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1.mai.20151.5.2015 // Les Crises

Le changement climatique : points de repère, par Alain Grandjean

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Ce petit texte vise à donner les points de repère qui me semblent essentiels à tous ceux qui s’interrogent de bonne foi sur l’origine des informations qui permettent de fonder un diagnostic solide sur le changement climatique et ses causes. Merci à ceux qui repéreraient une erreur ou une omission significative, cette note n’ayant en aucun cas pour vocation d’être exhaustive mais juste de constituer un socle de départ. C’est ici sa deuxième version. Merci à François-Marie Bréon (chercheur au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement) pour ses remarques et suggestions relatives à la première version.

1) Un diagnostic qui repose sur des bases et des sources solides

La physique de l’effet de serre est bien connue depuis les travaux précurseurs de Joseph Fourier en 1824. Il s’agit principalement de l’application des lois régissant les transferts de chaleur par rayonnement. Le rôle de l’atmosphère et de ses différents composants dans la température moyenne planétaire de surface n’est plus discutable. Sans son atmosphère notre planète connaîtrait une température de surface de -19°C. au lieu de 15°C, sa moyenne actuelle.

L’instrumentation qui permet d’analyser les phénomènes en jeu (température, niveau de la mer,..) est de plus en plus fine et sophistiquée grâce notamment au recours aux satellites. Ses résultats sont de plus en plus convergents. Pour la température par exemple, les conclusions sur l’évidence de sa hausse depuis le milieu du XIX° siècle sont issues du recoupement des données compilées par quatre laboratoires de réputation mondiale[1] à partir de données de multiples agences (dont Météo France par exemple).

En ce qui concerne la modélisation du climat nécessaire pour projeter son avenir en fonction de divers scénarios, elle progresse régulièrement tant du fait de progrès permanent dans la progression des processus, des mesures que des capacités de calculs qui permettent d’affiner et d’enrichir les modèles[2]. Ainsi au niveau mondial, on dénombre une vingtaine de modèles globaux[3]. Même si, du fait de la complexité des phénomènes, les résultats des simulations font apparaître des écarts d’un modèle à l’autre, notamment au niveau régional, les principales conclusions que nous développerons dans la suite (points 2, 3 et 4 suivants) s’avèrent très robustes et mènent au même constat global. Et les principaux arguments des « climato-sceptiques » ont reçu des réponses documentées et convaincantes[4] sur lesquelles nous ne reviendrons pas dans cette note de synthèse.

Le GIEC[5] (groupement intergouvernemental d’experts sur le climat) réalise un travail de synthèse de très grande rigueur qui fait l’objet d’une publication environ tous les 5 ans depuis. (1990, 1995, 2001, 2007, 2013-2014). Le dernier a été rédigé par 831 experts[6] (les meilleurs spécialistes de leur discipline) qui ont bénéficié du travail de centaines de contributeurs et de milliers de relecteurs, issus de plus de cent pays, et ont passé plusieurs dizaines de milliers d’études au crible. De tels moyens n’ont jamais été mis en œuvre dans l’histoire des sciences pour vérifier une hypothèse.

Les conclusions du GIEC sont partagées de manière quasi-consensuelle par les communautés scientifiques concernées[7]. Depuis 2001, de nombreuses académies des sciences nationales ont fait des déclarations (parfois conjointes) affirmant la cause anthropique du réchauffement global observé et demandant aux nations de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Plusieurs études analysant le contenu des articles scientifiques sur le climat montrent que la quasi-totalité des articles qui prennent position sur les causes du réchauffement climatique appuient le consensus scientifique selon lequel ce réchauffement est attribuable à l’activité humaine.

2) Le climat se réchauffe depuis 150 ans et les conséquences en sont visibles

Bien évidemment, à l’échelle de l’histoire de la planète (4,5 milliards d’années) le climat n’a cessé de changer sous l’influence de grands déterminants (irradiance solaire, variation de l’orbite terrestre, dérive des continents, volcanisme, émissions de méthane et d’oxygène par le vivant, capacité d’absorption des océans, etc.). Mais un changement climatique récent, peut s’observer depuis le milieu du siècle dernier, et il se caractérise par plusieurs éléments distincts et convergents.

