Voilà pourquoi les stratèges chinois voient peu de différence entre les deux.
Source : Foreign Affairs, Wang Jisi, Hu Ran, Zhao Jianwei
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Au cours des dernières semaines, les soubresauts de la séquence électorale présidentielle américaine ont attiré une très forte attention partout dans le monde. Avant même le début de l’été, les différents pays pesaient les impacts du retour de l’ancien président Donald Trump à la Maison Blanche et, à l’inverse, ce qu’un second mandat du président américain Joe Biden pourrait apporter. Pour nombre d’entre eux, ces deux éventualités présentaient des perspectives radicalement différentes en matière de géopolitique et du rôle futur des États-Unis dans les affaires mondiales.
Et puis il y a eu ces neuf jours incroyables en juillet, au cours desquels Trump a failli être assassiné et Biden a brusquement annoncé qu’il ne se représenterait pas aux élections. Ces événements, qui, pour les deux partis, ont bouleversé la course à la présidence, ont fait naître une incertitude supplémentaire quant à l’orientation future des États-Unis. Nombre de pays constatent une divergence de plus en plus marquée entre d’un côté la continuité prévisible de la politique étrangère internationaliste de Joe Biden avec une future présidente, Kamala Harris, et de l’autre une approche beaucoup plus isolationniste avec un président Trump réélu et son colistier, J. D. Vance.
Depuis la Chine, cependant, le point de vue est quelque peu différent. Il y a huit ans, la première administration Trump a instauré une approche beaucoup plus conflictuelle de ses relations avec Pékin, ce que de nombreux observateurs chinois ont trouvé déconcertant. Plutôt que de considérer la Chine comme une partenaire commerciale et parfois comme une rivale, les États-Unis ont commencé à la qualifier de « puissance révisionniste », de concurrente stratégique, voire de menace. Ce qui est encore plus frappant, c’est qu’en dépit des changements de ton, l’administration Biden a confirmé ce changement et l’a même accentué pour certains dossiers. De fait, un consensus bipartisan semble se dégager à Washington sur la nécessité de traiter la Chine comme un adversaire majeur, un nombre croissant d’analystes plaidant en faveur de l’adoption d’un cadre de guerre froide.
Aux yeux des observateurs chinois, plutôt que de présenter des approches différentes de leur pays et du monde, les deux principaux partis américains expriment tous deux une conception commune de la Chine, celle qui a émergé ces dernières années et qui est fortement influencée par les enjeux politiques intérieurs des États-Unis. Plus que les conceptions de l’un ou l’autre parti, ce sont les différentes nuances qui caractérisent leur analyse de la Chine et ce qu’elles pourraient impliquer concrètement qui importent le plus. La plupart des observateurs chinois estiment que la politique américaine à l’égard de la Chine ne devrait pas changer de manière significative. Mais ils essaient de comprendre ce qui pourrait finalement dominer dans la réflexion actuelle de Washington.
Jouer devant son public
En raison de la structure politique de la Chine et de la surveillance étroite de l’opinion publique chinoise par le gouvernement, on ne peut que difficilement comprendre comment les dirigeants de Pékin perçoivent le débat américain sur la Chine et y réagissent. Néanmoins, il est possible de formuler quelques remarques générales au sujet des forces que beaucoup de Chinois considèrent comme étant à l’origine de ce débat. Primo, les agissements extérieurs d’un pays tendent à refléter sa politique intérieure. Ce phénomène semble particulièrement vrai aux États-Unis, où les grands débats domestiques sont susceptibles de rejaillir sur les affaires étrangères. Et il en est venu à jouer un très grand rôle dans la manière dont Washington appréhende la Chine.
Ainsi, le mantra « l’Amérique d’abord » de Trump tout comme le slogan « Une politique étrangère pour la classe moyenne » de Biden démontrent de manière éclatante la relation étroite entre la politique intérieure et la politique étrangère aux États-Unis. Après l’entrée en fonction de Trump, le climat politique fortement polarisé aux États-Unis a déterminé sa politique étrangère, tout particulièrement vis à vis de la Chine. L’approche « America first » (l’Amérique d’abord) était en grande partie une réponse aux inquiétudes des électeurs américains concernant la mondialisation et l’immigration. C’est la raison pour laquelle l’administration Trump a mis en place des barrières commerciales, restreint l’immigration et la participation des États-Unis au sein des organisations internationales, en donnant la priorité aux intérêts économiques et à la sécurité nationale des États-Unis.
