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8.mars.20228.3.2022 // Les Crises

Afrique : Le continent s’enflamme et s’éloigne de Washington et Paris

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Soyons honnêtes : les Américains ne se soucient pas de l’Afrique, du moins dans l’ensemble. Malgré les mensonges que nous nous racontons – et les débats furieux que nous avons – sur la culture PC, la théorie de la race critique, et ainsi de suite, cela reste un fait marquant.

Source : antiwar.com, Danny Sjursen
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Bien sûr, l’illusion est apaisante. Elle tend à apporter un réconfort de vertu à de nombreux libéraux principalement préoccupés par l’étalage des derniers mots à la mode. Elle offre la satisfaction d’une rage vertueuse aux conservateurs principalement préoccupés par le dénigrement des flocons de neige. Mais une grande partie de tout cela – malgré l’importance réelle des débats en cours – n’est que du théâtre, du nombrilisme narcissique à outrance. En réalité, dans l’ensemble du spectre politique et social, la plupart des gens conservent une vision du monde très occidentale, et plus précisément eurocentrique, et l’Afrique existe toujours dans leur imagination comme (au mieux) une grande publicité « Sauvez les enfants » animée par Sally Struthers.

Voici un bref aperçu de l’agitation que la plupart d’entre nous ont manqué. Il s’agit ni plus ni moins d’une Afrique en proie à la guerre, aux coups d’État et à la famine engendrée par les conflits. Tant pis pour la nouveauté en 2022.

La première étape de notre périple de folie est le Burkina Faso. Ce charmant pays enclavé de quelque 20 millions d’âmes vient de subir son troisième coup d’État militaire en sept ans. Au cours de l’année écoulée, cinq pays africains distincts ont été victimes d’un tel coup d’État, ce qui représente la pire vague que le continent ait connue depuis 40 ans. Pire encore, les trois putschistes burkinabés ont été formés par les États-Unis, y compris le dernier en date, le lieutenant-colonel Damiba, qui a participé à une demi-douzaine d’exercices dirigés par les États-Unis dans la région.

Damiba, soit dit en passant, n’est que l’un des neuf officiers ouest-africains brevetés par l’armée américaine à avoir tenté un renversement depuis la création en 2008 du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM). En fait, un tel coup (ou une telle tentative) a eu lieu dans chacun des pays du G5 Sahel. Il s’agit des gouvernements locaux avec lesquels la France – l’ancienne puissance coloniale et le chef de file étranger dans la région – s’est alliée, et dans lesquels elle a placé tous ses espoirs, pour combattre les rebelles régionaux. Voilà pour toute l’instruction sur l’état de droit que l’état-major aime se vanter de fournir aux officiers partenaires.

Une des raisons pour lesquelles de nombreux Burkinabés, et souvent d’autres Africains, soutiennent initialement de tels coups d’État est le vague sentiment que des dirigeants en uniforme les protégeront mieux des insurgés islamistes. Mais c’est rarement le cas. En général, les putschs déstabilisent encore plus les nations sur le plan politique et s’attaquent rarement aux problèmes sous-jacents qui motivent les rébellions – qui jonchent actuellement l’Afrique de l’Ouest.

Les interventions extérieures ne le font pas non plus. Il suffit de demander au Pentagone lui-même. Dans une coïncidence presque trop instructive, le jour même où les officiers burkinabés ont annoncé le dernier coup d’État, le centre de recherche sur l’Afrique du département de la Défense a publié un rapport officiel inquiétant admettant que, malgré près de 20 ans d’opérations militaires américaines au Sahel, les attaques et les décès dans la région n’ont fait que monter en flèche. Paris s’est montré tout aussi impuissant et/ou contre-productif. C’est peut-être pour cela que des partisans du coup d’État ont été vus en train de brûler des drapeaux français lors de récents rassemblements dans la capitale Ouagadougou.

Cette autre indécence ne devrait peut-être surprendre personne – puisque nous savons tous que le Burkina Faso est constamment sur le bout de la langue des Américains (annonce accompagnée d’un roulement d’œil bien-pensant, tempéré par une attitude compréhensible) – mais quand le dernier coup d’État et les conflits du pays méritent une mention dans les médias grand public, c’est lié à (vous l’avez deviné !) la Russie. Des publications comme le New York Times se sont concentrées sur la rhétorique pro-russe des partisans burkinabés du coup d’État lors des rassemblements et sur les médias sociaux, comme s’il s’agissait d’une conspiration montée de toutes pièces par Moscou. Ce n’est pas le cas.