Tout d’abord, la hausse de la température moyenne planétaire[8] est évaluée à 0,85°C [0,65 à 1,06] °C sur la période 1880-2012. Elle a été plus forte au milieu du siècle dernier et son rythme de croissance actuel est de l’ordre de 0,12 [0,08 à 0,14] °C par décennie sur la période 1951−2012. En outre, le rythme d’élévation du niveau moyen des mers[9], autre indicateur essentiel d’un réchauffement de la planète, se situe depuis le milieu du XIX° siècle, à un niveau supérieur au rythme moyen des deux derniers millénaires. Entre 1901 et 2010, le niveau moyen des mers à l’échelle du globe s’est élevé de 0,19 m [de 0,17 à 0,21 m].

On relève par ailleurs un faisceau de signaux qui sont la signature du réchauffement et qui en traduisent déjà les premières conséquences[10]. Les températures ont plus augmenté la nuit que le jour au-dessus des continents. Les épisodes de précipitations intenses et d’inondation ont augmenté dans l’hémisphère nord. On a observé un plus grand nombre de vagues de chaleur extrême et ces vagues touchent un plus grand nombre de régions. Sur les deux dernières décennies, temps très bref à l’échelle de l’histoire, la masse des calottes glaciaires a diminué, les glaciers de pratiquement toutes les régions du globe ont continué à reculer, et de manière accélérée, les étendues de la banquise arctique et du manteau neigeux de printemps de l’hémisphère nord ont diminué. Le réchauffement des eaux de surface fait sortir les cyclones tropicaux de leur route habituelle. C’est le cas de l’ouragan Sandy de l’automne 2012, qui a touché la Nouvelle Angleterre.

3) Les causes de ce changement climatique sont bien identifiées : la principale est l’émission anthropique de gaz à effet de serre

Sur très longue période, le climat obéit à de multiples paramètres. Mais, pour les dernières décennies, le réchauffement et sa structure spatiale s’expliquent principalement par l’évolution de la composition de l’atmosphère et par l’augmentation des gaz à effet de serre d’origine anthropique; les autres facteurs sur cette période (volcanisme, émissions d’aérosols, cycle du soleil, variation climatique « naturelle », notamment oscillations ENSO[11], changement d’albedo[12] dû au changement d’affectation des sols), jouent un rôle de second ordre[13].

Les concentrations atmosphériques des principaux gaz à effet de serre que sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O) ont toutes augmenté depuis 1750 en raison des activités humaines[14], pour atteindre des niveaux sans précédent depuis au moins 800 000 ans. La concentration du dioxyde de carbone a augmenté de 40 % depuis l’époque préindustrielle. Cette augmentation s’explique en premier lieu par l’utilisation de combustibles fossiles et en second lieu par le bilan des émissions dues aux changements d’utilisation des sols (notamment déforestation pour laisser place à l’agriculture) . L’océan a absorbé environ 30 % des émissions anthropiques de dioxyde de carbone, ce qui a entraîné une acidification de ses eaux[15].

4) L’humanité a une influence considérable sur la planète

Que l’humanité puisse modifier le climat provoque généralement un mouvement d’incrédulité. Quelques éléments permettent néanmoins de comprendre que l’humanité est devenue une force « tectonique », qui peut faire jeu égal avec la nature.

L’énergie consommée par l’activité humaine est de l’ordre de 12 milliards de Tep[16]. Elle permet par exemple de déplacer annuellement des quantités de matériaux de l’ordre de grandeur de ce que les volcans du monde entier expulsent (30 à 40 milliards de tonnes par an) lors de leurs éruptions[17].

L’empreinte de l’humanité sur l’ensemble des écosystèmes, sur les ressources naturelles est marquante (eau, aridification et épuisement des sols, déforestation, destruction des ressources halieutiques, destruction de la biodiversité[18]). A nouveau ces impacts sont malheureusement indiscutables[19] et en eux-mêmes ils sont sources de grandes difficultés pour les plus pauvres qui seront aggravées par le changement climatique.