Biden partage avec Trump des réflexions politiques communes dans le domaine de la politique étrangère.
Et pourtant, l’administration Biden a également clairement indiqué que ses décisions en matière de politique étrangère visaient à se conformer aux intérêts des électeurs sur le plan domestique et que la prospérité des Américains ordinaires avait également une dimension internationale. Ainsi, la politique étrangère de Biden et celle de Trump ont en commun des considérations politiques similaires, puisqu’elles visent à rééquilibrer les politiques industrielles nationales et les règles économiques internationales afin de promouvoir les intérêts nationaux. Certains des enjeux américains ont eux-mêmes des composantes à la fois nationales et étrangères. L’afflux continu d’immigrants n’est pas seulement un des moteurs de la prospérité des États-Unis, il affecte également la sécurité aux frontières et les relations avec le monde extérieur. Depuis l’administration Trump, la crise du fentanyl aux États-Unis a exigé une coopération avec la Chine, et celle-ci a répondu positivement. Pour autant, certains des membres du Congrès continuent de rendre la Chine responsable de l’entrée du fentanyl aux États-Unis depuis le Mexique.
La politique étrangère américaine de ces dernières années se caractérise également par le rôle croissant qu’y joue la Chine. Bien que le conflit armé entre la Russie et l’Ukraine et la guerre d’Israël contre le Hamas à Gaza retiennent l’attention, la Chine reste la principale priorité de la stratégie mondiale élaborée par Washington. En cette période critique, de nombreux stratèges américains réitèrent leurs exhortations pour que Washington accélère sa stratégie de pivot vers l’Asie. Par exemple, dans leur nouveau livre, Lost Decade, Robert Blackwill et Richard Fontaine, analystes en politique étrangère, soutiennent que les administrations Obama, Trump et Biden ont toutes, à divers égards, échoué à développer des politiques fortes et cohérentes vis à vis de la Chine et du reste de l’Asie. Ils affirment également que les responsables politiques américains doivent impérativement accélérer le virage vers l’Asie, même si les États-Unis restent confrontés à de nombreux défis en Europe et au Moyen-Orient.
La politique à l’égard de la Chine est déjà clairement mise en avant dans la compétition présidentielle américaine. Les deux partis rivalisent pour produire la meilleure rhétorique de fermeté à l’égard de Pékin ainsi que sur la nécessaire réduction de son rôle sur la scène internationale. Cela met en évidence un autre aspect du débat américain sur la Chine : dans le contexte politique actuel des États-Unis, le clivage traditionnel « colombes » et « faucons » ne permet pas de cerner la complexité du regard porté par les américains sur la Chine. Compte tenu du large consensus bipartisan qui veut que la Chine représente un défi majeur, une analyse de l’éventail des différentes approches politiques qui ont émergé dans le cadre de ce consensus général s’avère des plus pertinentes.
Un débat à trois voix (voies)
À distance, on peut diviser les stratèges américains spécialistes de la Chine en trois écoles. La première pourrait être appelée les « Nouveaux adeptes de la Guerre froide ». Les membres de ce groupe estiment que la rivalité entre les États-Unis et la Chine est un jeu à somme nulle et que Washington et Pékin sont entrés dans une guerre froide qui requiert des tactiques encore plus agressives de la part des États-Unis. Comme l’ont affirmé l’ancien conseiller adjoint à la sécurité nationale Matt Pottinger et l’ancien membre du Congrès américain Mike Gallagher dans Foreign Affairs : « Il faut gagner la compétition avec la Chine et non la gérer. » Pour défendre cet argument, les deux hommes et d’autres, se sont inspirés de l’exemple du président américain Ronald Reagan, qui avait fait de la menace soviétique une priorité absolue afin de parvenir à la victoire lors de la guerre froide.
La deuxième école pourrait être décrite comme celle des « Gestionnaires de la concurrence ». Contrairement aux nouveaux adeptes de la guerre froide, les membres de ce camp soutiennent l’idée que la rivalité entre les États-Unis et la Chine n’est pas un jeu à somme nulle, et qu’il est par conséquent essentiel d’avoir une stratégie pour coexister avec la Chine. Les origines intellectuelles de cette approche remontent à un article que Kurt Campbell et Jake Sullivan ont écrit pour Foreign Affairs en 2019, avant qu’ils ne rejoignent tous deux l’administration Biden. Selon les deux hommes, le conflit avec la Chine est « une situation à gérer plutôt qu’un problème à résoudre ». Tout comme Rush Doshi, qui a été directeur principal adjoint pour les affaires chinoises et taïwanaises au Conseil de sécurité nationale de 2021 à début 2024, et d’autres, ils avancent que pour Washington, la meilleure approche vis à vis de la Chine est celle qui consiste à commencer par la concurrence, puis à proposer des offres de coopération.
