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15.juin.202315.6.2023 // Les Crises

Désaméricanisation : Comment la Chine restructure son secteur des puces électroniques

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Sept mois après que Washington ait dévoilé de sévères mesures [dans le contexte de sa guerre commerciale contre la Chine, NdT], les entreprises chinoises redoublent d’efforts pour mettre en place des chaînes d’approvisionnement locales et reçoivent des milliards de dollars de Pékin et des investisseurs.

Source : The New York Times, Chang Che, John Liu
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Installations à Shanghai pour Semiconductor Manufacturing International Corporation, l’un des deux plus grands fabricants de puces en Chine. L’entreprise a annoncé des milliards de dollars d’investissements cette année pour se développer dans des domaines plus avancés. Crédit : Qilai Shen pour le New York Times

En octobre dernier, les projets de construction d’une imposante usine de semi-conducteurs située dans le centre de la Chine et appartenant à une grande entreprise soutenue par l’État sont tombés à l’eau. L’administration Biden a intensifié sa guerre commerciale en matière de technologie, coupant l’accès de la Chine aux outils occidentaux et aux travailleurs qualifiés dont elle a besoin pour fabriquer les semi-conducteurs les plus sophistiqués.

Certains des employés, de nationalité américaine, ont quitté l’entreprise. Trois fournisseurs d’équipements américains ont presque immédiatement interrompu leurs livraisons et leurs services, et l’Europe et le Japon devraient bientôt en faire de même.

L’installation appartenait à Yangtze Memory Technologies Corporation, ou YMTC, un fabricant de puces mémoire que Xi Jinping, le président chinois, a présenté comme le porte-drapeau de la course à l’autonomie de la Chine. Aujourd’hui, le fabricant de puces et ses pairs s’empressent de revoir leurs chaînes d’approvisionnement et de réécrire leurs plans d’activité.

Près de sept mois plus tard, les barrières commerciales américaines ont eu pour effet d’accélérer les efforts de la Chine en faveur d’un renforcement de l’indépendance du secteur des puces. La technologie et l’argent occidentaux ont disparu, mais les fonds publics abondent pour favoriser la production locale de semi-conducteurs moins perfectionnés, mais néanmoins lucratifs. La Chine n’a pas renoncé à fabriquer des puces haut de gamme : les fabricants tentent de travailler sur le territoire national avec des composants plus anciens provenant de l’étranger et non bloqués par les sanctions américaines, ainsi qu’avec des matériels moins perfectionnés.

Les restrictions sévères imposées par les États-Unis découlent de l’inquiétude suscitée par ce que les autorités de Washington considèrent comme la menace que représente l’utilisation par la Chine de ses firmes technologiques pour moderniser son arsenal militaire. Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale, a récemment qualifié ce sentiment de « nouveau consensus » de Washington quant au fait que des décennies d’intégration économique avec la Chine n’ont pas été couronnées de succès, ajoutant que les nouveaux contrôles étaient « minutieusement adaptés » pour s’attaquer aux semi-conducteurs chinois les plus en pointe.

En vertu des règles adoptées en octobre, les entreprises et les citoyens américains ne peuvent plus aider les entreprises chinoises qui fabriquent des puces électroniques répondant à un certain seuil de sophistication. Ces mesures vont au-delà des restrictions commerciales imposées par l’administration Trump à certaines entreprises, comme le géant chinois des télécommunications Huawei.

Une puce développée par Yangtze Memory Technologies Corporation, une entreprise spécialisée dans les puces mémoire, présentée en 2018. YMTC est un acteur clé dans les tentatives de la Chine de devenir autonome dans la fabrication de puces. Crédit…Oriental Image, via Reuters Connect

Lors des tensions commerciales antérieures, Pékin a mobilisé des sommes considérables pour développer des alternatives locales face aux fabricants de puces occidentaux. Mais les composants étrangers étaient alors facilement disponibles et de meilleure qualité, ce qui a dissuadé de nombreuses entreprises chinoises de franchir le pas.

Ces réticences quant à l’utilisation de matériaux en provenance de Chine semblent vouloir se calmer. Les entreprises technologiques chinoises, en amont et en aval de la chaîne d’approvisionnement, étudient actuellement la façon dont on peut remplacer les puces occidentales et les composants connexes, même ceux qui ne sont pas concernés par les contrôles américains. Le Guangzhou Automobile Group, un constructeur public de véhicules électriques, a déclaré en février qu’à terme, il avait l’intention d’acheter la totalité des quelque 1 000 puces qui équipent ses voitures auprès de fournisseurs chinois. Il achète actuellement 90 % de ses puces à l’étranger.

