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22.mai.201522.5.2015 // Les Crises

Clive Hamilton – Requiem pour l’espèce humaine

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« Clive Hamilton est philosophe, professeur d’éthique publique et membre du conseil australien sur le changement climatique. Il a publié en 2010 « Requiem for a Species: Why We Resist the Truth about Climate Change », essai traduit en français sous le titre de « Requiem pour ‘espèce humaine », par Françoise Gicquel avec la participation de Jacques Treiner, aux presses de sciences Po.

C’est autour de cet ouvrage et en présence de l’auteur que s’est déroulée l’émission de Science publique du 22 novembre 2013 ; une émission passionnante à écouter et réécouter ici. Son titre : « Le catastrophisme peut-il être efficace ? » en matière de changement climatique.

J’en propose ici la transcription.

Présentation de l’émission par Michel Alberganti (M.A)

Faire prendre conscience qu’un réchauffement climatique de la planète est en cours, qu’il est largement dû à l’activité humaine qui rejette du CO2 dans l’atmosphère et que l’homme peut agir sur ce phénomène, tel est l’objectif du désormais célèbre Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat : le GIEC.

Cet organisme crée en 1988 a reçu le prix Nobel de la paix en 2007. Fin septembre 2013, il a publié le 1er chapitre de son 5ème rapport et nous avons parlé de cette synthèse des travaux scientifiques sur l’évolution du climat dans Science publique le 27 septembre (2013). Le GIEC doit publier les prochains chapitres dont celui sur les impacts du réchauffement en 2014.

En France, rare sont les scientifiques qui se sont emparés de cette question jugée sans doute trop scientifique. En Australie, en revanche, Clive Hamilton a publié, en 2010, un ouvrage intitulé : « Requiem pour une espèce : pourquoi nous résistons à la vérité sur le changement climatique », traduit en français sous le titre : « Requiem pour l’espèce humaine » et édité par les Presses de Science Po, 2013.

L’originalité de cet ouvrage réside dans son caractère résolument catastrophiste, voire apocalyptique : Clive Hamilton n’hésite pas à parler de la fin du monde tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Pour lui, les conséquences du changement climatique seront désastreuses. Il cite, par exemple, un professeur de l’université de Melbourne, David Karoly, qui estime que « nous sommes en train d’installer l’enfer sur Terre ». Clive Hamilton cite également des analyses prévoyant qu’il pourrait ne rester plus qu’un milliard, voire moins, d’être humains survivants sur Terre d’ici un siècle ou deux.
Il faut attendre la fin de l’ouvrage de Clive Hamilton pour comprendre son réel objectif qui relève de la psychanalyse. Pour lui, l’humanité doit passer par une phase de deuil du monde d’aujourd’hui afin de parvenir à accepter la réalité de la fin du monde actuel et se mettre enfin à agir pour s’adapter.

Une telle rhétorique a-t-elle plus de chances de nous convaincre ? Faut-il, d’ores et déjà, admettre les conséquences catastrophiques du réchauffement climatique comme inéluctables ? Quel impact peut avoir une telle stratégie sur les décisions politiques des dirigeants de la planète ?

Pour aborder ces questions le club Science publique a le plaisir de recevoir aujourd’hui Clive Hamilton, philosophe du climat et professeur d’Éthique à l’Université Charles Sturt en Australie et membre du bureau pour le changement climatique du gouvernement Australien. Outre l’ouvrage déjà cité, Clive Hamilton vient également de publier un autre livre intitulé « Les apprentis sorciers du climat : Raison et déraison de la géo-ingénierie » édité par le Seuil dont nous parlerons un peu également.

Les propos de Clive Hamilton seront traduits par Xavier Combe.
Nous sommes également avec 3 membres de Science publique : Evelyne Heyer, professeur en anthropologie génétique au Muséum National d’Histoire Naturelle, directrice adjointe au département Homme, Nature et Société ; Pierre-Henri Gouyon, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle, à l’Agro Paris-Tech et à Sciences Po et Jacques Treiner physicien théoricien, professeur émérite à l’Université Pierre et Marie Curie, membre du Conseil scientifique du Palais de la Découverte et du comité de rédaction de la revue Découverte. Jacques Treiner a traduit en français avec Françoise Gicquel l’ouvrage de Clive Hamilton.

Le débat

M.A – Clive Hamilton, pour amorcer notre débat, pouvez-vous nous expliquer comment vous êtes arrivé à ce constat qui peut apparaître comme nettement plus catastrophiste que les conclusions du GIEC lui-même ?

C.H – J’ai d’abord lu un article scientifique qui m’a réellement choqué sur le plan scientifique et c’est alors que j’ai écrit ce livre. C’était en 2009, j’étais assis dans mon bureau et je lisais cet article et je crois que mon impression de base c’était  »A la vache ! Merde ! » parce que cet article expliquait de manière très clair et effrayante ce à quoi nous sommes confrontés. En effet, l’article arguait que même si on voulait être optimiste, devant des scénaris optimistes, la terre est confronté à un réchauffement d’au moins 4 degrés Celsius d’ici la fin du siècle. Et, si l’on réfléchit à ce que signifie 4 degrés de réchauffement, on comprend que le climat sera plus chaud qu’il ne l’a jamais été depuis 15 millions d’années – la dernière fois qu’il y a eu un changement de température aussi important c’était lors de la dernière aire glaciaire. A cette époque là, la température était inférieure de 5 degrés à ce quelle est aujourd’hui et New-York était à 1000 mètres sous la glace. Donc il s’agit bien d’une planète radicalement différente, une planète où l’on ne saurait vivre.

