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16.juin.202316.6.2023 // Les Crises

La guerre entre les États-Unis et la Chine pourrait-elle démarrer aux Philippines ?

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La tentation de Washington d’approfondir les alliances militaires en prenant des risques, conjuguée à l’aventurisme chinois, menace la paix en Asie.

Source : Responsible Statecraft, Sarang Shidore
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

ASA AIR BASE, Philippines (2 mai 2023) – Des membres de l’armée de l’air philippine s’exercent aux procédures de vérification des locaux lors d’échanges entre experts en la matière dans le cadre de l’exercice conjoint américano-philippin Cope Thunder à la base aérienne de Basa, aux Philippines, le 3 mai 2023. (Photo de l’armée de l’air américaine par l’aviateur Sebastian Romawac)

Le sommet des dirigeants de l’ANASE (en anglais ASEAN : Association des nations de l’Asie du Sud-Est) s’est achevé cette semaine dans la pittoresque ville balnéaire de Labuan Bajo, en Indonésie, et la crise du Myanmar a été au cœur des discussions.

La guerre civile brutale qui sévit au Myanmar est en effet le plus grand défi auquel le groupement régional, par ailleurs particulièrement couronné de succès, ait été confronté depuis la crise financière de la fin des années 1990 dans la région. L’ANASE s’est jusqu’à présent efforcée de mettre un frein à la répression brutale de la junte, et l’attaque perpétrée avant le sommet dans l’État de Shan contre les travailleurs humanitaires du groupe n’a pas arrangé les choses.

Le sommet de l’ANASE a également appelé à « faire preuve de retenue dans la conduite d’activités qui compliqueraient ou aggraveraient les différends et affecteraient la paix et la stabilité » en mer de Chine méridionale, ce qui constitue une allusion claire aux actions agressives de la Chine dans ses revendications maritimes excessivement ambitieuses. Toutefois, l’évolution récente de l’alliance entre les États-Unis et les Philippines complique et aggrave également la dynamique de la sécurité dans la région. Des signes inquiétants montrent que les États-Unis ont effectivement intégré les Philippines dans leur stratégie d’encerclement de la Chine.

Les directives de défense bilatérales les plus récentes publiées par le Pentagone à la suite de la récente visite du président Marcos Jr à Washington ont réaffirmé la nécessité de faire valoir, en février 2023, le traité de défense mutuelle de 1951 – l’accord qui régit l’alliance américano-philippine – en cas « d’attaque armée dans le Pacifique, pour inclure tout endroit dans la mer de Chine méridionale, contre les forces armées philippines ou américaines – y compris celles concernant les garde-côtes des deux pays -, les avions ou les navires publics ».

Un engagement similaire a également été pris en 2019 par le secrétaire d’État Mike Pompeo, en poste du temps du président Trump.

Les déclarations répétées d’engagements portant sur le respect des conditions requises pour une intervention directe des États-Unis ne tiennent pas compte de la nouvelle réalité de l’équilibre des forces en mer de Chine méridionale, lequel n’a rien à voir avec celui des années 1970, époque à laquelle les batailles maritimes entre les États requérants rivaux ont commencé pour de bon. Lorsque les rapports de force changent aussi radicalement, les États-Unis ne devraient-ils pas, afin de refléter les nouvelles réalités en matière de puissance, s’interroger sur la nécessité de modifier progressivement les engagements pris dans le passé, à savoir les cas où ils sont prêts à intervenir directement, en mettant leurs propres troupes en danger ?

Cette question a été analysée plus avant dans une récente note de l’Institut Quincy concernant les alliances et les partenariats asiatiques.

Les lignes de défense mentionnent également la « poursuite en bilatéral des exercices et des entraînements ainsi que des activités maritimes conjointes, y compris, mais sans s’y limiter, des patrouilles communes ». De telles patrouilles américano-philippines – de leurs marines ou même de leurs garde-côtes – dans des zones maritimes où la Chine a acquis des capacités de contrôle ou un pouvoir de déni d’accès peuvent facilement constituer une provocation, même si ce n’est pas là l’intention. Des incidents ponctuels pourraient ainsi se transformer très rapidement en une confrontation entre les États-Unis et la Chine, si des navires américains escortaient les navires philippins. Le fait que l’Australie, alliée des États-Unis, se joigne à ces patrouilles ne peut que jeter de l’huile sur le feu.

