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25.novembre.201425.11.2014 // Les Crises

[Reprise] Le journalisme made in CIA, aujourd’hui et hier (1/2)

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Le journalisme made in CIA, aujourd’hui et hier

Au tout début octobre, le livre Journalistes achetés de Udo Ulfkotte, ancien journaliste de la Frankfurter Allgemeine Zeitung (la prestigieuse FAZ de Francfort), s’est aussitôt présenté comme un best-seller. A côté de cela, la presse allemande pour l’essentiel a conservé une discrétion, voire un mutisme significatif à l’égard de ce livre. Le succès de Ulfkotte-auteur en est d’autant plus remarquable, sinon très significatif du divorce chaque jour confirmé entre les populations et opinions publique d’une part, les élites-Systèmes et la presse-Système d’autre part.

Le 3 octobre 2014, le site RI consacrait un premier article à Ulfkotte et à son livre. On y lisait notamment ceci, qui marquait non pas la thèse de l’auteur, mais son constat née d’une expérience à la fois professionnelle et personnelle. «Members of the German media are paid by the CIA in return for spinning the news in a way that supports US interests, and some German outlets are nothing more than PR appendages of NATO, according to a new book by Udo Ulfkotte, a former editor of Frankfurter Allgemeine Zeitung, one of Germany’s largest newspapers. Ulfkotte is a serious mainstream journalist. Here he is on Germany’s leading political talk show a couple of years ago. The book is a sensation in Germany, [seventh] on the bestseller list. Its political dynamite, coming on the heels of German outrage of NSA tapping of their phones. [ …]

»Here at RI, it has long been apparent to us that there is something distinctly odd about the German media regarding Russia. We follow it, and it is much more strident than even the anglo-saxon media regarding Russia, while German public opinion is much more positive towards Russia than in other countries. Another interesting thing about it is that it is very disparate. Some major voices are very reasonable about Russia, but most are negative, and some are comically apocalyptic. This is what one would expect if there was some financial influence ginning the system.»

Le 17 octobre 2014, IR poursuivait et approfondissait l’affaire en publiant une interview très approfondie de Ulfkotte. On y lisait notamment ceci, avec des précisions sélectionnées de l’interview (qui est plus loin, dans l’article de IR, présenté dans son intégralité)… «In his latest interview, Ulfkotte alleges that some media are nothing more than propaganda outlets of political parties, secret services, international think tanks and high finance entities. Repenting for collaborating with various agencies and organisations to manipulate the news, Ulkotte laments, “I’m ashamed I was part of it. Unfortunately I cannot reverse this.” Some highlights from the interview:

»“I ended up publishing articles under my own name written by agents of the CIA and other intelligence services, especially the German secret service.” […] “Most journalists from respected and big media organisations are closely connected to the German Marshall Fund, the Atlantik-Brücke or other so-called transatlantic organisations…once you’re connected, you make friends with selected Americans. You think they are your friends and you start cooperating. They work on your ego, make you feel like you’re important. And one day one of them will ask you ‘Will you do me this favor’…” […] “When I told the Frankfurter Allgemeine that I would publish the book, their lawyers sent me a letter threatening with all legal consequences if I would publish any names or secrets – but I don’t mind.” […] [The FAZ] hasn’t sued me. They know that I have evidence on everything.” […] “No German mainstream journalist is allowed to report about [my] book. Otherwise he or she will be sacked. So we have a bestseller now that no German journalist is allowed to write or talk about.”»

Le 18 octobre 2014, Russia Today (RT) reprenait l’affaire et en donnait son compte-rendu, à partir de l’interview de IR et après une première interview (de RT) de Ulfkotte. On retient ici un passage très spécifique, qui est symbolique de l’intérêt analytique que nous portons à cette affaire … «“I ended up publishing articles under my own name written by agents of the CIA and other intelligence services, especially the German secret service,” Ulfkotte told RI. He made similar comments to RT in an exclusive interview at the beginning of October. “One day the BND [German foreign intelligence agency] came to my office at the Frankfurter Allgemeine in Frankfurt. They wanted me to write an article about Libya and Colonel Muammar Gaddafi…They gave me all this secret information and they just wanted me to sign the article with my name,” Ulfkotte told RT. “That article was how Gaddafi tried to secretly build a poison gas factory. It was a story that was printed worldwide two days later.”»

Deux passages précisément sont à citer à nouveau, pour orienter et développer le commentaire… Celui où il est dit que la pénétration du milieu journalistique allemand est tel que le résultat obtenu est souvent bizarre, presque comique à force d’excès (cela, qu’on ressent sans aucun doute dans la façon complètement désordonnée, chaotique même si antirusse, rocambolesque et presque comique dont la crise ukrainienne est couverte..) : «Another interesting thing about it is that it is very disparate. Some major voices are very reasonable about Russia, but most are negative, and some are comically apocalyptic.» Le second passage concerne les circonstances précises, extrêmement détaillées pour un article précis (celui où il est dit que Kadhafi fait développer une usine de production de gaz mortel), aboutissant à une nouvelle inventée de toutes pièces qui fut largement reprise dans le monde entier :

«One day the BND [German foreign intelligence agency] came to my office at the Frankfurter Allgemeine in Frankfurt. They wanted me to write an article about Libya and Colonel Muammar Gaddafi…They gave me all this secret information and they just wanted me to sign the article with my name… That article was how Gaddafi tried to secretly build a poison gas factory. It was a story that was printed worldwide two days later.”»