M.A – Vos impressions Jacques Treiner (J.T) ?

J.T – C’est un sentiment mélangé, à la fois je partage le catastrophisme raisonné de Clive mais, en même temps, il y a quelque chose de jubilatoire d’avoir un ouvrage dans lequel l’ensemble de l’argumentation allant dans ce sens est contenu dans cet ouvrage de 250 pages. Je trouvais important d’avoir tous ces éléments en langue française.

L’année dernière, j’avais traduit le livre de Naomi Oreskes « Les marchands de doute. Ou comment une poignée de scientifiques ont masqué la vérité sur des enjeux de société tels que le tabagisme et le réchauffement climatique » parce que je pensais que c’était un livre important.

Celui-là est important, pas totalement indépendant de l’autre, mais c’est un livre important car il résume de façon synthétique tout ce qui pousse à un catastrophisme raisonné.

M.A – Clive Hamilton, n’avez-vous pas tout de même rassemblé toutes les prévisions les plus extrêmes dans le sens négatif du terme plutôt que d’adopter les fourchettes par exemple d’augmentation de températures qui sont affichées par les rapports du GIEC ?

C.H – Non, les arguments scientifiques qui figurent dans mon livre n’ont rien d’extrême. Je pense que cela représente avec fidélité ce qui risque d’arriver à la terre d’ici la fin du siècle, même si l’on adopte des hypothèses optimistes quant à la façon dont les grandes puissances peuvent réagir. Mais il faut bien se rendre compte qu’un grand nombre de chercheurs du climat et de spécialistes de l’environnement ont été réticents à dire toute la vérité sur le réchauffement climatique. En effet, ces chercheurs craignent que la vérité risque d’immobiliser les hommes.

Pour moi, la situation est devenue si alarmante qu’il n’est plus justifiable sur le plan éthique de mentir aux gens quant aux manifestations pleines et entières qui peuvent arriver. Parce que la plupart des gens ont quand même un certain espoir ; les gens se disent qu’il y aura quelque chose qui viendra nous sauver, changer la situation, ou alors que la situation n’est pas aussi alarmante que veulent bien nous le dire les chercheurs. A mon avis, si vous n’avez pas peur de l’avenir du monde et cela veut dire que vous n’écoutez pas ce que disent les chercheurs spécialistes du changement climatique.

M.A – Pierre-Henri Gouyon ? (PH.G)

PH.G – J’avoue que je suis très heureux d’entendre ce discours et je suis très festif vis-à-vis de ce livre parce que je vis à plusieurs niveaux le problème de la communication sur tous ces sujets. En fait, les chercheurs du climat en France ont faits le constat suivant : ils ont commencés par être extrêmement prudents, ils ont fini par sortir les rapports du GIEC une fois qu’ils avaient établi avec beaucoup de certitudes leur résultats, et les gens ont trouvé ça tellement affreux qu’on n’arrive pas à croire ce que l’on sait. Et, nous en sommes là. Et les scientifiques se disent  »Où avons-nous raté quelque chose ? » puisque les gens ne se sont pas mobilisés – ils ont fait pire que ne pas se mobiliser, ils ont été écouter les propos mensongers proférés en autres par un ancien ministre géologue qui ne connaît rien au climat et qui a très explicitement menti dans certains de ses livres, pour se rassurer.
La réponse, du coup, c’est de dire : tant pis, il ne faut plus dire la vérité, il faut donner de l’espoir aux gens, etc.

Je pense que la comm n’est pas notre boulot. Nous ne sommes pas des agents de communication – et les scientifiques se sont transformés en agents de comm en quelque sorte. Et qu’au lieu de dire ce qu’ils savent, ils se sont mis à s’autocensurer de manière à ne pas faire peur aux gens, et à éviter de les pousser dans les bras des  »marchands de doute » dont parlait Jacques Treiner tout à l’heure, dont Allègre évidemment fait parti. Je crois que ce n’ai pas une bonne solution. Je pense que si les gens ne veulent pas nous croire, et bien ils ne nous croirons pas jusqu’au jour où ils seront obligés de le faire. Mais si on leur ment maintenant, alors le jour où on aura vraiment besoin d’être crus, parce que les catastrophes arriveront, nous ne serons plus crédible du tout. Le rôle des scientifiques c’est de dire ce qu’ils savent et je suis heureux qu’un philosophe les y aide plutôt que de faire de la comm mal fichue.

M.A – Jacques Treiner, vous voulez intervenir ?

J.T – Oui, la phrase de Pierre-Henri est très importante, le fait que l’humanité ne croit pas ce qu’elle sait – puisque on ne fait rien. Clive redit bien que les trajectoires de CO2 sont les pires de celles qu’on pouvait imaginer il y a 10 ans, c’est-à-dire que dans la fourchette des émissions, on est là dans la trajectoire qui est la pire possible – et ça continue et on ne voit pas pourquoi ça diminuerait compte-tenu de ce qui se passe ces derniers temps. Cette situation là n’est pas juste de la science, mais psychologiquement et psychanalytiquement parlant il faut s’interroger sur pourquoi on ne croit pas ce que l’on sait.

Evelyne Heyer (E.H) – Je pense qu’on ne croit pas parce qu’on a un problème avec la perception du temps. C’est-à-dire, là, on est en train de rénover le Musée de l’Homme, on se doit d’expliquer l’évolution de l’Homme sur le temps long et on se rend compte par des enquêtes auprès du public que la perception du temps, qui paraît familière aux scientifiques, n’est pas aussi évidente auprès du grand public. Et quelque part, un catastrophisme dans 100 ans c’est long. Je pense que c’est pour cela que les gens ont du mal à s’approprier ces questions là.