On pourrait appeler la troisième « Les Accommodants». Bien qu’ils partagent l’aversion des autres écoles pour le système politique chinois et son influence mondiale, ils sont généralement plus enclins que leurs homologues à craindre que la concurrence ne dégénère en confrontation. Figures de proue de ce camp, les spécialistes des relations internationales Jessica Chen Weiss et James Steinberg sont opposés à une guerre froide avec la Chine parce que les guerres froides sont intrinsèquement dangereuses. À leurs yeux, Pottinger et Gallagher ne font que proposer une victoire illusoire, en effet : « Les efforts déployés par les États-Unis pour amener des changements par le biais de pressions risquent tout autant de consolider les régimes autoritaires que de les ébranler. » Weiss et Steinberg affirment par conséquent qu’il est dans l’intérêt de Pékin et de Washington de réduire le risque de guerre et de coopérer dans des domaines d’intérêt mutuel, tels que le changement climatique et la santé publique.
Malgré cette diversité d’opinions, les trois écoles s’accordent à dire que la Chine représente un défi important pour les États-Unis. Elles s’accordent également sur le fait que la politique américaine à l’égard de la Chine doit reposer sur des bases bipartisanes pour réussir. Néanmoins, il semble qu’il n’y ait pas de point de vue dominant à Washington quant à la meilleure approche ou quant aux aspects du défi – politique, militaire, économique ou de gouvernance mondiale – qui sont les plus sérieux. Pour Pékin, ce débat non résolu signifie qu’il est crucial de comprendre comment ces différentes approches influencent les politiques américaines et, en particulier, comment elles pourraient orienter la prochaine administration américaine.
Tactiques différentes, mêmes objectifs
Les Américains pourraient être tentés de se demander si la Chine préfère une administration Harris ou une deuxième administration Trump – ou, plus largement, si elle préfère les Démocrates ou les Républicains. Après tout, en 1972, le président Mao Zedong a déclaré au président Richard Nixon qu’il aimait la droite politique aux États-Unis et dans d’autres pays occidentaux. Bien que Mao n’ait pas donné la raison de cette préférence, il semble probable qu’il ait considéré que Nixon et d’autres dirigeants occidentaux de droite accordaient plus d’attention aux intérêts économiques et sécuritaires de leurs pays, alors que les politiciens de gauche avaient tendance à fonder leurs politiques sur l’idéologie et les valeurs politiques.
Pourtant, il est difficile de déterminer si ce sont les Démocrates ou les Républicains qui ont le plus contribué aux relations américano-chinoises. Par exemple, si Nixon, républicain, a été le premier à briser la glace avec la Chine, c’est Jimmy Carter, Démocrate, qui a décidé de nouer des liens diplomatiques avec Pékin. Depuis les tout débuts de la République populaire de Chine en 1949, les États-Unis ont connu sept présidents démocrates et sept présidents républicains, et des avancées et des crises majeures dans les relations bilatérales ont été enregistrées sous les deux bannières.
Cette incertitude vaut également quand il s’agit pour les Chinois d’évaluer aujourd’hui les deux partis. Lorsque Trump a pris ses fonctions, en 2017, sa principale inquiétude concernant la Chine tenait à l’énorme déficit commercial des États-Unis et, pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, celui-ci, ainsi que l’avance technologique de la Chine, ont été abordés comme relevant de la sécurité nationale. Non seulement l’administration Trump a qualifié la Chine de « puissance révisionniste » et de rival stratégique [Le révisionnisme consiste à soutenir, en droit, en politique, en histoire ou en sciences, une position réclamant la révision de ce qui est majoritairement tenu pour acquis : morale, valeurs, constitutions, lois, verdicts, récits, traités, frontières, doctrines ou idées, NdT], mais elle a également désigné le Parti communiste chinois comme une menace pour le mode de vie américain et le « monde libre ». En adoptant une approche pangouvernementale agressive mais peu cohérente [L’approche pangouvernementale fait référence aux activités conjointes menées par divers ministères, administrations publiques et agences publiques afin de fournir une solution commune à des problèmes ou des questions particulières, et implique une certaine forme de travail et de restructuration transfrontaliers, NdT], l’administration Trump a choisi de se mesurer à la Chine et de l’affronter sur presque tous les sujets.