5) Dans un scénario de prolongation des tendances actuelles, le changement climatique aura des conséquences lourdes

Le réchauffement climatique dépend principalement des concentrations de GES, accrues par les émissions qui sont actuellement croissantes. Si nous poursuivons cette croissance, les modèles climatiques montrent que la hausse des températures moyennes sera comprise entre +3,7°C et +4,8°C, à horizon 2100 (et sa progression continuera après)[20]. Or nous savons que l’écart de températures entre une période glaciaire et une période interglaciaire – comme celle que nous vivons depuis environ 12 000 ans – est de 5°C environ. La hausse potentielle de la température est donc considérable ; un changement d’ère climatique se réaliserait en un siècle (contre des millénaires naturellement). Les impacts de ces changements sont l’objet d’études approfondies. On sait déjà qu’ils sont tragiques pour les pays du sud (accroissement de l’aridité et de la désertification dans les zones déjà sèches, bouleversement des moyens d’existence (approvisionnement alimentaire et en eau potable, risque d’effondrement des écosystèmes marins) des zones côtières, insécurité alimentaire, migrations climatiques…). Dans les pays développés, elles seront lourdes aussi (un été sur deux en 2050 en moyenne sera caniculaire comme 2003 en Europe de l’ouest avec des risques de mortalité et de morbidité, particulièrement pour les populations urbaines) ; elles nécessiteront d’entreprendre de très gros travaux d’adaptation, notamment pour les résidences, installations industrielles et infrastructures situées auprès des mers et océans.

Ces impacts viennent se surajouter aux sources actuelles d’injustice et de dureté de la vie que connaissent des milliards d’êtres humains.

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[1]NASA GISS, NOAA NCDC, HadCRUT4, Cowtan& Way.L’évaluation de la température mondiale planétaire suppose de disposer de nombreux capteurs bien placés, mais aussi de retraiter les informations fournies. C’est un travail scientifique délicat. Voir http://www.realclimate.org/index.php/archives/2014/01/global-temperature-2013/#more-16736.

[2] Ces modèles intègrent la circulation de l’air dans l’atmosphère, et les transports d’eau qui y sont associés,la circulation océanique et les interactions entre l’océan et l’atmosphère,la formation et la fonte de la glace de mer les nuages, les échanges de carbone entre l’atmosphère et la planète, et certaines rétroactions du réchauffement sur les émissions « naturelles » de gaz à effet de serre, et notamment le comportement de la végétation.

[3] Voir par exemple http://www.universcience.fr/climobs/rubrique/mecanismes_modeles-climatique/

[4] Voir par exemple le site http://www.realclimate.org une des références dans la communauté scientifique qui travaille sur les questions climatiques

[5] Créé en 1988 par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et le Programme pour l’Environnement des Nations Unies (PNUE), il rassemble des membres de tous les pays appartenant à l’Organisation des Nations Unies. Voirhttp://www.ipcc.ch/

[6] Voir http://www.developpement-durable.gouv.fr/Les-auteurs.html

[7] http://fr.wikipedia.org/wiki/Positionnement_de_la_communaut%C3%A9_scientifique_envers_le_r%C3%A9chauffement_climatique

[8] Depuis 1000 ans, la température moyenne n’a varié que de quelques dixièmes de degré par siècle.

[9] Dû au réchauffement de l’eau, qui la dilate et à la fonte des glaciers et des banquises

[10] Voir par exemple http://www.universcience.fr/climobs/2012/12/19/effets-deja-visibles-du-rechauffement/

[11] ENSO est un acronyme composé à partir des termes El Niño et Southern Oscillation (oscillation australe). C’est un phénomène climatique et océanographique reliant le phénomène El Niño et l’oscillation australe de la pression atmosphérique.

[12] L’albedo est le pouvoir réfléchissant d’une surface qui verra selon le type de couverture : les glaces ont une albedo élevée au contraire de l’océan ou d’une forêt. L’albedo de la planète (égale à 0,30) diminue avec le réchauffement climatique, ce qui tend à l’accroître.