M.A – Clive Hamilton, que pensez-vous de cet argument du temps, à la fois de la communication vis-à-vis du grand public et aussi de la difficulté des échelles du temps pour la prise de conscience du problème ?

C.H – La façon dont on appréhende le temps constitue indubitablement un problème. Les sociétés modernes sont caractérisées par ce que l’on appelle le  »court-termisme », c’est une des caractéristiques du consumérisme mais aussi de nos structures politiques et, en vérité ils nous est difficile de voir au-delà de 5 à 10 ans. Par conséquent, nous devons trouver des moyens de convaincre les gens d’aller au-delà de cet horizon temporel. Pour y parvenir on pourrait dire : si vous avez un enfant ou un petit-enfant qui a 1, 2 ou 3 ans, sachez qu’il sera vraisemblablement vivant en 2100. Et ils vivront de plein fouet le changement climatique. Est-ce que les gens sont vraiment si attentifs que ça à l’avenir de leurs petit-enfants ? Ils disent que oui mais pourquoi est-ce si difficile pour les gens de se projeter dans l’avenir de leurs petit-enfants lorsqu’ils auront 70 ou 80 ans ?

Je compatis avec les chercheurs, le but de leur profession c’est de porter des blouses blanches, de travailler dans des laboratoires, etc. Les scientifiques du climat pensent qu’ils sont devenus l’ennemie public N°1. Des gens comme moi leur demandons de communiquer leurs travaux scientifiques de manière plus efficace. Ils communiquent de la sorte et aiment bien rédiger des articles scientifiques. Cependant, il n’est pas rare qu’on leur demande de devenir des agents des médias en quelque sorte. Et lorsque quelqu’un comme Monsieur qui (Allegre) ment, et bien il ment en l’espace d’une minute alors que la vérité il faut en réalité une bonne demi-heure pour la déployer. Et la structure des médias qui est particulièrement  »court-termiste », ils travaillent dans l’instantané, favorise évidemment le discours des climato-sceptiques et cela rend le travail des chercheurs en climat particulièrement ardu.

M.A – Pierre-Henri Gouyon…

PH.G – Un premier point que je voudrais ajouter à ce que vient de dire Clive, c’est que le changement climatique est un des aspects des changements globaux, il y a aussi la perte de bio-diversité, et l’un plus l’autre risquent fort de s’additionner pour augmenter encore la gravité de la situation…

M.A – On y est

PH.G – … et c’est lié de plein de façons. Il est clair que le fait de perdre un certain nombre de systèmes qui pouvaient assurer des rôles de tampon dans les écosystèmes mondiaux va empirer les choses et rend encore plus imprévisibles un certain nombre de rétroactions en chaînes qui vont certainement se produire dans les fonctionnements de la planète. – Je connais mieux la bio-diversité que le changement climatique bien que les deux soient liés et je m’occupe de toute façon des deux. – Il ne faut pas oublier que l’on est tellement en train de changer tout à la foi, d’une façon totalement irresponsable parce qu’on a aucun savoir réel sur ce qui va se passer à cause des changements de biodiversité, que cela vient vraiment augmenter l’aspect catastrophique de ce qui est présenté.

Et je voudrais dire sur la vision court-terme, elle n’est pas seulement politique, elle n’est pas seulement des médias, elle est très largement liée aux façons dont fonctionne notre système économique. Il y a eu toute une série de gens qui ont promus et qui ont joué à… à imposer même un fonctionnement néo-libéral fondé exclusivement sur le profit à court terme à l’heure actuelle et je crois, que cela a deux effets.
Le premier est de faire que seul le court-terme est pris en compte.
Et le second c’est de donner une impression un peu déresponsabilisante aux citoyens de l’ensemble de la planète. Parce que l’on a un peu l’impression tout compte fait, et il n’y a qu’à voir, on vote un coup à droite, un coup à gauche, que les dirigeants font la même chose ; et ce n’est pas un hasard : ils font la même chose parce qu’ils sont coincés par un système économique ne leur donne pratiquement pas de liberté d’action. Et on est en train de mettre en place des structures qui vont encore augmenter ce problème – l’Australie pour le moment n’est pas encore concernée – : on a des accords transatlantiques (traités de libre échange Canada-UE et US-UE) qui sont en train d’être mis au point, dans lesquels sont prévus des textes qui donneront aux entreprises le droit d’attaquer les États si ces derniers font des choses qui gênent leurs activés. Alors évidemment, quand on met en place de tels systèmes, je ne vois pas comment on pourrait espérer régler les problèmes planétaires comme ceux de la biodiversité et du changement climatique !
Du coup les gens, ce n’est pas qu’ils n’aient pas de perception de long terme, ce n’est pas qu’ils se fichent de leurs petit-enfants, c’est qu’ils n’ont aucun espoir de voir les systèmes politique, les choses sur lesquelles ils peuvent agir, changer le cours des choses dans cette espèce de flux déraisonnable du système économique néo-libéral.

M.A – Clive Hamilton, vous voulez réagir sur cette question de la liberté d’action que vous abordez dans votre ouvrage ?