L’administration Trump a commencé par le commerce en imposant des droits de douane pénalisants contre les importations chinoises, puis elle a étendu sa campagne pour inclure une surveillance accrue et des restrictions sur les investissements chinois, un renforcement des contrôles des exportations de haute technologie et des actions ciblées contre des entreprises chinoises spécifiques ayant une présence importante à l’étranger, telles que Huawei. En ce qui concerne les questions de sécurité, l’administration Trump a également pris de nouvelles mesures pour maintenir la suprématie des États-Unis dans la région que les stratèges appellent désormais systématiquement la région « Indo-Pacifique », un terme géographique qui n’avait été utilisé qu’occasionnellement auparavant. L’administration Trump a accordé à Taïwan des garanties de sécurité particulières et a édulcoré la politique de longue date de la « Chine unique » ; elle a investi de nouvelles ressources dans le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (Quadrilateral Security Dialogue : groupe formé de l’Australie, l’Inde, le Japon et les États-Unis) afin de faire collectivement contrepoids à la Chine ; elle a aussi multiplié les activités militaires américaines dans le Pacifique occidental pour défier les prétentions territoriales de la Chine.
En ce qui concerne les relations politiques entre les États-Unis et la Chine, Trump ne professait pas une idéologie rigide quant au système et aux dirigeants chinois, mais il a permis aux fonctionnaires de son administration et au Congrès américain de critiquer vigoureusement le parti au pouvoir en Chine et sa gouvernance intérieure, en particulier ses politiques à l’égard du Xinjiang et de Hong Kong. En adoptant un cadre narratif plus large sur la « menace chinoise », son administration a porté un coup sévère aux échanges universitaires, scientifiques et sociétaux entretenus entre les deux pays depuis des décennies. En diplomatie internationale, Washington a également entrepris de diaboliser Pékin et de contrer fermement son influence internationale, essayant de freiner la Chine qui voit son poids dans le monde s’accroître grâce à son initiative « Nouvelle route de la soie » et à son implication croissante dans les organes des Nations unies.
Et puis, en 2020, au cours d’une année électorale compliquée aux États-Unis, la propagation de la pandémie de COVID-19 a accéléré la spirale descendante des relations entre Washington et Pékin. L’administration Trump a imputé la crise de santé publique au gouvernement chinois, a suspendu la plupart des échanges bilatéraux et a adopté une position hostile à l’égard de la Chine elle-même. En juillet 2020, le gouvernement américain a même exigé la fermeture du consulat général de Chine à Houston, l’accusant d’être une « plaque tournante de l’espionnage et du vol de propriété intellectuelle ».
Pourtant, dans l’ensemble, l’administration Trump a fait preuve d’une certaine souplesse à l’égard de la Chine. Malgré ses tarifs douaniers punitifs et autres mesures, elle est restée ouverte aux négociations commerciales et s’est montrée disposée à faire des compromis sur des questions épineuses telles que la concurrence technologique et Taïwan. Qui plus est, « l’Amérique d’abord » voulait aussi dire que Washington était moins crédible et avait moins de poids en matière de coordination avec d’autres pays quant à leurs propres politiques à l’égard de la Chine, ce qui fait que l’administration Trump a échoué à construire et diriger un front multilatéral efficace pour contrer la Chine. Voilà qui a encouragé certains commentateurs chinois à considérer que Trump était principalement intéressé par la recherche d’avantages commerciaux et par la conclusion d’un accord avec la Chine. En novembre 2017, il a effectué une visite d’État à Pékin – une démarche dont Biden s’est abstenu au cours de son administration – et a signé en janvier 2020 un accord commercial de phase 1 avec la Chine pour commencer à apaiser les tensions commerciales. À la fin de la présidence Trump, nombreux sont ceux qui, aux États-Unis, ont qualifié d’échec la guerre commerciale menée par son administration contre la Chine.
Même si elle a imposé des droits de douane punitifs, l’administration Trump est restée ouverte à des négociations commerciales.
Au-delà de ses différences supposées avec l’administration Trump, l’administration Biden, en ce qui concerne la Chine, a fait preuve d’une cohérence évidente avec celle qui l’a précédée. Biden a principalement renforcé l’orientation généralement conflictuelle des politiques de l’ère Trump en adoptant une approche plus systématique et multilatérale, que son administration a appelée « investir, s’aligner et rivaliser ». Dans son premier discours de politique étrangère, en février 2021, Biden a qualifié la Chine de « rival le plus sérieux » des États-Unis et a promis de « s’attaquer directement » aux défis qu’elle représesnte pour la « prospérité, la sécurité et les valeurs démocratiques » des États-Unis.
