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8.juin.20238.6.2023 // Les Crises

Les F-16 américains ne changeront pas le cours de la guerre en Ukraine

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La volte-face de Joe Biden soulève de nombreuses questions, dont les principales sont : quelle est l’efficacité réelle de l’avion et quelle est la finalité de l’opération ?

Source : Responsible Statecraft, Daniel L. Davis
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Misawa Air Base, Japon (6 juin 2016) – Des spécialistes de l’armée de l’Air américaine préparent un missile air-air avancé de moyenne portée AIM-120 pour le charger sur un F-16 Fighting Falcon via un chariot élévateur MHU-83. (Photo de l’US Air Force prise par le Senior Airman Deana Heitzman)

L’administration Biden a ouvert la voie aux alliés et partenaires occidentaux pour qu’ils transfèrent leurs stocks d’avions de combat F-16 de fabrication américaine à l’Ukraine et a ajouté que les États-Unis aideraient à former leurs pilotes à les piloter.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a immédiatement salué la « décision historique » de fournir des F-16 Fighting Falcon à l’Ukraine, ajoutant que cela « renforcerait considérablement notre armée dans le ciel ». Une évaluation objective des capacités et des limites de ce transfert devrait toutefois tempérer les attentes.

Depuis que la Russie a envahi son pays en février 2022, Zelensky a plaidé pour l’obtention d’avions de combat occidentaux, mais les États-Unis se sont montrés réticents à chaque étape. On ne sait pas très bien pourquoi Biden a choisi, après 15 mois de guerre, d’approuver le transfert (dont il avait déclaré en février que l’Ukraine n’avait pas besoin). Les États-Unis ont longtemps affirmé qu’ils n’enverraient pas les chasseurs parce que cela risquait de trop enflammer la Russie et que les avions à réaction n’étaient pas nécessaires à l’effort de guerre de l’Ukraine.

Pourtant, les États-Unis avaient les mêmes préoccupations concernant les craintes d’escalade russe lors de la livraison d’autres catégories d’armes, comme l’obusier M777, les lance-roquettes HIMAR, les systèmes de défense aérienne Patriot et les chars M1A1. La Russie a protesté après l’introduction de chacun d’entre eux, mais n’a pas pris d’autres mesures. Comme on pouvait s’y attendre, la Russie a mis en garde samedi contre les « risques colossaux » encourus par les États-Unis en cas d’envoi de F-16, sans toutefois préciser de quels risques il s’agissait. Selon toute probabilité, les Russes n’intensifieront pas la guerre simplement en raison de la présence de F-16 aux mains des Ukrainiens.

Mais la volte-face de l’administration Biden sur ce point soulève de nombreuses questions, dont la principale est de savoir dans quelle mesure ces avions peuvent aider l’Ukraine à gagner sa guerre. Il s’avère que la réponse n’est pas encourageante.

Tout d’abord, il faudra beaucoup de temps pour former correctement les pilotes et les équipes de maintenance ukrainiens afin qu’ils soient en mesure de faire voler les jets au combat et de les maintenir en état de navigabilité. En février, le sous-secrétaire à la Défense Colin Kahl a déclaré qu’il faudrait entre 18 et 24 mois pour former les pilotes et les équipes de maintenance, acheminer les cellules et les livrer sur place.

Pourtant, une évaluation de l’US Air Force qui a fait l’objet d’une fuite jeudi dernier laisse entendre que le temps de formation pourrait être de quatre mois seulement. Même si cela était vrai – et selon toute vraisemblance, cela permettrait aux pilotes d’acquérir une capacité minimale pour piloter les jets, mais ils seraient loin d’être compétents en matière de combat aérien. Le processus visant à identifier les F-16 des pays partenaires, à les rendre aptes au vol, puis à les livrer avec l’ensemble des fournitures d’entretien, des pièces de rechange et des munitions, s’étendra probablement jusqu’en 2024.

