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27.novembre.201927.11.2019 // Les Crises

Le mystère entoure l’homme de main du prince héritier saoudien depuis la mort de Khashoggi – Par Glen Carey

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Source : Bloomberg, Glen Carey, 12-09-2019

La rumeur d’un empoisonnement de Saoud al-Qahtani suscite des spéculations sur son rôle.

L’assassinat de Khashoggi s’est produit il y a presqu’un an sans que beaucoup de réponses aux questions posées aient été apportées.

Le prince héritier Mohammed ben Salmane avait un homme de main de confiance au sein de la Cour royale jusqu’au meurtre du chroniqueur Jamal Khashoggi, il y a presque un an.

À la suite de cet homicide, Saoud al-Qahtani a disparu et a mis discrètement fin à son rôle dans la gestion quotidienne des affaires du prince. Mais après des mois de discussions dans les cercles diplomatiques et sur les médias sociaux pour savoir s’il travaillait toujours dans les coulisses pour son protecteur, son nom a refait surface ces derniers jours, à l’occasion d’une spéculation sur sa mort éventuelle.

Iyad el-Baghdadi

Le critique saoudien Iyad el-Baghdadi, basé à Oslo, citant des sources qu’il n’a pas précisées, a déclaré qu’Al-Qahtani pourrait être mort d’empoisonnement. Le gouvernement saoudien n’a jamais fait de commentaires sur sa mort présumée et son ambassade à Washington a également refusé d’en faire. Mais deux familiers de Al-Qahtani ont dit qu’il était vivant.

La spéculation sur son empoisonnement a ravivé un intérêt pour un homme craint par beaucoup dans le royaume et considéré par certains comme une victime désignée au profit d’un prince héritier ambitieux décidé à contrôler le plus grand pays producteur de l’OPEP à tout prix – un homme qui a été intransigeant vis-à-vis de la dissidence qui embarrassait celui qui est le dirigeant de fait. Al-Qahtani, que les États-Unis ont condamné pour son rôle présumé dans l’assassinat de Khashoggi, a été en effet l’un des principaux instigateurs de mesures renforcées pour réduire au silence les dissidents.

Alors que le royaume a déclaré que 11 citoyens saoudiens étaient en cours de jugement pour le meurtre de Khashoggi à l’intérieur du consulat d’Istanbul, il n’a jamais dit ce qui était arrivé au corps du défunt chroniqueur et a nié avec véhémence que le prince héritier avait ordonné ou était au courant du meurtre à l’avance. Cette réaction n’a guère contribué à apaiser l’indignation suscitée par ce meurtre.

« L’Arabie saoudite n’en a certainement pas fait assez pour régler la question du meurtre de Khashoggi », a déclaré Paul Pillar, ancien agent de la CIA, qui est maintenant chercheur principal non résident à l’université de Georgetown. « Si Al-Qahtani a été déchu en raison de son rôle dans l’affaire Khashoggi, cela montre aussi que plus un régime devient unipersonnel, plus les conseillers, même les plus influents, peuvent être sacrifiés au profit de l’homme au pouvoir. »

Todd Young

Lors d’une rencontre avec deux sénateurs américains la semaine dernière, le prince héritier a pris « la responsabilité personnelle du meurtre de Khashoggi en tant que dirigeant du pays » selon le sénateur républicain de l’Indiana Todd Young, qui a déclaré que le sénateur Angus King du Maine et lui-même avaient passé une heure avec le prince Mohammed, plus connu sous l’acronyme MBS.

« Il m’a assuré, ainsi qu’au sénateur King, que la justice passera pour les onze personnes qui ont été identifiées comme étant potentiellement responsables du meurtre de Jamal Khashoggi », a déclaré M. Young.

Histoires changeantes

Mais des déclarations de ce genre sont accueillies avec incrédulité à l’extérieur du pays.

Après sa disparition, les autorités saoudiennes ont d’abord déclaré que Khashoggi avait quitté le consulat d’Istanbul de son propre chef, puis qu’il était mort au cours d’un interrogatoire qui avait mal tourné. Un flot de fuites provenant des services de renseignement turcs a sapé à plusieurs reprises les tentatives saoudiennes d’expliquer sa mort.

Affiches de Jamal Khashoggi lors d’une veillée devant le consulat d’Arabie saoudite à Istamboul le 25 octobre 2018 : Chris McGrath/Getty Images

Près d’un an plus tard, le meurtre de Khashoggi hante toujours le royaume. Il a nui aux liens historiques avec les États-Unis à un moment où le président Donald Trump cherchait à faire de ce pays la pièce maîtresse de sa stratégie au Proche-Orient. Il a donné lieu à un rapport sans appel d’un enquêteur spécial des Nations Unies qui a directement blâmé le prince héritier et Al-Qahtani. Il a également, selon des analystes, un impact sur les liens avec un allié régional clé, les Émirats arabes unis.