Ces divers détails donné par Ulfkotte ont inspiré à notre vénérable ancien Philippe Grasset quelques réflexions sur la façon dont la pénétration des milieux journalistiques européens se fait aujourd’hui par la CIA, ou plutôt par le système de l’américanisme, par rapport à la façon du temps de la Guerre froide. Cette comparaison est extrêmement éclairante, en nous donnant des indications précises sur l’évolution des méthodes américanistes, sur leur efficacité, sur ce que cette évolution nous dit de l’évolution de la politique US elle-même, par conséquent de sa transmutation en politique-Système. C’est donc à la première personne, PhG figurant comme témoin principal, que le reste de ce commentaire sera rédigé.

PhG et les “années-CIA” 1970-1990…

Je prends la plume à ce point en tant que journaliste déjà largement impliqué dans le travail de la politique extérieure et de sécurité nationale, à partir de 1973-1974 à Bruxelles, qui était déjà et qui reste, avec Washington, pour ce qui deviendrait le bloc BAO, l’un des deux centres de l’information pour ces matières avec la présence de l’OTAN et de l’UE. Auparavant (étant journaliste en Belgique, à Liège depuis 1967), j’étais peu “sorti” vers Bruxelles, pour établir un réseau de contacts et suivre l’information sur place, cantonné à un travail de rédaction sur dépêches de nouvelles venues de l’extérieur, – mais déjà, dès l’origine, sur ces mêmes matières de politique extérieure et de sécurité nationale. A partir de 1976-1977 (“seconde Guerre froide”) et jusqu’en 1989-1991 (chute de l’URSS/du communisme) l’activité de politique extérieure et de sécurité nationale essentiellement sur la question des relations avec l’URSS, et donc l’activité de communication à cet égard, furent particulièrement intenses, souvent polémiques, extrêmement “chaudes” en un mot.

Je vais surtout parler de la Belgique, mais en un lieu (Bruxelles) où des journalistes internationaux, surtout européens, se trouvaient déjà souvent présents en grand nombre, et donc avec à l’esprit que les méthodes de pénétration et de manipulation de l’américanisme en Belgique sur ces matières devaient se trouver assez proches de celles qui étaient utilisées dans les pays de l’OTAN avoisinants notamment (Hollande, Luxembourg, Italie, Allemagne, France, etc., en mettant UK à part pour des raisons évidentes, – pour ne pas mélanger une succursale à ciel ouvert avec des entreprises apparemment indépendantes…) (D’après ce que j’ai pu en savoir de source très sûre, le contingent des agents de renseignement, des agents traitants et des correspondants dépendant de la CIA à Bruxelles, atteignit jusqu’à 800 personnes à l’extrême de leurs effectifs dans cette période de tension, soit le double du personnel du SGR et de la Sûreté de l’État réunis, les deux services belges de renseignement et de contre-espionnage.) Je vais exposer les méthodes US en précisant que j’en fus non seulement le témoin direct, mais à plusieurs reprises la cible directe, – inconsciente et régulièrement ratée, – notamment en tant que principal journaliste spécialisé dans les questions de politique extérieure/de sécurité nationale du deuxième quotidien francophone de Belgique (de 1967 à 1985 à La Meuse-La Lanterne, 197 000 exemplaires en 1970-1972), collaborateur de l’hebdomadaire L’Evénement de 1980 à 1984, éditeur des Lettres d’Analyse Definter (1978-1980) et dedefensa & eurostratégie (1985-2012).

Ce qui m’intéresse ici est de comparer ces méthodes à celles d’aujourd’hui telles que les rapporte Ulfkotte. Je vais m’abstenir de donner des détails de lieux et de personnes et autres précisions opérationnelles qui nous entraîneraient trop loin. (L’affaire m’ayant alerté à cet égard, il serait logique et devrait être envisagé de mettre en ligne, prochainement, un passage des Mémoires du dehors concernant cette période et ces situations. [Concernant les Mémoires du dehors, deux textes ont déjà été mis en ligne les 5 novembre 2005 et 6 novembre 2006.])

Dans la période considérée, l’“approche” des journalistes par les “services US” se faisait de manière très classique et très soft, par des moyens initiaux tels que les décrit Ulfkotte (voyages, séminaires, réunions, etc.), mais d’une manière beaucoup plus policée et habile. En fait, au départ, il s’agissait d’un pur travail, normal et courant, de relations publiques et de relations avec la presse professionnelle, où intervenaient essentiellement sinon exclusivement les services adéquats US, dépendant du département d’État, essentiellement USIS (US Information Service), ou dépendant du département de la défense (services d’information des forces). La présence de la CIA ou d’autres services de renseignement, malgré l’énormité de leurs effectifs, était proscrite, même dissimulée, et restait absolument clandestine. Il existait à cet égard une rigoureuse surveillance et une jalousie bureaucratique extrêmement ferme des services impliqués, et USIS n’aimait guère coopérer avec la CIA. La seule fois où j’ai rencontré un officier de la CIA sous sa couverture d’“attaché culturel” (je n’ai su qu’après la rencontre que l’“attaché culturel” était la couverture du chef d’antenne de la CIA) l’a été par l’intermédiaire du chef de USIS à Bruxelles, Jim Hogan, lors d’un déjeuner suscité par Hogan à la demande de l’“attaché culturel”, en présence et sous le contrôle de Hogan, et aucune suite ne fut donnée ni aucune tentative effectuée par la CIA à mon égard. En fait, la CIA travaillait de manière très isolée dans les ambassades, et les antennes locales étaient elles-mêmes le plus souvent ignorées du centre de Langley. J’ai eu souvent des échos précis de la part de sources officielles non-US de la frustration des officiers de la CIA en poste à Bruxelles, devant le désintérêt que la centrale de Langley portait à leurs activités. (De façon très symptomatique de l’esprit de l’américanisme, la même tension existait entre le Pentagone et le commandant en chef suprême [un officier général US] de l’OTAN, le SACEUR, “exilé” en Europe, sur des terres lointaines, hostiles et inconnues…) Enfin et pour résumer, la CIA travaillait sur ses informations propres, sans guère de coopération de USIS et largement ostracisée au sein de l’ambassade.