« Dans de nombreux domaines, l’objectif de la Chine est de désaméricaniser les chaînes d’approvisionnement », a déclaré Paul Triolo, vice-président principal pour la Chine au sein du cabinet de stratégie Albright Stonebridge Group.

Des dizaines d’entreprises chinoises spécialisées dans les puces électroniques sont en train de finaliser leurs plans pour lever des fonds par le biais d’offres publiques cette année. Parmi elles figurent Hua Hong Semiconductor, le deuxième fabricant de puces de Chine, ainsi qu’un fabricant d’outils pour puces soutenu par Huawei.

Les différends technologiques entre les deux plus grandes économies du monde ne montrent aucun signe d’apaisement. L’administration Biden a rédigé, mais n’a pas encore publié, de nouvelles règles qui limiteraient les investissements américains en capital-risque dans les entreprises de puces avancées en Chine. Les investissements étrangers dans le secteur chinois des semi-conducteurs ont déjà chuté cette année à 600 millions de dollars, leur niveau le plus bas depuis 2020, selon les données de PitchBook, qui suit l’évolution du financement privé. Les autorités envisagent de renforcer les contrôles sur des technologies telles que l’informatique quantique ou les équipements de fabrication de puces.

Les restrictions américaines ont incité Pékin à activer un fonds d’État qui était resté inactif en raison du gaspillage et de la corruption : Le « Big Fund » du gouvernement a injecté environ 1,9 milliard de dollars dans Yangtze Memory Technologies Corp (YMTC) en février pour renforcer son action face aux restrictions américaines. Le fonds a également investi récemment auprès de fournisseurs en matériel et en équipement de fabrication de puces, selon les médias d’État.

Grâce à ces nouvelles subventions, les chaînes d’approvisionnement chinoises doivent pouvoir se passer des composants occidentaux. La ville de Guangzhou, dans le sud du pays, a affecté cette année plus de 21 milliards de dollars à des projets relatifs aux semi-conducteurs et à d’autres projets technologiques, notamment ceux qui visent à supplanter les fournisseurs occidentaux d’équipements pour les puces. Selon des rapports d’entreprises et des communiqués de presse, les commandes de matériel fabriqué en Chine ont augmenté au cours des derniers mois.

Des moteurs fabriqués par Guangzhou Automobile Group, un constructeur public de véhicules électriques, lors d’un salon de l’automobile 2017 à Guangzhou, en Chine. Crédit : Billy H.C. Kwok pour le New York Times

M. Xi n’a pas mâché ses mots concernant ce qu’il considère comme une tentative des pays occidentaux d’imposer un « endiguement complet » de la Chine. Lors d’une importante séance législative en mars, le président chinois a interrompu les remarques d’un représentant de fabricant chinois de grues. L’échange a été largement rapporté par les médias d’État : « Les puces électroniques utilisées dans vos grues sont-elles fabriquées localement ? » a demandé M. Xi. Oui, a répondu le représentant.

Selon les estimations de Yole Group, un cabinet d’études de marché, jusqu’à présent, moins de 1 % de tous les semi-conducteurs en Chine sont des produits haut de gamme de l’industrie soumis aux contrôles américains. Le reste est constitué de semi-conducteurs moins avancés, ou « matures », que l’on trouve dans les biens de consommation électroniques grand public et les voitures, et qui représentent « la majeure partie de l’activité », a déclaré Jean-Christophe Eloy, directeur général de Yole Group. Ces puces, qui n’ont pas été affectées par les mesures de contrôle prises par l’administration Biden en octobre, bénéficient aujourd’hui d’un regain d’investissement, a-t-il ajouté.

Les deux plus grands fabricants chinois de puces, la Semiconductor Manufacturing International Corporation (SMIC), soutenue par l’État, et Hua Hong Semiconductor, ont chacun annoncé que des milliards de dollars seraient consacrés cette année à l’expansion de la production de puces matures, à en croire les communiqués.

Pourtant, à long terme, le manque d’accès de la Chine aux outils de classe mondiale nécessaires à la fabrication des puces pourrait freiner ses progrès dans de nombreuses industries de pointe telles que l’intelligence artificielle et l’aérospatiale, selon Handel Jones, directeur général de International Business Strategies, une société de conseil.