Conseiller le plus proche

Jusqu’à ce que le meurtre de Khashoggi ait des retombées, seuls quelques conseillers étaient aussi proches du prince héritier qu’Al-Qahtani, âgé de 41 ans d’après le quotidien saoudien Arab News. Lorsque des journalistes étrangers interviewaient le prince, il se tenait assis à proximité, observant tranquillement avec un air confiant.

Ancien sergent de l’armée de l’air saoudienne diplômé en droit, Al-Qahtani est rapidement monté au sein de la cour royale pour devenir superviseur général du Centre d’études et des affaires des médias. En tant que tsar des médias, il a dirigé les efforts du gouvernement pour surveiller les journalistes locaux et les personnalités sur Twitter et a contribué à la création d’une « liste noire » numérique exhortant les Saoudiens à nommer et faire honte aux « mercenaires » qui avaient pris le parti du Qatar voisin dans une guerre du Golfe Persique.

En 2016, alors que des questions fusaient à Riyad sur les relations entre le prince Mohammed, qui était alors vice-prince de la Couronne, et son cousin plus âgé, le prince Mohammed ben Nayef, Al-Qahtani a agi pour dissiper les affirmations selon lesquelles ces relations s’étaient distendues.

Mohamed ben Salmane, à gauche, avec Mohammed ben Nayef.

Cet effort n’a pas duré longtemps. Un an plus tard, Mohammed a remplacé son cousin comme prince héritier dans un bouleversement brutal qui ne laisse aucun doute sur le déroulement des plans de succession après le règne du roi Salmane.

L’ascension du prince Mohammed, avec le soutien d’Al-Qahtani, a marqué le début d’une politique étrangère plus brutale. Le prince héritier a mené l’effort de guerre au Yémen contre les rebelles – un conflit toujours en cours, qualifié de désastre humanitaire – et il s’est montré encore plus hostile à l’Iran. Le gouvernement a également réprimé la dissidence interne, jetant en prison des ecclésiastiques conservateurs et des militantes, alors même qu’il commençait à donner une image de modération au reste du monde.

La montée et la chute rapides d’Al-Qahtani sont le signe des ambitions débridées de ce qui est devenu un style de gouvernement plus agressif en Arabie saoudite. Les analystes qui suivent le royaume disent que les monarques précédents, tout en détenant le pouvoir absolu, régnaient généralement par consensus avec les princes et le faisaient sans le niveau d’intimidation constaté dans l’Arabie saoudite d’aujourd’hui.

« Al-Qahtani représentait une jeune génération de Saoudiens qui ont compris l’attrait et l’importance du nationalisme saoudien » a déclaré Theodore Karasik, analyste expert chez Gulf State Analytics à Washington. « Al-Qahtani faisait partie d’une avant-garde agressive et jeune se développant dans l’entourage du prince héritier. »

Le prince Mohammed a dévoilé un plan économique qui cherchait à abandonner un modèle basé sur la distribution par l’État des revenus pétroliers pour construire un nouveau secteur privé. Il s’est efforcé de courtiser de hauts cadres américains qui auraient pu l’aider à atteindre ses objectifs. Mais le meurtre de Khashoggi en octobre dernier a placé le prince héritier et son royaume sous le microscope.

Retombées au Yémen

Au Proche-Orient, le meurtre a mis en lumière les préoccupations de nombreux dirigeants au sujet du prince héritier impétueux, et de fervents loyalistes comme Al-Qahtani. Les Émirats arabes unis réduisent actuellement leur participation militaire à la coalition dirigée par les Saoudiens au Yémen, en partie à cause de cet épisode, selon Michael Knights, un haut responsable de l’Institut de Washington.

« L’épisode Khashoggi vient de le tuer » pour les E.A.U., a déclaré Knights dans une interview téléphonique. « Ils savaient dès lors qu’il n’y avait rien qu’ils pourraient faire, rien qu’ils pourraient dire, qui ferait paraître la coalition comme le moindre des maux. Et ils savaient que rien de ce qu’ils pourraient faire ne ramènerait le gouvernement américain de leur côté. »

Le climat s’est dégradé cette année lorsque Agnes Callamard, spécialiste des exécutions extrajudiciaires au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, a recommandé de poursuivre l’enquête sur le Prince Mohammed et Al-Qahtani en relation avec le meurtre de Khashoggi. Elle a qualifié cet homicide de « meurtre d’État », ce qui devrait inciter les dirigeants mondiaux à reconsidérer la tenue du sommet du groupe des vingt à Riyad l’année prochaine.

« Le régime n’a jamais dit la vérité sur cette affaire », a dit M. Pillar. « Son traitement de l’affaire n’a pas été conçu pour servir la justice, mais pour protéger MBS. »

Al-Qahtani a bâti sa carrière en offrant cette protection, que ce soit par la propagande publique ou l’intimidation discrète. Son destin dépendra peut-être en fin de compte de sa capacité à continuer à l’assurer en coulisse pour le futur monarque d’Arabie saoudite, à moins qu’il ne soit devenu un fardeau trop lourd à porter pour le royaume.

