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Coronavirus « La France pourrait se retrouver dans la même situation que l’Italie »

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Source : What’s up Doc, Julien Moschetti, 27-03-2020

Infectiologue à l’hôpital américain de Paris et président de la Société de médecine des voyages (SMV), le Pr Christophe Rapp est revenu en longueur pour WUD sur l’épidémie du Covid-19, qui, selon lui, est en réalité déjà une pandémie. Qu’il s’agisse de la piste de la chloroquine (médicament couramment utilisé contre le paludisme), de l’état actuel des recherches, des traitements actuellement utilisés, des délais pour obtenir un vaccin… Mais aussi, bien-sûr, de la situation en France, en Italie et à l’international. Interview « vous saurez presque tout sur le Covid-19 » !

What’s up Doc. La chloroquine pourrait être efficace pour traiter le Covid-19, selon une étude clinique chinoise, est-ce une piste crédible ? Est-ce une promesse de sortie de crise ?

Christophe Rapp : La chloroquine est un vieux médicament que l’on utilisait autrefois pour lutter contre le paludisme. C’est un éternel retour : à chaque épidémie virale, on nous revend la chloroquine, il faut attendre les résultats des travaux en cours. Mais, pour l’instant, c’est extrêmement prématuré, en se basant sur cette seule étude, de pouvoir dire si la chloroquine peut être efficace pour traiter le Covid-19. Les recommandations de prise en charge thérapeutiques sur la chloroquine sont en cours d’élaboration par le Haut Conseil de la santé publique.

WUD. Quelles sont les autres pistes de traitement en cours ? Où en est l’état de la recherche sur le Covid-19 actuellement ?

C.R. On attend les résultats d’un certain nombre d’études chinoises randomisées. Pour l’instant, c’est très difficile de conclure à l’efficacité de telle ou telle thérapeutique. Il y a deux pistes qui ont été étudiées sur un nombre relativement important de patients. D’une part, le lopinavir/ritonavir, qui est un antirétroviral que l’on utilisait dans l’infection au VIH. C’est un médicament par voie orale qui est intéressant, que l’on a testé pour le MERS-CoV(coronavirus à l’origine d’infections respiratoires pouvant être graves ; NDR) avec une efficacité non démontrée. Ce traitement a été testé par les Chinois et chez certains patients français. Ce médicament dispose d’une AMM (Autorisation de mise sur le marché), donc il est facilement disponible. Mais, il faut être prudent, car, pour l’instant, on n’a pas de résultats d’efficacité dans une étude randomisée chez l’homme.

La deuxième piste, c’est le remdesivir qui est un analogue nucléosidique. C’est un antiviral à spectre large que l’on a testé pour le virus Ebola et qui marche sur un certain nombre de virus. Il est actuellement utilisé en Chine et est importé en urgence par une procédure particulière dans les pays du nord, et notamment en France. Certains patients français ont d’ailleurs reçu depuis le début de l’épidémie, ce traitement est réservé aux formes graves de la maladie. C’est un traitement par voie intraveineuse de 10 jours. Le patient de 48 ans infecté par le nouveau coronavirus qui est sorti du CHU de Bordeaux, a été traité avec cet antiviral, mais on ne connait pas encore les résultats en termes d’efficacité et de tolérance. Les zones à risque changent tous les jours.

WUD. Quels messages importants aimeriez-vous faire passer aux médecins généralistes confrontés à d’éventuels cas ?

