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12.août.202112.8.2021 // Les Crises

Pentagone Papers #04 : Une victoire à la Pyrrhus

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Dans la quatrième partie de cette série de huit articles, les implications de la décision de la Cour suprême dans l’affaire NYT versus the US laissent le sénateur Mike Gravel dans un plus grand péril juridique alors qu’il envisage de publier les Papers à en externe du Congrès.

Source : Consortium News, Joe Lauria, Mike Gravel

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Ceci est la quatrième partie de la série en plusieurs épisodes de Consortium News sur le 50e anniversaire du jour où le sénateur Mike Gravel a obtenu les Pentagon Papers des mains de Daniel Ellsberg et les conséquences auxquelles Gravel a dû faire face pour avoir divulgué ces documents top secrets au Congrès, quelques heures seulement avant que la Cour suprême ne se prononce sur l’affaire le 30 juin 1971.

Dans la première partie, Gravel apporte les documents au Capitole pour les rendre publics en les intégrant aux archives du Congrès. Dans la deuxième partie, Gravel obtient les documents d’Ellsberg par le biais d’un intermédiaire. La troisième partie est consacrée à l’histoire de la communication orale empreinte d’émotion des documents par Gravel.

Les extraits publiés ici sont tirés du livre A Political Odyssey du sénateur Mike Gravel et de Joe Lauria (Seven Stories Press). Il s’agit de l’histoire de Gravel racontée et écrite par Lauria.

Le bâtiment de la Cour suprême des États-Unis. (Joe Lauria)

Quatrième partie : Une victoire à la Pyrrhus

Je me suis redressé sur un coude tandis que le présentateur lisait les informarions : la Cour suprême a statué, 6-3, contre Nixon. L’action sans précédent du gouvernement pour bloquer la presse a échoué. La Cour a convenu avec les deux juridictions mineures que la tentative d’imposer une restriction préalable de la presse était inconstitutionnelle.

L’arrêt s’est avéré plus complexe qu’il n’y paraissait à première vue, il constituait néanmoins un appel sans équivoque à une contrainte constitutionnelle sur un exécutif hors de contrôle. La Cour a contesté l’utilisation abusive par l’exécutif de la notion de « sécurité nationale » comme mantra pour saper la Déclaration des droits et accroître des pouvoirs quasi dictatoriaux. En écrivant pour la majorité, le juge Hugo Black s’est courageusement opposé aux absurdités de Nixon :

« Trouver que le président a le  » pouvoir inhérent  » d’arrêter la publication d’informations en ayant recours aux tribunaux serait aller à l’encontre du Premier amendement et détruirait la liberté et la sécurité fondamentales de ceux-là mêmes que le gouvernement espère rendre  » sûrs « . On ne peut pas lire l’histoire de l’adoption du premier amendement sans être convaincu, au-delà de tout doute, que c’était des injonctions comme celles recherchées ici que Madison et ses collaborateurs avaient l’intention de proscrire à tout jamais dans la Nation. »

Au cas où la Maison Blanche n’aurait pas saisi, le juge Black, nommé par Franklin Delanoe Roosevelt (FDR) en 1937, a expliqué :

« Le mot « sécurité » est une notion générale et peu précise dont les contours ne devraient pas être invoqués pour abroger la loi fondamentale incarnée par le premier amendement. La protection des secrets militaires et diplomatiques au détriment d’un pouvoir représentatif informé n’offre aucune sécurité réelle à notre République. Les rédacteurs du Premier amendement, pleinement conscients de la nécessité de défendre une nouvelle nation ainsi que des dérives des gouvernements anglais et coloniaux, ont cherché à donner à cette nouvelle société force et sécurité en prévoyant que la liberté de parole, de presse, de religion et de réunion ne devait pas être restreinte.»