Les opérations de tentative de recrutement étaient donc extrêmement discrètes et d’une forme très passive, et j’ai pu évoluer pendant des années, en tant que journaliste, dans les diverses manifestations classiques de relations publiques US avec la presse sans avoir le moindre signe qui ressemblât à une pression ou une offre quelconque. Il semble plutôt que la méthode US à cet égard, à cette époque en Europe, était fondée sur une méthodologie d’une suffisance extraordinaire : les journalistes non-US seraient nécessairement impressionnés, fascinés et conquis par ces manifestations de communication US, et demanderaient eux-mêmes à “travailler” avec et pour les USA, sous une forme ou l’autre de coopération, – moment à partir duquel des aspects de rémunération ou autres, sous forme de “privilèges” divers, pouvaient être envisagés mais pas nécessairement… Néanmoins, cette attitude était limitée dans le temps : si le journaliste restait ce qu’il était à l’origine, s’il ne demandait pas à coopérer d’une façon ou l’autre, s’il n’effectuait pas une évolution éditoriale satisfaisante et s’il évoluait au contraire d’une façon indépendante, éventuellement en se montrant critique (plus critique) des USA, il devenait suspect et la rupture devenait inévitable. Ainsi, en mars 1985, à une époque cruciale pour moi (je quittais mon poste dans le quotidien La Meuse-La Lanterne et m’apprêtait à lancer dd&e) mon avocat, Me Aronstein, me déclara : «J’ai demandé à mes contacts à la Sûreté [de l’État] s’ils avaient un dossier sur vous. Ils m’ont dit ce que les Américains pensaient de vous. Pour la CIA, vous êtes un agent du KGB. Pour le State Department, vous êtes un naïf.» (“Agent du KGB” puisque je n’étais pas devenu agent de la CIA, “naïf” puisque je n’avais pas demandé tel ou tel avantage, telle ou telle voie de coopération, – bref, “agent du KGB” et “naïf“ parce que je semblais décidément n’avoir pas compris l’avantage incomparable de coopérer de façon volontaire avec les USA.)

Dans cette logique de “recrutement d’influence” qui était en fait une approche très soft et assez habile, mais aussi avec cette suffisance qui conduit parfois sinon souvent à des déconvenues de taille, une approche fondée au fond sur les principes de la libre-entreprise et de l’exceptionnalisme américaniste, – la “loi du marché” vous amènera un jour ou l’autre à vous tourner vers le meilleur, c’est-à-dire les USA, – l’idée qu’on put suggérer sinon presser un journaliste même coopérant de publier un article rédigé par tel ou tel service US (la CIA ou USIS) sous sa propre signature était insensée. Il y avait même certaines réticences du côté US (USIS, certes) à ce qu’on reprenne sous leur forme originale, – en tout bien tout honneur, simplement pour l’information contenue, – des articles contenus dans des publications officielles, d’un auteur académique, d’un expert, etc. Ce qui était attendu, c’était vraiment que le journaliste passé “sous influence” se transmutât lui-même en porte-voix de l’américanisme, et produisît, avec son talent, avec son style, avec ses informations, des textes allant dans ce sens, – bref qu’il agît en toute liberté, comme La Boétie décrivait La servitude volontaire.

C’est pourquoi les méthodes actuelles, telles que les présente Ulfkotte, me paraissent stupéfiantes de grossièreté, d’impudence maladroite, finalement extrêmement contre-productives. Il me semble insensé d’imaginer, en 1978 ou en 1982, un homme d’USIS, ou même de la CIA si et quand le contact était établi, glissant à un journaliste soi-disant “recruté” un texte rédigé par ses services et lui disant : “mettez votre signature ici et publiez !” La seule vertu qui survécut intacte alors dans mon jugement sur les activités US une fois que se fut affirmé complètement mon anti-américanisme, c’était leur brio dans les relations publiques, pour ne par faire sentir une trop grande contrainte sur les personnes visées ; et un brio qui était même décoré par une certaine référence au professionnalisme et à l’indépendance de la presse US (on pouvait alors y croire encore), ce qui revenait à vous dire effectivement que c’est en toute indépendance que vous en viendriez à coopérer avec les USA (La Boétie, toujours) … Quand je rapproche cela de l’esprit du “marché libre”, de l’absence d’“interventionnisme”, du “statisme”, je crois ne pas être trop loin de la vérité. La limite est que cela doit aboutir à un moment ou à un autre, sinon, si vous ne vous décidez pas, si le point de non-retour est dépassé sans que rien ne se soit passé, si enfin vous ne comprenez pas le diktat du “marché libre” (ou du Système), le masque tombe brutalement et vous voilà devenu “un mauvais”, un “bad guy”, un agent du KGB, un demeuré… (Effectivement, à partir de 1985, cela correspondant à mon départ du quotidien où je travaillais, je ne reçus plus jamais d’invitation de l’ambassade US, comme il en était régulièrement adressé à la presse.)

