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27.juin.202327.6.2023 // Les Crises

Affaire Imran Khan : lors d’une réunion secrète, l’armée pakistanaise a ordonné à la presse de s’auto-censurer

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Les informations concernant Khan, ancien premier ministre au centre d’une crise politique qui secoue le Pakistan, ont pour la plupart disparu des médias du pays.

Source : The Intercept, Ryan Grim, Murtaza Hussain, Waqas Ahmed
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Des commandos de police escortent l’ancien premier ministre pakistanais Imran Khan (C) à son arrivée à la Haute Cour d’Islamabad, le 12 mai 2023. L’ancien premier ministre pakistanais Imran Khan a été libéré sous caution par la Haute Cour d’Islamabad le 12 mai, après que son arrestation pour corruption a déclenché des affrontements meurtriers avant d’être déclarée illégale. (Photo by Aamir QURESHI / AFP) ( QURESHI/AFP via Getty Images)

Les militaires pakistanais ont invité les propriétaires des principaux médias du pays à Islamabad cette semaine pour une réunion secrète afin de discuter de la couverture de la crise politique et constitutionnelle en cours, ont déclaré à The Intercept des journalistes pakistanais au courant de cette rencontre. L’invitation ne pouvait être refusée et le message était tout aussi direct : Cesser toute couverture de l’ancien premier ministre Imran Khan dans le cadre de son conflit avec l’armée.

À la suite de cette réunion, qui n’a pas été rapportée précédemment, les principaux rédacteurs en chef des organes de presse pakistanais ont donné des directives à leurs journalistes pour qu’ils cessent de parler de Khan, ont déclaré les journalistes pakistanais, qui ont requis l’anonymat par crainte pour leur sécurité. Une vérification des sites des médias pakistanais révèle un changement radical. Au début de la semaine, et tous les jours depuis des années, Khan était l’un des principaux sujets de couverture. Aujourd’hui, il a effectivement disparu de l’actualité. L’interdiction a été confirmée par plus d’une demi-douzaine de journalistes pakistanais.

« Ils disposent de nombreux leviers pour nuire aux entreprises de médias. »

Khan est au cœur d’une crise politique qui a paralysé les villes pakistanaises, provoqué des affrontements et des émeutes visant les militaires tout-puissants et jeté en prison des dizaines de milliers de ses partisans. On ne le dirait pas en lisant la presse pakistanaise aujourd’hui, même s’il poursuit sa campagne contre une tentative des militaires de l’exclure, lui et son parti, de la course aux prochaines élections.

La crise récente a commencé lorsque Khan a été accusé de corruption, ce que lui et les partisans de son parti politique, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), considèrent comme une manœuvre politique visant à l’exclure de la vie politique.

Khan, ancien joueur de cricket et philanthrope, est devenu l’homme politique le plus populaire du Pakistan en galvanisant la colère du public contre les partis politiques dynastiques du pays. Il a été premier ministre de 2018 à 2022, date à laquelle il a été démis de ses fonctions par une coalition de partis d’opposition. Alors que l’on pensait généralement que son ascension au pouvoir avait été favorisée en coulisses par l’armée elle-même, Khan, après s’être brouillé avec les dirigeants militaires, est devenu un farouche opposant à leur rôle dominant dans la politique.

Au Pakistan, il n’y a pas de plus grande histoire que la bataille entre Khan et les militaires, qui s’est déroulée de manière spectaculaire, avec notamment l’arrestation extrajudiciaire de Khan à l’intérieur d’une salle d’audience, ce qui a déclenché des protestations dans tout le pays et, finalement, une décision de la Cour suprême de le libérer. Khan est également le principal générateur d’audience et de trafic Internet pour les organes de presse – jusqu’à ce que, jeudi, il disparaisse pratiquement des médias d’information nationaux. (L’ambassade du Pakistan à Washington n’a pas immédiatement répondu à une demande de commentaire).

La directive explicite de l’armée n’a pas été communiquée par écrit, ont indiqué des sources. L’autorité pakistanaise de régulation des médias électroniques, qui supervise les chaînes de télévision, a émis un ordre plus vague interdisant la couverture des « semeurs de haine, des émeutiers, de ceux qui les facilitent et de ceux qui les commettent. » La directive ne nomme pas Khan, mais sa signification est claire. Le 9 mai, à la suite de l’arrestation de Khan, des manifestations ont éclaté dans tout le pays, certaines conduisant à des incendies criminels. Khan a demandé l’ouverture d’une enquête indépendante sur les causes de l’incendie et a suggéré que l’armée pourrait l’avoir perpétré afin de créer un prétexte pour la répression qui a suivi.

Le compte Twitter américain du PTI [Pakistan Tehreek-e-Insaf, Mouvement du Pakistan pour la justice fondé par Imran Khan, NdT] a condamné ce qu’il a appelé la censure. « Essayer d’empêcher Imran Khan d’accéder aux médias est une censure et une restriction de la liberté des médias par le régime qui s’est imposé au Pakistan », a déclaré le parti.

