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29.avril.201229.4.2012 // Les Crises

[Livre de la quinzaine] « L’Amérique que nous voulons », de Paul Krugman

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Plusieurs me l’ayant demandé, je relance cette ancienne rubrique… J’espère qu’elle vous intéressera…


Aujourd’hui, le livre de la quinzaine nous éclaire magistralement les raisons du naufrage américain – la fin des valeurs démocratiques et de la prospérité – en examinant de manière décapante un siècle d’histoire politico-économique.

Il propose des mesures indispensables à la juste répartition des richesses et à la renaissance d’une classe moyenne.

Au sommaire de l’ouvrage :

o Nos plus belles années
o Le Long Age doré
o La Grande Compression
o La politique de l’Etat-providence
o Les années 1960 : une prospérité agitée
o Le conservatisme de mouvement
o La Grande Divergence
o La politique de l’inégalité
o Les armes de distraction massive
o La nouvelle politique de l’égalité
o Un impératif : l’assurance maladie
o Affronter l’inégalité
o La conscience d’un démocrate

 

L’auteur en quelques mots…

Professeur à l’université de Princeton et éditorialiste au New York Turnes, Paul Krugman est aujourd’hui considéré comme un commentateur politique des plus influents et l’un des plus grands économistes mondiaux (lauréat de la médaille John Rates Clark en 1991 et lauréat du prix de la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel en 2008).

Il est notamment l’auteur de L’Amérique dérape (Flammarion, 2004) et Pourquoi les crises reviennent toujours (Seuil, 2000).


Une critique du livre par Alternatives économiques

Encore une belle cuvée que ce dernier livre de l’économiste américain Paul Krugman, qui retrace l’histoire des inégalités sociales aux Etats-Unis. Il montre que seules des interventions étatiques fortes permettent de les maîtriser. Revenant sur un siècle d’histoire américaine, Krugman rappelle la forte montée des disparités sociales au début du XXe siècle et la grande réussite des politiques publiques mises en oeuvre par le président Roosevelt pour les combattre. Depuis les années 70, l’éventail des inégalités s’est de nouveau ouvert aux Etats-Unis, pour redevenir aussi fortes qu’au début du XXe siècle. Comment peut-on l’expliquer? Ni le progrès technique ni l’immigration n’en sont le moteur principal. L’explication est politique, affirme Krugman.

Le livre retrace pas à pas l’histoire de la montée en puissance des conservateurs durs, de leur mainmise sur le parti républicain et de leur entreprise politique de destruction des acquis du New Deal: baisse des impôts sur les riches, attaques contre les syndicats et les couvertures sociales, etc. En cette année électorale, Krugman plaide pour la mise en place d’une couverture santé universelle, pour une augmentation des impôts sur les riches et même pour des superimpôts pour les superriches, ainsi que pour une lutte contre la fraude fiscale des multinationales. Il appelle aussi à des politiques publiques pour renforcer le rôle des syndicats et à une pression morale des politiques sur les riches.

L’économie est secondaire dans toute cette histoire, soutient Krugman. C’est la politique, les changements institutionnels et de normes sociales qui sont au coeur de la montée des inégalités. Et qui seront au coeur de leur diminution.


Critique par le centre national du livre

L’Amérique que nous voulons revêt un intérêt pour tous : aux non-initiés, il révèlera les enjeux de l’élection présidentielle aux Etats-Unis et aux habitués des réalités américaines, il offrira des éléments d’analyse indispensables. En replaçant la conjoncture électorale dans une perspective longue, celle de l’histoire politique et sociale des Etats-Unis depuis la fin du XIX siècle et le début de ce que l’on a coutume d’appeler le Long Age Doré (la période d’avant la Grande Dépression), le livre donne à connaître et à comprendre les termes des échéances de novembre 2008. C’est donc un essai sur l’actualité autant qu’un ouvrage d’histoire qui fait appel aux acquis récents des sciences humaines et sociales (il mobilise notamment les travaux sur la fiscalité des économistes français Thomas Piketty et Emmanuel Saez) pour comprendre le virage néoconservateur pris par la politique américaine depuis l’élection de Georges W. Bush, dont les années Reagan constituaient déjà les prémices.

