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L’horrible campagne de Clinton en 2016 a aggravé nos relations avec la Russie

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Des révélations récentes prouvent qu’Hillary Clinton a joué un rôle direct dans la diffusion des accusations, aujourd’hui discréditées, qui ont alimenté la frénésie du Russiagate – un épisode qui a rendu encore plus difficile la tâche déjà ardue de mener une politique rationnelle vis-à-vis de la Russie.

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Hillary Clinton s’adressant à une foule à Raleigh, en Caroline du Nord, lors de sa campagne présidentielle en 2016. Logan Cyrus / AFP via Getty Images)

Dans le système médiatique américain bipolaire d’aujourd’hui, les organes de presse les plus favorables aux Démocrates et aux Républicains, respectivement, ont tendance à se concentrer sur les scandales du parti opposé, ce qui signifie qu’une ou plusieurs parties du public passent constamment à côté des informations essentielles.

Prenez certaines des révélations qui ont été faites dans le cadre de l’enquête de l’avocat spécial John Durham, créée par l’ancien procureur général William Barr dans les derniers jours de l’administration de Donald Trump pour explorer les origines de l’enquête Trump-Russie qui a obsédé l’establishment pendant des années. Largement couverte par la sphère médiatique de droite, un nombre comparativement plus faible de consommateurs d’informations de gauche sont probablement au courant de leur existence. Ce qui signifie qu’ils ne sont pas non plus au courant des nouvelles informations sur le rôle direct d’Hillary Clinton dans la fomentation des terribles relations entre les États-Unis et la Russie qui nous ont maintenant rapprochés de manière alarmante du péril nucléaire.

Les révélations qui ont fait les gros titres les plus récents et les plus sensationnels ont trait à l’histoire de la banque Trump-Alfa, dont vous vous souvenez peut-être comme l’un des premiers scandales clés établissant l’idée d’un lien entre Trump et la Russie dans l’imagination du public pendant l’élection de 2016, et contribuant à jeter les bases de ce que nous connaissons sous le nom de Russiagate.

L’accusation était que la communication, ou pinging, entre un serveur qui hébergeait une adresse de domaine de l’organisation Trump et un serveur appartenant à la banque russe Alfa Bank laissait supposer l’existence d’un backchannel, ou selon les termes de la campagne Clinton, d’une « hotline secrète » entre Trump et Moscou. Les nombreuses enquêtes qui ont suivi n’ont rien donné et de nombreux médias ont refusé de reprendre l’affaire. À l’époque et depuis, les observateurs ont proposé des explications plus anodines pour cette activité.

En tout cas, la bombe qui a obsédé les médias conservateurs ces dernières semaines est que Clinton elle-même était personnellement impliquée dans la diffusion de l’histoire, pour être charitable, non prouvée. Robby Mook, acolyte de longue date de Clinton et directeur de la campagne 2016, a déclaré qu’après avoir accepté, avec d’autres hauts responsables de la campagne, de diffuser l’histoire de l’Alfa Bank à la presse, ils en ont « discuté avec Hillary, qui a approuvé la décision ». Mook et l’ancien conseiller général de la campagne Clinton, Marc Elias, ont tous deux déclaré qu’ils voulaient spécifiquement diffuser l’histoire par le biais de la presse, plutôt que de s’adresser aux autorités.

« S’adresser au FBI ne semble pas être un moyen efficace de diffuser des informations au public, a déclaré Mook. Vous le faites par le biais des médias. »

Le reste est dans les archives publiques. Une fois l’histoire publiée, la campagne en a fait la promotion et l’a présentée comme « le lien le plus direct à ce jour entre Donald Trump et Moscou », sans, bien sûr, reconnaître son propre rôle dans sa divulgation au public. Le rapport, combiné à une foule d’autres reportages douteux qui ont suivi, a contribué à établir le scandale du Russiagate qui a pratiquement dominé la politique pendant les trois années suivantes.

