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2.avril.20172.4.2017 // Les Crises

La responsabilité des Etats-Unis dans la famine au Yémen, par Kathy Kelly

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Source : Kathy Kelly, 23-03-2017

Cette semaine, au bureau de Voices for Creative Nonviolence de Chicago, ma collègue Sabia Rigby a à préparer son intervention dans un lycée local. Elle doit aller, avec un jeune ami réfugié d’Irak, y parler de la crise des réfugiés provoquée par la guerre. Sabia revient de Kaboul où elle a participé à la collecte d’informations sur les efforts des Jeunes Volontaires de la Paix afghans pour apporter de la chaleur, de la nourriture et de l’éducation aux familles qui ont fui la guerre afghane et vivent maintenant dans des camps de fortune.

L’année dernière, Sabia avait rendu visite aux réfugiés de la « Jungle de Calais », qui avaient fui le Moyen-Orient et plusieurs pays africains pour aller en Grande-Bretagne. Empêchés de traverser la Manche, une foule de gens ont été contraints de se regrouper dans ce camp de réfugiés de Calais, en France, d’où les autorités françaises ont fini par les évacuer malgré la solidarité qui régnait entre eux, avant de brûler complètement leur campement.

Pour sa conférence au lycée, Sabia a préparé un document qui montre où les réfugiés sont les mieux accueillis dans le monde. Un détail l’a étonnée.

En 2016, les Américains ont accueilli 84 995 réfugiés, mais, la même année, le Yémen, le pays le plus pauvre du monde arabe, a accueilli 117 000 nouveaux réfugiés et migrants et il abrite couramment plus de 255 000 réfugiés de Somalie. Le Yémen commence à souffrir de la pire crise humanitaire au monde. Qui plus est, le pays est régulièrement ciblé par des attaques aériennes saoudiennes et américaines.

En organisant, au même moment, une semaine de jeûne et d’action en relation avec la tragédie qui frappe le Yémen, nous avons été stupéfaits de découvrir que le Yémen était aussi une voie d’évasion pour les Somaliens qui fuyaient la Corne de l’Afrique pour échapper à la guerre et qui se retrouvaient piégés dans un pays où un autre conflit meurtrier provoquait une famine épouvantable.

Après des années de soutien américain au dictateur Ali Adullah Saleh, la guerre civile dévaste le Yémen depuis 2014. Son voisin, l’Arabie saoudite, lui-même un des plus cruelles dictatures de la région et un solide allié américain, est devenu nerveux en 2015, et avec le soutien de neuf pays alliés, les Saoudiens se sont mis à opérer d’incessantes frappes aériennes punitives au Yémen, et ils lui ont également imposé un blocage qui a mis fin à l’approvisionnement en nourriture et en fournitures via un port important. Tout cela a été rendu possible par l’arrivée massive d’armements en provenance des États-Unis, pays qui a également mené des frappes aériennes indépendantes, en tuant des dizaines de civils, y compris des femmes et des enfants.

Comment ce petit pays appauvri, harcelé par des attaques aériennes et terrestres incessantes, proche de l’effondrement économique et au bord de la famine, pourrait-il absorber des milliers et des milliers de migrants désespérés ?

Le Yémen importe 90% de sa nourriture. En raison du blocus, les prix des denrées alimentaires et des carburants augmentent et la pénurie atteint un niveau de crise.

L’UNICEF estime que plus de 460 000 enfants au Yémen souffrent de malnutrition sévère et que 3,3 millions d’enfants et de femmes qui attendent un bébé ou qui allaitent souffrent de malnutrition aiguë. Plus de 10 000 personnes ont été tuées, dont 1 564 enfants, et des millions de personnes ont été déplacées, mais pire encore, on voit se profiler une famine qui emportera tout sur son passage. Iona Craig, dans un article publié par IRIN, a récemment écrit :

Un groupe de plus de 120 familles dont le nombre augmente rapidement avec les nouvelles arrivées, se blottit sous les arbres secs de cette vaste zone de broussailles grises. ils ont marché deux jours pour arriver dans ce camp, au sud-ouest de la ville de Taiz, pour échapper à la dernière vague de conflit sur la côte de la mer Rouge du Yémen.

Mais à l’arrivée, les dizaines de femmes et d’enfants n’ont rien trouvé. Aucun soutien des organismes d’aide humanitaire. Pas de nourriture. Pas d’eau. Pas d’abri. Les personnes âgées parlent de manger les arbres pour survivre, tandis que les enfants demandent de l’eau aux agriculteurs locaux. Une mère berce dans ses bras un bébé souffrant clairement de malnutrition.