– Avec l’aide de Daniel Flatley

Source : Bloomberg, Glen Carey, 12-09-2019

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Commentaire recommandé

Owen // 27.11.2019 à 07h47

Benalla, par contre, il est protégé.
Macron, au moins, il ne jette pas les fidèles qui lui ont servi.

Ok, je vais me baigner.

11 réactions et commentaires

  • MDacier // 27.11.2019 à 07h15

    « Le critique saoudien Iyad el-Baghdadi, basé à Oslo, citant des sources qu’il n’a pas précisées, a déclaré qu’Al-Qahtani pourrait être mort d’empoisonnement. »

    Reste juste à espérer pour Iyad el-Baghdadi qu’il ne veut pas de papiers pour enregistrer son futur mariage.
    Je lui déconseille de s’approcher des embassades saoudiennes …

      +9

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  • Owen // 27.11.2019 à 07h47

    Benalla, par contre, il est protégé.
    Macron, au moins, il ne jette pas les fidèles qui lui ont servi.

    Ok, je vais me baigner.

      +18

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    • Chris // 28.11.2019 à 14h19

      Une narrative aussi changeante que celle des Skripals, sauf que ces derniers, bien qu’invisibles, semblent être bien vivants.
      Peu m’en chaut que les chacals se bouffent entre eux.

        +1

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    • Chris // 28.11.2019 à 14h20

      « Macron, au moins, il ne jette pas les fidèles qui lui ont servi »
      Attendez un peu, le règne Macron n’est pas terminé…

        +1

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  • traroth // 27.11.2019 à 13h41

    Ce Iyad el-Baghdadi a peut-être tout simplement une tête à chapeau. Sa disparition pourrait être un storytelling élaboré pour laisser entendre que ce n’est pas le prince héritier qui a eu l’idée monstrueusement stupide (ou stupidement monstrueuse) de faire assassiner et découper en morceau Jamal Khashoggi. S’il a lui-même été empoisonné, ça voudra dire dans tous les cas que les méthodes ne changent pas beaucoup…

      +1

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  • SanKuKai // 27.11.2019 à 15h03

    “Et ils savaient que rien de ce qu’ils pourraient faire ne ramènerait le gouvernement américain de leur côté.”
    Comme si Khashoggi était le premier dissident assassiné.
    Comme si les US, qui ont des oreilles partout, découvraient que MBS est un barbare qui assassine à tour de bras.
    Les vraies questions sont: pourquoi ce dissident ci est-il mis en lumière par la propagande Atlantiste? Quels sont les intérêts en jeu qui font qu’il faut affaiblir l’image de MBS?

      +6

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  • Kiwixar // 27.11.2019 à 15h10

    « basé à Oslo, citant des sources qu’il n’a pas précisées, a déclaré qu’Al-Qahtani pourrait être mort d’empoisonnement »

    Ou pas. Donc, on n’en sait rien, et le gars (à Oslo!) qui dit que le gus POURRAIT être mort, est un critique du régime, donc avec un agenda loin d’être désintéressé. On se croirait sur de la presse mainstream. Si j’ai bien compris, si les Saoudiens abandonnent le petrodollar ou essaient de nous vendre le baril au-dessus de 50$, ils deviendront très vite un « régime sanguinaire », « commanditaires du 11 sept », donc à envahir et occuper.

      +9

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  • Emile // 27.11.2019 à 19h18

    Et les gamins !! Qui penserait que cela eût pu se produire en France !
    Pas de fake news ! 26 Fevrier 1962 , un employé cadre de chez Berliet !
    Son nom Camille PETITJEAN !
    L Histoire est toujours cachée par le Vainqueur !
    Surprenant non ?

      +3

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    • gerald B // 30.11.2019 à 13h15

      T’es gentil Emile, mais oublier de citer certains détails relève de la Fake News O_o
      – Camille Petitjean, soupçonné d’être un membre de l’OAS et adjoint de Jean Lalanne, membre de l’OAS au Bureau central de renseignements
      – Michel Hacq, Directeur de la Police judiciaire pendant la guerre d’Algérie, il organise la traque de l’OAS en 1961, dans le cadre de la Mission « C » (pour Choc) opérant en Algérie
      Faut m’expliquer le rapport avec l’assassinat d’un journaliste sur ordre de MBS !?

        +0

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      • Emile // 04.12.2019 à 00h08

        Ah oui ! Juste decoupé façon Kahshogui en morceau sur l ordre de Collombey ! Mais ça c est acceptable ! Tout est acceptable dans ce pays depuis Robespierre tant que ça concerne celui qu’il faut éliminer ! Démocrate un jour démocrate toujours !! On va rire dans l’ avenir vu la tournure des choses ici bas

          +0

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  • Marocain Rif // 27.11.2019 à 19h25

    MOHAMED BEN SALMAN EST PROTÉGÉ PAR LES USA, parce qu’il offre gratuitement le pétrole à l’armée américaine et achète de la merde américaine à prix d’or.
    Le jour qu’il deviendra inutile il sera lâcher aux chiens comme viande.
    Ou empoisonné.
    Les américains ont bien liquidé le Roi FAYÇAL dans les années.

      +1

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