Une partie du problème vient évidemment du fait que la Chine a tenté sa chance en revendiquant des droits maritimes étendus, jugés illégaux par un tribunal international en 2016. En outre, elle a occupé certaines des zones de la mer de Chine méridionale, les a revendiquées et y a construit des installations militaires. Pékin déploie des stratégies para-militaires et des tactiques de zone grise pour exercer un certain pouvoir sur les îles Spratleys et leur voisinage – par exemple, en ayant récemment pointé un laser de qualité militaire contre un navire philippin, ce qui est tout à fait déplorable. Un incident plus grave s’est produit en 2012, au cours duquel la Chine a pris le contrôle des hauts fonds de Scarborough, mettant à mal les relations avec les Philippines.

Mais la Chine n’est pas le seul État à faire valoir des revendications étendues en mer de Chine méridionale. Les revendications de Taïwan sont pratiquement identiques à celles de la Chine et le pays occupe depuis longtemps la plus grande zone de la mer de Chine méridionale, Itu Aba. Le Viêt Nam réclame activement les zones qu’il contrôle et déploie également sa propre marine militaire, comme le fait Pékin.

Les risques liés aux contestations entre la Chine et le Viêt Nam sont relativement limités, car le Viêt Nam jouit d’une grande autonomie stratégique et n’est l’allié d’aucune autre puissance. Toutefois, un affrontement entre les Philippines et la Chine, avec les États-Unis (et peut-être l’Australie) directement présents sur le théâtre des opérations en tant qu’alliés, peut très bien dégénérer en un conflit entre grandes puissances.

Plus dangereux encore, Washington semble utiliser les Philippines comme une voie d’accès par procuration dans le cadre de sa stratégie à l’égard de Taïwan. Comme je l’ai écrit précédemment, trois des quatre nouveaux sites militaires américains (dans le cadre de l’accord de coopération renforcée en matière de défense de 2014, ou EDCA) sont situés dans le nord de Luzon, à une distance très inconfortable du détroit de Bashi. Ce détroit est un élément essentiel de la stratégie militaire américaine visant à cantoner la Chine à la première chaîne d’îles [La première chaîne d’îles s’étend des Kouriles à Bornéo en passant par le nord de l’archipel philippin, NdT].

Ainsi, l’emplacement de la plupart de ces nouveaux sites n’a pas grand-chose à voir avec les zones contestées de la mer de Chine méridionale. Ils ont une certaine utilité pour les secours en cas de catastrophe (c’est là l’autre justification de l’expansion de ces sites), mais celle-ci doit être mise en balance avec le risque de provoquer des tensions et des conflits sur le très dangereux foyer de tensions qu’est Taïwan.

Les États-Unis devraient certes soutenir leur allié, les Philippines, mais depuis les bases arrières, et surtout en veillant à renforcer les capacités de Manille en matière de tactiques défensives dans les zones grises et de sensibilisation au domaine maritime.

Jouer un rôle de premier plan dans la défense des intérêts et des infrastructures des Philippines en mer de Chine méridionale, et surtout utiliser les Philippines pour poursuivre une stratégie d’endiguement centrée sur Taïwan, ne fera que nous rapprocher du déclenchement d’une guerre entre grandes puissances. Mais avant tout, Washington devrait encourager le dialogue et le rapprochement entre l’ANASE et la Chine, et soutenir de manière proactive les négociations sur le Code de conduite, qui ne progressent que très peu actuellement (bien que cela soit en partie dû aux réticences de la Chine). [Espérant desserrer l’étreinte de la Chine en mer de Chine méridionale, les pays d’Asie du Sud-est ont fini par obtenir de Pékin qu’il accepte de négocier un code de conduite des parties en mer de Chine du Sud pour remplacer l’inefficace Déclaration de conduite qui avait été adoptée le 4 novembre 2002, NdT].

