L’inaction prolongée face au changement climatique a laissé les personnes au bas de l’échelle socio-économique exposées aux fluctuations d’un marché mondial imprévisible, écrit Thomas Perrett.
Source : Byline Times, Thomas Perrett
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
L’inflation des denrées alimentaires en Grande-Bretagne a atteint son niveau le plus élevé en 45 ans, passant de 18,2 % en février à 19,1 % en mars. Le prix des denrées alimentaires a augmenté de 25 % au cours des deux dernières années, ce qui correspond à l’augmentation cumulée des 13 années précédentes.
En réponse, la Banque d’Angleterre devrait augmenter les taux d’intérêt, ce qui, espère-t-elle, freinera l’inflation en supprimant les dépenses de consommation et en réduisant la demande. Cependant, l’inflation des denrées alimentaires est principalement due à des facteurs externes, plutôt qu’à des niveaux excessifs de la demande des consommateurs.
Il s’agit notamment des conditions météorologiques extrêmes induites par le changement climatique, qui ont entraîné une hausse des prix et une perturbation prolongée des chaînes d’approvisionnement mondiales.
Selon le groupe de réflexion Positive Money, les faibles rendements des cultures en Espagne – le plus grand producteur d’olives au monde – ont fait augmenter les prix de l’huile d’olive de 25 %. Quant aux pénuries de café au Brésil, elles ont fait grimper le prix du café de 70 % entre avril 2020 et décembre 2021.
L’Inde, deuxième producteur mondial de blé, a été touchée par des tempêtes de grêle et la hausse des températures, qui ont aggravé les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et entraîné des pertes importantes pour les agriculteurs. Les prix avaient déjà augmenté en raison de l’impact de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a rendu les marchés d’exportation de la mer Noire inopérants.
Les opposants à la lutte contre le changement climatique ont toujours affirmé que les technologies vertes coûteuses nuiraient aux consommateurs ordinaires, entraînant des hausses d’impôts punitives et des coûts exorbitants qui leur seraient répercutés.
Le Net Zero Scrutiny Group (NZSG), par exemple, un groupe de pression parlementaire conservateur d’arrière-garde dirigé par le député Steve Baker, a qualifié de coûteuses et irréalisables les politiques net zéro visant à réduire la dépendance de la Grande-Bretagne à l’égard des marchés internationaux volatils de l’énergie et de l’alimentation.
Baker a lui-même critiqué les « coûts exorbitants » que la mise en œuvre du net zéro imposera apparemment. Il a affirmé que les politiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre en installant des pompes à chaleur à la place des chaudières à gaz pourraient déclencher « une terrible révolte et que le coût du net zéro pourrait provoquer une crise politique plus grave que la poll tax ».
Mais la récente crise de ce que Positive Money appelle la Climateflation a montré que, c’est moins les politiques coûteuses de net zero imposant des coûts aux consommateurs, que l’incapacité à isoler le pays des chocs de la chaîne d’approvisionnement mondiale induits par l’utilisation des combustibles fossiles qui sapera la résilience de l’économie – avec de graves conséquences pour les personnes à faibles revenus.
Les personnes issues de milieux socio-économiques défavorisés, qui sont plus susceptibles de consacrer une part de plus en plus importante de leurs revenus aux produits de première nécessité, souffrent généralement des fluctuations rapides des prix des denrées alimentaires et de l’énergie.
Selon le groupe de réflexion New Economics Foundation (NEF), 37 % des familles ne seront pas en mesure d’assumer les coûts de la vie de base d’ici l’année prochaine, car les 10 % de ménages les plus pauvres verront leurs revenus chuter de 2 300 livres sterling par rapport au coût croissant des biens de base entre avril 2022 et avril 2024. Les prévisions récentes de la NEF ont indiqué que les augmentations de prix des biens essentiels devraient être trois fois plus rapides que les augmentations de revenus pour les ménages les plus pauvres que pour les ménages à revenus moyens, alors que seules les familles les plus riches verront leurs revenus augmenter par rapport à l’inflation.