Selon les estimations de Yole Group, en août dernier, YMTC avait pour objectif de tripler sa part de la production mondiale de puces pour atteindre 13 % d’ici 2027, défiant ainsi les fabricants historiques de puces comme l’américain Micron Technology. Confronté à des difficultés pour construire sa deuxième usine, le fabricant chinois de puces mémoire devrait voir sa production décliner pour ne plus représenter que 3 % du marché en 2027.

Les entreprises internationales qui investissaient auparavant dans l’industrie chinoise des semi-conducteurs sont aujourd’hui en train de réorienter leurs investissements ailleurs. Les principaux fabricants de puces de Corée et de Taïwan, Samsung et Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), investissent des milliards de dollars dans une nouvelle production aux États-Unis. Le fabricant de puces taïwanais sollicite des subventions américaines pour son usine d’Arizona, ce qui va l’obliger à freiner ses investissements en Chine pendant une décennie.

La nouvelle usine de Taiwan Semiconductor Manufacturing Company à Phoenix, Arizona. Le fabricant de puces sollicite des subventions américaines, ce qui va l’obliger à plafonner ses investissements en Chine pendant une décennie. Crédit : Adriana Zehbrauskas pour le New York Times

Dans le même temps, selon les experts, le recul de l’influence étrangère sur le secteur chinois des puces crée des opportunités pour les entreprises nationales. Le mois dernier, un fabricant d’équipements de semi-conducteurs a fait son entrée à la bourse de Shanghai. Les actions de cette société, Crystal Growth & Energy Equipment, ont grimpé de 30 % depuis lors.

« C’est en raison des sanctions qu’il y a maintenant des opportunités sur le marché », a déclaré Xiang Ligang, directeur d’un consortium technologique situé à Pékin, qui conseille le gouvernement chinois en matière de questions technologiques. « Désormais, il nous est possible de nous développer. »

Le récent afflux d’argent public pourrait accroître la part de la Chine dans la production mondiale de puces d’entrée de gamme. Selon un rapport rédigé conjointement par Rhodium Group, une société de conseil, et Stiftung Neue Verantwortung, un groupe de réflexion de Berlin, la Chine pourrait, au cours de la prochaine décennie, prendre en charge près de la moitié de la capacité de production mondiale de la catégorie de semi-conducteurs à technologie mature.

Cela pourrait créer de nouvelles vulnérabilités au niveau de la chaîne d’approvisionnement des entreprises étrangères, a déclaré Jan-Peter Kleinhans, coauteur du rapport.

« Mettre tous ses œufs dans le même panier est une idée stupide, a-t-il expliqué. Ce serait là un point d’étranglement qui pourrait être exploité. »

Ana Swanson a contribué à ce reportage.

Source : The New York Times, Chang Che, John Liu, 11-05-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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9 réactions et commentaires

  • Gaspard des montagnes // 15.06.2023 à 09h07

    Un embargo pourrait en entrainer un autre… celui des terres rares, la Chine en extrait presque 60% et en raffine 89%.
    Ces terres rares sont nécessaires à la transition climatique via les aimants (pour les générateurs et moteurs électriques notamment) mais aussi toutes sortes de produits électroniques.
    Il est assez probable que dans un avenir pas très lointain les choses se détendent quelque peu et que le seuil de manométrie des semi-conducteurs s’abaisse discrètement ouvrant à la Chine des productions nationales plus élaborées même si les produits les plus perfectionnés resteront secrets.
    Le temps de la domination occidentale est derrière nous…

    https://www.capital.fr/entreprises-marches/la-chine-menace-dun-embargo-sur-les-terres-rares-on-se-retrouve-entre-le-marteau-et-lenclume-1465516

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  • Savonarole // 15.06.2023 à 10h44

    Le CHIP act a lancé une course au silicium que les USA ne sont pas sur du tout de gagner. Trump avait eut le nez plus fin en se contentant de taxer et de couler les boites chinoises via des procédés peu scrupuleux. Biden a relancé ces boites par ignorance et inconséquence. Ils vont faire quoi les ricains dans 10 ans quand les chinois vont se pointer avec des puces qui font le même job pour moins cher ?

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    • Azuki // 15.06.2023 à 12h24

      Ricains ou chinois, si on continue a déconner comme maintenant, sauf révolution technologique hypothétique, dans 30 ans on n’aura plus de puces du tout faute de moyens. En tout cas plus pour tout le monde. Mieux vaut se préparer à la convergence entre le développement infini de notre société capitaliste (c’est à dire une société où le gaspillage est l’objectif) et la réalité finie du monde physique.