Maintenant on entend dire que, le 16 mars, quarante-deux Somaliens ont été tués par des frappes aériennes soutenues alors qu’ils montaient dans un bateau pour essayer de fuir le Yémen.

« Je me suis couché au fond du bateau » a déclaré Ibrahim Ali Zeyad, un Somalien qui a survécu à l’attaque. « Les gens tombaient à ma gauche et à ma droite. Tout le monde hurlait : « Nous sommes somaliens ! Nous sommes somaliens ! »

Mais la fusillade a continué pendant au moins une demi-heure à mon avis.

L’attaque contre le Yémen empêche à la fois les Yéménites et les Somaliens en fuite d’échapper à la pire des quatre crises qui se développent actuellement et qui, toutes ensembles, aboutiront à la pire crise humanitaire de l’histoire des Nations Unies selon l’ONU. Depuis la publication de cet article, personne n’a revendiqué cette frappe, mais les survivants disent qu’ils ont été attaqués par un hélicoptère de combat. Le bateau transportait 140 personnes et il se dirigeait vers le nord, au large des côtes du Yémen.

Pendant ce temps, les fabricants d’armes américains, dont General Dynamics, Raytheon et Lockheed Martin, profitent massivement des ventes d’armes à l’Arabie saoudite. En décembre 2017, Medea Benjamin a écrit : « Malgré la nature répressive du régime saoudien, les gouvernements américains ont non seulement soutenu les Saoudiens sur le plan diplomatique, mais aussi au plan militaire. Sous l’administration Obama cela s’est traduit par des ventes massives d’armes, à hauteur de 115 milliards de dollars ».

La situation est critique et tous les États membres de l’ONU doivent exiger la fin du blocus et des attaques aériennes, le silence des armes et le règlement négocié de la guerre au Yémen. Les deux pays les plus nuisibles, les États-Unis et l’Arabie saoudite, doivent abandonner leurs manœuvres cyniques contre des rivaux comme l’Iran, devant l’énorme, l’indicible, coût en vie humaines que cela signifie pour le Yémen.

Les citoyens américains doivent exiger un changement de la politique américaine, responsable de la tragédie mortelle que vivent les peuples qui se trouvent au Yémen.

Choisissant résolument la voie de l’opposition aux politiques américaines sur le Yémen, les citoyens américains doivent exiger des élus qu’ils stoppent toutes les attaques de drones et toutes les « opérations spéciales » de l’armée au Yémen, qu’ils mettent fin à toutes les ventes d’armes américaines et à l’aide militaire à l’Arabie saoudite, et qu’ils indemnisent ceux qui ont subi des pertes causées par les attaques américaines.

Notre groupe de militants a longtemps fonctionné sous le nom de « Voix dans le désert » menant campagne contre la guerre économique contre l’Irak, une guerre via l’imposition de sanctions économiques qui ont directement contribué à la mort de plus de 500 000 enfants. Perdus dans une culture d’irréalité hostile et de silence insupportable concernant la guerre économique, nous avons ingénument essayé d’éveiller les consciences au sort des réfugiés qui tentaient de survivre. Nous n’avons pas réussi à faire lever les brutales sanctions économiques contre l’Irak et nous dû affronter la dure réalité de l’insensibilité et de l’inconséquence des décideurs américains.

Nous devons regarder la réalité en face et affirmer notre solidarité avec la plus grande partie des peuples de ce monde. A une époque où nos frères humains fuient désespérément partout dans le monde, à l’intérieur de leur propre pays, ou au-delà de leurs frontières, nous devons avoir à cœur de nous informer continuellement sur les conséquences que les actions de notre nation américaine ont sur les pauvres du monde. Nous devons faire en sorte d’être assez nombreux pour que nos voix soient entendues lorsqu’elles s’élèvent en faveur des habitants du Yémen.

Kathy KELLY

KATHY KELLY co-coordonne Voices for Creative Nonviolence et a travaillé en étroite collaboration avec les Jeunes Volontaires de la Paix afghans. Elle est l’auteur de Other Lands Have Dreams. On peut la joindre à : Kathy@vcnv.org

Traduction : Aliocha Kazoff

Source : Kathy Kelly, 23-03-2017

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Commentaire recommandé

Charles-de // 02.04.2017 à 00h19

Ces HORREURS profitent au moins à quelques-uns et boostent la croissance américaine. Merci OBAMA ! Yes, we can KILL !