C.H – Oui, je partage ces réflexions. Étant donné que le système néo-libéral prévaut dans notre fonctionnement économique, c’est vrai que le citoyen se sent dénué de pouvoir. Mais élargissons un peu les choses. Nous vivons dans une ère que l’on peut caractériser comme étant la fin de l’idéologie : les grands partis politiques ont convergés en quelque sorte sur un point de vue commun quant à la structuration de notre économie et de notre société et quant à la façon dont les citoyens doivent se comporter dans ces systèmes. Cela signifie que des groupes de citoyens ne peuvent plus bâtir de rêves de sociétés pour l’avenir. L’avenir, dans l’esprit de bien des gens, est le présent, avec peut-être plus de richesses, aux variations près. Cela va évidemment à l’encontre de la réflexion à long terme.

Mais je voudrais revenir à cette question très importante qui est celle de la communication et du rôle des chercheurs dans le débat sur le changement climatique parce que la plupart des chercheurs fonctionnent selon le modèle de déficit de l’information. Je m’explique : si nos responsables politiques ne réagissent pas aux avertissements scientifiques – ce qui est le cas sans aucun doute – (on pourrait dire que) c’est parce qu’ils manquent d’information, et si l’on pouvait leur donner plus d’informations, étant donné que ce sont des créatures rationnelles, on peut se dire qu’ils feront ce qui est nécessaire.
Mais le débat sur le changement climatique est devenu  »swamp », englué dans un magma d’événements, de facteurs très difficiles à démêler. Il y a le déni du changement climatique, la réticence à réagir aux avertissement des scientifiques. Donc ce n’est plus du tout une question de manque d’information. Les informations sont nombreuses mais elles sont engluées dans un marasme et dans des problèmes psychologiques, économiques et sociaux. La science du climat est prise dans ces clivages culturels, dans des divisions politiques, et par conséquent les climato-sceptiques ont pu se faire entendre.

Dans mon livre,  »Requiem pour l’espère humaine », je tente d’analyser les stratégies que les citoyens mettent en œuvre pour minimiser, voire ignorer, les faits qui sont pourtant prodigués par les chercheurs. Lorsque l’on parle par exemple à un chauffeur de taxi, on se rend bien compte des stratégies psychologiques de résistance que les gens mettent en œuvre pour se protéger, pour se prémunir de l’horreur que profèrent les scientifiques : il y a des gens qui formulent des vœux pieux, par exemple qui pensent par fantasme qu’il y aura un miracle technologique qui fera disparaître le problème du jour au lendemain ; où alors, les gens pensent que le système politique prendra conscience des choses et que des actions seront prises le moment venu et qu’en conséquence, ces catastrophes climatiques n’auront pas lieu et que nous serons sauvé.
Mais il y a un fait très important que très peu de gens comprennent, il est le suivant : le dioxyde de carbone une fois émis dans l’atmosphère y reste pendant 1000 ans. Le changement climatique, contrairement à tout autre problème environnemental, est un problème tel nous ne pouvons pas intervenir à temps. On va émettre tant de dioxyde de carbone dans l’atmosphère que nous allons atteindre le point de non retour.

M.A – Une réaction à cette question du déni caractérisée par les réactions des chauffeurs de taxi ? Jacques Treiner…

J.T – Il est intéressant de revenir en arrière et de voir qu’aux États-Unis, les dirigeants américains n’ont pas toujours été des climato-sceptiques. Dans les années soixante ou soixante-dix, quand les données expérimentales des scientifiques pointaient vers un réchauffement climatique, ils en informaient les dirigeants politiques. Il y a des adresses de Lyndon Johnson, par exemple au congrès américain dans lequel il dit explicitement : voilà, nous sommes entrés dans une phase d’expérimentation sur la terre entière, on va vers un réchauffement climatique, etc.

“Notre génération a modifié la composition de l’atmosphère à l’échelle globale en […] augmentant régulièrement la quantité de gaz carbonique résultant de combustibles fossiles.” [Président Lyndon Johnson, message spécial au congrès en 1965]

Cela suivait bien. Et puis dans les années 80, les années Reagan, il y a eu une opération politique de grande envergure menée par les secteurs les plus réactionnaires de la société américaine, à la fois les grandes industries mais aussi les secteurs très réactionnaires de l’establishment scientifique, en particulier des physiciens de renom (comme Fred Singer, physicien à la Nasa, etc.) qui ont entrepris cette fabrique du doute pour des raisons idéologiques, parce que cette affaire là si elle était vrai – et il semblait qu’elle l’était – pointait sur une déficience inhérente du système libéral. Si l’économie de marché, la libre entreprise, aboutissait à un problème de cet ampleur cela voulait dire qu’il fallait mettre de la régulation dans le système, et c’était insupportable pour ces courants politiques là, et cela le reste pour une grande part encore maintenant.

M.A – D’autant que c’était une période où les deux blocs existaient encore. L’apologie du système libéral était nécessaire par rapport au système…

PH.G – On ne (inaudible?) le système libéral, on le fabriquait au sens de actuel, c’était pire que cela.

J.T – Ensuite, il y a eu l’effondrement du bloc soviétique, pour ces secteurs les plus conservateurs ce sont les Verts qui ont repris en quelque sorte le drapeau de l’ennemi. Ils disaient que les Verts étaient comme une pastèque : verts à l’extérieur mais rouges à l’intérieur.

PH.G – Du reste aux USA, les activistes écologistes sont souvent traités comme des terroristes.