La description que donne Ulfkotte des méthodes de recrutement et de manipulation des journalistes professionnels de la grande presse par les USA en Europe aujourd’hui est complètement surréaliste par rapport à ce que j’en ai connu ; elle est aussi complètement stupide et absurde, attendu que cette “grande presse” a évolué de son côté en presse-Système et se trouve elle-même continuellement sur la voie de la conformité… Mais il n’y a aucune raison de douter de sa description, et cela permet alors de mesurer le chemin de décadence, sinon de chute, parcouru par l’appareil d’influence et de sécurité nationale de l’américanisme. L’orientation prise est en effet caractéristique du développement de la politique-Système, de la surpuissance de tous les aspects de cette politique, de sa “brutalisation” à outrance, de la plongée de la perception du monde dans des narrative invraisemblables. La CIA (ou le BND, ou n’importe quoi) opère à visage découvert, sans souci ni d’apparence convenable, ni de formalisme professionnel, ni de vraisemblance des informations, exerçant des pressions même sur ceux qui leur sont acquis, qui sont déjà dans le cours de la presse-Système. L’information “sous influence” (sous influence de la CIA ou sous influence du BND, – ou sous influence du Système, pour mettre tout le monde d’accord) devient chaotique comme la décrit Ulfkotte («Some major voices are very reasonable about Russia, but most are negative, and some are comically apocalyptic»), et le résultat est une communication de plus en plus extrême, de plus en plus désordonnée, de plus en plus invraisemblable, c’est-à-dire au bout du compte de plus en plus fragile, de moins en moins substantivée, flottant dans une sorte d’éther où chaque chose semble isolée de ses causes et de ses conséquences, et où son crédit, sa vraisemblance, ne résisteraient pas une seconde à une simple mise en perspective.

Ce phénomène de l’information sous influence grossière, sous manipulation brutale, transmet sa vulnérabilité et sa fragilité à ceux qui s’appuient sur lui pour renforcer leur action, ce qui conduit au contraire à fragiliser cette action. Le paysage d’aujourd’hui, au contraire de celui d’hier qui était rationnellement et assez habilement contrôlé, est la transcription dans le monde de l’influence de l’hyper-désordre qui caractérise la vérité de notre monde. Les effets vont des nouvelles “comiquement apocalyptiques” sur la Russie au passage à l’antiSystème de “lanceurs d’alerte” journalistique type-Ulfkotte. La surpuissance est continuellement grosse de son autodestruction.

P Grasset

 


Suite : le journalisme made in CIA… (II)

Comme un brave pèlerin ployant sous le poids des ans au vu de cette carrière caractérisée au moins par sa longueur, je reprends la plume … Quelques précisions de plus parce que le sujet m’apparaît absolument vital, dans notre milieu et selon nos activités, parce qu’il s’agit du système de la communication qui est aujourd’hui la première force déterminante de la politique, parce que nous sommes dans cette époque extraordinaire où nous ne pouvons pas ne pas nous engager. Cette suite fait elle-même suite à la réaction d’un de nos lecteurs et amis, par ailleurs présents parmi les rares intervenants d’Ouverture libre, Jean-Paul Baquiast, sous le titre «Quid de la presse US que nous pensons non-alignée?», ce 21 octobre 2014, en commentaire du texte sur “le journalisme Made in CIA” du 20 octobre 2014, qui trouve ici son complément.

«Je pense à divers journaux que vous citez souvent vous-même, comme WSWS auquel je me réfère fréquemment. Sont-ils des faux nez de la CIA et autres?

»Je pense aussi aux sites “alternatifs” auxquels là aussi nous nous référons souvent, ZeroHedge ou The Saker. Je ne vois pas comment, en suivant l’analyse que vous faites, ils pourraient survivre sans être manipulés, ne fut-ce que dans la fonction de contestation-système officielle.

»Je pense qu’avec votre expérience, vous devriez donner votre avis sur ces points…»

Je vais me permettre de répondre indirectement parce que je ne distingue pas vraiment ce qui, dans mes propos, pourrait faire croire que cette presse alternative US soit plus manipulé que d’autres par la CIA, tout comme toutes les autres presses alternatives d’ailleurs… Donc, je réponds indirectement, en précisant mon propos, et vous verrez que ma conclusion tend à l’inverse de ce que craint notre intervenant JPB.

D’abord, les dates sont claires … J’ai bien écrit qu’à partir de 1985, année où j’ai lancé dd&e, ancêtre de dedefensa.org, les US avaient coupé les ponts avec moi, de leur propre initiative d’ailleurs. («Effectivement, à partir de 1985, cela correspondant à mon départ du quotidien où je travaillais, je ne reçus plus jamais d’invitation de l’ambassade US, comme il en était régulièrement adressé à la presse.») Cela fait que la période dont j’ai parlé est bien une période où n’existait pas la presse alternative que l’on connaît aujourd’hui, où n’importe qui peut monter un blog pour une somme abordable, et jeter ses commentaires à la face du monde. Avant, à part l’exception de la “Lettre d’information” (d’“Analyse”), très peu coûteuse à produire mais extrêmement difficile à imposer par la notoriété, ce qui se passe aujourd’hui était impossible … Trop cher, trop dépendant d’un financier, de la publicité, ou bien d’un carnet d’abonné qu’il fallait des années, voire des décennies pour constituer. Ce que je décris des procédés US d’influence et de recrutement porte donc sur la période où la presse “alternative” dont parle JPB n’existait pas et ne pouvait économiquement pas exister.