Biden a donc travaillé en étroite collaboration avec le Congrès pour réaliser des investissements dans des infrastructures à grande échelle et mettre en œuvre des politiques industrielles visant à rendre les États-Unis plus compétitifs et moins dépendants de la Chine. Pour mieux rivaliser dans le domaine des technologies de pointe, l’administration Biden a également cherché à renforcer ses contrôles à l’exportation, à instaurer de nouveaux droits de douane sur les produits chinois de technologie verte et à mieux coordonner les efforts internationaux tels que l’alliance Chip 4, un partenariat sur les semi-conducteurs entre le Japon, la Corée, Taïwan et les États-Unis.
Dans la région Asie-Pacifique, l’administration Biden a intensifié sa présence militaire dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine méridionale, elle a aussi ajouté une dimension économique régionale aux alliances de sécurité asiatiques des États-Unis. Biden a également rallié les dirigeants du G-7 pour faire avancer l’initiative Build Back Better World [Build Back Better World parfois aussi appelé B3W une initiative économique conçue par les États-Unis pour le développement des infrastructures des pays à revenu faible ou intermédiaire, NdT] et le Partenariat pour les infrastructures et les investissements mondiaux, qui visent tous deux à constituer une réponse occidentale à l’initiative chinoise de la Nouvelle route de la soie. Face aux liens de plus en plus étroits entre la Chine et la Russie dans le contexte de la guerre en Ukraine, l’administration Biden a imposé des sanctions aux entreprises chinoises qui commercent avec la Russie. Washington a également insufflé au conflit avec la Chine une nouvelle dimension idéologique – ce que l’administration appelle « la démocratie contre l’autocratie » – dans le but de construire une grande alliance contre Pékin.
Bien que la concurrence avec la Chine ait été féroce, l’administration Biden a maintenu un dialogue régulier de haut niveau et a continué de rechercher des domaines de coopération. Bien que l’accent soit mis sur ce qu’elle considère comme l’influence politique de la Chine, l’équipe Biden a pris des mesures pour dépolitiser et restaurer les échanges universitaires et sociétaux bilatéraux, notamment en mettant fin à l’Initiative Chine de l’administration Trump – une mesure de répression controversée à l’encontre des chercheurs américains qui entretenaient des contacts avec leurs homologues chinois. Biden a également rencontré personnellement le président chinois Xi Jinping à Bali, en Indonésie, en novembre 2022, et à San Francisco en novembre 2023, rencontres qui ont permis aux deux dirigeants de s’engager à maintenir des relations bilatérales durables et fructueuses.
Les grands jardins ou les grandes coalitions
Les stratèges chinois ne se font guère d’illusions sur un éventuel changement de cap de la politique américaine à l’égard de la Chine au cours de la prochaine décennie. Compte tenu des sondages d’opinion américains et du consensus bipartisan sur la Chine à Washington, ils estime que la personne élue en novembre 2024, qui que ce soit, continuera à donner la priorité à la concurrence stratégique, voire à l’endiguement, dans son approche vis à vis de Pékin, la coopération et les échanges étant relégués au second plan.
Il est pratiquement certain qu’une nouvelle administration Trump poursuivrait une politique commerciale plus agressive à l’égard de la Chine. Trump a déjà annoncé que des droits de douane de 60 % seraient imposés sur tous les produits fabriqués en Chine et qu’il révoquerait le statut permanent de relations commerciales « normales » de la Chine, lequel lui confère des conditions commerciales et un accès au marché favorables et non discriminatoires depuis 2000. Il a également appelé à l’adoption d’une doctrine « grands jardins, grandes clôtures » (big yard, high fence) – une déclinaison claire du concept « petits jardins, grandes clôtures » (small yard, high fence) [plutôt que d’interdire tout investissement pour se protéger des fuites technologiques, il faut les limiter à des champs précis et non-stratégiques, les « petits jardins », qui seront protégés par de « grandes clôtures », NdT] de l’administration Biden, laquelle ne protège que les technologies critiques et émergentes par des mesures de sécurité strictes – afin de permettre un découplage technologique plus large par rapport à la Chine.