M.A – Evelyne Heyer…

E.H – Je voulais revenir sur ce qui m’interpelle. Le fait que l’individu, en dehors de ces systèmes politiques qui l’influence, est incapable par lui-même de se rendre compte de l’impact de l’homme sur l’environnement. Et, outre le facteur temps, je pense aussi que c’est parce que les indices dont il dispose sont éparses et qu’il n’arrive pas encore en tant qu’individu à tous les connecter, par exemple, la remonté du moustique Tigre que l’on ne va pas forcément mettre en relation avec le typhon aux Philippines, alors que tous ces signes sont un peu le résultat du même problème. Il y aurait donc en termes de communication un travail à faire non seulement sur les résultats scientifiques mais aussi sur les liens entre indices.

M.A – Justement, les experts du GIEC sont rarement catégoriques en ce qui concerne les événements extrême comme par exemple le fameux typhon aux Philippines alors que vous-même dans votre livre, Clive Hamilton, vous établissez un lien qui semble évident entre ces événements météorologiques très, très fort et le réchauffement climatique en action…

C.H – Le GIEC est devenu une institution particulièrement prudente, il adopte le dénominateur commun le plus petit de la science et il y a les climato-sceptiques qui attaquent le GIEC tout comme le fait la presse de Murdoch.

M.A – Excusez-moi, cela fait partie du mécanisme de fonctionnement du GIEC que de rechercher ce consensus puisque dans la phase finale des négociations, il y a une réunion dans laquelle justement l’ensemble des pays participants se mettent d’accord sur un texte commun.

C.H – C’est vrai, c’est ainsi que fonctionne le processus. Ce n’ai pas que la science ne (? inaudible) pas compte au politique mais les chercheurs du GIEC excluent de leurs propos les prédictions les plus effrayantes qui sont pourtant légitimes face aux travaux scientifiques menés. Par conséquent, on voit des scientifiques de renom qui publient des articles en décrivant la réelle préoccupation concernant le changement climatique et ces gens là utilisent des expressions très inquiétantes : on parle de l’Artique qui est dans une spirale de la mort ; on parle de la terre qui est comme une bête sauvage qui vient d’être éveillée d’un long sommeil ; on parle d’une terre différente que nous allons connaître par rapport à la terre très calme que nous avons vue pendant 10 000 ans, ce qui a permis à la civilisation d’être possible sur terre.
Mais aujourd’hui, nous humains, nous avons sapé les conditions qui ont rendu la civilisation possible et nous devons nous demander si notre civilisation est suffisamment résistante pour survivre.

M.A – Pierre-Henri Gouyon… Là, on entre un peu dans le catastrophisme dont on parlait au départ et qui est effectivement la position de Clive Hamilton, prendre une position nettement plus catastrophique que celle affichée par le GIEC comme il vient de l’expliquer.

PH.G – Les experts du GIEC effectivement se restreignent de manière a ne pas effrayer les gens, il n’y a pas de doute : ils le disent très explicitement puisqu’ils ont constatés que même en étant très réservé ils induisaient des réactions comme on l’a dit tout à l’heure. Donc je comprends que l’attitude inverse se défende. Et je voudrais reprendre une chose que Clive Hamilton a dit au début, qu’effectivement nous les scientifiques sommes dans une drôle de position. Notre travail théorique est de faire de la recherche, de rédiger des articles, de trouver des résultats, et puis on nous a ajouté des tas de trucs en plus (faut demander des crédits, faut devenir un gestionnaire de laboratoire à un point que je pense la plupart des gens n’imaginent pas, un chercheur est sensé faire quasiment de la comptabilité analytique, etc.). Aujourd’hui devant cette situation, le chercheur se retrouve interpellé et doit se demander jusqu’à quel point il va continuer à faire ça ou si jamais la situation est devenue telle que l’urgence devient effectivement d’aller informer les concitoyens plutôt que de continuer a essayer de trouver quelques résultats en plus dans le domaine qui l’intéresse. Évidemment chacun réagit à sa façon sur ce sujet là, certains se terre dans leur laboratoire pour être tranquille et échapper aux responsabilités sur ces questions, d’autres arrêtent quasiment la recherche, moi j’essaie de faire un peu les deux.
On est donc dans une situation assez compliquée sur ce plan là, d’autant que la science réclame toujours un peu de doute, on est obligé de dire qu’il y a une part de doute dans nos résultats et, évidemment, les marchands de doute s’en saisissent et les climato-sceptiques aussi.
La position des chercheurs est compliquée dans cette affaire, ils ne veulent pas avoir trop d’ennui parce qu’ils s’expriment trop – je peux vous dire pour l’avoir vécu que quand on s’exprime trop violemment sur un sujet dans ce genre là, on peut avoir des problèmes – donc il devient difficile de réfléchir à la façon dont les chercheurs doivent communiquer sur ces grands sujets d’environnement et de société.

C.H – Je partage votre inquiétude, je comprends vos problèmes de bureaucratie et de recherche de financement et je compatis avec vous parce que vous avez sur les épaules une immense charge morale au quotidien. Si on assiste à une conférence de chercheurs du climat, les présentations sont objectives, mais lorsque l’on parle avec ces chercheurs lors des pauses café, là on voit leur véritable sentiment : ils vivent dans la peur, dans l’angoisse et le désespoir.
Et, comme je le dit dans mon livre, étant donné les faits auxquels nous sommes confrontés, la réaction humaine naturelle est le désespoir. Nous devons nous donner le droit d’être désespéré car ce n’est qu’en confrontant la vérité, en acceptant les faits tels qu’ils sont présentés que nous pouvons envisager l’étape suivante qui est l’action. St-François d’Assises a dit :  »même si je savais que la terre disparaîtrait demain, je planterai cet arbre quand même », voilà l’attitude que nous devons adopter. Pablo Casals a dit quelque chose de similaire en pleine guerre civile en Espagne  »La situation est sans espoir, et maintenant on passe à l’étape suivante  »

