalawla, dans la province de Diyala, passe au sud de Mossoul vers Shawqat, puis trace au nord jusqu’à Tel Afar. Le pivot à l’ouest, évitant Sinjar, lance maintenant les forces soutenues par l’Iran dans un combat direct avec l’EI, servant ainsi le double objectif de jouer un rôle accru dans la guerre et de poser une première pierre le long du nouveau parcours.

Le plan a été mené par les milices chiites sous direction iranienne et a permis aux communautés minoritaires de sécuriser des portions de la route. Les combattants kurdes du PKK, qui ont voyagé depuis la Turquie, ont été au centre de la sécurisation de la portion de route des Monts Sinjar à la frontière syrienne, mais le changement de tracé a dérouté le couloir vers le sud.

Les responsables iraniens disent que la nouvelle route choisie part de Deir Ez-zor vers Sukhna et Palmyre, puis Damas, et vers la frontière libanaise, où le but principal d’encourager le Hezbollah pourrait partiellement être atteint par des changements démocratiques. De là, un passage vers Latakia et la mer Méditerranée a aussi été envisagé, donnant à l’Iran une voie d’acheminement qui éviterait les eaux du Golfe Persique couvertes de patrouilles.à

Source : The Guardian, Martin Chulov, 16-05-2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Commentaire recommandé

nicolas // 15.06.2017 à 10h16

Ce n’est pas si on regarde froidement, mais si on regarde lucidement…
Contre qui combat l’EI ? Contre les états syriens et irakiens, tous deux liés à l’Iran, contre le Hezbollah et contre l’Iran…
Ce sont les « méchants » de qui ?
L’EI progressait allègrement pendant les années où la « coalition » US de plus de 60 pays essayait de faire croire dans les médias qu’elle le combattait.
L’arrivée de la seule Russie a complètement inversé la tendance.

8 réactions et commentaires

  • david // 15.06.2017 à 09h39

    Si on regarde froidement les évènements, il apparait que l’éclosion de l’EI a été une aubaine incroyable pour ceux qui voulaient contrer l’influence iranienne dans la région. La fulgurance de l’expansion de l’EI, la dureté de leur combat face aux alliés chiites et la négligence face aux YPG amènent à se poser légitimement qq questions dérangeante.
    On ne dira rien également sur le fait que les américains soient présents sur le sol syrien sans aucune légitimité et ce sans protestation aucune du clan occidental… Ah oui, j’oubliais l’alibi de la lutte contre l’EI est le passe-droit bien pratique pour les sauveurs de la démocratie universelle.
    Bref, le jour où on aura droit à une interview des cadres de l’EI pour nous expliquer leur motivation et leur financement, on pourra commencer à croire à cette histoire rocambolesque qui légitime toutes les thèses complotistes sur le sujet. Rendez-vous dans 10 ans pour peut être comprendre la chose, enfin si tout ça n’a pas dégénéré entre temps

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    • nicolas // 15.06.2017 à 10h16

      Ce n’est pas si on regarde froidement, mais si on regarde lucidement…
      Contre qui combat l’EI ? Contre les états syriens et irakiens, tous deux liés à l’Iran, contre le Hezbollah et contre l’Iran…
      Ce sont les « méchants » de qui ?
      L’EI progressait allègrement pendant les années où la « coalition » US de plus de 60 pays essayait de faire croire dans les médias qu’elle le combattait.
      L’arrivée de la seule Russie a complètement inversé la tendance.

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    • SanKuKai // 15.06.2017 à 11h15

      En complément du commentaire de David, il est á noter sur la carte, l’emplacement et l’importance stratégique de la ville de Deir Ezzor pour l’arc Chiite.
      Ville dans laquelle les troupes loyalistes Syriennes avaient reculé devant l’EI suites aux bombardement par « erreur » des US sous Obama fin 2016.
      Pour éviter les remarques affamantes de complotisme, je dirais que: tout le monde peut se tromper (au prix de plusieurs vies quand meme!).
      L’importance stratégique de la zone et le fait que l’erreur colle parfaitement avec les objectifs US de casser l’arc Chiite, ont une probabilité non nulle de n’etre qu’une coincidence.
      {Ah, ce qu’il faut pas faire comme tournures de phrases pour éviter le décodex …}

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    • Georges Clounaud // 15.06.2017 à 15h31

      Rappelez-vous simplement l’apparition de l’EI sur nos écrans. C’étaient juste avant la prise de Mossoul. Ils paradaient dans leurs 4×4 Toyota blancs rutilants, flambants neufs qui venaient juste d’être livrés à l’armée irakienne par les états-uniens.
      La prise de cette ville a ensuite été un jeu d’enfants. Ses gardiens, apeurés, se sont tout de suite évaporés dans la nature oubliant même les clés sur les portes des banques de la ville. Elles contenaient simplement 400 millions de dollars en liquide….Je sais que dans cette région le système bancaire n’est pas optimum et que beaucoup de transactions se font en espèces mais tout de même, 400 millions de dollars !
      Et j’en passe et des meilleurs…
      Rares sont les mouvement armés qui ont connu à leur lancement autant de concours de circonstances favorables.
      http://www.leparisien.fr/flash-actualite-monde/irak-la-prise-de-mossoul-un-jackpot-pour-l-eiil-23-06-2014-3946009.php