Il est donc peu probable que les chasseurs participent à des combats dans le ciel ukrainien cette année.

Deuxièmement, si le F-16 est clairement l’un des meilleurs avions de combat de quatrième génération au monde, son efficacité première repose sur le fait qu’il n’est qu’un élément d’un système intégré de commandement et de contrôle de la gestion de la bataille, composé de capteurs. Si l’avion est capable de fonctionner seul, il est beaucoup moins performant sans moyens d’acquisition supplémentaires, tels que l’AWACS E-3 Sentry [avion-radar volant à distance du front et assistant les pilotes de chasse pour analyser la situation tactique et les menaces]. À ce jour, il n’a pas été question de fournir cette capacité à l’Ukraine.

Troisièmement, le F-16 n’est pas un avion furtif. Il a été livré pour la première fois à l’Air Force active en 1979 et il est vulnérable aux défenses aériennes russes, telles que les systèmes de défense aérienne S-300 et S-400 plus avancés. L’une des raisons pour lesquelles l’armée de l’Air ukrainienne a joué un rôle si minime dans cette guerre est son incapacité à neutraliser les réseaux de défense aérienne russes. Bien que le F-16 soit plus performant que les MiG-29 utilisés par les Ukrainiens, il reste vulnérable aux attaques des défenses aériennes russes.

Enfin, la question se pose de savoir qui fournira les avions. Il ne fait aucun doute que les États-Unis se sont taillé la part du lion dans le soutien apporté à l’Ukraine, tant sur le plan financier que sur celui des armes et des munitions fournies. Si Washington veut autoriser l’utilisation de F-16 produits aux États-Unis malgré les inconvénients, c’est un choix qu’il peut faire. Mais ce sont d’autres nations riches, comme celles d’Europe, qui devraient fournir les cellules, et non les États-Unis.

D’un point de vue tactique, l’Occident et l’Ukraine devraient modérer leurs attentes quant à l’impact de l’acquisition de ces plates-formes sur l’effort de guerre de l’Ukraine. Il ne fait aucun doute que le F-16 est une excellente plate-forme aérienne et qu’il constituera une amélioration par rapport aux jets ukrainiens existants. Mais il n’y a aucune raison de s’attendre à un changement radical de la situation de Kiev dans la guerre grâce à eux. Même les 40 à 50 avions à réaction que l’Ukraine demanderait ne changeront pas fondamentalement le cours de la guerre.

La question la plus importante que les Américains devraient poser à Biden est la suivante : dans quel but ? Qu’attend l’administration de la livraison des F-16 ? Qu’espérons-nous accomplir physiquement ? Quel est l’état final envisagé par le président pour la guerre, et comment la présence des F-16 améliorerait-elle les chances de succès ?

Pour autant que je puisse en juger, ces questions n’ont même pas été posées, et ont encore moins reçu de réponses, par les responsables de l’administration ou du Pentagone.

Washington devrait s’efforcer de veiller à ce que toutes ses actions servent les intérêts des États-Unis. Les trois principaux objectifs des États-Unis devraient être d’éviter toute escalade de la guerre au-delà des frontières de l’Ukraine, de transférer de manière appropriée la charge du soutien physique à l’Ukraine à nos partenaires européens, et en aucun cas un accord de fin de guerre ne peut inclure une garantie de sécurité des États-Unis ou de l’OTAN à l’égard de l’Ukraine.

Il est difficile de voir comment l’envoi d’un certain nombre de F-16 à l’Ukraine – qui ne pourraient pas être utilisés avant le début de la troisième année de guerre – va changer matériellement l’issue de la guerre ou faciliter l’amélioration des intérêts américains dans la région. Washington devrait commencer à se concentrer davantage sur les moyens concrets de sauvegarder les intérêts américains et de mettre fin à la guerre, et moins sur des livraisons d’armes sans conséquence qui ne semblent pas faire partie d’une stratégie cohérente.