L’alliance États-Unis-Philippines coexiste depuis longtemps aux côtés de l’ANASE dont l’évolution est dynamique et fructueuse. La prudence et l’ouverture de l’ANASE ne sont pas nécessairement contradictoires avec les relations ou les alliances que les États membres entretiennent avec d’autres grandes puissances. Toutefois, lorsque des puissances extérieures agissent en poussant à la confrontation, la stabilité et l’intégration régionales peuvent être sérieusement menacées.

L’Asie du Sud-Est est l’une des régions du Sud mondial qui connaît la croissance la plus rapide et elle est un partenaire commercial de plus en plus important, une Asie du Sud-Est florissante et en paix représente une formidable opportunité pour les États-Unis. Washington doit veiller à ne pas mettre en péril la stabilité et la prospérité de cette région.

Source : Responsible Statecraft, Sarang Shidore, 13-05-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Moussars // 16.06.2023 à 14h21

Pas rancuniers les Philippins d’avoir été traités et considérés comme ils l’ont été par les gringos lors de la guerre des Philippines.
Pas rancuniers d’aider ceux qui soutenaient à fond l’ordure de Marcos père, dont le fils -qui s’était alors facilement enrichi de ses crimes…- est maintenant le président…
En ramassé, c’est l’histoire extérieure des usa.

10 réactions et commentaires

  • POPOV // 16.06.2023 à 09h59

    Comme on le voit pour l’Europe, USA se foutent un peu de la prospérité économique de leurs « alliés » dès qu’ils ont décidé de passer à l’action. Heureusement pour le sud-est asiatique, M. Biden s’enlise dans son conflit avec la Russie, et ne peut envisager d’ouvrir un second front avec la Chine, même par procuration. Surtout dans cette zone où le pro-américanisme béat est loin de faire l’unanimité. Et si jamais, les hostilités devaient commencer à court terme, elles se feraient en mer. La perte d’un ou plusieurs porte-avions aurait un impact sur l’opinion publique, et se capitaliserait aux destructions massives de matériel de guerre en Ukraine.
    Une guerre en Asie ne peut s’envisager qu’après la défaite russe.

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    • John V. Doe // 16.06.2023 à 16h59

      La présence de l’Australie aux côtés des USA et contre son principal pays client pour la source d’énergie produite par l’île, le charbon, me semble à peu près aussi intelligente que l’alignement de l’Allemagne sur les USA contre son principal fournisseur. En cas d’affrontement, l’Australie espère-t-elle que ses exportations pourront se détourner vers l’Allemagne située à peu près à l’opposé du globe ? Où sont-ils à ce point inféodés aux USA qu’ils sont prêt à se suicider économiquement comme vient de le faire l’ex-première puissance d’Europe, l’Allemagne pré-citée ?

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  • DVA // 16.06.2023 à 10h27

    Les propositions traditionnelles d’alliances guerrières et mafieuses occidentales contre les propositions d’alliances commerciales innovantes des BRICS and co qui veulent de plus en plus les rejoindre…pour moi , y a pas photo…

      +13

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  • Lt Briggs // 16.06.2023 à 10h34

    Se ranger résolument aux côtés d’une grande puissance, comme le font les Philippines avec les Etats-Unis, c’est valider la logique de confrontation qui prévaut actuellement. C’est perdre son autonomie et s’en remettre aux différentes factions qui règnent à Washington et Pékin. Les pays de l’Asie du sud-est sont en pleine croissance et ont des atouts, ils feraient mieux de bâtir entre eux une solide alliance qui ne dépendrait ni des Etats-Unis ni de la Chine. Car gober les promesses d’avenir radieux faites par une grande puissance et lui servir de supplétif peut être lourd de conséquences, à l’instar de ce que l’on peut voir en Ukraine.

      +14

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  • Moussars // 16.06.2023 à 14h21

    Pas rancuniers les Philippins d’avoir été traités et considérés comme ils l’ont été par les gringos lors de la guerre des Philippines.
    Pas rancuniers d’aider ceux qui soutenaient à fond l’ordure de Marcos père, dont le fils -qui s’était alors facilement enrichi de ses crimes…- est maintenant le président…
    En ramassé, c’est l’histoire extérieure des usa.