C.R. Le plus important, c’est d’arriver à repérer dans sa patientèle quelqu’un qui a voyagé dans une zone à risque ou a pu être en contact avec un cas confirmé. C’est de se tenir informé des évolutions de l’épidémie pour éviter des contaminations dans les salles d’attente. C’est rappeler aux gens qui reviennent de Chine, de Singapour, de Corée ou d’Italie, de rester à domicile. S’ils ont des symptômes à domicile, on leur conseille d’appeler directement le centre 15. Mais on sait qu’il y aura des défaillances et que certains vont aller chez leur médecin de famille. Donc il faut être capable de repérer les patients qui ont de la fièvre et qui toussent en phase d’épidémie de virus respiratoire, malheureusement synchrone de la grippe saisonnière. Les médecins doivent donc demander aux patients s’ils ont de la fièvre, des troubles respiratoires, s’ils ont voyagé dans les 15 jours précédents dans une zone à risque qui est évolutive dans le temps (la définition est donnée par le ministère de la Santé à ce moment-là). Puis, ils doivent leur donner un masque chirurgical pour qu’ils évitent de transmettre par les postillons le virus au docteur ou aux gens de la salle d’attente. Ce sont des réflexes simples, mais qui ne sont pas forcément très bien appliqués.

Entre 18 et 24 mois avant de trouver un vaccin efficace

WUD. Pourquoi il n’existe toujours pas de vaccin contre le Covid-19 ?

C.R. Le Covid-19 est un virus qui vient à peine d’être découvert il y a deux mois, donc on est sur une épidémie en temps réel, avec l’identification d’un virus dont la séquence moléculaire est connue dans le monde entier depuis le 9 janvier. La recherche vaccinale est en cours, mais on sait très bien qu’il faudra entre 18 et 24 mois avant de trouver un vaccin efficace chez l’homme. Il y a une phase de recherche in vitro, une phase d’expérimentation animale et une phase d’expérimentation humaine. On ne fait pas un vaccin en quelques mois. Ce ne sera pas pour cette vague épidémique.

WUD. Quelle est la situation aujourd’hui sur le plan international ?

C.R. On est dans une dimension nouvelle de l’épidémie, avec une diffusion mondiale, et on s’attend à avoir plus de cas sur les 5 continents. Quand le vaccin sortira, l’épidémie sera peut-être déjà passée… Donc, si on veut freiner, atténuer l’effet de cette épidémie, il faut mettre en place des mesures d’isolement, prendre en charge précocement les cas, et, éventuellement, prendre des mesures de confinement de la population.

Pour moi, c’est une pandémie

WUD. Selon Arnaud Fontanet, chef de l’unité « épidémiologie des maladies émergentes » à l’Institut Pasteur, nous venons d’assister à ce que nous appelons le « passage en transmission communautaire », c’est-à-dire à l’apparition de cas pour lesquels nous ne sommes pas capables de dire comment ils ont été infectés. Selon lui, « la situation mondiale a vraiment basculé ».

C.R. Effectivement, nous en sommes à la deuxième phase de l’épidémie. Il n’y a plus forcément de cas en lien épidémiologique avec l’épicentre de l’épidémie qui est la Chine. Cela veut donc dire qu’il y a des chaînes de transmission humaine qui vont commencer à arriver dans les pays, et que la circulation du virus risque d’être de plus en plus diffuse au sein des pays. Et c’est ce qui va permettre de parler bientôt de pandémie qui signifie une épidémie sur les 5 continents, et n’est pas synonyme de gravité. L’OMS n’utilise pas encore le terme de « pandémie », mais on y arrive. Pour moi, c’est une pandémie, avec un faible nombre de cas dans les pays industrialisés. Donc, cela va mettre en tension les systèmes sanitaires de tous les pays. Cela aura aussi des conséquences économiques et sociales si on est obligé, comme le font les Italiens, d’avoir des épisodes de confinement. Tout cela aura des conséquences importantes sur le plan économique. Le PIB va baisser brutalement en Chine et dans beaucoup de pays du monde.

On ne peut pas évaluer la létalité sur un petit nombre de cas

WUD. Quelles peuvent être les conséquences en termes de santé publique En France ?