14 réactions et commentaires

  • Charles-de // 02.04.2017 à 00h19

    Ces HORREURS profitent au moins à quelques-uns et boostent la croissance américaine. Merci OBAMA ! Yes, we can KILL !

      +33

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    • TC // 02.04.2017 à 10h59

      Malheureusement, il ne faut pas nous voiler la face, ces horreurs sont aussi les nôtres puisque notre gouvernement vend des armes aux pétromonarchies du golf persique. J’ai honte d’être Française, j’ai honte de ce qu’est devenu mon pays.

        +23

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    • amer // 02.04.2017 à 20h47

      Ce n’est pas Obama qui a commencé ce bazar…remontez un peut plus dans la chronologie…

        +2

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  • Betty // 02.04.2017 à 01h12

    Visiblement certains medias considèrent que(03/2017) : « Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, fin janvier, les Etats-Unis ont intensifié leurs frappes aériennes contre Al-Qaida dans la péninsule Arabique. »
    http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2017/03/29/nouvelle-frappe-de-drone-au-yemen-contre-aqpa_5102452_3218.html#leI2qRugUkRozPDb.99
    A contrario (octobre 2016) : « Yémen : les Etats-Unis inquiets de leur implication légale dans les frappes saoudiennes » http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/10/10/yemen-les-etats-unis-inquiets-de-leur-implication-legale-dans-les-frappes-saoudiennes_5011423_3218.html
    Ou quand la posture politique justifie l’inexcusable.

      +5

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  • Silk // 02.04.2017 à 03h59

    Très bon article : ces temps ci on parle très peu du Yémen …
    Sinon c’est dommage que la source ne soit pas indiquée (pas de lien), car il y a 2-3 erreurs, j’aurai aimé vérifier si c’était à la traduction ou dans l’article original.

      +3

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  • Gonzo // 02.04.2017 à 07h12

    Pour la période 2010-2014, les ventes d’armes américaines vers les pays du conseil de coopération du golfe (Arabie Saoudite, les Emirats arabe unis, le Koweit, le Quatar, Bahrein et Oman) seraient estimées à 123 milliards de dollars contre 15 milliards pour les années 2001-2008.

    En 2011, ces pays dépenseront au moins 68 milliards de dollars en achats d’armements. Ces dépenses devraient atteindre 80Mds de dollars en 2015, et il est attendu que les dépenses militaires de touts les pays du proche orient dépasseront en cette même années le chiffre de 100 Mds de dollars, dont l’essentielle provenant de l’arabie saoudite.

    En 2009, l’arabie saoudite, le koweit, les Emirats arabe unis figurent parmi les premiers pays importateur mondiaux. Avec l’inde, ils assurent 1/3 des importations mondiales.

    Et tout le monde pensait qu’ils n’allez pas s’en servir!

      +15

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  • RGT // 02.04.2017 à 10h11

    « la dure réalité de l’insensibilité et de l’inconséquence des décideurs américains ».

    Non, les décideurs américains ne sont ni insensibles ni inconséquents, comme tous les décideurs de cette planète.

    Les populations civiles de pays lointains composées de « sous-hommes » ne sont pour eux que des variables d’ajustement.

    Ils sont par contre très sensibles à leur propre train de vie qu’ils défendent bec et ongles en évaluant avec précision les conséquences de toutes leurs décisions.

    Comme les victimes n’ont aucune chance de venir leur demander des comptes, ils se contentent simplement de gérer leur carrière en « bon père de famille » en assurant des revenus optimaux et sans risques.
    Ce n’est pas du tout de l’inconséquence, c’est justement le seul comportement réellement adapté au monde dans lequel ils vivent.

    Je vais sûrement choquer de nombreuses personnes mais si les rôles étaient inversés et que le Yémen et la Somalie étaient les nations les plus puissantes du monde leurs décideurs feraient exactement pareil avec les autres peuples.

      +13

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  • Catalina // 02.04.2017 à 10h28

    RGT, la Chine est la première puissance économique et pourtant, elle ne fait pas comme les usa, elle n’implante pas de ses bases partout dans le monde, elle ne crée pas de révolutions colorées ou d’assassinats de dirigeants, elle n’entretient pas des terroristes, etc, etc…..
    En bref, elle ne fait pas exactement comme les usa avec les autres peuples.