D’autre part, le climat politique était extrêmement nuancé, beaucoup plus divers qu’il n’est aujourd’hui. Du côté de l’Ouest, il y avait les “libéraux” (politiques), partisans d’un rapprochement avec l’URSS et du “convergisme” (les deux régimes, Est et Ouest, devant finir par se confondre), il y avait les “réalistes” ou “détentistes”, partisans de la détente passant par l’intensification des échanges commerciaux et culturels entre Est et Ouest, et puis toutes les factions des durs, des “faucons”, etc., impitoyablement antisoviétiques. Cela faisait des nuances considérables qui permettaient à un journaliste passé sous l’influence US d’évoluer sans à-coups, habilement, sans qu’on puisse identifier cette influence. Les faux-nez de la CIA, ou d’USIS pour les cas envisagés, pouvaient apparaître avec un superbe profil grec semblant tout à fait naturel. Même chose d’ailleurs, selon les “faucons”, des agents d’influence du KGB, qu’il était très difficile d’identifier, – comme voulut le montrer le roman à clef L’Iceberg (traduction très libre de The Spike), écrit par Arnaud de Borchgrave et Robert Moss. Ce livre, publié en 1980, constitua l’archétype anglo-saxon de la dénonciation des manœuvres de retournement du KGB. (Vladimir Volkoff publiait en France, avec infiniment plus de nuances, des ouvrages sur le même thème, comme Le retournement.) Ce que je veux dire par ces divers rappels, c’est que la situation de la communication était alors infiniment complexe et nuancée, et elle ne le fut jamais plus que dans les années 1980, entre les tensions de la crise des euromissiles jusqu’en 1983 et le gorbatchévisme à partir de 1985, où s’activaient, à côté des faucons antisoviétiques un formidable parti pacifiste et détentiste, tandis qu’on retrouvait les mêmes nuances considérables à l’Est et en URSS.

Je me souviens fort bien de cette atmosphère des années 1980, incertaine, insaisissable, pleine de tensions dramatiques mais aussi d’espoirs enthousiastes, avec des failles béantes entre alliés de l’Ouest (bloc BAO) dans les rapports avec l’URSS. A cette époque, tout le monde soupçonnait tout le monde dans tous les sens, justement à cause de cette confusion dont les services de renseignement et d’influence usaient avec habileté, alors qu’eux-mêmes (ces SR) étaient soumis à des différences de tendance qui se marquaient dans des actes concrets. Dans ce climat, les manœuvres étaient faciles, même sans construction élaborée. Je me rappelle avoir été l’objet, en 1988 cette fois [1], d’un soupçon non plus passif mais activement diffusé dans les milieux de sécurité nationale et de communication à Bruxelles, d’être un agent du KGB. Un ami, colonel belge de réserve m’en avait averti, lui-même alerté par le SGR (renseignement belge). Il m’avait précisé que l’“information” venait de la DIA et non de la CIA et avait transité par la DST française avant d’arriver au SGR. Je lui avais demandé sur quelle base reposait cette accusation puisque je n’avais jamais rien écrit de procommuniste ou approchant ; mon ami répondit, avec un sourire ironique : «Justement…», ce qui donnait une mesure de la paranoïa dont bénéficiaient les instigateurs du canard, ma non-activité prosoviétique étant la preuve a contrario de mon rôle d’“agent dormant” … Finalement le SGR rejeta l’accusation selon la conclusion et la décision de l’état-major général (belge), et cet état-major général qui me considérait comme un complet indépendant voulut faire connaître sa position publiquement, dans les milieux concernés, en me proposant une interview du chef d’état-major général, le général Gysemberg, pour ma publication. Cela devait constituer, selon les codes en vigueur, le signe indubitable de cette position de confiance. J’acceptai, certes, pour me débarrasser de ce canard qui pouvait me faire un tort considérable du point de vue de mon statut d’indépendant. Pour le reste, le coup fut aisé à démonter, notamment par des recoupements extrêmement précis et selon des identifications de personnes, de lieux et de dates, qui étaient impliquées dans l’affaire qu’on signale ci-après : à cette époque, la France proposait une coopération Rafale à la Belgique, que je soutenais à fond, et le Pentagone tentait de contrer l’offre avec un projet F-16 Agile Falcon ; comme le coup venait de la DIA, le SR du Pentagone, concluez… Quant à la DST, d’une stupidité sans bornes (et d’ailleurs en désaccord avec la DGSE), elle avait relayé le canard sans en chercher plus loin les causes possibles… Voilà comment était le climat, et vous comprendrez que, dans ces conditions, tout pouvait être imaginé de tout le monde dans la sphère de la communication, sans que rien ne soit tranché. C’était bien une époque où, non seulement il était difficile d’identifier les faux-nez de la CIA, mais où, et c’est la remarque essentielle pour mon propos, cette difficulté pouvait causer des problèmes sérieux si l’on suivait les commentaires et informations d’une source-faux-nez mais non identifiée comme telle ; parce que les nuances infinies des informations pouvaient conduire à de telles erreurs de parcours…

Aujourd’hui, la situation est complètement différente, radicalement modifiée, et elle est à mon avis bien meilleure du point de vue des journalistes, commentateurs, chroniqueurs, notamment et essentiellement pour nous les indépendants et les antiSystème. Je vais énoncer quelques points en faveur de cette appréciation.