C.R. Cela dépendra du nombre de cas. La létalité n’est pas très importante, mais il y a des décès quand le virus touche des sujets âgés ou atteints de comorbidité. La létalité, on ne peut pas l’évaluer sur un petit nombre de cas, il faut beaucoup de gens. En Chine, elle était à 2 %, elle va baisser à hauteur de 1 %. Donc c’est une question de volume de patients. Est-ce que l’on s’attend en France à 200 ou 300 cas ou à plus de 1000 cas. Pour l’épidémie du H1N1, beaucoup de gens ont été touchés une fois que l’on a eu une circulation active du virus, qui, heureusement, dans la majorité des cas, étaient d’une forme bénigne. Mais là, cela pourrait mettre en tension les hôpitaux qui s’organisent pour à la fois dépister et prendre en charge les cas, et impliquer tous les professionnels de santé de ville.

On pourrait mettre en place des stratégies de confinement

WUD. On assiste à une multiplication des cas en Italie. Quelles peuvent être les conséquences pour la France ?

C.R. Le fait qu’il y ait des cas en Italie, avec la proximité des frontières et les vacances scolaires en France n’arrange pas les choses. Certains Français sont allés à Venise ou en Lombardie et on a déjà des cas suite à leur retour d’Italie. Donc on peut s’attendre à avoir plus de cas dans les jours qui viennent. En revanche, si on les dépiste très précocement, s’ils sont isolés et si l’on trace les contacts familiaux et professionnels de ces cas que l’on dépiste rapidement, on pourra peut-être atténuer l’effet de l’épidémie. Mais on peut aussi avoir la malchance d’avoir du mal à repérer les patients, et donc de se retrouver dans la même situation que l’Italie, si bien que l’on pourrait être obligés de mettre en place des stratégies de confinement. Cela ne serait pas pour autant la fin du monde, mais cela serait difficile à vivre sur le plan sociétal.

La France est bien préparée

WUD. Que pensez-vous de la politique du gouvernement pour lutter contre l’épidémie ?

C.R. La France est bien préparée. On a un guide méthodologique de préparation, et on est en train de dérouler notre plan stratégique. Les hôpitaux sont de bonne qualité, on a des tests au diagnostic, on a tout ce qu’il faut. Mais on n’est pas à l’abri de défaillances localisées et, s’il y a beaucoup des cas asymptomatiques, cela sera difficile. Mais c’est vrai que l’on a un bon niveau de préparation, une bonne coordination, on est sur une colonne vertébrale qui est assez robuste. Les mesures sont mises en œuvre de manière graduée, en fonction du nombre de cas et de la diffusion du virus, ce qui est assez cohérent. Mais pour, autant, personne n’est vraiment armé face à une épidémie d’origine respiratoire.

WUD. Comment voyez-vous l’évolution de l’épidémie dans les semaines et les mois qui viennent ? Qu’est-ce qui vous donne des raisons d’être pessimiste ou optimiste ?

C.R. Tout d’abord, on a l’impression que l’on arrive à un plateau en Chine. On a l’impression que le nombre de cas est moins important, même si c’est difficile à suivre parce qu’ils ont changé plusieurs fois les définitions de cas. D’un autre côté, le virus se diffuse dans le monde entier, donc on va être embêtés dans les semaines qui viennent pour faire un pronostic. On est certainement partis pour plusieurs mois. Est-ce que cela dépassera l’été ? Il est très difficile de le dire à l’heure actuelle.

WUD. L’une des bonnes nouvelles, c’est qu’il n’y avait pas de nouveaux cas de Covid-19 à Shanghai le 25 février dernier, donc ça rend plutôt optimiste par rapport à la situation en Chine ?

C.R. Oui, mais le virus est désormais en Europe. Certes, de manière plus sporadique et pas avec la même densité, donc on n’attend pas le même nombre de cas. Mais cela peut diffuser rapidement car il est assez contagieux. A partir d’une infection vous avez quand même 2,5 personnes contaminées, donc cela peut aller très vite…

Source : What’s up Doc, Julien Moschetti, 27-03-2020

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2 réactions et commentaires

  • Phi // 04.04.2020 à 16h07

    Erreur de date : l ‘article est du 27 février.

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    • xbrossard // 05.04.2020 à 10h31

      a mon avis, c’est pas une erreur; tout ce qui peut être fait pour dénigrer le traitement de Raoult a été fait sur ce site

        +0

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