      +20

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    • RGT // 02.04.2017 à 22h29

      La Chine utilise le « soft power » avec une subtilité toute asiatique.
      Beaucoup moins voyante mais tout aussi dommageable pour les populations locales.

      La stratégie est bien plus subtile : Ils commencent par envoyer des « commerciaux » dans les pays cibles qui vendent à perte à la population locale des biens de consommation basiques à des prix deux fois plus faibles que les productions artisanales locales.
      Du coup, l’économie locale s’effondre, les liens sociaux explosent et les chinois viennent proposer de « l’aide » aux populations concernées (sous forme de produits fabriqués en Chine bien sûr) et tout doucement prennent le contrôle de l’économie du pays.
      Une fois que l’intégralité de la population locale est redevable à la Chine ils commencent tout doucement à faire pression sur les gouvernements pour qu’ils signent des contrats avantageux pour la Chine afin d’assurer leurs approvisionnements en matières premières indispensables.

      Ils n’ont rien à foutre des populations locales et leur comportement, bien que moins agressif que celui des occidentaux n’en est pas moins prédateur.
      Dans tous les cas les ressources échappent aux autochtones qui sont allègrement floués.

        +5

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  • Lysbeth Levy // 02.04.2017 à 18h16

    Toujours trop tard, les réseaux humanitaires indépendants ou non voient « soudain » ce qu’ils auraient pu savoir si ils avaient consultés les projets américains juste après le 11 septembre 2001, la Corne de l’Afrique étant englobé dans la « restructuration du moyen orient élargi », et la soi disant « war on terror against al qaida », bien pratique, puisque les escadrons de la mort y ont été importé. On crée le problème et ensuite on a la solution : l’intervention militaro-humanitaire ! .http://www.globalsecurity.org/military/ops/oef-djibouti.htm Tout a bien été prévu, les Usa veulent mettre la main sur tout ce qui regorge de pétrole, gaz, minéraux, ou le passage des pipelines utile à leur leadership mondiale. Sans état d’âme nos amis anglo-saxons, européens aidés par les féodaux Qatar ou Arabie Saoudite, Israel font et défont des états jusque là en paix et tranquilles et laissent le reste du monde de s’occuper ou pas des réfugiés qui arrivent par millions en attendant parqués dans des camps à ciels ouverts autour des pays limitrophes.

      +2

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    • RGT // 02.04.2017 à 22h45

      Le néo-colonialisme est largement pire que le « colonialisme de grand-papa ».

      Le « colonialisme classique » était une horreur qui avançait en revendiquant sans complexes son désir d’assouvir les « primitifs » pour les « éduquer » mais ces peuples avaient quand-même la possibilité de rester sur la terre de leurs ancêtres (en étant dépossédés de celle-ci et en travaillant comme serfs, c’est ignoble mais au moins ils pouvaient survivre).

      Le néo-colonialisme ne s’embarrasse pas de ces « contraintes humanitaires » et le nouveau moyen d’aller piller les biens des autres peuples consiste simplement à aller exterminer ces peuples pour qu’il ne reste aucun survivant pouvant revendiquer quoi que ce soit.

      Cette technique efficace a été inaugurée au XIXème siècle par la « Démocratie la plus Parfaite » avec les amérindiens, puis au XXème siècle par la « Seule Démocratie » du moyen-orient pour se « défendre contre les barbares sanguinaires ».

      Comme ça fonctionne bien et que les opinions publiques s’en foutent (ayant d’autres problèmes tout aussi importants concernant leur survie), pourquoi se priver ?

        +1

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      • christian gedeon // 04.04.2017 à 12h38

        çà,pour moi,c’est typique…typique d’une pensée incapable de sortir du schéma « colonialiste « …(le terme colonialisme,dans ce genre de pensée étant bien entendu strictement réservé aux « blancs occidentaux »),seuls colonisateurs,comme chacun sait,de la terre…avec une ignorance voulue et totale du poids de l’histoire,et pire encore,une forme de mépris pour les peuples en question,qui ne seraient,selon ce schéma de pensée,que des objets,et jamais des sujets et des acteurs de ce qui leur arrive.Personne n’oblige les yéménite sà se battre les uns contre les autres,n’est ce pas? pas plus que quelqu’un n’oblige le « peuple  » saoudien,ou qatari,ou émirati à soutenir l’inacceptable agression contre le yémen…pour moi,qui suis de là bas,le vrai néocolonialisme est dans ce genre de raisonnement,qui ignore la responsabilité des acteurs locaux…comprenne qui voudra.

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