Les Crises Les Crises
26.novembre.201926.11.2019 // Les Crises

La procédure de destitution et l’intégrité de la politique étrangère – Par Paul R. Pillar

Merci 86
J'envoie

Source : Lobe Log, Paul R. Pillar, 21-10-2019

Donald Trump (Gage Skidmore via Flickr)

Parmi les nombreux développements liés à la destitution ces dernières semaines, il existe un contraste largement négligé avec les cas des trois présidents précédents qui ont fait l’objet d’une procédure de destitution : les relations extérieures des États-Unis sont au centre de la procédure de destitution contre Donald Trump. La destitution d’Andrew Johnson impliquait un différend avec le Congrès au sujet des pouvoirs de nomination présidentielle, qui s’inscrivait dans un désaccord politique plus large entre Johnson et la faction dominante au Congrès au sujet de la reconstruction après la guerre civile. Les infractions de Richard Nixon étaient centrées sur la dissimulation d’activités criminelles menées aux États-Unis à des fins politiques partisanes, ainsi que sur l’obstruction à la justice et l’abus de pouvoir. Bill Clinton a été destitué parce qu’il ne s’est pas montré coopératif au sujet d’un différend avec une stagiaire. Les événements qui se sont déroulés au-delà des frontières du pays n’ont pratiquement joué aucun rôle dans ces cas. Mais ce qui a le plus dynamisé le mouvement actuel en faveur de la destitution de Trump, c’est sa subordination des relations des États-Unis avec les pays étrangers, et en particulier l’Ukraine, à ses efforts pour déterrer des ignominies sur ses opposants politiques.

Abstraction faite de toute évaluation du comportement de Trump et de la façon de le juger, l’accent mis sur les relations étrangères devrait être rafraîchissant pour quiconque se préoccupe de la politique étrangère américaine et déplore le manque d’attention que la politique américaine accorde à de nombreuses questions importantes de politique étrangère. Cette lacune est une tendance de longue date, enracinée dans le simple fait que la plupart des électeurs américains se soucient naturellement davantage de ce qu’ils peuvent voir et ressentir près de chez eux que des aspects des relations extérieures des États-Unis qui peuvent en fin de compte affecter leurs intérêts mais dont ils sont peu ou pas conscients. L’Ukraine est un grand pays qui occupe une place prépondérante dans les relations avec la Russie, la sécurité européenne et l’évolution politique post-communiste, mais sans les nouvelles concernant les agissements de Trump et de Rudy Giuliani, la plupart des Américains auraient du mal à identifier même les faits les plus élémentaires sur l’Ukraine.

En ce qui concerne les relations étrangères, l’histoire actuelle de la procédure de destitution qui monopolise l’attention des médias devrait être un moment d’enseignement pour la nation au sujet de deux principes importants. Le premier est que la politique étrangère et les relations extérieures des États-Unis devraient être guidées uniquement par les intérêts supérieurs de l’ensemble des États-Unis, et non par les intérêts personnels ou partisans de quiconque exerce le pouvoir à ce moment. La violation de ce principe signifie que les intérêts américains sont mal servis, parce que ces intérêts sont souvent différents de ceux qui sont plus personnels ou partisans.

L’autre principe est qu’il ne devrait y avoir aucune participation de pays étrangers ou d’intérêts étrangers à la politique intérieure des États-Unis, et qu’aucun Américain ne devrait accepter une telle participation étrangère. La violation de ce principe signifie également que les intérêts américains, qui ne sont jamais identiques aux intérêts étrangers, sont mal servis. En outre, cela signifie que les États-Unis n’auraient plus un gouvernement du, par et pour le peuple américain, mais qu’ils seraient en partie de, par et pour quelqu’un d’autre.