Contre la monarchie

Le juge Hugo Black. (Bibliothèque du Congrès)

Le jugement du New York Times est véritablement historique et je l’ai toujours considéré comme tel. Les États-Unis ont été fondés après une violente rébellion et une insurrection contre un royaume et un empire répressifs. La révolution ne se faisait pas seulement contre le Royaume britannique, mais contre la monarchie elle-même. Dans l’affaire du Times, la Cour suprême a rappelé au pays que la Constitution donne mandat au Congrès, aux tribunaux et à la presse d’empêcher avec vigilance l’exécutif de glisser vers un comportement monarchique.

Il est vrai que la Constitution confère certains pouvoirs royaux au président : il est tout à la fois le chef symbolique de l’État et le chef concret du gouvernement. Le président américain est également commandant en chef des forces armées, et il peut accorder sa grâce aux criminels condamnés ainsi qu’opposer son veto aux projets de loi. Certains présidents, comme Nixon, Bush et même Bill Clinton, ont eu du mal à résister à la tentation de la monarchie. Aucun n’a osé invoquer une urgence pour suspendre la Constitution. Ils se sont contentés de la contourner.

Mais selon la définition de Jean-Jacques Rousseau qu’on trouve dans Le Contrat social ce sont bien des tyrans :

« Au sens strict, un tyran est un particulier qui s’arroge l’autorité royale sans y avoir droit. C’est ainsi que les Grecs comprenaient le mot  » tyran  » : ils l’appliquaient indifféremment aux bons et aux mauvais princes dont l’autorité n’était pas légitime. »

Il existe une longue tradition consistant à accuser les présidents d’agir comme des monarques : Andrew Jackson était appelé « le roi Andrew 1er », et Dubya a été surnommé « le roi George ». Depuis deux siècles, des Américains courageux, au Congrès et en dehors, dans les tribunaux et dans la presse, luttent contre le pouvoir inconstitutionnel qui s’insinue à la Maison Blanche. Cela n’a pas été facile en temps de paix.

Mais les pires abus de l’exécutif ont naturellement eu lieu en temps de guerre : depuis l’accaparement de terres des Amérindiens jusqu’à l’invasion de l’Irak. James Madison, l’architecte de la Constitution, avait prévenu :

« De tous les ennemis de la vraie liberté, la guerre est, peut-être, le plus à redouter… Aucune nation ne peut préserver sa liberté quand elle est plongée dans un état de guerre permanent. La guerre est en fait la véritable pépinière de la croissance de l’exécutif. En temps de guerre, une puissance physique est nécessaire ; et il revient à la volonté de l’exécutif de la diriger. »

Défendre la Constitution, poursuit Madison, c’est défier ce léviathan qu’est le pouvoir monarchique. J’y ai consacré ma vie, en allant du Vietnam à l’Irak. J’ai rencontré là un adversaire impitoyable. Parfois, un exécutif trop puissant, notamment grâce aux techniques modernes de relations publiques, en arrive à manipuler l’humeur du peuple contre le Congrès, les tribunaux et la presse, les institutions mêmes dont le document fondateur dit qu’elles doivent défendre la majorité contre l’ambition présidentielle.

Les représentants du peuple nous ont laissé tomber à maintes reprises, en représentant non pas leurs intérêts, mais ceux des élites qui les soutiennent. Le peuple se retrouve privé du type de Congrès ou de presse dont il aurait besoin pour se défendre. Les deux ont été détournés. Il suffit de voir comment le Congrès, les tribunaux et les médias ont confiné George W. Bush dans son rôle constitutionnel.

Lorsque j’étais sénateur, je croyais encore que le gouvernement représentatif et les médias pouvaient remplir leurs fonctions constitutionnelles, même si, en tant qu’initié, je commençais à avoir des doutes. J’étais en train d’apprendre comment le système fonctionne et qui il sert. Depuis la loi sur la Sécurité nationale de 1947, le pouvoir de l’exécutif s’est dangereusement étendu avec de nouveaux départements et agences, tandis que la clique de la finance, de plus en plus influente, a neutralisé le Congrès et la presse.