Néanmoins, compte tenu de la prédilection de Trump pour les négociations, il pourrait décider de conclure des accords bilatéraux avec Pékin en ce qui concerne les biens de consommation, l’énergie et la technologie. Il pourrait également essayer d’utiliser la question de Taïwan comme monnaie d’échange pour obtenir un effet de levier dans d’autres domaines, en proposant par exemple de limiter les actions provocatrices de Taïwan en échange d’un compromis de Pékin sur le commerce. Mais il est très peu probable que la Chine accepte un tel accord, et les conseillers de Trump en matière de politique étrangère pourraient également s’y opposer. Une fois encore, compte tenu de sa préférence marquée pour la diplomatie bilatérale plutôt que pour le multilatéralisme, Trump pourrait également être moins à même de mobiliser ses alliés et ses partenaires pour contrer la Chine et pourrait chercher à obtenir un accord spécifique entre les États-Unis et la Russie, partenaire stratégique indéfectible de la Chine.
Pour sa part, une administration Harris, en supposant qu’elle conserve une grande partie de l’approche Biden, serait probablement amenée à intensifier la concurrence stratégique avec Pékin et à consolider les efforts de Biden pour construire une coalition de pays occidentaux et asiatiques afin de faire contrepoids à la Chine. Comparées à la politique arbitraire et inconstante de Trump, ces stratégies resteraient probablement mieux organisées et compréhensibles.
Globalement, du point de vue de la Chine, il est probable que les politiques relatives à la Chine d’une nouvelle administration Trump ou d’une administration Harris seront cohérentes d’un point de vue stratégique. Les deux candidats, en leur qualité de présidents, présenteraient des défis et des inconvénients pour la Chine, et aucun d’entre eux ne semble vouloir un conflit militaire majeur ou couper tous les contacts économiques et sociétaux. Il est donc peu probable que Pékin ait une préférence claire. En outre, la Chine a tout intérêt à maintenir une relation stable avec les États-Unis et à éviter toute confrontation ou rupture majeure. En raison des tensions politiques liées aux élections et aux relations sino-américaines, toute action d’ingérence de la Chine se retournerait probablement contre elle.
Alors que la course à l’élection présidentielle américaine de 2024 s’intensifie, les remarques des responsables de Pékin ont été prudentes et réservées, les représentants du gouvernement décrivant l’élection comme « une affaire interne à l’Amérique ». Lors d’une conférence de presse en juillet dernier, Lin Jian, porte-parole du ministère des affaires étrangères, a souligné : La Chine n’a jamais interféré dans les élections présidentielles américaines et ne le fera jamais. » Il également ajouté que le gouvernement chinois « désapprouve catégoriquement quiconque fait de la Chine un problème et porte atteinte aux intérêts de la Chine à des fins électorales » et que les deux partis politiques américains « ne devraient pas véhiculer de fausses informations pour vilipender la Chine et ne devraient pas faire de la Chine un enjeu ». Voilà qui indique que Pékin pourrait se sentir contraint de réagir, au moins sur le plan rhétorique, s’il est attaqué pendant la campagne. Malgré son principe déclaré de non-ingérence, Pékin pourrait ne pas être en mesure de faire taire les voix en quête de sensationnalisme, irresponsables et provocatrices qui s’expriment dans les médias sociaux en langue chinoise. Certaines d’entre elles sont diffusées en dehors de la Chine et peuvent refléter les intérêts particuliers de certaines communautés chinoises extérieures et ne doivent donc pas être interprétées comme représentant la position officielle de la Chine.
La prudence plutôt que la catastrophe
Tout comme pour Washington, la principale préoccupation de Pékin en 2024 est sa situation intérieure. Contrairement à la polarisation politique et à l’instabilité de la période électorale aux États-Unis, la Chine semble être politiquement stable et socialement cohésive sous la houlette du Parti communiste chinois. Mi-juillet, le 20e comité central du PCC a conclu sa troisième session plénière en dressant un bilan positif de la reprise économique de la Chine, en dépit de chiffres de croissance économique inférieurs aux attentes pour le premier semestre 2024, et a proposé une intensification exhaustive des réformes afin de favoriser la modernisation de la Chine. Soucieuse de trouver un équilibre entre développement économique et sécurité nationale, la priorité absolue de Pékin reste la consolidation des institutions, en particulier le renforcement de la direction du PCC et l’application de la discipline du parti.