• D’abord, l’aspect économique, déjà vu plus haut. Il n’est besoin d’aucun soutien suspect (sponsor, publicité) pour exister dans le système de la communication. Les soutiens par abonnements, et surtout par donation des lecteurs, existent et ils peuvent permettre à un site de lui-même exister, vivre et faire son travail. Nous, à dedefensa.org, nous en savons quelque chose : nous pratiquons la chose depuis l’origine et pratiquement depuis 2008-2009 et l’intégration dans dedefensa.org de la Lettre d’Analyse dd&e devenue dde.crisis (cessation de parution en avril 2012 en tant que telle), nous vivons uniquement grâce aux donations de nos lecteurs, – parfaite et superbe garantie de notre indépendance. La vie n’est pas toujours facile, elle est même souvent angoissante, mais elle se poursuit, – et pourvu que ça dure, hein… Dans la période précédente (jusqu’aux années 1990), une telle situation était impensable parce que vous ne pouviez raisonnablement pas espérer publier (publication-papier, avec tirage imprimerie, distribution, etc.) avec les seules donations de lecteurs, – à moins, encore une fois, du cas d’exception des “Lettres d’information” et d’analyse (abonnements) qui constituaient un coup de dès incroyablement incertain, – et qui demandaient, de toutes les façons, une infrastructure technique et commerciale conséquente.

• Ensuite la situation institutionnelle. Ma religion est faite depuis 9/11, selon le principe imité en l’inversant de la formule juridique bien connue que toute information officielle venant du bloc BAO dans les domaines qui m’importent “est présumée mensongère” à moins que sa véracité puisse être établie (par mes soins). (Voir le texte «Je doute donc je suis», du 13 mars 2003.) Ce mensonge permanent développé en mode-pavlovien, passant du virtualisme à la narrative (voir le 27 octobre 2014), nous donne une paradoxale liberté. (Dieu sait que ce n’était pas le cas dans la période d’avant, jusqu’en 1985-1990, où l’information officielle gardait un certain crédit référentiel, ce qui constituait une difficulté même inconsciente dans le travail d’une éventuelle contestation de cette information.) Cette liberté se trouve dans le fait que nous ne sommes plus contraints sinon prisonniers du prestige impératif de l’institutionnalisation de la source parce que l’institutionnalisation n’est plus en quoi que ce soit une garantie de la validité de la source.

• Cette évolution visible et non dissimulée (voir à nouveau le 13 mars 2003) vers la culture du mensonge de toutes les sources institutionnalisées ne signifie pas une plus grande habileté de ces sources, mais un extrême appauvrissement. Le mensonge type-virtualisme puis type-narrative n’est en rien un sommet de machiavélisme, qui témoigne de la souplesse et de l’habileté de l’esprit, mais tout au contraire le produit de l’effondrement dans le conformisme pavlovien. La culture et l’expérience suivent, dans cette chute vers les abysses. Le niveau des services de renseignement, du point de vue de l’analyse et de l’observation, s’est absolument effondré en vingt ans, et avec eux, la validité et la qualité des opérations qu’ils produisent, y compris la désinformation et la mésinformation. Là-dessus, à cause de l’emploi excessif et exclusif de la méthode virtualisme-puis-narrative, les opinions et les perceptions n’ont cessé de s’exacerber vers les extrêmes, rendant bien plus facile pour ceux qui se trouvent en-dehors du circuit-Système que ces gens représentent, l’identification des montages de narrative par rapport aux vérités de situation qui importent. Y a-t-il un exemple plus flagrant de cette extraordinaire disparité que la crise ukrainienne où, au même instant, dans un même lieu, un côté vous dit “il fait grand soleil” et l’autre “il pleut à verse” ? Si vous avez une position politique, si vous avez de l’expérience, notamment depuis 9/11, si vous suivez l’évolution du Système, quelle difficulté y a-t-il à distinguer ce qui vient du Système ? Aucune… Vous pouvez ainsi déterminer une position de principe vis-à-vis de l’information et, là, commencer un travail de raffinement, d’enquête, qui est l’aspect le plus passionnant de la chose.

• C’est là où je veux en venir, pour répondre directement à la préoccupation (qui est un faux-nez de la CIA, qui ne l’est pas ?). Ma réponse est : aucun intérêt, bottez en touche cette question du faux-nez vers l’inconnaissance. Ce qui importe, c’est la valeur de l’information elle-même, pas la vertu de l’informateur : que m’importe au départ qui se cache derrière le Saker ou ZeroHedge.com dès lors que les informations qu’ils publient me satisfont d’une façon ou l’autre, – après enquête sur la valeur et la validité des informations, certes… L’enquête dont je parle (“commencer un travail de raffinement, d’enquête”) consiste à déterminer le crédit de l’information, et ce travail quelle que soit la source (Système ou antiSystème, – car toutes les sources sont susceptibles de céder plus ou moins à la tentation d’en rajouter ou bien s’en tiennent à la rigueur du propos, – à déterminer). Cette enquête demande de l’expérience, de la connaissance, du bon sens, l’art de la confrontation entre des domaines différents et enfin de l’intuition en fonction de positions fermement arrêtées selon des références principielles que vous vous êtes données. C’est alors, justement, à partir de ces enquêtes, qu’on “remonte à la source” et qu’on peut qualifier la source de “crédible” ou non en général, et la juger estimable, courageuse, etc. Il est beaucoup plus nécessaire de donner un label de qualité intellectuelle à une source que de déterminer si elle est faux-nez de la CIA ou pas (Système ou antiSystème). Par exemple, si vous prenez le cas de DEBKAFiles (à propos, – à condition que le site redémarre), vous savez que c’est plus ou moins un relais du Mossad mais vous devez savoir aussi que dans les informations diffusées, à côté des déchets de désinformation/mésinformation, se nichent quelques éléments qui peuvent être très intéressants pour la vérité de la situation. (Et même … Leurs nouvelles de désinformation/mésinformation ont de l’intérêt pour savoir ce qu’ils voudraient que vous croyiez.)