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    • utopiste observateur // 18.06.2023 à 14h46

      La « Démocratie » Philippine est un peu en « avance » sur la notre, ceci expliquant cela.

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  • max // 17.06.2023 à 07h11

    La guerre dans cette région est plus discrète, elle est économique et se traduit par les échanges en monnaies locales, la Guerre comme celle qui se passe en Europe serait contre-productive en faisant sauter ce fragile édifice et les Philippines font partie de ce schéma pour commercer en monnaie locale.
    Il y a des centaines de bases de(s) USA dans le monde dans sans doute plus de 100 pays et bien même ces pays ont vocations a commercer en monnaie locale et non plus en $ et ca a déjà largement commencé et quand vous commercez en dehors de la zone $ cela se sent rapidement dans les infrastructure locales, la perte d’influence du $ qui en résulte a des conséquences sur le cout pour le(s) USA de sa puissance multiforme et notamment de son armée. A l’exception d’un conflit nucléaire, c’est la pire guerre pour le(s) USA.

      +3

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  • Axel Egitime // 18.06.2023 à 12h38

    « ce qui constitue une allusion claire aux actions agressives de la Chine dans ses revendications maritimes excessivement ambitieuses »
    C’est à peu près là que j’ai arrêté ma lecture sérieuse et me suis contenté de survoler.
    C’est l’art d’inverser les responsabilités, et qui permettra, si une guerre se déclenche, d’en rejeter la responsabilité sur la Chine, comme l’occident l’a fait pour la Russie en Ukraine.
    Pas un mot sur les actions agressives de USA dans ses revendications maritimes excessivement ambitieuses à des milliers de kilomètres de ses frontières :
    https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/presence-us-chine
    Quant à la conclusion
    « Washington doit veiller à ne pas mettre en péril la stabilité et la prospérité de cette région. »
    l’auteur ne comprend rien à la géopolitique. Les USA cherchent au contraire à engager une guerre par proxy avec la Chine, comme ils utilisent l’Ukraine contre la Russie.

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  • RGT // 21.06.2023 à 13h48

    Comme je l’ai dit depuis longtemps et à de nombreuses reprises, je rêve du jour béni où les USA se retrouveront encerclés par des puissances « amies » (Chine, Russie et tous les autres qui n’ont malheureusement pas les moyens de le faire) avec bien sûr le Canada,le Mexique, les Caraïbes hébergeant une foultitude de bases militaires destinées à contenir les velléités agressives et expansionnistes de cette nation dirigée par des criminels sanguinaires.

    Pour l’instant, c’est pas gagné, mais qui sait ce que nous réservera l’avenir ?
    Tous les empires les plus cruels se sont tous effondrés, mais lors de leur « chant du cygne » ils se sont tous montrés exceptionnellement sanguinaires pour préserver leur existence.

    Avec l’armement actuel, et compte-tenu du grand « humanisme » des dirigeants US je crains le pire…

    Ils sont capables de déclencher l’apocalypse nucléaire s’ils constatent qu’ils vont perdre, en se foutant totalement de détruire toute vie sur cette planète ce qui supprimerait ainsi la possibilité que l’on puisse prouver qu’ils avaient tort et qu’ils se sont pris une bonne branlée.

    Finalement, la seule chose qu’ils comprennent qu’ils puissent comprendre c’est la violence et la force.
    Ils ne valent pas mieux qu’une bande de loubards de quartier qui sont prêts à massacrer toute la population pour préserver leur business de commerce de shit et de racket.

    Il faut quand-même être franchement stupide pour encenser ces criminels et les considérer comme des saints…
    Sauf si l’on est soi-même chef de gang et qu’on souhaite continuer sous la « protection » des grands.

    Je ne prétends pas que le gouvernement chinois soit composé d’enfants de coeur, mais au niveau massacres de masse et cupidité il sont des « petits joueurs » comparé aux dirigeants du « Phare de la Civilisation ».

    Un état qui se respecte (et qui respecte ses citoyens) se doit de préserver les intérêts de sa population.
    Pour l’instant, des « Grandes Démocrassies » se contentent de tondre tous ceux qu’elles peuvent pour apporter le tribut de leur vassalité aux parrains de la mafia internationale.

      +1

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