Les dix premiers chapitres tentent d’expliquer un phénomène impressionnant : l’explosion des inégalités de revenus malgré une croissance soutenue et un emploi relativement stable, et ce, dans une telle proportion que les comparaisons historiques n’ont plus de sens. Ce fait statistique incontournable marque une rupture dans l’histoire américaine. Depuis le début du XX siècle, les Etats-Unis ont connu, malgré des à-coups, un mouvement continu de réduction des inégalités, notamment de l’écart entre le revenu moyen et celui des plus riches. Parmi toutes les vertus que l’on peut reconnaître à cet ouvrage (comme, par exemple, une démarche inductive qui mentionne les autres hypothèses afin de les discuter), il en est une qui mérite particulièrement d’être relevée : Krugman ne craint aucunement l’accusation de paranoïa qui s’abat sur tous ceux qui s’essayent encore à expliquer l’évolution du monde par des choix politiques délibérés et dont on discrédite souvent les vues en arguant que les choses sont « plus complexes » que cela. Il affronte le risque d’intimidation rhétorique qui ne saurait manquer d’assimiler son discours à une théorie du complot et assume totalement la thèse selon laquelle l’évolution sociale et économique des Etats-Unis n’est en rien réductible à des contraintes mondiales ou structurelles dont les politiques ne peuvent désormais que prendre acte. Renversant le fatalisme habituel et l’ordre classique de ses explications, Krugman fait des choix politiques initiaux les causes des contraintes existantes. Une fois ce rappel effectué, le reste de l’ouvrage se veut un programme d’action à l’adresse du camp démocrate pour lui permettre de gagner : contre l’exemple de Bill Clinton qui, en 1994, s’était trop tôt résigné, il préconise de lutter en priorité pour l’institution d’une véritable couverture de santé universelle. Le combat pour cette mesure n’a rien de sectoriel : à travers lui, il est urgent d’initier l’involution de la mécanique de lente et méthodique destruction des acquis du New Deal et du Welfare State, dont le conservatisme de mouvement (cet oxymore désigne le socle idéologique qui présida à la révolution interne du parti républicain au milieu des années 70) a fait le principe de son action.

L’enseignement de l’ouvrage est d’autant plus important que sa description et son explication de la stratégie conservatrice ne sont pas sans rencontrer d’écho avec la situation française : nul doute que Paul Krugman ne fasse des émules parmi ceux qui, comme lui, voudront repolitiser les grandes questions sociales dans un contexte médiatique d’atténuation des clivages et de naturalisation des phénomènes économiques.

Par Mathias Roux


Vous pouvez vous procurer ce livre chez votre libraire ou par internet chez Fnac ou Decitre. (existe aussi en livre de poche)

4 réactions et commentaires

  • Le Yéti // 29.04.2012 à 06h03

    Paul Krugman… Bon, j’ai beau le lire, trouver une certaine pertinence dans ses analyses des dérives actuelles, je suis beaucoup, beaucoup moins convaincu dès qu’il se pique de vouloir donner des pistes de sorties de crise. On dirait du Hollande dans le texte d’un discours lénifiant.
    Et qu’on pourrait résumer par la dernière phrase emberlificotée de Mathias Roux, critique du Centre national du livre, mais apparemment par forcément expert en économie :

    « .. ceux qui, comme lui, voudront repolitiser les grandes questions sociales dans un contexte médiatique d’atténuation des clivages et de naturalisation des phénomènes économiques. » [?]

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  • tchoo // 29.04.2012 à 08h06

    J’ai cru entendre des analyses très proches (tout comme celle sur la Chine et le fonctionnement des grandes entreprises dans le billet précédent) de la part d’un homme politique que l’on a beaucoup moqué.
    Mais j’ai du me tromper!

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  • Benjamin Franklin // 02.05.2012 à 08h39

    Paul Krugman a eu son prix Nobel pour des travaux sur la géographie économique. Il était alors brillant, et plutôt favorable au libre-échange. Il s’est ensuite mis en tête de faire de la politique, comme bon nombre d’économistes et de sociologues.

    Ca ne surprendra sans doute pas que je critique le bonhomme, mais je vais quand même rappeler que, quand on déterre les archives de son blog, où il publie ses tribunes dans le New York Times, on constate :
    -qu’il considère que les dépenses militaires massives des guerres en Irak et en Afghanistan ont des retombées positives pour l’économie américaine
    -qu’il a ouvertement encouragé la Fed à baisser les taux d’intérêts après la crise des dotcoms pour « recréer une bulle dans l’immobilier ». Bien joué, prophétique.
    -qu’il est partisan de dépenses publiques massives pour sortir de la crise, qu’il considère les plans Paulson et Obama comme trop petits, et que c’est pour ça que l’économie ne s’est pas encore rétablie
    -qu’il a déclaré qu’une attaque extraterrestre, même si elle devait s’avérer être un canular, serait une bonne chose pour l’économie, en stimulant les dépenses d’armement

    Tout néokeynésien qu’il est, il ne maîtrise pas non plus son Keynes, puisqu’il considère la politique de Paul Volcker comme néocons et ultralibérale. Rappelons que Volcker, démocrate, nommé par un président démocrate, est un keynésien « classique », et qu’il a appliqué à la lettre la méthode de son maître à penser pour casser l’inflation, à savoir faire grimper les taux d’intérêts.

    Il fait régulièrement preuve d’une mauvaise foi frappante, en amalgamant joyeusement libertariens, école autrichienne, monétaristes et néocons.

    Désolé, ça ne semblera pas très nuancé comme jugement, mais le bonhomme est assez imbuvable, et à mes yeux hautement incompétents.

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