• La conclusion de tout cela, pour moi, pour mon compte et pour la philosophie du site dedefensa.org, se trouve dans le plus grand avantage qu’il y a à naviguer à ciel ouvert, à se présenter tel qu’on est, à clarifier sans la moindre ambiguïté l’engagement qu’on suit, à refuser le vrai faux-nez de la “vertu” de l’objectivité, qui s’apparente vite à une vertu-Système. Je considère comme absolument trompeur de se prétendre “objectif” et affirmer donner l’information juste et objective dans une époque qui répudie évidemment l’objectivité par absence de références. Au contraire, il faut affirmer son engagement qui est dans un champ autre que celui de l’objectivité, – dès lors qu’on sait bien que l’objectivité sera l’objectivité-Système institutionnalisée, c’est dire… Par les temps qui courent, dans une époque aussi extraordinaire, une telle attitude est évidente, les enjeux étant à la fois clairement identifiables et d’une puissance considérable. Il faut savoir ce que l’on est et ce que l’on veut, et il faut le dire. Je suis sûr qu’on vous en sera reconnaissant.

 

Note :

[1] … Et non 1987 comme indiqué primitivement dans ce même texte. (Note incluse le 23 octobre 2014 à 15H30.)

Source : P Grasset

Et si la CIA achetait directement les lecteurs de la presse allemande ?

Daniele Pozzati, spécialiste des médias, notamment allemands, du site RI, développe quelques observations festives concernant l’évolution du succès d’influence (et donc commercial), ou plutôt de l’insuccés grandissant de la presse-Système, en Allemagne, depuis la sortie du livre de Udo Ulfkotte, Gekaufte Journalisten (pour une fois, donnons le titre en allemand, après l’avoir évoqué en français, notamment le 20 novembre 2014). On rappelle que Ulfkotte détaillait la façon dont la CIA avait purement et simplement acheté une part importante du corps des journalistes allemands, exactement comme le maquignon, à la foire aux bestiaux, enrichit son patrimoine d’une espèce particulièrement succulente et efficace, – type charolais, si l’on veut…

La nouvelle que nous apporte Pozzati est que la publication du livre de Ulfkotte, dont le succès ne se dément pas malgré le blackout de la presse-Système, a eu un effet dévastateur sur l’audience et la fréquentation des sites de la grande presse-Système allemande. Un tel effet commençait déjà au mois de septembre, suite aux excès antirusse de la presse allemande (l’affaire de la destruction du vol MH17) mais la courbe devient un effondrement en octobre. Pozzati fournit un ensemble de graphiques de l’analyse d’audience par le système Alexa, une société de comptage de fréquentation travaillant pour Google, montrant cet effondrement d’octobre 2014, de six publications maîtresse de la presse-Système : Stern, FAZ, Focus, Spiegel, Die Welt, Zeit.

«They call it the Ulfkotte-effect. And it’s beginning to resemble an avalanche. Since the publication of Udo Ulfkotte’s “Gekaufte Journalisten“in September – now a n°1 Amazon bestseller, in which he charges that the CIA regularly bribes top German journalists, himself included, – German readers’ disaffection towards their mainstream media appears to have crossed a point of no return.

»Granted, sales of newspapers and magazines have fallen everywhere, not just in Germany. But this is different. This is a boycott that is affecting web traffic. Germans are steering clear of mainstream media websites. Many Germans have not been too shy to announce their intention on social networks. Some have uploaded videos calling for a boycott on YouTube. Others have created groups calling for the same on Facebook. The other visible result of reader disaffection has been that throughout September the number of unique visitors to six major German newspapers and magazines was falling steadily. In October, it simply sank.

»Yet up until early summer these same websites had been generating a large and stable amount of traffic. This is an unprecedented trend, and one that is wholly distinct from the fall in newspaper sales generally. […] The Spiegel’s infamous “Stoppt Putin Jetzt” July 29 cover apparently played a key role in incensing public opinion. An official readers’ complaint against Der Spiegel’s cover was upheld in August by the German Press Council. The latter ruled that the pictures of MH17 victims on the cover had been “instrumentalized in the context of a political statement.”

»Germany’s print media was warned even before that, on April 28, when Cicero, a leading German monthly, published a column titled: “Pride after the Fall”. The captions read: “Newspapers die. The reason: they go against their readers. The current Russia reporting is an example. That’s not the way to engage with readers.” The author, Alexander Kissler wrote: “Every quarter the newspapers sector grieves. This is when plummeting circulation figures are released. The curve travels from top left to bottom right, in fact it is not a curve anymore, but a straight line, unstoppable on its way to Zero.”»