Donc, si le Congrès et les médias ne défendent pas la majorité contre cet hyper-exécutif, alors l’Américain moyen devra le faire par lui-même. Dès 1971, j’ai commencé à appeler à un Town Hall national pour défier un exécutif  » oppresseur « . Aujourd’hui, je suis convaincu que les citoyens peuvent défendre leurs intérêts nationaux pour le mieux en ignorant le Congrès et en faisant leurs propres lois par le biais d’initiatives populaires soumises au vote, comme ils le font déjà dans vingt-quatre États. Les gens commencent également à prendre le contrôle du journalisme grâce aux blogs et aux sites web comme YouTube, en ignorant les médias vendus.

Au service des gouvernés

Comme l’a écrit le juge Potter Stewart dans son billet d’humeur du New York Times, « la seule contrainte qui puisse être exercée de façon efficace contre la politique et le pouvoir de l’exécutif […] peut reposer sur une population éclairée – une opinion publique informée et critique qui seule peut ici protéger les valeurs d’une gouvernance démocratique. »

Le juge Black, dans sa dernière prise de position trois mois avant de mourir, a clairement indiqué ce que la Constitution prévoit pour la presse :

« Dans le Premier amendement, les Pères fondateurs ont donné à la presse libre la protection dont elle doit bénéficier pour remplir son rôle essentiel dans notre démocratie. La presse devait être au service des gouvernés, et non des gouvernants. Le pouvoir du gouvernement de censurer la presse a été aboli afin que la presse reste à jamais libre de censurer le gouvernement. On a accordé protextion à la presse afin qu’elle puisse mettre au jour les secrets du gouvernement et informer le peuple. Seule une presse libre et sans entrave peut exposer efficacement la tromperie du gouvernement. Et parmi les responsabilités d’une presse libre, la plus importante est celle qui consiste à empêcher toute composante du gouvernement de tromper le peuple et de l’envoyer dans des pays lointains pour y mourir de fièvres étrangères, sous des tirs et obus étrangers. »

Il est difficile d’imaginer que les médias d’aujourd’hui, imbus d’eux-même, détenus par une poignée d’entreprises rapaces et dirigées par des journalistes de complaisance, apprécient pleinement le point de vue de Black. Avec l’incapacité de la majorité des journalistes et des rédacteurs en chef à remettre en question les arguments peu convaincants avancés par l’administration Bush pour envahir l’Irak, les médias centristes autoproclamés ne semblent-ils pas servir plus volontiers les gouvernants que les gouvernés ? Le carriérisme peut être le moteur du journaliste individuel, mais le problème plus répandu est celui de quelques sociétés puissantes qui s’acoquinent avec le gouvernement et contrôlent l’information pour servir les intérêts des sociétés, et non ceux de la société.

Peu de journalistes sont assez courageux, ou ont le droit de raconter cette histoire. Mais même à l’époque de la Cour Burger, la presse n’a pas vraiment fait preuve de tout le courage dont elle s’est créditée. Le Times a prétendu avoir obtenu les Papers grâce à un  » reportage d’investigation  » alors que c’est Ellsberg qui leur a remis des extraits. Ils n’ont guère eu à creuser pour les obtenir.

Selon Dan, le Times a ensuite utilisé la tromperie pour obtenir la copie dans son entieer. Le journal a donc obtenu la gloire, mais dans quelle mesure a-t-il réellement défié l’exécutif ? Dès que la restriction préalable a été imposée, c’est-à-dire arrêter la publication avant qu’elle ne se produise plutôt que de la punir après, le New York Times et le Washington Post se sont couchés. Ils ont cessé toute publication. Des gens mouraient en vain. Ils avaient les Papers, mais ils ont obéi à l’ordre que le procureur général Mitchell avait obtenu de la cour. Ils auraient pu défier le ministère de la Justice, laisser le FBI entrer dans leurs salles de rédaction et arrêter les rédacteurs. Voilà qui aurait été une véritable histoire.

Une victoire « indécise »

Au lieu de cela, les journaux se sont concentrés sur leur propre intérêt, le plaçant avant les intérêts du pays. Ils se sont comportés comme des entreprises, et non comme des garants. Même après que deux juridictions mineures ont annulé l’injonction, déclarant que le Times pouvait immédiatement poursuivre ses publications – décisions que la Cour suprême a finalement confirmées – le Times n’en a pas pour autant repris sa publication. Même après la décision de la Cour suprême, le Times n’était toujours pas sûr d’avoir gagné.