Source : Responsible Statecraft, Daniel L. Davis, 21-05-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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16 réactions et commentaires

  • Shaitan // 08.06.2023 à 09h09

    Le F16 a des entrées d’air près du sol. Il lui faut une piste hyper propre sinon c’est le risque d’une catastrophe. Les pistes sont scrutées par des équipes piétonnes à la recherche du moindre caillou avant décollage. Donc obligation de décoller de vraies pistes qui sont des cibles potentielles une fois repérées.
    Les avions Russes ont des entrées d’air multiples et au décollage celles à risque sont verrouillées. Ils peuvent décoller de n’importe où et d’ailleurs les Ukrainiens utilisent des pistes de fortunes avec ces avions sans soucis. Cela permet d’éviter les bombardements des aéroports et vraies pistes diverses.

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    • POPOV // 08.06.2023 à 09h58

      Aux dernières nouvelles, ils pourraient décoller des pistes polonaises…..

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      • Shaitan // 08.06.2023 à 10h01

        Ce qui pourrait constituer un Casus Belli.
        De toute façon les F16 ne pourront êtres utilisés que pour des actions distantes et en aucun cas près de la ligne de front.

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      • José // 08.06.2023 à 11h22

        Avion f16 donné, vendu par je ne sais trop quel pays décollant d’une base polonaise avec à son bord un pilote : qui va demander le passeport du pilote, sa nationalité ? On croit rêver !

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        • Shaitan // 08.06.2023 à 15h03

          Le problème n’est pas autant la nationalilté du pilote que l’endroit d’où il décolle tout simplement.

            +6

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    • Shaitan // 09.06.2023 à 15h05

      Une vidéo sortie à l’instant d’un ancien pilote de Rafale qui explique la problématique du F16 en Ukraine. Il liste les problèmes que j’ai cités et d’autres encore.
      https://youtu.be/vklvyGvuo9c

        +1

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      • madake // 10.06.2023 à 14h43

        De suite, l’avis d’un pilote « vu du cockpit » est des plus pertinents…
        Merci du lien.
        Un monomoteur comme le F16 sur des pistes « rustiques » avec une entrée d’air à 80 cm du sol,
        expose sa propulsion a des risques vitaux…
        Comme le souligne « Até », ne pas oublier qu’un chasseur c’est pour 1h de vol,
        requiert 18.5 heures de maintenance au sol… et du remplacement périodique de pièces.
        Que s’il faut former les pilotes sur ces avions, ce qui prend de longs mois, il ne faut pas négliger la formation des mécaniciens, qui sont bien plus nombreux que les pilotes… et nécessitent un outillage spécialisé… donc une formation spécifique et continue dans une langue étrangère.
        Et que, transiger sur la maintenance avec un monomoteur, n’est pas une situation d’avenir…

        Dans le conflit ukrainien, où il importe de ne pas regrouper inutilement ses avions,
        pour ne pas en faire une cible facile,
        la logistique nécessaire à la maintenance complexe d’un chasseur est une gageure.

        C’est d’ailleurs aussi le cas pour nombre d’armes sophistiquées fournies par l’OTAN à l’Ukraine…
        La disparité des tanks avec des munitions de calibres différents de 105 ou 120 mm, des canons rayés ou lisses, des carburants différents, gazoil ou kérosène, et des poids généralement incompatibles avec de nombreux ponts ukrainiens, compliquent les déploiements, et surtout contraignent la stratégie et la tactique…
        On peut se demander si ces dons,
        ou ces ventes à crédit… (car l’Ukraine est depuis des décennies en déficit…) ne relèvent pas du cadeau empoisonné…
        On peut se demander aussi, comment le pays renverra l’ascenseur à tous ses généreux créanciers, qui sont tous, pour l’instant, si désintéressés?

        Quel affreux gâchis…

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  • Impertinent // 08.06.2023 à 09h21

    Le conflit en Ukraine est une occasion de faire la pub des armements divers et variés des uns et des autres, et de faire la pub d’hommes politiques ou d’hommes public.
    Il faut que ce conflit dure pour nourrir l ego d’hommes publics et le portefeuille des actionnaires d industrie d armement.