Il s’agit d’une analyse particulièrement impressionnante, qui constitue une première dans le monde de la communication, par sa brutalité, par sa rapidité, par sa connectivité entre une tendance si marquée et des événements clairement identifiés. L’avantage de l’internet à cet égard, par rapport aux sites de la presse-Système, c’est qu’il permet des actes instantanés, immédiatement comptabilisables, qui constituent des manifestations concrètes d’opinion. Il y a dans ce cas bien plus qu’une mesure quantitative d’audience, mais bien une mesure quantitative d’audience par rapport à la qualité du travail fournie.

Cela nous conforte dans l’appréciation que nous donnions dans le texte du 20 novembre 2014, dans le chef de Philippe Grasset, sur la qualité (justement) de l’action de la CIA avec ses annexes du BND allemand vis-à-vis de la presse, – telles que rapportées par Ulfkotte dans son livre. Il nous paraît de plus en plus évident que ces méthodes, et leurs effets qui sont à mesure dans les domaines de la grossièreté et de la crédibilité, sont bien entendu la cause essentielle de la désaffection du public à cause de ces caractères d’une telle médiocrité brutale ; tout cela forme un véritable événement qui devrait se traduire par un impact important au niveau commercial des ventes de la presse allemande sous contrôle de la CIA… PhG écrivait ceci concernant les méthodes que décrit Ulfkotte, notamment par rapport aux “anciennes“ méthodes des années1970-1980 qu’il avait connues :

«C’est pourquoi les méthodes actuelles, telles que les présente Ulfkotte, me paraissent stupéfiantes de grossièreté, d’impudence maladroite, finalement extrêmement contre-productives. Il me semble insensé d’imaginer, en 1978 ou en 1982, un homme d’USIS, ou même de la CIA si et quand le contact était établi, glissant à un journaliste soi-disant “recruté” un texte rédigé par ses services et lui disant : “mettez votre signature ici et publiez !” […]

»La description que donne Ulfkotte des méthodes de recrutement et de manipulation des journalistes professionnels de la grande presse par les USA en Europe aujourd’hui est complètement surréaliste par rapport à ce que j’en ai connu ; elle est aussi complètement stupide et absurde, attendu que cette “grande presse” a évolué de son côté en presse-Système et se trouve elle-même continuellement sur la voie de la conformité… Mais il n’y a aucune raison de douter de sa description, et cela permet alors de mesurer le chemin de décadence, sinon de la chute, parcouru par l’appareil d’influence et de sécurité nationale de l’américanisme. L’orientation prise est en effet caractéristique du développement de la politique-Système, de la surpuissance de tous les aspects de cette politique, de sa “brutalisation” à outrance, de la plongée de la perception du monde dans des narrative invraisemblables. La CIA (ou le BND, ou n’importe quoi) opère à visage découvert, sans souci ni d’apparence convenable, ni de formalisme professionnel, ni de vraisemblance des informations, exerçant des pressions même sur ceux qui leur sont acquis, qui sont déjà dans le cours de la presse-Système. L’information “sous influence” (sous influence de la CIA ou sous influence du BND, – ou sous influence du Système, pour mettre tout le monde d’accord) devient chaotique comme la décrit Ulfkotte (“Some major voices are very reasonable about Russia, but most are negative, and some are comically apocalyptic”), et le résultat est une communication de plus en plus extrême, de plus en plus désordonnée, de plus en plus invraisemblable, c’est-à-dire au bout du compte de plus en plus fragile, de moins en moins substantivée, flottant dans une sorte d’éther où chaque chose semble isolée de ses causes et de ses conséquences, et où son crédit, sa vraisemblance, ne résisteraient pas une seconde à une simple mise en perspective.»

… Effectivement, dans de telles conditions et pour faire cesser ce mouvement inacceptable de non-consultation des nouvelles dispensées par la presse-Système, la seule solution raisonnable semble être, pour la CIA, d’acheter les lecteurs de la presse-Système allemande pour qu’ils poursuivent héroïquement leurs lectures selon les consignes données. A part cette solution radicale, qui serait pourtant bien dans les manières du Système, les perspectives sont extrêmement sombres pour la presse-Système, en Allemagne bien entendu, mais en Europe en général. (On place les USA à part, où l’identification de l’Ukraine et sa position géographiques reste une pré-condition assez peu souvent rencontrée à une lecture des nouvelles à cet égard.) L’affaire ukrainienne et l’hostilité vis-à-vis de la Russie devant se poursuivre à très grande vitesse, et même selon un rythme accéléré à notre estime, bien entendu sans aucun espoir de changement de la part du bloc BAO, et cela dans l’atmosphère d’affirmation et de réaffirmation surréaliste de la narrative qu’on connaît, il apparaît désormais très possible que la presse-Système en tant qu’institution rencontre des conditions d’effondrement, et de son crédit, et éventuellement de son existence … Pozzati termine son article de cette façon : «And it still looks like just the beginning. Has the time come to print a book titled: “2019: The Last Copy of Der Spiegel?” – if the German print media will survive even until then, that is.»

Source : P Grasset


(Billet édité : La source ayant recueilli ce témoignage réel en 2014, ayant diffusé en 2018 certains propos non acceptables, nous avons rétroactivement modifié ce billet pour masquer son nom conformément à notre politique visant à ne faire aucune publicité à des sites douteux. Merci au lecteur nous l’ayant signalé)

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