      On ne devrait pas se concentrer sur la puissance des puces, mais sur une société «low-tech» ou l’on se pose à chaque fois de la réelle nécessité de leur usage, de leur optimisation globale (y compris par leur usage) et de leur impact environnemental dans sons sens le plus global et pas seulement écologiste.

      Hélas la société humaine a peu évolué par rapport a celle des chimpanzés, mais poser vous la question de cet écologiste : «La question n’est pas de savoir si la société humaine a un impact sur la Nature, la question est de savoir dans quel monde nous voulons vivre». Et la réponse actuelle est un slogan mal compris des Punk: «NO FUTURE! » ce qui ne représente pas une doctrine nihiliste mais signifiait pour eux que la société n’offrait aucun futur digne de ce nom. Toujours est-il que si on continue à appuyer sur l’accélérateur et à ouvrir des boites de pandore pour satisfaire la convoitise infinie de certains, dans un siècle peut-être, l’humanité ne sera plus qu’un souvenir et la terre deviendra un gros déchet en orbite.

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  • tchoo // 15.06.2023 à 14h31

    Tout ce que réussissent à faire les sanctions américaines contre Chinois et Russes y compris les tentatives de captations des avoirs, c’est de pousser ces pays à s’affranchir par tous les moyens des possibilités de pression des occidentaux entrainant avec eux beaucoup de pays.
    Le chemin est probablement semé d’embuches et sera plus ou moins long mais il est pratiquement sur que c’est le déclin assuré et inévitable de cet « occident là »

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  • Nissim44 // 15.06.2023 à 22h09

    Une précision s’impose. Pour qui recherche un bon portable pas cher….on peut trouver pour 20 euros ce qui était le haut de gamme il y a 15 ans. A savoir un Thinkpad T60. Ils étaient équipés de Core 2 Duo Penryn ou Merom T7600 ou 7400 socket M. Ces puces gravées en 65 nm ( oui 65!) fonctionnent à la perfection pour 90% de ce qui est demandé à un portable. Sous Linux bien sur! Internet, traitement de texte lourd et même programmation, algorithme du simplex….Bien sûr inadaptés aux jeux modernes, ou aux tâches relatives aux images 3d complèxes….etc. Mais ça….pas de problème pour le faire en ligne! Donc c’est vraissemblable que pour guider un missile hypersonique ça doit être un peu court! Mais la Chine produit déjà du 12 ou 15 nm surement 100 fois plus puissant que les Merom. Tout ca pour dire que l’embargo ne sera pas efficace. Et a mon avis si on propose 10 millions de $ ( une bagatelle dans cette industrie) a un employé bien placé de TSMC vous croyez qu’il ne transferera pas la technologie? Tout le monde a un prix non? Alors tout cela c’est de la gesticulation!

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  • max // 17.06.2023 à 08h02

    La des-américanisation de son industrie a un coup pour la Chine mais c’est de l’argent très bien placé.
    En ce qui concerne la fabrication des puces et de leurs dérivés, Taiwan/Netherland/Corée et Japon n’avaient de toutes manières pas le choix, les puces et les machines lithographiques dépendaient en amonts de brevets USA, le Japon, dans une situation similaire a celle de la Chine avait au final capitulé face a l’Amérique dans les années 1980.
    Pour la Chine il a donc fallut partir sur sa propre base industrielle mais avec la plus grande armée d’ingénieurs multi-disciplines au Monde, ce n’était donc qu’une question de temps, plutôt court, avant de voir pointer des alternatives crédibles (et oui la Chine n’est pas le Japon).
    De plus sur les puces en part de marché que représentent-elles ?
    Le plus important marché représentent les puces matures celles d’environ 20nm soit 85% du marché, ce sont celles ou l’industrie chinoise est de plus en plus dominante.
    Celle dans les 03nm est dans des segments très particuliers et même dans ce cas, la Chine avance a marche forcé.

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  • ouvrierpcf // 17.06.2023 à 11h42

    Le monde change mais les minerais les puits de pétrole les réserves de gaz restent Ukraine Chine Afrique Russie Pour la recherche d’autres arrivent drones turcs iraniens et et ingénieurs indiens l’Inde va devenir le pays le plus peuplé et la réserve de main d’oeuvre la plus grande

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