Le pire, c’est que, selon l’acte d’accusation prononcé par les procureurs dans l’affaire particulière dont ce témoignage est issu, l’un des chercheurs qui a travaillé sur l’histoire était très explicite sur ses doutes à ce sujet. « Supposons à nouveau qu’ils ne soient pas assez intelligents pour réfuter notre scénario, dans le meilleur des cas, a-t-il écrit. Vous vous rendez compte que nous devrons dévoiler toutes les astuces que nous avons utilisées pour ne serait-ce que faire une association tirée par les cheveux ? […] La seule chose qui nous motive à ce stade est que nous n’aimons pas [Trump]. Cela ne passera pas aux yeux de l’opinion publique. Les amis, nous regardons le problème par le mauvais bout de la lorgnette. Il est temps de se regrouper ! »

C’est déjà assez mauvais. Mais ces dernières révélations viennent s’ajouter à plusieurs autres dont nous avons eu connaissance précédemment. En octobre 2020, le directeur du renseignement national de l’époque, John Ratcliffe, a déclassifié les notes manuscrites caviardées du briefing de l’ancien directeur de la CIA, John Brennan, au président Barack Obama, dans lesquelles il mettait en garde contre « l’approbation présumée par Hillary Clinton, le 28 juillet, d’une proposition de l’un de ses conseillers en politique étrangère visant à vilipender Donald Trump en provoquant un scandale prétendant l’ingérence des services de sécurité russes. »

D’autres déclassifications ont montré qu’en septembre 2016, des responsables du renseignement ont envoyé au FBI un rapport d’enquête sur « l’approbation par Hillary Clinton d’un plan concernant le candidat à la présidence des États-Unis Donald Trump et des pirates informatiques russes entravant les élections américaines comme moyen de distraire le public de son utilisation d’un serveur de messagerie privé. » Tout cela se situe encore plus maladroitement au-dessus de toutes les révélations sur l’implication profonde de la campagne Clinton dans le dossier Steele maintenant discrédité et truffé de conneries, probablement la pièce la plus fondamentale de tout le scandale du Russiagate.

Par ailleurs, il semblerait que le conseiller en politique étrangère qui aurait proposé d’alimenter le scandale du Russiagate soit le fidèle Jake Sullivan, qui avait à l’époque diffusé l’histoire de l’Alfa Bank. Sullivan est maintenant le conseiller à la Sécurité nationale du président Biden, ce qui signifie qu’il est au cœur des choix politiques actuels de l’administration concernant la Russie et la guerre en Ukraine.

Pour la droite, l’histoire est importante car elle révèle l’anatomie d’une campagne démocrate de coups bas, une tentative d’utiliser des fuites anonymes dans la presse et des collectes de renseignements dans l’ombre pour saper un président élu et jeter le doute sur la légitimité d’une élection ; bien qu’il soit un peu fort de café que ces plaintes proviennent du Parti républicain, qui a une histoire chargée d’utilisation d’exactement les mêmes types de techniques (y compris en 2020 et lors des prochains midterms à venir).

La signification plus profonde de cet épisode est, à mon avis, ailleurs. La conséquence la plus grave et la plus durable du fiasco du Russiagate est qu’en liant les perceptions publiques de la Russie à la guerre partisane intérieure empoisonnée de l’Amérique, il a contribué à envoyer les relations américano-russes, déjà mauvaises, vers de nouveaux abysses, avec des conséquences potentielles périlleuses pour les relations internationales en général et le risque de confrontation nucléaire en particulier. Aujourd’hui encore, les États-Unis sont uniques au monde dans la mesure où la « négociation » est un gros mot, une attitude qui, dans un renversement marqué par rapport aux années de la Guerre froide, est très majoritairement concentrée dans les cercles libéraux.