Contestant l’idée qu’une hausse des taux d’intérêt puisse alléger le fardeau de l’inflation, la NEF a appelé le gouvernement à « reconstruire le filet de sécurité des revenus du Royaume-Uni, à investir dans nos services publics et à réduire la dépendance du pays à l’égard des combustibles fossiles onéreux. »
Un important programme d’investissement dans les énergies renouvelables pourrait permettre d’économiser jusqu’à 10 200 milliards de livres sterling d’ici à 2050, car l’abondance et la baisse rapide des coûts de l’énergie solaire et éolienne constituent une alternative efficace au pétrole et au gaz, dont l’extraction devient de moins en moins rentable. Alors que les coûts des modules solaires photovoltaïques ont diminué de 89 % entre 2009 et 2019, et que le prix de l’énergie éolienne terrestre a baissé de 79 %, le pétrole connaît un retour sur investissement énergétique (EROI) en baisse, ce qui signifie qu’il faut plus d’énergie pour extraire la même quantité de pétrole, dont la qualité diminue généralement.
Cependant, les consommateurs ont été laissés à la merci des fluctuations internationales des prix des denrées alimentaires et de l’énergie en raison de l’incapacité des gouvernements successifs à se désengager de manière adéquate des combustibles fossiles, exacerbée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a fait grimper en flèche le prix des engrais, ce qui a poussé les agriculteurs à reporter leur production.
Des chercheurs de l’université d’Édimbourg ont révélé que 100 millions de personnes dans le monde pourraient souffrir de malnutrition si les hausses prolongées du prix des engrais se poursuivent. Les chercheurs ont également prédit que le coût des denrées alimentaires pourrait augmenter de 81 % cette année, la hausse des prix des engrais étant l’un des principaux facteurs de cette augmentation.
La flambée des prix des denrées alimentaires s’est accompagnée d’une augmentation spectaculaire des bénéfices non seulement des plus grandes entreprises de combustibles fossiles, mais aussi des multinationales de l’agroalimentaire. Selon le syndicat Unite, les quatre plus grandes entreprises agroalimentaires mondiales ont réalisé 10,4 milliards de dollars de bénéfices l’année dernière, soit une augmentation de 255 %.
Les supermarchés ont eux aussi profité de l’inflation des prix pendant la période postpandémique, utilisant leur position sur le marché pour consolider leurs marges bénéficiaires. Tesco, Sainsbury’s et Asda ont augmenté leurs bénéfices de 97 % en 2021, tandis que les huit principaux fabricants de produits alimentaires britanniques ont réalisé des bénéfices totalisant 22,9 milliards de livres sterling, une augmentation en 2021 depuis la pandémie.
Pris ensemble, trois secteurs importants, considérablement affectés par les conditions météorologiques extrêmes à l’étranger et la flambée du prix de l’essence – l’alimentation, l’énergie et les transports – représentent 57 % de l’inflation globale de l’économie, car les profits des entreprises, aggravés par la concentration du marché qui empêche la concurrence de faire baisser les prix, ont transféré le fardeau de l’inflation galopante sur les consommateurs.
La concentration a permis à quatre entreprises seulement de contrôler 90 % de la production céréalière, et à six entreprises seulement de contrôler 63 % des semences commerciales et 75 % des produits agrochimiques utilisés dans le monde. Étant donné que huit pays représentent aujourd’hui environ 90 % des exportations mondiales de blé, l’escalade de la crise climatique et la stagnation des programmes de décarbonisation des dirigeants mondiaux pourraient exposer les pays dépendants des importations, qui se sont appuyés pendant des décennies sur des monnaies fortes et des déficits de la balance des paiements pour stabiliser l’inflation, à des circonstances économiques instables.
Les grands producteurs de denrées alimentaires ont également accumulé suffisamment de bénéfices pour verser des sommes importantes aux actionnaires. En 2022, Nestlé a versé 8,5 milliards de livres à ses actionnaires alors que les prix ont augmenté de 7,5 % au second semestre. Unilever, qui a réalisé 4,3 milliards de livres de bénéfices l’année dernière, a versé 1,3 milliard de livres à ses actionnaires tout en augmentant ses prix de 12 %.
La fréquence croissante des catastrophes naturelles causées par le changement climatique a perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales, exacerbé les niveaux d’inflation des biens de première nécessité et frappé le plus durement les consommateurs ordinaires.