« On ne savait pas très bien si la presse avait remporté une grande victoire ou si un précédent avait été créé en faveur d’un certain degré de restriction », rapporte le journal. Pourtant, une majorité claire avait déclaré que l’exécutif n’avait pas réussi à prouver que la restriction était nécessaire pour protéger la  » sécurité nationale « . Une fois la restriction levée, tant le Times que le Post ont repris la publication des quelques articles qu’ils avaient en réserve avant l’ordonnance de restriction.

Puis, le 5 juillet, le Times a soudainement tout arrêté. En tout il avait publié une série de neuf articles, avec des extraits et des encadrés à l’appui – six de ceux-ci après la levée de l’ordonnance. Le Washington Post a seulement publié pendant quatre jours après la levée de l’interdiction. Une douzaine d’autres journaux à qui Ellsberg avait également communiqué les Papers ont arrêté encore plus tôt.

Cette situation me laissait perplexe tout autant qu’elle m’agaçait. J’avais sorti des rames de nouvelles pages de l’étude et les journaux les avaient ignorées. Pourquoi avaient-ils soudainement cessé de publier alors qu’il fallait maintenir la pression sur l’administration pour mettre fin à la guerre ? Une raison peut expliquer pourquoi ils ont arrêté de publier.

Plusieurs juges, et deux en particulier, Potter Stewart et Byron White, ont déclaré que, bien que la restriction préalable ait été annulée, les journaux n’étaient pas « à l’abri de poursuites pénales » pour avoir publié. White a écrit :

« L’incapacité du gouvernement à justifier les restrictions préalables est sans incidence sur le droit constitutionnel à une condamnation pour publication criminelle. Le fait que le gouvernement ait choisi à tort de procéder par injonction ne veut pas dire pas qu’il n’aurait pas pu procéder avec succès en agissant différemment. »

Invoquer la loi sur l’Espionnage

Woodrow Wilson demandant au Congrès de déclarer la guerre à l’Allemagne, le 2 avril 1917, le jour où le projet de loi sur l’Espionnage a été présenté au Sénat. (Photo colorisée, Wikimedia Commons)

Il y avait une étonnante note de bas de page dans le jugement. White a dû remonter jusqu’à une autre guerre et à un autre exécutif répressif pour arriver à cette conclusion. Il a cité la loi sur l’espionnage de 1917, adoptée par le Congrès par l’un de nos plus horribles présidents, Woodrow Wilson. L’attaque de Wilson contre les libertés pendant la Première Guerre mondiale était du même ordre que celle de Nixon pendant le Vietnam et que celle de Bush pendant sa perpétuelle guerre contre le terrorisme. Wilson craignait que l’opposition intérieure à la première guerre mondiale ne sape l’effort américain, voilà pourquoi sa loi criminalisait la transmission de toute information sussceptible d’entraver les forces armées américaines ou de favoriser l’ennemi.

En conséquence, de nombreux dissidents éminents ont été jetés en prison. Soixante-quinze journaux ont perdu leur possibilioté d’utiliser la Poste américaine. Eugene V. Debs, qui s’est présenté cinq fois à l’élection présidentielle en tant que candidat du parti socialiste, a été condamné pour avoir prononcé un discours anti-guerre dans l’Ohio en 1918. Il fait appel devant la Cour suprême. Il a perdu – la Cour a déclaré que son discours appelait à l’obstruction du recrutement et du service militaire. Debs a été envoyé en prison pour dix ans. C’est derrière les barreaux d’un pénitencier fédéral d’Atlanta en 1920, qu’il a quand même obtenu près d’un million de voix à la présidentielle. L’homme qui a gagné, Warren Harding, a commué la peine de Debs l’année suivante.