Trump, qui avait laissé entendre qu’il pourrait être ouvert à des relations plus amicales avec le pays, est rapidement devenu probablement le président anti-russe le plus agressif depuis la fin de la Guerre froide, déchirant les traités de contrôle des armements et augmentant les tensions avec le pays en prenant des mesures considérées auparavant comme impensables et trop provocantes pour être prises. Un fait qui n’est toujours pas vraiment reconnu par la plupart des libéraux bien intentionnés, parce que les médias ont choisi de se fixer exclusivement sur ce que Trump a dit, et non sur ce qu’il a réellement fait.

Clinton et son équipe ne méritent pas tout le blâme pour cela. De nombreux politiciens et médias ont attisé l’hystérie Trump-Russie qui nous a conduits à ce moment pour faire de l’audience et attirer l’attention, et ils l’ont fait pendant des années. Mais c’est Clinton qui a mis le feu aux poudres, et le plus déprimant, c’est que si elle avait mené une campagne à moitié moins compétente – ou si elle avait pris la peine de faire campagne dans la Rust Belt – tout cela aurait pu être évité. Et nous pensions tous que la défaite face à Trump était la pire chose à retenir de cette épouvantable campagne de 2016.

A propos de l’auteur

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden [L’homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT]. Il vit à Chicago, dans l’Illinois.

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic, 13-06-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

Lev // 02.07.2022 à 10h09

La guerre fait tourner l’économie américaine a plein régime ; l’économie américaine est sous perfusion guerrière depuis les années 1942/43. Démocrates ou Républicains sont les partis de ces milieux belliqueux. On en a un bel exemplaire à la tête des USA actuellement. À peine sorti du bourbier afghan, il allume un foyer de guerre en plein continent européen en s’appuyant sur des forces qu’on croyait éliminées, en utilisant les armes de la corruption.
Les mêmes méthodes, l’appui des mêmes forces corrompues pour le démantèlement de la Yougoslavie.
Clinton Bill, Obama, Clinton Hilary, Trump, Biden il y a une continuité dans la politique américaine.
Ce qui ne signifie pas justification de la politique de Poutine.

12 réactions et commentaires

  • Samba // 02.07.2022 à 09h37

    CQFD! Et la preuve que la virilité n’est pas que le fait des mâles… comme je le précisais précédemment en évoquant « le coût de la virilité », à la grande angoisse de certains!!!
    Les méfaits du pouvoir et de ses courtisans ont encore de beaux jours devant eux mais BHL a perdu son procès contre Blast. Pour Assange, par contre, les démocraties sont de terribles contre-exemples, L’humain est loin d’être la meilleure des espèces!

      +12

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    • Yakafokon // 03.07.2022 à 07h57

      Ce qui prouve une fois de plus, que toutes les guerres sont engendrées par des gouvernements démocrates.
      Mais ce sont toujours les républicains qui se font tuer sur les champs de bataille !
      Donald Trump est sous le coup d’une inculpation, concernant sa participation à l’assaut contre le Capitole.
      En réalité, ce qui lui est reproché est beaucoup plus grave ! Rendez-vous compte : en homme d’affaires avisé, il préférait faire du business avec la Russie, que lui faire la guerre !
      De plus, il considérait que l’ O.T.A.N. était en état de  » mort cérébrale  » et coûtait trop cher aux Etats-Unis !
      Bref, de quoi passer plusieurs fois ( par sécurité ) sur la chaise électrique !

        +5

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  • Lev // 02.07.2022 à 10h09

    La guerre fait tourner l’économie américaine a plein régime ; l’économie américaine est sous perfusion guerrière depuis les années 1942/43. Démocrates ou Républicains sont les partis de ces milieux belliqueux. On en a un bel exemplaire à la tête des USA actuellement. À peine sorti du bourbier afghan, il allume un foyer de guerre en plein continent européen en s’appuyant sur des forces qu’on croyait éliminées, en utilisant les armes de la corruption.
    Les mêmes méthodes, l’appui des mêmes forces corrompues pour le démantèlement de la Yougoslavie.
    Clinton Bill, Obama, Clinton Hilary, Trump, Biden il y a une continuité dans la politique américaine.
    Ce qui ne signifie pas justification de la politique de Poutine.