Des analystes plus avisés verraient tout ce bavardage pro-russe au Burkina Faso (tout comme au Mali voisin) pour ce qu’il est : une explosion de frustration face à l’inefficacité de la contre-insurrection française (et américaine) et au néo-impérialisme en général, ainsi qu’une tentative opportuniste de se procurer des armes et/ou des mercenaires russes – plutôt qu’une affection soudaine pour Moscou en soi. Malheureusement, dans le climat actuel (Ukraine, vous suivez ?), c’est une formule pour un alarmisme frénétique à Washington et –dans une moindre mesure – à Paris.

Ensuite, il y a le Mali, déchiré par la guerre, et le pugilat paternaliste préféré de tous entre les anciens maîtres (français) et les anciens élèves coloniaux – enfin, les sujets. Après qu’un officier malien particulièrement motivé, formé par l’armée américaine, a perpétré son deuxième coup d’État en neuf mois seulement et a ensuite refusé de passer à un régime civil provisoire, les États-Unis et la France ont finalement soutenu les sanctions imposées par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (ECOWAS). Cela a royalement irrité la junte militaire au pouvoir, et les tensions sont montées d’un cran avec la France – ce qui est gênant puisque Paris, l’ancien dirigeant colonial de plus en plus mal vu, déploie la plupart de ses troupes basées au Sahel pour l’opération Barkhane au Mali.

Ensuite, les plans préélectoraux du président Emmanuel Macron visant à se retirer de ce gâchis régional, qui dure depuis dix ans, ont conduit au retrait, en décembre, des bases de Tombouctou, dans le nord du Mali. Début janvier, la junte a réagi en engageant des mercenaires du groupe russe Wagner – et, selon certains rapports, des conseillers militaires russes – pour former les troupes maliennes dans la région. C’est maintenant au tour de Paris d’être consterné. Alors que, la semaine dernière, le ministre français des Affaires étrangères a publiquement critiqué le déploiement « illégitime » et « pilleur » de la Russie, le Mali a annoncé lundi qu’il expulsait l’ambassadeur français. Tout à coup, l’ensemble de l’édifice des opérations franco-américaines, et franchement occidentales, au Sahel semble ébranlé.

Bien sûr, Paris – et les politiciens américains – font une montagne d’une taupinière à propos de l’ingérence de Moscou au Mali. Le Mali a des liens avec la Russie depuis au moins 1994, y compris de nombreux accords de défense et d’armement. En outre, les antécédents du Groupe Wagner en matière d’aventures africaines – comme le fait de s’être littéralement fait éjecté hors du Mozambique par des insurgés locaux ces dernières années – sont loin d’être irréprochables. En revanche, il correspond à l’état d’esprit actuel de l’establishment américain, personnifié par une loi sur l’autorisation de la défense nationale (NDAA) qui finance le premier programme de concurrence stratégique pour le continent, visant expressément Moscou et Pékin depuis l’effondrement de l’Union soviétique. Il semble que la toile africaine sera également un cadre sanglant pour la Guerre froide 2.0 – malgré la mort de peut-être des millions de locaux que de telles stratégies ont causé la dernière fois.

Le drame du Mali démontre également que les troupes américaines restent en danger à travers l’Afrique, malgré tous les efforts – largement couronnés de succès – des politiciens et du Pentagone pour dissimuler, déformer ou distraire les Américains de cette réalité. Il y a un peu plus d’une semaine, un membre des services américains a été blessé lors d’une attaque au mortier, qui a également tué un artilleur français, sur une base commune au Mali – un rappel rapide que si aucun Américain n’a encore (ou ne devrait jamais !) être blessé à cause du battage médiatique autour de l’Ukraine, ils le sont toujours, si discrètement, en Afrique.

Pourtant, comme pour souligner ses vieux réflexes typiquement fatigués sur des projets de « lutte contre le terrorisme » qu’il ne comprend guère, le président Biden a récemment décidé de continuer à aider les fiasco de la France dans tout le Sahel. Pourquoi ? Eh bien, d’après un article inquiétant du Washington Post, il s’agit d’apaiser la colère des Français après que les États-Unis ont sabré la vente de sous-marins franco-australiens. Peut-être.