      +10

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  • Arcousan09 // 08.06.2023 à 10h01

    Manifestement le fait que l’Ukraine ne puisse pas se servir des F16 c’est le cadet des soucis US
    L’important c’est l’effet d’annonce et puis il faudra bien les remplacer ces F16 donc c’est bon pour l’industrie et pour les finances …… la seule et unique chose importante dans cette affaire c’est de faire de l’argent en cassant au début puis en reconstruisant
    L’Humain là dedans …………

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    • quark // 08.06.2023 à 13h36

      Oui. « En cassant au début puis en reconstruisant », écrivez-vous… La « destruction créatrice » a-t-elle ou n’a-t’elle pas été en quelque période la manifestation d’un processus d’évolution systémique de nature cyclique? En tout cas il semble que ce soit aujourd’hui une ligne stratégique de croissance de bulle clairement conduite de façon radicale au pied de la lettre sur le long terme. « L’Humain là dedans » apparaît n’être, avec le pétrole et d’autres matières premières minérales transformées en produits d’armement, rien de plus qu’une ressource consumable à flux tendu, excédentaire et qu’il s’agit de consumer rapidement, c’est tout. Il me semble que la disruption écosystémique en cours ne représente plus pour « nos » stratèges de tout « camp », en vérité, un processus qui devrait être, pour le bien commun de tous les spécimen en interactionnement si j’ose dire de ce qu’on appelle « le Vivant » à l’échelle du globe, inversé sur une dérivée néguentropique, mais une course contre la montre à qui conservera ou aura définitivement achevé de fonder le pouvoir impérial central totalisé formant un « monde d’après » identique en version optimisée mise à jour, qu’il s’agit alors de gagner au plus vite. Bref de la pure démence sénile, relativement précoce à l’échelle anthropologique peut-être.

        +7

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  • JPP // 08.06.2023 à 11h01

    Le F16 bien que multirôles est d’abord un avion de supériorité aérienne pour affronter d’autres chasseurs pilotés et pas être une proie pour des missiles sol air ou pour essayer de passer les défenses et aller bombarder loin en profondeur de la Russie. Son intérêt en soutien d’une offensive blindée ou d’attaque au sol n’est pas évident, son rapport qualité prix devant être moins bonne que les A10 ou SU25 plus appropriés.

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  • Savonarole // 08.06.2023 à 12h30

    Tant va l’UE à la fourniture d’armes qu’à la fin elle … Enfin bref, les néocons ont beau jeu de pousser les autres à la dépense pour l’instant, mais creuser les déficits de l’UE en prolongeant inutilement un conflit qui aurait pu se régler avant même de commencer, ça peut reserver des sales surprises. Et pas que pour les européens.
    La déstruction créatrice à la Schumpeter c’est fonctionnel en théorie, on ne vit malheureusement pas en théorie mais sur une petite planète avec pleins de limites au vivant. Pas la peine d’en rajouter.

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  • max // 11.06.2023 à 16h37

    J’ai quand même le sentiment qu’il y aura un Avant et un Après en ce qui concerne la Russie.
    Durant la Guerre du Vietnam personne n’a jamais vraiment mis en doute le statut de superpuissance militaire de(s) USA a la différence de ce qui se passe aujourd’hui avec la Russie en Ukraine.
    La Russie ne semblant pas être a même d’empêcher la venue du matériel militaire de l’OTAN sur les lignes de contacts.
    L’une des choses qui peut aider et peut être sauver la Russie est l’état désastreux des situations internes des pays occidentaux, ceux-ci sont en fortes difficultés financières et nombres d’entre eux sont en conflits de basse intensités internes, dans le passé nombres de civilisations se sont effondrées pour moins que cela.
    Après tout dans le passé la Russie a bien été sauvé par l’Hiver.

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