      +17

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    • Dominique65 // 02.07.2022 à 10h43

      La politique extérieure de Poutine est plus subie que choisie. À l’époque où il pouvait faire des choix, sa politique était pro-occidentale. Par contre, ses n-ièmes réélections sont de sa responsabilité à 100%.

        +1

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      • Lev // 02.07.2022 à 14h38

        @ Dominique 65
        Poutine s’est pris le droit d’ingérence. Est-ce plus justifiable qu’en Libye ?
        J’en doute.
        Toutes les pistes diplomatiques avaient-elles été explorées ? Je n’en sais rien.
        Les Occidentaux ont-ils tout fait pour forcer l’intervention russe. Sans doute.

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        • scc // 04.07.2022 à 19h04

          La diplomatie occidentale se réduit aux menaces de sanctions. Je ne vois pas trop ce que la diplomatie russe pouvait espérer obtenir. Le fait que Serguei Lavrov ait déclaré fin 2021 qu’il n’attendait plus rien de l’Occident en dit long.

            +7

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    • 6422amri // 02.07.2022 à 11h58

      La Yougoslavie a été démantelé par les haines ancestrales locales. Tito quand il rencontre Jimmie Carter, la dernière fois, lui dit – Après mois ce sera la fin de ce pays – il avait raison.

      L’est et l’ouest ont choisi leurs champions, leurs adversaires dans cette guerre.

        +3

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      • christian gedeon // 03.07.2022 à 06h42

        Très lapidaire cette explication. L’ouest a bombardé (déjà) à tout-va, livre Arles munitions, envoyé des troupes au sol, monté ou cautionné des manipulations comme celles du « bombardement du marché de Sarajevo, n’est ce pas? Il ne semble pas, sauf erreur de ma part, que l’est ait eu ce denrée de gestes «  humanitaires »!

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    • Hiro Masamune // 04.07.2022 à 16h11

      1941 en fait , je lisais l’autre jours des témoignages d’anciens aciéristes de la « rust belt » et la liste des avantages sociaux et en nature qui a été concédée dès Février ne peut pas être due qu’au hasard.
      Comme quoi , quand on veut …

        +0

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  • RGT // 02.07.2022 à 10h21

    N’oublions JAMAIS qu’élection = pognon.
    Et des sommes énormes sont en jeu pour le camp du « vainqueur ».

    Alors comme partout les coups tordus, s’ils sont bien utilisés (dans ce cas les médias, mais c’est aussi une tradition dans toutes les transactions impliquant du pognon – souvenez-vous d’Alstom par exemple) sont utiles et s’il s’avère ensuite qu’ils étaient bidons ou déformés une fois que la vérité éclate il est beaucoup trop tard.

    Remontez toujours à la source d’une information. Ça vous permettra de pouvoir déterminer sa crédibilité et surtout e savoir à qui profite cette information.

    Que ce soit en politique ou dans n’importe quel autre domaine d’ailleurs.

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    • Dominique65 // 02.07.2022 à 10h46

      « Remontez toujours à la source d’une information. Ça vous permettra de pouvoir déterminer sa crédibilité »
      Cela semble avoir été oublié par au moins un journaliste du Point.

        +2

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      • Yakafokon // 03.07.2022 à 08h40

        Je dirais plutôt : par tous les journalistes français, dont aucun ( à part deux journalistes femmes dont il faut saluer le courage, et Christelle Néant qui vit à Donetsk ), ne s’est rendu dans la partie du Donbass qui est sous les bombes des nazis ukrainiens !
        Bien à l’abri dans la partie Ouest de l’Ukraine, à Kiev ou à Lviv, ils jouent à se faire peur, en reprenant sans les vérifier sur place, toutes les fake-news ukraiennes !
        Et ça se dit  » journalistes  » !
        Pour ma part, je fais plutôt confiance à Xavier Moreau, et à son site https://stratpol.com

          +7

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