M.A – Oui, c’est très intéressant dans votre livre, ce mécanique psychologique que vous suggérez, les 3 étapes que vous venez d’aborder : d’abord accepter que le réchauffement et ses conséquences sont inéluctables, ce qui aujourd’hui n’est pas complètement admis ou pensé même par ni les scientifiques, ni les hommes politiques, il y a toujours cette volonté ou cet espoir d’agir.
Vous, vous pensez qu’il faut au contraire accepter l’inéluctable, ensuite faire son deuil de la terre telle qu’elle est aujourd’hui et une fois accepté pouvoir revenir à une action.
C’est là que peut-être l’action n’est pas très claire dans votre propos parce que l’on ne voit pas ce qui reste à faire une fois que le monde a complètement changé si ce n’est à s’adapter, ce que vous suggérez.
Quelqu’un veut-il régir à ce processus psychologique que je trouve assez original ?
Evelyne Heyer…

E.H – Ce qui me plaît dans ce processus, c’est la fin, de finir sur une note d’espoir, dire qu’effectivement on peut s’adapter à ces changements là. Les civilisations existent beaucoup depuis le néolithique ou l’holocène, 10 000 ans. Avant, il y avait déjà pas mal de choses auxquelles on aurait pu aussi donner le nom de civilisation : l’homme savait très bien vivre et s’adapter à des conditions climatiques plus difficiles, mais on n’était pas le nombre de milliards que l’on est actuellement.
Je suis d’accord pour dire les faits tels qu’ils sont, je suis d’accord aussi pour garder une idée d’espoir une fois qu’on a accepté tous ces problèmes là.

« Soulignons que la démographie n’est nullement en cause dans le réchauffement climatique. Toutes les régions du monde s’orientent vers une stabilisation, voire une diminution de leur population … à l’exception de l’Afrique noire, qui est précisément la région du monde la moins «polluante» !

Pour ne pas céder à la pensée unique malthusienne : Hervé Le Bras « Les limites de la planète. Mythes de la nature et de la population ». ISBN 2-08-066877-3. 1994. 349 pp. Flammarion: Paris

Hervé Le Bras – Les défis démographiques de la mondialisation, Début à 5:30

M.A – Jacques Treiner…

J.T – La question c’est le temps d’arrêt sur le désespoir (rires dans le studio).
Quand on y réfléchit, on peut avoir un discours qui coule très bien, on dit ce qui va se passer probablement, le réchauffement, les différents effets, etc. Et puis on se branche tout de suite sur les solutions possibles, on dit il faut faire ça, faut diminuer les émissions de CO2, qu’est-ce qu’on peut faire, on regarde les différentes sources d’énergie, etc.
Ce que je trouve d’intéressant dans le livre de Clive et d’original, c’est qu’il s’arrête avant de passer aux solutions, il s’arrête sur le désespoir en disant : cette phase d’arrêt est vraiment très importante, il faut vraiment l’intérioriser parce que sinon il ne se passera rien. C’est à la fois effrayant et en même temps amusant et assez réjouissant. Je ne sais pas expliquer pourquoi réjouissant mais je trouve cela vraiment réjouissant.

M.A – Pierre-Henri Gouyon…

PH.G – Effectivement, la stupeur c’est normal qu’on l’éprouve et je pense qu’on en a pour un moment parce que Jacques vient encore de parler du fait de réduire nos émissions de CO2. Cela serait bien effectivement de les réduire mais il est clair qu’on ne les réduira pas à temps. Personne n’a plus cet espoir sincèrement. Donc, on va vers la catastrophe climatique, on va vers la catastrophe écologique globale, on va vers la catastrophe de la biodiversité et ça je ne sais pas jusqu’où elle ira elle non plus. Quand on regarde les grandes crises de la biodiversité par le passé, on constate que les grandes extinctions se font par palier ; tout se passe comme s’il y avait un édifice très complexe qui tournait avec une certaine dynamique sur l’ensemble de la planète : une fois qu’on a suffisamment détérioré ce mécanisme, on entre dans une dynamique d’écrasement progressif de l’ensemble, et une fois qu’on a lancé le mouvement, on ne peut plus l’arrêter.
Donc, je ne crois pas qu’on arrêtera le CO2 à temps, je ne crois pas qu’on arrêtera de tuer la biodiversité à temps.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire effectivement qu’on reste sur une autre planète. Qu’est-ce que cela veut dire être sur une autre planète ?.Cela ne veut pas seulement dire réduire nos émissions de CO2, arrêter de foutre en l’air la foret en Asie du Sud-Est, etc. Cela veut dire, entre autre, organiser la façon dont les migrations humaines doivent se produire. Ce que viens de dire Évelyne, qu’il y avait des choses qui pouvaient s’appeler des civilisations avant le néolithique : c’était des peuples nomades et c’était la seule façon dont ils s’en sortaient. Nous, nous sommes totalement sédentarisés – et d’ailleurs, nous ne supportons plus les nomades, il n’y a qu’à voir ce qui se passe avec certaines populations nomades qui vivent encore en Europe ! – Il faut revenir au nomadisme, il n’y a pas de doute. On ne pourra pas laisser les populations où elles sont : il y a toute une série de pays qui seront sous la flotte, il y en a d’autres qui ne seront plus habitables, il va falloir prévoir des migrations humaines de grande ampleur. Et, typiquement devant ce genre de chose, on se dit :  »Oh, comment on va faire ça ? On n’est tellement pas prêt ». Donc, je pense que le temps de stupeur est nécessaire et après il faut mesurer l’ampleur de ce que l’on a à faire.