Les Pères fondateurs estimaient que ces principes étaient importants, comme en témoigne le Fédéraliste [Le Fédéraliste est un recueil de 85 articles publiés en 1788 pour promouvoir une nouvelle constitution des États-Unis, NdT]. Les priorités des auteurs sont reflétées dans le fait qu’après un essai introductif d’Alexander Hamilton, les quatre articles suivants, écrits par John Jay, portaient sur ce sujet, sous le titre « Concernant les dangers de la force et de l’influence étrangère ». L’un des thèmes majeurs de la défense de la Constitution nouvellement rédigée par le Fédéraliste était le besoin d’unité des Américains, et cela s’appliquait aux relations étrangères au moins autant qu’à toute autre chose. Comme James Madison l’a dit dans l’article numéro 42 : « Si nous voulons constituer une seule nation à quelque égard que ce soit, il est clair que celle-ci devrait l’être à l’égard des autres nations ».

Obstacles à l’apprentissage

L’utilisation des possibilités d’enseignement actuelles se heurte à trois obstacles majeurs. L’un est la tendance à amalgamer la question de l’intégrité de la politique étrangère avec les désaccords de fond sur le contenu de la politique étrangère. Les messages importants concernant les premiers sont brouillés par les désaccords sur les seconds. C’est ce qui se passe aujourd’hui, alors que les attaques véhémentes contre la politique syrienne de Trump se confondent avec les critiques anti-Trump et ses efforts violant l’intégrité pour amener les gouvernements étrangers à trouver des ignominies sur ses opposants politiques. Nonobstant toute critique valable à l’égard de la politique syrienne, ce problème ne semble pas impliquer, de la même manière que dans le cas de l’Ukraine, une subordination inappropriée d’une relation aux intérêts personnels et partisans – à moins que les politiques de Trump ne soient motivées par ses intérêts commerciaux en Turquie et par le désir de rester en bonne grâce avec le président turc pour ces intérêts.

Un deuxième obstacle est la complexité de quelque chose comme l’histoire brouillonne de Trump/Giuliani/Ukraine et la difficulté que la plupart des Américains auront à la comprendre complètement. La difficulté serait là même sans l’obscurcissement causé par les publicités pro-Trump qui perpétuent des mensonges flagrants sur les opposants de Trump et la volonté des entreprises de technologie à but lucratif et de certains médias de diffuser de telles publicités. L’histoire du désordre sous-jacent semble devenir encore plus compliquée de jour en jour, comme par exemple avec les révélations sur les manigances secondaires que les associés de Giuliani avaient pratiquées au cours de leur recherche et pour lesquelles ils ont été inculpés.

La Présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, aurait estimé que l’aventure de l’Ukraine est une pièce maîtresse de la destitution, en partie parce qu’il serait plus facile à comprendre pour le public que de nombreux autres crimes de Trump, y compris ceux mentionnés dans le rapport de Robert Mueller sur l’ingérence électorale russe et les obstructions à la justice qui y sont liées. Reste à voir si Pelosi a raison à ce sujet. Si la Présidente cherche des infractions de Trump qui sont faciles à comprendre pour le public, elle ferait peut-être mieux de se concentrer sur le mélange éthiquement aveugle de Trump entre la gouvernance et les affaires personnelles, comme en témoigne sa tentative de tenir le prochain sommet du G-7 dans un de ses centres de villégiature sous-performants avant de reculer après une critique généralisée de ces transactions personnelles flagrantes.

Acceptation partisane d’actes répréhensibles

Le troisième obstacle est que l’inclination à ne rien voir de mal à manipuler les relations étrangères pour saper les opposants politiques nationaux va bien au-delà de Trump et de son administration. L’inclination est enracinée dans l’opinion, qui s’est répandue au cours des vingt-cinq dernières années parmi beaucoup de ceux qui s’identifient à l’un des deux principaux partis, que les membres de l’autre parti sont tout aussi mauvais que les adversaires étrangers et méritent donc d’être traités comme des adversaires étrangers. Lors d’un rassemblement de Trump à Dallas la semaine dernière, l’un des orateurs chauffeur de salle, le lieutenant-gouverneur du Texas Dan Patrick, a déclaré que les libéraux « ne sont pas nos adversaires ; ils sont nos ennemis ». Ou considérez la comparaison qu’un sénateur républicain a faite plus tôt cette année en exprimant son opposition à toute concession à l’Iran visant à apaiser les tensions, disant que les Iraniens « sont presque aussi mauvais que les démocrates à l’heure actuelle ».