Par l’Espionnage Act, Wilson avait cherché à obtenir des pouvoirs encore plus étendus pour faire taire la parole. Mais le Congrès lui a tenu tête, ne rendant passible de punition que la révélation d’informations à jour sur les installations militaires et les communications. Sans se décourager, Wilson fait adopter en 1918 la loi sur la Sédition, qui criminalise l’utilisation d’un  » langage déloyal, profane, calomnieux ou abusif  » à l’égard du gouvernement, du drapeau ou des services armés pendant la guerre. Cette loi a été fort intelligemment abrogée en 1921.

Au fil des ans la Cour suprême a annulé certaines parties de la loi sur l’Espionnage, mais une grande partie de cette loi reste en vigueur. C’est une perspective qui fait froid dans le dos. C’est exactement ce dont George W. Bush avait besoin. Sous son administration opaque, le Patriot Act et la loi sur les Commissions Militaires ont donné à l’exécutif – dans sa taille et sa portée actuelles par le biais du Pentagone, de divers départements et agences de renseignement – un pouvoir sans précédent pour surveiller les Américains, suspendre l’habeas corpus et vider le droit international de sa substance. Bush a fait passer le militarisme et l’autoritarisme, qi sont depuis longtemps une composante malheureuse de notre histoire, à un stade avancé et critique.

Nixon a utilisé les fondements de la loi de Wilson pour tenter de punir les personnes impliquées dans les Papers. Elle interdit spécifiquement à toute personne possédant un document  » relatif à la défense nationale… de communiquer ou de faire communiquer délibérément ce document à toute personne non habilitée à le recevoir « . Elle considère également comme un crime  » le fait de conserver le document et de ne pas le remettre à un agent des États-Unis habilité à le recevoir  » .

Je pensais qu’en tant que sénateur, j’en avais le droit. L’exécutif n’était manifestement pas d’accord. Juste au bon moment, le lendemain même du jour où la Cour a laissé entendre qu’il y aurait des poursuites pénales, Mitchell a déclaré que le ministère de la Justice  » poursuivait son enquête et poursuivrait tous ceux qui avaient violé les lois pénales fédérales « .

Il n’y avait pas d’unanimité au sein de la Cour quant à la qualification de crime. Le juge William Douglas, lui aussi désigné par FDR, a déclaré que les dispositions pénales de l’Espionage Act ne concernaient pas du tout la presse, mais uniquement les espions ou autres personnes révélant des données opérationnelles. Ellsberg a déclaré que les Papers, qui faisaient déjà partie du contexte historique lorsqu’il les a publiés, ne contenaient aucun renseignement opérationnel. Pas plus qu’ils ne révélaient codes américains. Ellsberg a même refusé de divulguer des câbles diplomatiques qui entraient dans le détail des négociations.

L’une des raisons pour lesquelles j’ai passé des journées entières à lire les Papers à la maison avec mon équipe et que j’ai engagé Leonard Rodberg comme assistant, était de débusquer de telles informations si elles existaient. Mais Nixon, après avoir perdu la restriction préalable, a essentiellement essayé d’imposer la censure par le biais de procédures pénales. Dans les jours qui ont suivi le jugement, le ministère de la Justice a demandé à un grand jury fédéral de Boston de citer des journalistes à comparaître. Le grand jury a évalué les charges criminelles contre le Times, le Post et le Boston Globe. Neil Sheehan, le journaliste du Times à qui Ellsberg a divulgué les documents, et sa femme, ont été cités à comparaître.

« Toute personne travaillant pour le Times, le Post ou le Globe est potentiellement passible d’une accusation de recel de biens gouvernementaux volés », a déclaré un fonctionnaire du gouvernement au magazine Time. La justice a même menacé Katharine Graham, l’éditrice du Post, de poursuites. C’est alors que les articles se sont arrêtés.

Pendant ce temps, ma copie des Papers se trouvait, sans être imprimée, dans le bureau de la sous-commission. Le public était privé de nouvelles révélations. On se trouvait face à un exécutif qui dépassait les bornes et qui utilisait la tactique musclée de l’enquête criminelle pour figer la liberté d’expression et qui utilisait un procureur ayant des motivations politiques et un grand jury pour tenter de coincer ceux qui osaient exposer les crimes de l’exécutif en Asie du Sud-Est depuis la Seconde Guerre mondiale.