M.A – Pierre-Henri Gouyon nous a donné beaucoup de pistes pour la phase finalement ultime du raisonnement de Clive Hamilton qui est l’action. Peut-être Clive Hamilton pourriez-vous nous préciser ce que vous entendez par cette action, cette adaptation, après avoir accepté finalement de  »changer de planète » ?

C.H – Dans mon ouvrage, je fais une analogie avec le phénomène de deuil, disparition de l’être aimé. Il est à peu prêt clair que nous utilisons tous des stratégies pour tenter de nier ou de retarder la réalité d’un décès qui a un impact souvent destructeur sur le plan émotionnel. Mais au bout du compte, nous devons quand même prendre la réalité de la mort d’un être aimé à bras le corps. En l’occurrence, on ne parle pas de la mort d’un être aimé, nous parlons de la mort de l’avenir. En effet, la conception de ce que l’avenir réserve ne peut plus être la même. On parle de la vérité…

M.A – Vous voulez dire d’un avenir quand même !

C.H – Non, non – n’essayez pas d’être post moderniste, ça ne marchera pas – Il y a une crainte, comme Jacques l’a dit, et cette crainte c’est que nous serons piégé dans le désespoir, dans la stupeur. Lors d’un phénomène de deuil, peu de gens restent enfermés dans le deuil pour le reste de leur vie. La plupart du temps on trouve une issue, on sait comment se remettre de son désespoir et on peut reprendre le cours de sa vie mais il faut que ce cours soit différent. Tôt ou tard, vous reconstruisez votre vie et un avenir en fonction de la nouvelle réalité et c’est ce que nous devons faire.
Le but de mon livre, c’est de tordre le cou à cette notion de l’espoir. Autrement dit, il ne faut pas pensez que l’on va permettre à la terre de revenir dans son état préalable, initial. Pour avancer nous avons quand même besoin d’espoir mais selon la réalité des faits. Je m’explique, si l’on envisage l’avenir, il faut faire une distinction entre le fait d’être  »baisé » complètement ou alors totalement, complètement ‘baisé ». Et il est possible d’avoir de l’espoir, on peut espérer qu’on n’est pas totalement  »baisé ».

M.A – Pierre-Henri Gouyon …

PH.G – Je comprend qu’il dise de la fin de l’avenir et pas d’un avenir, parce que ça répond à quelque chose qui se fait couramment en Occident depuis l’époque des Lumières qui est de parler du progrès et non pas d’un progrès. Et je pense que l’avenir dont Clive nous dit qu’il faut l’abandonner, c’est cet avenir vue sous l’angle du progrès. D’un progrès presque linéaire, qui serait un progrès des connaissances, un progrès technique, qui lui même ferait un progrès dans le confort et qui même aboutirait à un progrès dans les qualités morales et intellectuelles des individus. Je pense que cette vision là de l’avenir qui était présentée comme le progrès, donc le seul avenir envisageable, il faut qu’on l’abandonne. Il faut qu’on comprenne que l’on est à une période de l’humanité qui ne peut plus se permettre de croire à ça.
Ceux qui continuent à croire à ça, il faudrait qu’on en dise deux mots, c’est les fous – le sujet de l’autre livre de Clive – ceux qui pensent que les progrès techniques vont permettre de compenser les conséquences atroces des progrès techniques précédents ! Est-ce que l’on peut par la technique régler les problèmes du changement climatique : c’est une tentative désespérée de sauver cet avenir vue comme un progrès inéluctable.

M.A – Alors, c’est la fameuse géo ingénierie. Clive Hamilton y a consacré un livre entier qui n’est pas celui-ci,  »Requiem pour l’espère humaine », mais vous y abordez quand même ce sujet. Un mot peut-être sur l’ingénierie comme une solution pour éviter le désespoir. Vrai ou fausse solution ?

C.H – Aujourd’hui, il y a un certain nombre de propositions qui visent à maîtriser le système climatique de la terre en employant des technologies, par exemple, en particulier, il y une proposition qui vise à revêtir l’ensemble de la planète avec une couche de particules de sulfates qui filtrerait la lumière du soleil pour refroidir la planète. Cela peut sembler être de la science fiction mais c’est une proposition très sérieuse, d’un coût abordable, beaucoup plus abordable que les réductions des émissions de carbone. Et il y a des scientifiques et des responsables politiques qui disent :  »tant pis, on n’essaie plus de se sevrer des carburants fossiles, on va maîtriser le climat de la terre ». Personnellement, je pense que c’est d’une arrogance monumentale. Il y a des forces très puissantes, particulièrement aux États-Unis, qui disent  »nous avons maîtrisé tous les autres environnements, pourquoi pas carrément la planète ».

M.A – La géo ingénierie, effectivement, beaucoup de scientifiques considèrent que c’est un remède qui peut-être pire que le mal dans la mesure où on ne maîtrise absolument pas les effets induits par ce genre d’action au niveau planétaire. Jacques Treiner…

J.T – Petite remarque, d’abord sur ce disait Pierre-Henri Gouyon sur les déplacement des populations, cela met le bon éclairage sur le fait que le GIEC a reçu le prix Nobel de la paix et pas d’autre chose, pas de sciences, le prix Nobel de la paix parce que c’est cela qui menace si vraiment on ne fait rien la dessus.

M.A – Vous voulez dire que ce qui menace, c’est la guerre ?