Lorsque les démocrates sont considérés comme des ennemis et même pire que les Iraniens, il devient facile de considérer comme normal et patriotique le fait de saper leurs perspectives électorales par tous les moyens possibles, y compris en renversant la politique étrangère américaine à cette fin. Avec un tel état d’esprit, il n’est peut-être pas surprenant que le chef d’état-major par intérim de la Maison-Blanche, Mick Mulvaney, ait admis que la recherche d’ignominies était une contrepartie de l’aide américaine à l’Ukraine. Les mots sont sortis de sa bouche facilement parce que Mulvaney, en guerrier partisan dévoué qu’il est, ne peut vraiment rien voir de mal dans un tel arrangement.

Accorder de l’attention à la question des relations extérieures de l’histoire de la procédure de destitution ne revient pas à douter de l’importance de tous les autres aspects, y compris de la manière dont la conduite du président a mis en péril les institutions démocratiques des États-Unis et entravé à plusieurs reprises la justice. Mais les leçons sur les relations extérieures sont également importantes, et elles s’appliquent à des problèmes qui vont bien au-delà de Donald Trump et de la question de savoir s’il reste ou non.

Paul R. Pillar est Senior Fellow non résident au Center for Security Studies de l’Université de Georgetown et Associate Fellow du Center for Security Policy de Genève. Il a pris sa retraite en 2005 après une carrière de 28 ans dans la communauté du renseignement aux États-Unis. Il a notamment occupé les postes d’agent de renseignement national pour le Proche-Orient et l’Asie du Sud, de chef adjoint du DCI Counterterrorist Center et d’adjoint exécutif du directeur du renseignement central. Il est un ancien combattant de la guerre du Vietnam et un officier à la retraite de la Réserve de l’armée américaine. M. Pillar est diplômé du Dartmouth College, de l’Université d’Oxford et de l’Université de Princeton. Ses ouvrages comprennent Negotiating Peace (1983), Terrorism and U.S. Foreign Policy (2001), Intelligence and U.S. Foreign Policy (2011) et Why America Misstandands the World (2016).

Source : Lobe Log, Paul R. Pillar, 21-10-2019

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs - et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation. 

Commentaire recommandé

Fritz // 26.11.2019 à 07h39

Mais c’est quoi ce texte ? Je rêve ? « il ne devrait y avoir aucune participation de pays étrangers ou d’intérêts étrangers à la politique intérieure des États-Unis, et aucun Américain ne devrait accepter une telle participation étrangère ». Donc les Yankees peuvent s’ingérer partout dans le monde, détruire et affamer les pays qui leur déplaisent, imposer leur malbouffe, manipuler les élections et organiser des coups d’État, mais nul ne devrait intervenir dans leur sanctuaire – celui qu’ils ont volé aux Amérindiens, les vrais Américains ?

« Lorsque les démocrates sont considérés comme des ennemis et même pire que les Iraniens » : parce qu’il est sacrilège de comparer des surhommes yankees à des sous-hommes perses ?

On ferait bien de couper le robinet de blabla en provenance d’Amérique, fût-il ouvert par des Yankees « dissidents » ou « critiques ». Eux aussi sont des Yankees bourrés de préjugés et de bonne conscience.

7 réactions et commentaires

  • Fabrice // 26.11.2019 à 07h13

    Franchement cette comédie sans fin d’hypocrites contre hypocrites n’a de fascinant que de constater qu’elle sape l’image des États-Unis un peu plus dans le monde et promet une rancune de plus en plus profonde entre américains, ils vont se déchirer bien après le départ de Trump peu importe comment.

    Ils sont ceux qui promeuvent le plus leur idée de la démocratie à l’américaine et qui la bafoue le plus, ils sont pitoyables franchement je n’ai que mépris pour cette image qu’ils donnent d’une idée (la démocratie) qui est désormais la risée des pays qui auraient pu s’en inspirer.