Avant même que la décision du New York Times ne soit rendue, Nixon planifiait une enquête criminelle qui mettrait en cause toutes les personnes impliquées dans le but de mettre en prison Ellsberg et tous ceux qui l’avaient aidé. Selon les enregistrements de la Maison-Blanche, huit jours avant la décision de la Cour, le 22 juin 1971, Nixon a dit à John Ehrlichman (son conseiller en affaires intérieures), Ron Ziegler (son attaché de presse) et d’autres personnes dans le Bureau ovale : « Finissons-en avec les procédures d’injonction [de la presse]. Nous allons perdre sur ce plan là. Nous perdons, alors nous passons immédiatement aux poursuites pénales […] contre Ellsberg. »

L’après-midi de la lecture de la décision concernant le Times, Nixon a dit : « Vous ne pensez pas que nous devons poursuivre l’affaire Ellsberg maintenant ? […] Mettons ce fils de pute en prison. » On peut entendre les paroles d’Henry Kissinger sur la bande : « Nous devons le coincer. » Le procès de Dan devait ouvrir à Los Angeles en 1973. Finalement, l’enquête criminelle à Boston contre les journaux s’est terminée sans inculpation.

Mais l’exécutif a eu ce qu’il voulait : l’enquête criminelle a douché l’euphorie de l’arrêt de la Cour suprême, jetant un froid dans les salles de rédaction du pays.

© Mike Gravel et Joe Lauria

Demain : Gravel s’arrange avec Beacon Press à Boston pour publier les Pentagon Papers et va devant la Cour suprême pour défendre l’éditeur.

Mike Gravel a siégé au Sénat américain pendant deux mandats en tant que représentant de l’Alaska de 1969 à 1981. Au cours de sa deuxième année au Sénat, Gravel a diffusé rendu publics les Pentagon Papers à une époque où la publication par les journaux avait été bloquée. Gravel est un farouche opposant au militarisme américain et s’est présenté à l’investiture du parti démocrate pour la présidence en 2008 et en 2020.

Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant à l’ONU pour le Wall Street Journal, le Boston Globe et de nombreux autres journaux. Il a été journaliste d’investigation pour le Sunday Times de Londres et a commencé sa carrière professionnelle en tant que pigiste pour le New York Times. On peut le joindre à l’adresse joelauria@consortiumnews.com et suivi sur Twitter @unjoe.

Source : Consortium News, Joe Lauria, Mike Gravel, 24-06-2021

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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2 réactions et commentaires

  • Hamourabi // 13.08.2021 à 11h11

    Bonjour, ça ne vous rappelle pas les « Comités secrets » du Parlement ƒrançais en 1916, pour que la presse ignore ce qui se passe à Verdun, et surtout les désaccords aigus entre les élus et les militaires indifférents au carnage ?

    Œuvrer dans l’ombre est une tentation omniprésente chez les puissants… et chez les autres aussi. Certains par la ruse, ou par violence et contrainte pour les mieux placés.

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  • vert-de-taire // 19.08.2021 à 16h31

    Madison : « De tous les ennemis de la vraie liberté, la guerre est, peut-être, le plus à redouter… Aucune nation ne peut préserver sa liberté quand elle est plongée dans un état de guerre permanent. La guerre est en fait la véritable pépinière de la croissance de l’exécutif. En temps de guerre, une puissance physique est nécessaire ; et il revient à la volonté de l’exécutif de la diriger. »

    Confusément, ça me rappelle aussi un épisode récent en France.
    L’executif qui fait les lois même si le parlement s’y oppose ..
    Qui légifère par ordonnances …
    Bref , la confusion des pouvoirs, c’est à dire le totalitarisme.
    Je l’ai dit ?
    Vous gommerez au montage.
    Sauf si je me trompais et que nous sommes en régime démocratique.

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