D’une part, Pékin reconnaît que le maintien de la croissance économique est impératif pour la stabilité intérieure et prend des mesures pour développer le commerce extérieur, accroître les investissements et renforcer la coopération technologique. À cet égard, il n’y a aucun avantage à contrarier les États-Unis et l’Occident. D’autre part, le gouvernement chinois n’a pas ménagé ses efforts pour se prémunir contre ce qu’il considère comme des tentatives occidentales – et en particulier américaines – de saper son autorité et sa légitimité à l’intérieur du pays, et il ne sacrifiera pas ses principes politiques et sa sécurité nationale à des fins d’avantages économiques.
Bien que recherchant la stabilité avec Washington, Pékin s’est également préparée à des turbulences croissantes dans les relations bilatérales. En mars 2023, Xi a fait remarquer : « Les pays occidentaux sous l’égide des États-Unis ont procédé à un endiguement, un encerclement et une répression tous azimuts à notre encontre, ce qui a posé des défis graves et sans précédent en ce qui concerne le développement de notre pays. » Deux mois plus tard, lors de la première réunion du nouveau Comité central de sécurité nationale, Xi a appelé le parti à « se préparer au pire, à des scénarios extrêmes et à être prêt à résister à l’épreuve majeure des vents violents, des eaux tumultueuses et même des tempêtes périlleuses ». Dans le domaine des affaires étrangères, Pékin continue de dépeindre le monde comme comprenant à la fois des pays en développement et des pays développés, plutôt que de le définir comme des blocs, occidentaux et antioccidentaux en concurrence pour exercer une influence dans les pays du Sud.
La Chine s’est fermement opposée à l’ingérence des États-Unis dans ce qu’elle considère comme ses affaires intérieures, en particulier sur des questions telles que Hong Kong, Taïwan, le Tibet, le Xinjiang et les droits humains. La Chine considère que la question de Taïwan, en particulier, est d’une importance capitale. Pékin estime avoir fait preuve d’une grande retenue à cet égard et est loin d’avoir épuisé ses options politiques potentielles pour empêcher l’île d’obtenir une indépendance de jure. Dans ces conditions, les dirigeants chinois s’en tiendront à leur principe déclaré d’unification pacifique avec Taïwan et au principe « un pays, deux systèmes », à moins qu’il n’y ait une provocation radicale et irréversible. Dans son conflit territorial avec les Philippines en mer de Chine méridionale, la Chine considère son approche comme proportionnée et prudente. Dans le cadre des tensions avec les États-Unis dans les domaines du commerce et de la technologie, la Chine estime qu’elle privilégie les ripostes mesurées et qu’elle est obligée de redoubler d’efforts pour parvenir à l’autosuffisance.
Compte tenu des grandes similitudes qui caractérisent tant l’approche de l’administration Trump que celle de l’administration Biden à l’égard de la Chine, Pékin se prépare à l’issue des élections américaines avec une grande circonspection et des espoirs mitigés. En avril, Xi a réaffirmé au secrétaire d’État américain Antony Blinken : « La Chine se réjouit que les États-Unis soient en confiance, ouverts, prospères et florissants et espère qu’ils verront également le développement de la Chine sous un jour positif. » Malheureusement, la probabilité que la prochaine administration américaine considère le développement de la Chine de manière positive est infime. Alors que la Chine continue de donner la priorité à son développement intérieur et à sa sécurité, elle continuera probablement de défendre son modèle économique et son mode de gouvernance tout en préservant un espace pour le commerce et l’investissement au niveau mondial. Il est peu probable que les relations sino-américaines retrouvent avant longtemps le niveau élevé d’échanges et de coopération qui prévalait au début du XXIe siècle. Toutefois, si un rapprochement est hors de question, la Chine et les États-Unis peuvent néanmoins continuer de préserver une certaine stabilité et éviter une catastrophe, quel que soit l’occupant du bureau ovale.
WANG JISI est président fondateur de l’Institut d’études internationales et stratégiques de l’Université de Pékin, Chine.
HU RAN est chercheuse associée à l’Institut d’études internationales et stratégiques de l’Université de Pékin.
ZHAO JIANWEI est chercheur associé à l’Institut d’études internationales et stratégiques de l’Université de Pékin.
Source : Foreign Affairs, Wang Jisi, Hu Ran, Zhao Jianwei, 01-08-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
Amusant que cet article découple les pays alors qu’il y a un bloc qui va de Brest-Litovsk jusqu’à Pyong-Yang.
La réunion du mois prochain (octobre 2024) à Kazan doit discuter entre autre de device électronique commune adossée aux richesses respectives des pays participants aux BRICS.