      +35

    Alerter
  • Fritz // 26.11.2019 à 07h39

    Mais c’est quoi ce texte ? Je rêve ? « il ne devrait y avoir aucune participation de pays étrangers ou d’intérêts étrangers à la politique intérieure des États-Unis, et aucun Américain ne devrait accepter une telle participation étrangère ». Donc les Yankees peuvent s’ingérer partout dans le monde, détruire et affamer les pays qui leur déplaisent, imposer leur malbouffe, manipuler les élections et organiser des coups d’État, mais nul ne devrait intervenir dans leur sanctuaire – celui qu’ils ont volé aux Amérindiens, les vrais Américains ?

    « Lorsque les démocrates sont considérés comme des ennemis et même pire que les Iraniens » : parce qu’il est sacrilège de comparer des surhommes yankees à des sous-hommes perses ?

    On ferait bien de couper le robinet de blabla en provenance d’Amérique, fût-il ouvert par des Yankees « dissidents » ou « critiques ». Eux aussi sont des Yankees bourrés de préjugés et de bonne conscience.

      +54

    Alerter
  • Octave_Key // 26.11.2019 à 08h27

    On relève une grossière erreur dans ce texte : Bill Clinton n’a évidemment pas été destitué. Il a été l’objet d’une procédure de destitution qui n’a pas abouti.

      +22

    Alerter
  • François Marquet // 26.11.2019 à 08h30

    Texte bien partial: quid du dossier Steele et de l’utilisation de la politique étrangère (Trump soutenu par les Russes) par les démocrates pour évincer dès le début de son mandat un président légitime, en couvrant la manipulation de l’investiture démocrate par Hillary pour évincer Sanders. Et si Joe Biden est impeccable sur l’affaire Burisma pourquoi le remplacer par Michael Bloomberg?

      +24

    Alerter
  • Pas dupe // 26.11.2019 à 09h37

    « Paul R. Pillar est Senior Fellow non résident au Center for Security Studies de l’Université de Georgetown et Associate Fellow du Center for Security Policy de Genève.
    (…)
    M. Pillar est diplômé du Dartmouth College, de l’Université d’Oxford et de l’Université de Princeton. Ses ouvrages comprennent Negotiating Peace (1983), Terrorism and U.S. Foreign Policy (2001), Intelligence and U.S. Foreign Policy (2011) et Why America Misstandands the World (2016).« 

    Avec un texte aussi partial comportant des erreurs aussi importantes voici une illustration de ce qu’est un « argument d’autorité »…

      +24

    Alerter
  • lon // 26.11.2019 à 11h55

    J’ai beaucoup de mal à comprendre l’intérêt de cet article , si ce n’est qu’il sert à recycler les énièmes affirmations non prouvées comme  » l’ingérence russe dans les élections  » , à mettre en parallèle avec  » l’agression russe de l’Ukraine  » , formules médiatiques suffisamment répétées pour devenir  » la vérité » , que même des amis américains plus cultivés que la moyenne ont gobée toute crue , et à disqualifier comme  » mensonges » ( ?) avant même que soit établi quoi que ce soit les demandes d’enquête sur les agissements de la famille Biden en Ukraine .
    La grande leçon de ce cirque infamant d’hypocrisie que constitue la procédure contre Trump est bien le balayage sous le tapis des questions entourant Biden et fifils , circulez y a rien à voir .
    La prochaine fois que Trump veut ce genre de renseignements il n’a qu’à envoyer un émissaire spécial à Kiev délivrer la requête sans trace écrite ou téléphonée , mais il se croit toujours en train de conclure des deals immobiliers avec des sous-fiffres .

      +16

    Alerter
  • Xavier D. // 26.11.2019 à 14h35

    Bill Clinton destitué ????
    Qu’est-ce que c’est que cet article ?

      +6

    Alerter
  • Afficher tous les commentaires

Les commentaires sont fermés.

Et recevez nos publications