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  • Iskander Zakhar // 15.06.2017 à 10h37

    Pour ce qu ipourrait faire suite à l’EI, Pepe Escobar propose un article intéressant sur le Saker.fr : http://lesakerfrancophone.fr/djihad-2-0-le-prochain-cauchemar-en-preparation
    Vous parliez d’un RDV dans 10 ans. Certains experts pensent qu’il s’agit plus d’une nouvelle guerre de 30 ans. Bref, nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Nos enfants (s’ils survivent…) en verront peut-être le bout.

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    • Chris // 15.06.2017 à 12h45

      Article à mettre en lien avec celui-ci :
      31. aout 2016 – Iran : attention moudjahidine du peuple iranien
      http://www.france-irak-actualite.com/2016/08/attention-moudjahidine-du-peuple-iranien.html
      « Voilà que l’on reparle de Massoud Radjavi, chef des Moudjahidine du Peuple (OMPI), un groupe armé d’opposants iraniens cherchant à prendre le pouvoir à Téhéran depuis plus de 30 ans….. l’OMPI a viré de bord et s’est alliée aux néoconservateurs et à l’AIPAC, le lobby pro-israélien américain.
      Seymour Hersh a révélé dans le Newyorker, en avril 2012, que le JSOC (Joint Special Operations Command) entraînait depuis 2005 des volontaires de l’OMPI sur une base militaire du Nevada…. Gareth Porter d’Inter Press Service (IPS) a démontré que le rapport contenant les « preuves » que l’Iran cherchait à se doter de la bombe atomique a été « fabriqué » par le Mossad et les Moudjahidine du Peuple. Il a ajouté que l’OMPI et le CNRI (Conseil National de la Résistance en Iran) collaborent étroitement avec le Pentagone et la CIA et qu’ils utilisent « une multitude d’organisations paravent pour mener des opérations de propagande et de manipulation, en vue de préparer l’opinion à une action militaire américano-israélienne contre l’Iran ».
      Toujours à propos de l’Iran :
      26 avril 2012 – Almadinejad n’a jamais appelé à rayer Israël de la carte
      http://www.lepoint.fr/monde/iran-ahmadinejad-n-a-jamais-appele-a-rayer-israel-de-la-carte-26-04-2012-1455392_24.php

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  • Manant2 // 15.06.2017 à 18h04

    Une guerre de 30 ans?
    La guerre contre l’Iran a commencé dès la révolution islamique en 1979. Cette guerre a commencé par l’agression irakienne (Saddam Hussein soutenu par les États du Golfe et la « communauté internationale ») et a duré huit ans. Selon Robert Fisk (dans la Grande guerre pour la civilisation), elle aurait dépassé en horreurs la guerre de 14-18.
    Cette révolution avait fait capoter tous les résultats escomptés par le traité de Camp-David (1978) —qui a désarmé l’Égypte par la conclusion de « sa » paix avec Israël— sabordant le projet de Shimon Perez d’une Communauté économique du Proche-Orient. La naissance du Hezbollah, les guerres du Liban qui ont suivi, puis la résistance islamique à Gaza, se situent dans le prolongement de cette Grande guerre.

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  • Pierre Bacara // 15.06.2017 à 18h13

    WASHINGTON, RIYAD ET LA PERSE

    L’accession de l’Iran au rang de Schwerpunkt officiel du Moyen-Orient planait depuis bien longtemps déjà.

    Trump, lors de sa récente visite en Arabie Saoudite, a prononcé un discours très dur contre l’Iran. Le spectacle ne vaut que ce que valent des paroles, mais la dose d’épilepsie qui l’épiçait était si corsée qu’il doit tout de même y avoir quelque chose à en retenir.

    Dans la foulée, l’hôte saoudien a soulevé un ouragan diplomatique [1] qui, officiellement, cible le Qatar mais, en réalité, son protecteur géant, l’Iran. La France, de son côté, reste dans les starting blocks pour tout coup de griffe contre Téhéran ; elle l’a prouvé en Syrie avec son soutien aux djihadistes contre le Président el-Assad et les Pasdarans prêtés par les Iraniens.

    Les nuages s’amoncellent donc aux portes ouest de la Perse qui ressuscite en grondant. Les lignes se dessinent : Oman se range progressivement dans le camp de Téhéran.

    On sait que l’Arabie saoudite, un peu comme la grenouille de La Fontaine, se considère comme le grand rival de l’Iran. Les intentions de Trump et des néo-conservateurs états-uniens sont, par contre, opaques.

    Que diable Washington a-t-il dans la tête ?

    [1] De mémoire, Arabie saoudite – Emirats – Egypte, puisque les ci-devant « terroristes » sont en l’occurrence les Frères et non pas el-Qaïda ni Daech.

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