[13] Le forçage radiatif anthropique total (qui mesure l’impact de certains facteurs affectant le climat sur l’équilibre énergétique du système couplé Terre/atmosphère) en 2011 par rapport à 1750 est de 2,29 [1,13 à 3,33] W m-2 . Le forçage radiatif dû aux changements de concentration de ces gaz est de 2,83 [2,26 à 3,40] Wm-2 .

[14] En 2011, les concentrations respectives de ces gaz à effet de serre étaient de 391 ppm, 1803 ppb et 324 ppb, et dépassaient les niveaux préindustriels d’environ 40 %, 150 % et 20 %.

[15] L’acidification de l’océan est quantifiée par la diminution du pH. Le pH de l’eau de mer a diminué de 0,1 depuis le début de l’ère industrielle, soit une augmentation de 26 % de la concentration en ions hydrogène. Les conséquences de cette acidification sur les écosystèmes marins sont graves en elles-mêmes.

[16] Tonnes équivalent pétrole. Cette consommation a cru depuis 1900 de manière exponentielle (2,9% par an, soit une multiplication par 17)). Elle représente aujourd’hui 1,7 Tep ou 20 MWh par personne, avec des écarts considérables entre les pays.

[17] Voir par exemple http://www.planetoscope.com/environnement/sols

[18] Voir par exemple http://www.millenniumassessment.org/fr/Reports.html ou http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosbiodiv/?pid=decouv_chapA_p2_f1

[19] Voir par exemple Anthony D.Barnosky et al. Approaching a state shift in Earth’s biosphere, Nature 486,52–58 (07 June 2012)

[20] Voir http://www.ipcc.ch/

Source : Alain Grandjean, le 5 janvier 2015.

P.S. Comme on l’a répété plusieurs fois, la quasi-totalité des climatologues spécialisées (voir ce billet par exemple, avec 97 % d’accord) sont d’accord et nous demandent d’agir pour ne pas prendre le risque de bouleverser le climat.

Et comme le rappelle ici Jancovici, ou bien on croit un consensus scientifique (qui n’est jamais unanime à 100 %, ni une preuve absolue de vérité, le consensus pouvant toujours, un jour, à base de travaux sérieux, évoluer – mais pour 1 Galilée, il y a eu 1000 anti-Galilée expliquant après lui que la Terre était bien plate…) parce qu’on n’a pas d’autre choix, ou bien on perdra alors toute capacité d’aboutir à une certitude (certes relative et temporaire) permettant d’agir.

Autrement dit, si le grand public décide de suivre les opinions ultra-minoritaires, il ne pourra plus décider, car il y aura toujours plein d’opinions ultra-minoritaires et leurs contraires simultanément. Ces opinions, importantes, doivent rentrer dans une méthode scientifique, à savoir être publiées dans des revues à comité de lecture, et se battre pour démontrer leur justesse et convaincre leurs pairs, aboutissant éventuellement à une modification du consensus…

Bref, comme il y a un clair consensus (d’autant que, sachant que le CO2 est un important gaz à effet de serre, et qu’il y en a de plus en plus dans l’atmosphère et pas qu’un peu, le fait que ça se réchauffe est tout sauf surprenant…), je ferme les commentaires pour éviter le trollage…

97 % des climatologues spécialisés ne doutent donc pas du réchauffement…

L’étude source Duran 2009 est téléchargeable ici.

Elle se complète avec celle-ci Anderegg 2010. Une autre a été publiée en 2013 : Cook et al. : « Entre 1991 et 2011, sur près de 4.000 articles (3.896 exactement) exprimant une opinion à ce sujet et écrits dans des revues scientifiques à comité de lecture par des chercheurs du même domaine (« évaluation par les pairs ») par plus de 10.000 scientifiques (10.188), 97,1% entérinent la thèse de l’origine humaine du changement climatique ».

Pour comprendre la stratégie classique à l’oeuvre ici (semer le doute pour paralyser la prise de décision) déjà utilisée sur le tabac ou la couche d’ozone, je vous renvoi sur ce billet indispensable :

[Livre exceptionnel] Les marchands de doute, de Naomi Oreskes et Erick Conway

Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs - et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation. 

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