Caroline Davies, de la BBC, a rapporté que des sources de deux chaînes de télévision pakistanaises différentes avaient déclaré qu’elles avaient reçu l’ordre de ne pas mentionner Khan, même dans la bande de téléscripteur qui défile au bas de l’écran.

À la suite du black-out imposé par l’armée sur les médias pakistanais, Khan s’est tourné vers la presse occidentale et les plateformes de médias sociaux comme Twitter pour tenter de faire passer son message. Même ces plateformes n’ont pas échappé à la censure : de nombreux utilisateurs pakistanais de médias sociaux ont déclaré avoir été contactés par l’armée au sujet de leurs messages et avoir été priés de les retirer, de peur de se retrouver en prison comme des milliers d’autres partisans du parti de Khan l’ont été au cours des dernières semaines.

Des milliers de fidèles de Khan ont été emprisonnés ces dernières semaines et la plupart des dirigeants de son parti ont également été emprisonnés et n’ont été libérés qu’à la condition qu’ils démissionnent publiquement du parti. Plusieurs anciens responsables de premier plan ont récemment été contraints de donner d’étranges conférences de presse à la suite de leur arrestation, au cours desquelles ils ont annoncé leur démission du PTI et, souvent, de la politique en général.

Source : The Intercept, Ryan Grim, Murtaza Hussain, Waqas Ahmed, 02-06-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Daniel // 27.06.2023 à 09h31

Les « biens pensants » de chez nous, que sont les journalistes des USA et par ruissèlement de la GB ou vice versa … et probablement aussi ceux de l’UE et de la France, (même si ce n’est pas dit dans l’article), crieront au loup en disant que c’est intolérable.
Si c’est Macron qui « influence » les médias sur la réforme des retraites, c’est normal car c’est une réforme structurelle qu’il faut faire cf https://www.20minutes.fr/politique/4020299-20230124-reforme-retraites-quand-emmanuel-macron-rencontre-discretement-editorialistes-influents
Ce 2 poids, 2 mesures sur l’indignation au sujet des droits de l’homme, de la liberté de la presse et d’ailleurs sur presque tous les sujets m’exaspère au plus haut point.
Vivement la fin de ce double standard comme les pays des BRICS le souhaite aussi !

3 réactions et commentaires

  • Daniel // 27.06.2023 à 09h31

    Les « biens pensants » de chez nous, que sont les journalistes des USA et par ruissèlement de la GB ou vice versa … et probablement aussi ceux de l’UE et de la France, (même si ce n’est pas dit dans l’article), crieront au loup en disant que c’est intolérable.
    Si c’est Macron qui « influence » les médias sur la réforme des retraites, c’est normal car c’est une réforme structurelle qu’il faut faire cf https://www.20minutes.fr/politique/4020299-20230124-reforme-retraites-quand-emmanuel-macron-rencontre-discretement-editorialistes-influents
    Ce 2 poids, 2 mesures sur l’indignation au sujet des droits de l’homme, de la liberté de la presse et d’ailleurs sur presque tous les sujets m’exaspère au plus haut point.
    Vivement la fin de ce double standard comme les pays des BRICS le souhaite aussi !

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  • Pierre Palmade // 27.06.2023 à 19h09

    Si l’armée vous demande de censurer c’est de la censure. L’autocensure ne nécessite aucune demande. La personne se censure automatiquement car elle a le cerveau rincé par la propagande.

      +4

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    • azuki // 29.06.2023 à 12h18

      Si votre principal actionnaire milliardaire ordonne » sa rédaction de censurer, »a reste de la censure… toutefois comme on vire les journalistes, il reste les journaleux plus ou moins tous issue de la même classe sociale et qui ne risquent pas de combattre le système car ILS SONT LE SYSTÈME.

      Bref, en France, le système est très malade aussi mais c’est plus complexe:
      – La censure brutale existe, de plus en plus, mais seulement contre des tout petits medias ou des individus.
      – Les menaces contre des individus, journalistes ou pas, existent, indirectement ou directement.
      – Les menaces et pressions plus larges existent, par les pratiques policières dans les manifs etc.
      – Les menaces. chantages et pressions ne proviennent pas forcément du gouvernement mais aussi de la Mafia financière internationale, donc aussi du gouvernement qui la sert, avec utilisation illégitime de la police, de la justice, de mise en accusation et procès bidons dissuasifs.

      Ce que je veux dire, c’est que nous ne sommes pas (encore) sous Franco ou Pinochet, mais que nous sommes déjà un des plus mauvais élèves de l’UE qui est elle mème pas un exemple de vertu sauf dans son auto-glorification, et que nous glissons de plus en plus vite sur cette pente.

      Il y a une époque ou nous avions cru a un «effet cliquet» du progrès social et de la démocratie, il est plus que temps de perdre nos illusions et se réveiller ! Avec l’introduction de «l’IA» sous prétexte de JO et autres bases de données biométriques, il ne sera bientôt plus la peine de lire de la science fiction : La STASI l’a rêvé, nous somme en train de le réaliser !

        +3

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