L’inaction prolongée face au changement climatique, qui va du refus d’empêcher les banques d’investir dans les combustibles fossiles à l’absence d’isolation faiblement carbonée et d’énergie propre, a laissé les personnes au bas de l’échelle socio-économique exposées aux fluctuations d’un marché mondial imprévisible.
Pourtant, tous n’ont pas été touchés de la même manière : les plus grands fabricants de produits alimentaires et les entreprises de combustibles fossiles ont engrangé des bénéfices substantiels.
Source : Byline Times, Thomas Perrett, 24-04-2023
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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6 réactions et commentaires
« freinera l’inflation en supprimant les dépenses de consommation et en réduisant la demande. »
c’est vrai ça,
la solution : les pauvres n’ont qu’à cesser de s’alimenter !
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AlerterMélange de bonnes intentions, de louables mais pitoyables analyses de la situation, le tout avec de vrais gros méchants, alors que le monde est si simple et que les solutions nous tendent les bras…
1° l’inflation actuelle n’est pas conjoncturelle mais s’inscrit dans un long processus de baisse du pouvoir d’achat (Dans le meilleur des cas, nous aurons tous de quoi boire et manger mais tout le reste deviendra de moins en moins accessible: fini les consommations de masse)
2°L’inflation des engrais ne fait que commencer, c’est normal il faut plein de méthane et y en a déjà plus assez pour le reste: Mieux vaut utiliser le terme « déplétion » géologique, on comprend mieux.
3° Les énergies renouvelables seront incapables de rendre les services des hydrocarbures (80% énergie primaire mondiale, avec 99% de ce qui roule, vogue et vole, toute la chimie organique…) et leur coût on s’en fout puisque les 90% de baisse en 10 ans l’ont été grâce à une débauche sans équivalent historique de conso de charbon, on reparlera du coût des ENR produites avec une chaîne de transformation ENR…
4°Il faut cesser d’employer le conditionnel sur les prévisions scientifiques qui concernent le climat, cela ne fait que révéler le marchandage intérieur de sa caboche.
5°Comme toujours, l’avenir dépend essentiellement de nos actions de chaque instant, ce qui change c’est qu’en ne changeant pas, on change tout et en insistant, on provoque l’holocauste antique.
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AlerterCeux qui lisent Élucid savent que cela fait longtemps que les prix de marché ne répondent qu’à la marge à des pénuries ou des excès de demandes…
Les faits sont que les grandes banques systémiques de l’UE (à l’exception des italiennes et espagnoles) se sont défaites massivement (avant la fin 2020) de leurs avoirs en dettes publiques qui leur faisaient perdre de l’argent compte tenu du taux de la BCE. Elles se sont donc retrouvées avec énormément de liquidités disponibles.
Et qu’ont-elles fait de ces liquidités ?
Elles ont pour une part joué sur les marchés mondiaux disponibles, et d’autre part anticipé une reprise du commerce international de l’après Covid et ont donc stocké du $. Ce qui a fait augmenter sa valeur, ce qui a fait augmenter les prix de marché pour toutes les autres monnaies, ce qui a fait augmenter les coûts de production, et cetera, dans une chaîne de conséquences qu’il est facile de comprendre.
Le problème est que maintenant que les intermédiaires ont constaté que l’élasticité-prix permettait de vendre beaucoup plus cher sans que la demande ne soit significativement affectée, ils ne vont certainement pas se passer de leurs rentes de situation. D’ailleurs les cours mondiaux, notamment des denrées alimentaires et de l’énergie, sont revenus à leur cours d’avant Covid (et même plus bas par exemple pour le pétrole) et les prix à la consommation n’ont pas baissé pour autant.
Ce sont donc bien tous les intermédiaires parasites qu’il faudra bien un jour se résoudre à euthanasier si on veut que les VA retournent aux producteurs et que les consommateurs ne soient plus grugés. Tandis que tant que le $ restera la monnaie de référence pour les échanges internationaux, nous serons soumis à toutes les manipulations de sa valorisation. Évidemment quand on voit comment les politiques nous mentent sur les vraies causes, ça ne va pas arriver demain.
D’ailleurs, cet article est à l’évidence une commande des spéculateurs pour détourner l’attention des consommateurs des vrais responsables de l’inflation.
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