J.T – Oui, c’est ça, oui, exactement, ne serait-ce que par le déplacements de populations, les espaces déjà occupés, etc., etc. Il est difficile de transformer une grosse partie de la population de la terre en migrants qui vont de coin en coin là où c’est habitable.

Maintenant sur la science en général, je reste quand même persuadé, vraiment persuadé, que c’est la meilleure façon de ne pas se raconter des histoires, parce que sinon je ne sais pas où on va. Pour moi c’est cela, la démarche rationnelle et fondée sur la science sur ces questions là, il n’y a pas autre chose, sinon c’est du wish-washing, du je ne sais pas quoi, ou sinon il faut revenir à Dieu ou autre chose…

M.A – C’est la science qui va trouver la solution ?

J.T – Non mais cela ne se fera pas en dehors de la science ; ce n’est pas elle qui va trouver la solution, puisque ça ne donne que des … voilà, comment ça fonctionne, etc. Y compris les critiques que l’on peut faire à l’ingénierie, elles proviennent de l’intérieur de la science : les gens font tourner des modèles climatiques, ils envoient dans l’ordinateur des sulfates en haute altitude, ils regardent comment ils se répartissent et voient les effets que cela a. Donc, c’est encore une fois de la science, c’est une démarche rationnelle.

Un point sur lequel j’ai des nuances – Clive le sait puisqu’on en a discuté plusieurs fois – c’est qu’il y a plusieurs types de géo-ingénierie.
Certains me paraissent, comme à lui, des espèces de rêves un peu fou et dangereux, parce que, comme il le dit, ils sont bon marché et qu’un pays peut se lancer là-dedans s’il en a envie, etc.
Et puis, il y a des choses qui me paraissent d’une démarche rationnelle à partir du moment où l’on dit que l’on ne va pas éviter d’émettre tout le CO2 que l’on est capable d’éviter et que cette démarche est simplement d’essayer de l’enlever. Dans ces technologies visant à l’enlever, il y a des choses un peu folles aussi, à mon avis – mais je ne suis pas spécialiste de la question – c’est de changer la composition de l’Océan pour faire en sorte qu’il y ait plus de CO2 qui soit absorbé par les océans, etc. et cela, c’est des choses qui rajoutent de l’incertitude à l’incertitude. Mais il y a des gens qui ont des idées plus simples qui sont d’avoir des systèmes pour enlever le CO2 de l’atmosphère ; après, reste le problème de  »où on le met ? », le mettre sous la terre, etc.
Il n’y a pas un seul type de technologie à envisager – c’est détaillé dans le livre de Clive – il faut donc regarder les choses de manière plus discriminante.

M.A – Evelyne Heyer…

E.H – Je voulais revenir vers quoi on peut aller – sur le plan de l’évolution de l’homme et de son adaptation – Je pense que cela peut être un sursaut – une fois la phase de désespoir – de sortir de l’idée de progrès matériel et d’aller vers le progrès social. On est un animal éminemment social – ce que l’on a tendance à oublier – et il y a de plus en plus de signes qui montrent que c’est l’une des voies d’avenir. Et, c’est des choses qui se développent et qui pourraient faire le pendant de ce progrès purement matériel.

M.A – Clive Hamilton…

C.H – Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous venez de dire et moi-même j’ai écris un livre sur le fétichisme de la croissance. S’agissant d’une révolution sociale, d’un progrès social, cela exprime les craintes exprimées par le  »Tea Party », les gens qui vous disent que les pensées des écologistes ce n’est ni plus ni moins que du terrorisme ou du communisme.

Et s’agissant du catastrophisme, je vais essayer de m’exprimer dans des termes philosophiques. Réfléchissons à cette notion de pensée apocalyptique dont la réputation a été effroyable dans le passé. Si le monde se réchauffe entre 4 et 6 degrés, ce qui est tout à fait probable d’ici la fin du siècle, cela nous invite à réfléchir à la fin du monde, fin du monde telle que l’on peut la concevoir et, dans cette pensée apocalyptique, le temps lui-même est inversé. Plutôt que d’avoir l’histoire qui est poussée par le progrès, aujourd’hui il faut voir l’histoire tirée vers l’avenir par cet événement futur qui est donc l’apocalypse.
Par conséquent dans les sciences sociales et en philosophie, on est confronté à ce défit du changement climatique quant à la conception du monde, ce n’est plus un processus ouvert où l’être humain peut écrire l’histoire de la planète.
Aujourd’hui, dans l’anthropocène, dans cette nouvelle ère, on se retrouve avec des possibilités futures de plus en plus rétrécies par cet apocalypse et cela représente la mort de l’humanisme, la mort de l’idée – qui pourtant est l’essence des Lumières – que l’humanité et ce que nous croyons va déterminer l’avenir.
Tout à coup, ce sont des forces géologiques, climatiques qui déterminent le futur à notre place.

M.A – Ce sont sur ces mots qui renouent avec le désespoir et le cataclysme que le débat de Science publique s’achève.

Ouvrages référencés sur le site de l’émission

Ethique et changement climatique, Olivier Abel, Edouard Bard, André Berger, Le Pommier, 2009
Les apprentis sorciers du climat : Raisons et déraisons de la géo-ingénierie, Clive Hamilton, seuil, 2013
Requiem pour l’espèce humaine, Clive Hamilton, Presses de Sciences Po, 2013

Source : France Culture.

Ré-écouter : France Culture.


Source : Françoise Paran, pour Les-crises.fr, le 4 mai 2015.

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