Ce ne sont là que deux exemples. Nous pourrions nous pencher sur la guerre civile en cours en Éthiopie et sur la catastrophe humanitaire qui se prépare. Celle-ci devrait piquer un peu les yeux puisque Washington a longtemps présenté Addis-Abeba comme le « pivot » ou le « point d’ancrage » de la Corne de l’Afrique, l’a utilisée comme chien d’attaque par procuration pour envahir la Somalie en 2006 (lorsque les États-Unis – et dans les faits votre serviteur – étaient embourbés dans le maelström irakien), et a même applaudi le prix Nobel de la Paix (désormais absurde) de l’actuel président éthiopien il y a quelques années. Si l’on ajoute à cela l’annulation des élections en Libye et les signes inquiétants d’une nouvelle phase de la guerre civile qui dure depuis dix ans, ainsi qu’un nouveau coup d’État militaire au Soudan, les deux derniers mois ressemblent à une apocalypse africaine.

Tout cela indique que le continent s’éloigne de Washington et de son petit frère parisien irascible, pour se tourner – bien qu’exagérément – vers les croquemitaines russo-chinois qui hantent les rêves franco-américains. Pendant ce temps, les habitants réels de la région sont tués ou affamés. Mais voilà, l’Afrique n’a jamais été nôtre, nous n’avions donc rien à perdre, et puis toute cette histoire de répétition d’un colonialisme réchauffé n’a dès le départ jamais vraiment concerné les Africains.

Source : antiwar.com, Danny Sjursen, 03-02-2022
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

Dominique Gagnot // 08.03.2022 à 18h59

Dans la pratique, les élites africaines, et partout sauf en Russie 😉 , sont mises en place (en toute discrétion) par les puissances étrangères. Celui qui ne conviendrait pas finit sur un coup d’état, ou est assassiné. Tout s’achète dans notre monde.

12 réactions et commentaires

  • Louis // 08.03.2022 à 09h53

    Autant de sujets jamais traités par les principaux médias, quant aux chaînes nationales – rien en dessous du remarquable. Pauvre Afrique.. Quant au problème de l’accès à une eau de qualité…

    https://mondafrique.com/le-racket-des-mercenaires-russes-de-wagner-contre-letat-centrafricain/
    https://mondafrique.com/emmanuel-macron-au-mali-quatre-annees-de-diplomatie-erratique/

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  • GuillaumeB // 08.03.2022 à 10h00

    Les élites Africaines, pour moi, doivent continuer à promouvoir les libertés (en choisissant eux même avec quel pays ou grande puissance contracter)
    => http://www.libreafrique.org/

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    • Dominique Gagnot // 08.03.2022 à 18h59

      Dans la pratique, les élites africaines, et partout sauf en Russie 😉 , sont mises en place (en toute discrétion) par les puissances étrangères. Celui qui ne conviendrait pas finit sur un coup d’état, ou est assassiné. Tout s’achète dans notre monde.

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  • RGT // 08.03.2022 à 11h51

    La première cause des malheurs des populations africaines provient de la « malédiction » des richesses de ce continent en ressources naturelles.

    Richesses dont les populations ne peuvent bénéficier, les seuls « bienfaits » dont elles ont le droit de profiter étant bien sûr les conséquences désastreuses de leur exploitation.

    Entre l’environnement détruit par cette exploitation sauvage et la population qui crève à petit feu des conséquences de cette pollution qui serait inacceptable même dans les pays les plus « ouverts » et les ressources biologiques qui ne leur sont plus accessibles (exploitation forestière « open bar », zones fertiles accaparées pour cultiver des denrées précieuses « exportables » (café, cacao par exemple) obligeant la population à acheter à prix d’or des denrées alimentaires importées, etc…

    Sans compter tout le reste, les infrastructures étant bien sûr exploitées par quelques milliardaires occidentaux qui peuvent ainsi financer la corruption des « élites » locales pour une bouchée de pain.

    Il est tout à fait normal que les africains en aient ras le bol et se révoltent contre « leurs bienfaiteurs » en de cherchant ailleurs des solutions alternatives et pensant que cette solution ne pourrait pas être pire que la situation actuelle.

    Concernant les russes, ces derniers ont déjà sur leur sol toutes les ressources convoitées par les occidentaux (cause principale de leur acharnement à asservir ce pays immense, la géopolitique étant à mon avis leur seconde préoccupation).

