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4.mars.20204.3.2020 // Les Crises

John Kiriakou : En réalité, le Congrès en fait trop

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Source : Consortium News, John Kiriakou, 14-01-2020

On entend beaucoup parler du Congrès au sujet de « ne fait rien ». Mais en fait, les législateurs se sont empressés de criminaliser des comportements auparavant légaux.

Le Capitole des États-Unis. (Johnny Silvercloud/Flickr)

Comme beaucoup de progressistes, j’aime critiquer le « Congrès qui ne fait rien ». Les médias aiment aussi parler du fait qu’un Congrès divisé, avec la Chambre des représentants contrôlée par les démocrates et le Sénat contrôlé par les républicains, est incapable d’adopter une législation pertinente. C’est la définition même de l’impasse à Washington.

La vérité, cependant, est que le Congrès adopte en fait beaucoup de lois. Une grande partie d’entre elles sont passées sous silence et presque toutes criminalisent des comportements auparavant légaux.

Un gouvernement de loups.

Selon l’auteur John Whitehead, le Congrès a créé, en moyenne, 50 nouveaux crimes par an au cours de la dernière décennie. Pas 50 nouvelles lois. Cinquante nouveaux crimes. Vous pouvez désormais être arrêté pour vente de ketchup liquide, pour avoir fait un geste obscène sur un cheval ou pour avoir retiré des excréments de lama d’une installation de quarantaine.

La tendance va dans la mauvaise direction. En seulement cinq ans, de 2008 à 2013, selon le Congressional Research Service, le Congrès a créé 439 nouvelles infractions pénales. Et cela s’ajoute au nombre croissant de délits d’État et locaux pour lesquels les Américains peuvent être poursuivis.

Pour aggraver les choses, beaucoup de ces lois fédérales ne prévoient aucune exigence de mens rea, ou « esprit criminel ». Cela signifie que vous pouvez être poursuivi même sans intention criminelle. Vous ne vouliez pas enfreindre la loi ? Pas de chance. Vous allez quand même tomber pour ça. Après tout, c’est comme ça que les jeunes procureurs agressifs sont promus.

Toute criminalisation n’est pas mauvaise, bien sûr. Nous avons vraiment besoin de lois – de nouvelles lois dans certains cas – pour lutter contre la pornographie infantile, la traite des êtres humains, la brutalité policière, les cyber-crimes et autres atteintes de ce genre. Le problème, c’est quand le Congrès outrepasse ses pouvoirs et que les autorités chargées de l’application de la loi s’enivrent de pouvoir.

À la recherche d’un fusil à pomme de terre

Fin 2013, des agents des garde-côtes – c’est vrai, même les garde-côtes ont des agents fédéraux – ont pris d’assaut la maison d’un journaliste du Washington Times pour chercher un « pistolet à patate ». Un quoi ? C’est un appareil fait maison qui utilise un tuyau en PVC pour lancer des pommes de terre et d’autres légumes dans l’air. J’en avais un quand j’étais enfant. Mon père me l’avait fabriqué.

Les agents n’ont pas trouvé de fusil à pommes de terre ni d’autre arme. Au lieu de cela, ils ont saisi les notes de la journaliste, qui permettaient d’identifier ses sources – et pour lesquelles ils n’avaient pas de mandat. Les garde-côtes ont affirmé avoir découvert des documents gouvernementaux, mais ils ont été obligés de rendre les notes après avoir appris que les documents avaient été obtenus légalement grâce à la loi sur la liberté d’information.

Plus récemment, deux manifestants écologistes se sont rendus au siège de Devon Energy, une grande entreprise de services publics liée au pipeline Keystone XL, où ils ont déployé une banderole dans le hall. On pouvait y lire, à la manière des Hunger Games, « Les probabilités ne sont jamais en notre faveur. »

Pistolet à eau. (Zephyris, CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons)

Alors que la banderole se déroulait, des paillettes sont tombées sur le sol du hall. La police est arrivée, a déterminé que les paillettes étaient une « substance potentiellement dangereuse » et a accusé le duo d’avoir perpétré un « canular terroriste ». Finalement, les accusations ont été abandonnées – mais pas avant que les manifestants ne soient enregistrés, qu’on prenne leurs empreintes digitales et qu’ils soient mis en accusation.

J’aimerais pouvoir vous dire qu’il y avait de la lumière au bout du tunnel. J’aimerais pouvoir vous dire que l’adoption par le Congrès du First Step Act, et sa signature par le président Donald Trump, ont permis de renverser la situation. J’aimerais pouvoir vous dire que le Congrès a vu la lumière et a décidé de ne plus adopter de lois pénales stupides. Mais ce n’est pas le cas. [Le First Step Act réforme le système pénitentiaire fédéral des États-Unis d’Amérique et vise à réduire les récidives. NdT source Wikipedia]

À la fin de l’année dernière, le ministère de la justice a tenté de compter le nombre de lois pénales fédérales, étatiques et locales en vigueur. Ils ont arrêté de compter à 300 000. Cela veut dire que si vous décidez d’enfreindre une loi pénale chaque jour, il vous faudra 800 ans pour terminer le travail. Et pour aggraver les choses, le Congrès accorde aux agences de régulation fédérales le pouvoir de promulguer des règlements ayant force de loi.