Lorsqu’on règle les frais pour le visa électronique russe purement en ligne, le payment s’effectue en dirhams sur une banque des Emirats Arabes Unis. Les Arabes causent des relations millénaires avec la Chine le long de la Route de la Soie, avec les splendeurs des califats s’étalant des confins de la Perse sur les cols afghans-tadjikes-chinois jusqu’à l’Andalousie, et le rôle des caravanes irako-syiennes dans l’apport des agrumes, du riz, des épices, de la soie, etc, de la Chine vers l’Europe. De la poudre aussi..
Par ailleurs la route maritime la plus courte et sûre d’Extrême-Orient vers l’Europe passe par la Russie, en plus au raz de ses côtes càd 100% en eaux territoriales.
Typiquement les américains ne parlent pas des faits qui leur déplaisent comme si de ne pas en parler les faisait disparaître. Une pensée de psychotique en quelque sorte. La violence est l’une des réponse du psychotique lorsque la réalité ne colle pas à son délire.
Bref ….
4 réactions et commentaires
L’annocratie US et le PCC ont l’air mutuellement résolus à poursuivre leur découplage et leurs politiques de réduction des risques quel que soit le résultat du scrutin du 5 novembre.
Le commerce Asiatique reste un des objectifs prioritaire des deux … et les jeux d’influences et les politiques agressives vont rester une constante jusqu’à la fin de cette nouvelle « guerre froide ».
En tous cas : que le meilleur gagne !
+1
AlerterBof, aux USA les milliardaires ont leur représentant appelé ‘ président’…issu de l’un ou l’autre parti (en fait il ou elle reçoit tout plein de sous des…très riches ainsi que les ‘ confort médiatique and co…) ensuite ,une fois élu(e) il ou elle renvoie l’ascenseur à leurs donateurs en continuant les guerres ( ou en en créant des neuves) qui leur permettent de vendre toutes sortes d’armes et de s’enrichir davantage…Les chinois ( et les autres nations vassales des USA ou pas encore…) sont au courant aussi je pense…
+3
AlerterAmusant que cet article découple les pays alors qu’il y a un bloc qui va de Brest-Litovsk jusqu’à Pyong-Yang.
La réunion du mois prochain (octobre 2024) à Kazan doit discuter entre autre de device électronique commune adossée aux richesses respectives des pays participants aux BRICS.
Lorsqu’on règle les frais pour le visa électronique russe purement en ligne, le payment s’effectue en dirhams sur une banque des Emirats Arabes Unis. Les Arabes causent des relations millénaires avec la Chine le long de la Route de la Soie, avec les splendeurs des califats s’étalant des confins de la Perse sur les cols afghans-tadjikes-chinois jusqu’à l’Andalousie, et le rôle des caravanes irako-syiennes dans l’apport des agrumes, du riz, des épices, de la soie, etc, de la Chine vers l’Europe. De la poudre aussi..
Par ailleurs la route maritime la plus courte et sûre d’Extrême-Orient vers l’Europe passe par la Russie, en plus au raz de ses côtes càd 100% en eaux territoriales.
Typiquement les américains ne parlent pas des faits qui leur déplaisent comme si de ne pas en parler les faisait disparaître. Une pensée de psychotique en quelque sorte. La violence est l’une des réponse du psychotique lorsque la réalité ne colle pas à son délire.
Bref ….
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AlerterJe pense personnellement que la Chine, tous les membres des BRICS (et ceux qui veulent les rejoindre) ainsi que toutes les anciennes colonies (ou pays qui courbent l’échine devant les occidentaux) souhaitent surtout qu’on leur FOUTE LA PAIX.
Quand vous avez un tyran qui perd son influence sur le reste de la population il se montre de plus en plus violent pour ne pas perdre son statut.
Les exemples ne manquent pas dans tous les récits des « heures les plus sombres de notre histoire ».
La situation actuelle (occident vs le reste du monde) n’est que le début d’un combat à mort qui risque de faire « quelques » millions (voire milliards) de morts qui n’avaient rien demandé.
Si les souhaits de domination mondiale occidentaux n’étaient pas si violemment basés sur le conflit armés ( c’est moi qui possède la plus grosse – armée – mais pas que) et la répression violente de ceux qui veulent se rebeller les ressources seraient mieux réparties et l »humanité pourrait vivre en sécurité (particulièrement alimentaire) et en paix.
Qui a selon vous inventé le « concours de quéquettes » ?
Et surtout qui ne veut surtout pas perdre à ce jeu débile ?
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