    Il reste la Chine, et là ça risque d’être « chaud » pour les populations…

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    • Samba // 11.03.2022 à 09h26

      Fatigue! Dire que les malheurs du continent africain viennent de ses richesses naturelles est un tour de passe-passe, car, bien entendu, si il n’y en avait pas, tout irait mieux. Chacun, pays ou individu, défend ses intérêts, égoïstement, mais la France ne supportant pas de se voir dans le miroir, a toujours voulu se justifier par des arguments humanistes, se rendant ainsi encore plus odieuse.
      Etant septuagénaire cela fait plus de 50 ans que j’entends dire qu’il faut aider les pays africains à se développer mais, « ce que tu fais pour moi, si tu le fait sans moi, tu le fais contre moi » … et l’hypocrisie a encore de beaux jours devant elle.

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  • step // 08.03.2022 à 16h11

    Sans similitude évidemment avec la situation ukrainienne. Les africains ne sont « jamais entrés dans l’Histoire » (sic ex président) alors que les ukrainiens qu’on massacre sur l’autel de la même guerre froide 2.0 eux si….

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  • Christian Gedeon // 08.03.2022 à 19h06

    Bien sûr… les français, les américains etc…les méchants. Ok admettons. Mais alors que se passe t il en… Angola par exemple. Pays richissime, dirigeants multimilliardairissimes et peuple miserabilissime. Pas d’américains, pas de français pourtant. Que se passe t il en RSA? Ou en Érythrée? Ou en Éthiopie ? Ou au Soudan? Africains qu’avez vous fait de vos indépendances?

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  • Christian Gedeon // 09.03.2022 à 10h50

    Curieux. Il y a des articles qui déclenchent une avalanche de réactions. Ce qui touche à l’Afrique, pourtant si importante et si meurtrie, ne semble pas inspirer. Culpabilité? Ignorance? J’ai du mal à répondre. L’Afrique peut être, au choix, l’avenir ou la fin de l’Europe méditerranéenne. Curieuse abstention de la pensée des qu’on parle de nos voisins pas si lointains.

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  • Grd-mère Michelle // 09.03.2022 à 15h16

    En Afrique comme ailleurs, les premiers à se frotter les mains et à se remplir les poches sont les fabricants(et leurs actionnaires) ainsi que les marchands(comme les trafiquants) d’armes et de munitions. Grâce à eux, chaque conflit(inévitables car essentiellement humains) se transforme en guerre, tout d’abord civile, ensuite « humanitaire » selon les nouvelles donnes imposées par l’invention de l’armement nucléaire(et l’Organisation des Nations-Unies car conscientes du danger- mais bafouée, reniée par les premiers « engagés »).
    La sempiternelle compétition entre « grandes puissances » pour s’approprier les ressources naturelles permettant de fabriquer (et de vendre, aussi à leurs « ennemis ») une multitude de « biens », qui procureront un semblant de satisfaction à leurs populations, ne leur sert qu’à assoir le pouvoir qui consolide leur domination, qu’elles ambitionnent « mondiale ».
    Et pendant ce temps-là, les vrais, graves problèmes qui menacent l’humanité sont mis sous le tapis des discussions qui cherchent vainement à identifier qui sont les gentils/les méchants…
    Une seule voie peut nous sauver: le désarmement général, la Paix et le débat (l’antique et sage « palabre ») entre les peuples tous pareillement concernés(ce qu’on appelle « la diplomatie »…sauf que les diplomates ne sont que les larbins de leurs dirigeant-e-s…).
    Comment annihiler le pouvoir pervers et malfaisant de nos « dirigeant-e-s »?
    Comment les forcer à admettre qu’ils-elles ne sont que nos représentant-e-s?

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    • Christian Gedeon // 10.03.2022 à 04h55

      Qui est dirigeant-e-s? Je ne connais pas cette race? Les martiens auraient ils débarqué sur Terre? Sommes nous devenus des escargots?

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    • Ouvrier pcf // 12.03.2022 à 16h32

      Pour les commerces d’armes comment distinguer marchands et trafiquants ? Une kalachnikov est elle vendue revendue achetée ou ré achetée Pourquoi les fusils français d assaut sont fabriqués en Allemagne ? Vendus ou revendus par qui ? Sous quelles conditions connaissez-vous vous un fabricant d’armes Africain pourquoi y en t’il pas ? Qui vends qui revends à qui profite ce commerce ? En quoi l’armement nucléaire change ces données ? Que vient faire l’armement nucléaire la dedans ,? Et si le capitalisme était la véritable cause de ces marchés de ces bavures de ces incohérences militaires économiques sociales ? La guerres est la continuation de la politique Le capitalisme s’impose au niveau électoral chez nous Macron candidat par excellence du capitalisme français
      Le capitalisme s’impose en Afrique la par la guerre la corruption

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