Et ne vous tournez pas vers la Cour suprême des États-Unis pour obtenir de l’aide. Une décision récente de cette dernière a établi que la police de l’État de l’Alaska était en droit d’arrêter un homme pour « trouble à l’ordre public » après qu’il a exprimé une opinion sur les médias sociaux qui les avait vexés. Il avait déclaré qu’il ne pensait pas que la police d’État avait le droit de cibler les mineurs qui boivent lors du festival annuel Arctic Man. Cette opinion, apparemment, est un crime.

J’essaie toujours de mettre fin à ces diatribes en offrant de l’espoir ou en proposant une solution. Je n’ai rien. Ce sont les clowns que nous avons élus et réélus à plusieurs reprises. Ce n’est pas une question de parti politique. Les démocrates et les républicains sont tous deux coupables. Je ne me plains plus du « Congrès qui ne fait rien ». Je m’en félicite. Si c’est tout ce que le Congrès peut vraiment faire, je souhaiterais qu’il ne fasse rien.

John Kiriakou est un ancien agent antiterroriste de la CIA et un ancien enquêteur principal de la commission des relations étrangères du Sénat. John est devenu le sixième lanceur d’alerte mis en accusation par l’administration Obama en vertu de la loi sur l’espionnage – une loi destinée à punir les espions. Il a purgé 23 mois de prison suite à ses tentatives de s’opposer au programme de torture de l’administration Bush.

Source : Consortium News, John Kiriakou, 14-01-2020

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Commentaire recommandé

Fabrice // 04.03.2020 à 07h10

Oui l’autoritarisme se frappe souvent dans les atours de la légalité mais sont indéniablement illégitime de nombreux exemples le prouve :
– l’esclavage était légal,
– l’extermination des tsiganes, des handicapés, des juifs, des homosexuels était légale,
-l’apartheid était légale,
-…
Et pourtant parfaitement illégitime car des lois ne doivent pas servir aux puissants à opprimer une partie de sa population ou assurer son maintien au pouvoir mais bien d’assurer un traitement équitable et non abusif, qui ne dépend pas de l’opinion sous le coup de l’émotion ou on finira par venir vous accuser d’avoir le même coupe papier que le dernier assassin.

5 réactions et commentaires

  • Fabrice // 04.03.2020 à 07h10

    Oui l’autoritarisme se frappe souvent dans les atours de la légalité mais sont indéniablement illégitime de nombreux exemples le prouve :
    – l’esclavage était légal,
    – l’extermination des tsiganes, des handicapés, des juifs, des homosexuels était légale,
    -l’apartheid était légale,
    -…
    Et pourtant parfaitement illégitime car des lois ne doivent pas servir aux puissants à opprimer une partie de sa population ou assurer son maintien au pouvoir mais bien d’assurer un traitement équitable et non abusif, qui ne dépend pas de l’opinion sous le coup de l’émotion ou on finira par venir vous accuser d’avoir le même coupe papier que le dernier assassin.

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  • aa // 04.03.2020 à 08h26

    Une explication possible est suggérée par une commentatrice de l’article original
    ( https://consortiumnews.com/2020/01/14/john-kiriakou-actually-congress-is-overdoing-it/#comment-392953 ) :

    « Je serais curieuse de savoir quelle est dans tout ceci la part due à la montée en puissance de l’industrie des prisons privées, alias le complexe carcéro-industiel [ https://en.wikipedia.org/wiki/Prison%E2%80%93industrial_complex ]
    qui dépense des millions de dollars dans des « contributions de campagne [électorales] » pour des députés et en fait écrit pour eux ces nouvelles lois et ces peines plus longues […] »

    Voir aussi
    https://www.prisonlegalnews.org/news/2018/aug/6/private-prison-firms-use-revolving-door-lobbying-generous-campaign-donations/

      +7

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  • calal // 04.03.2020 à 08h34

    il y a de nombreux paralleles entre la situation des us et la notre en france et dans les differents etats europeens.Nous sommes confrontes aux memes tendances,aux memes problemes.Tout l’occident est menace et a priori, ce danger,notre adversaire,celui qui s’attaque a nos democraties,soit de maniere insidieuse soit recemment de plus en plus ouvertement, s’appelle PLOUTOCRATIE.

    Une des formes que prend cette ploutocratie et qui sevit aux us comme en europe c’est TINA (There Is No Alternative): l’impression que les electeurs ont un choix entre deux politiques differentes,droite ou gauche,alors qu’en fait,les deux camps font presque la meme chose une fois elu.Et c’est la que reside l’espoir que beaucoup ont mis en trump.Parce qu’il a du se battre d’abord contre les membres de son propre camp pour s’imposer,ce qui pouvait faire penser qu’il n’etait pas un membre de ce camp TINA.

    Si on veut sauver nos democraties occidentales,il faut faire barrage a l’envers: TOUT plutot que TINA.

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  • christian gedeon // 04.03.2020 à 12h01

    Plus çà va aller,plus çà va aller dans ce sens. Non que le Congrès ou d’autres institutions soient foncièrement mauvais. Mais parce que nous vivons dans une société qui est en train de devenir maboule de ses cas particuliers,qui sont forcément sans fin. Et comme la tendance lourde est,chez nous comme là-bas,à vouloir tout sanctionner en fonction des désideratas des uns et des autres,nous ne sommes pas sortis de l’auberge…qu’on se rappelle bien que plus il ya des « libertés  » dites individuelles(sic!),plus la Liberté recule. Parce qu’aujourd’hui,les libertés individuelles et communautaristes(ce qui revient au même et ce quelle que soit la communauté,politique,financière,ethnique,sociologique ou sociétale) ont plus pour but de restreindre la Liberté des autres que d’assurer la Liberté commune.

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