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5.avril.20205.4.2020 // Les Crises

« Nous ne voulons pas de héros ! » Par le collectif des Confinés Mobilisés

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Source : Libération, collectif ConfinésMobilisés, 31-03-2020

La mise en avant systématique de la figure du «soignant-héros», dans l’émission cagnotte de France 2 masque la réalité : le manque de moyens des hôpitaux en grave difficulté.

Tribune. Le 24 mars, France 2 organisait «une grande soirée de solidarité et d’appel aux dons». Le but : rendre hommage aux personnels hospitaliers et encourager chaque Français à verser de l’argent pour «soutenir les hôpitaux et l’ensemble des personnels soignants». Au premier regard, rien de bien polémique. Il s’agissait pourtant d’une cagnotte organisée par la sixième puissance mondiale pour sauver son hôpital.

Toute cette bonne humeur forcée et cet étalage de générosité nous racontaient la fiction d’une France unie, sans conflit ni critique, où personne n’est responsable de rien. Cette émission excluait en effet toute possibilité de relier le drame en cours à des choix de politiques budgétaires et fiscales de ce gouvernement et des précédents. Pas un mot sur les mois de contestation des personnels hospitaliers. Pas un mot sur leur combat pour défendre un hôpital public de qualité garantissant l’égalité d’accès aux soins. Pas un mot sur l’expression de leur souffrance au travail et sur la répression violente de certaines de leurs manifestations.

Des besoins connus depuis des années

Le lendemain de cette émission infantilisante, le Président intervenait à la télévision, laissant enfin espérer des mesures concrètes. Pourtant, dans ce discours à la mise en scène et à la rhétorique martiales, rien d’autre que des propos vagues et abstraits, alors que les besoins sont largement connus, depuis des années. Le Président a préféré défendre une «union nationale» dont il serait le seul dépositaire. Ses mises en garde contre «celles et ceux qui voudraient fracturer le pays» visaient implicitement toutes celles et ceux qui se permettent de critiquer son action ou tout simplement de rappeler les origines politiques de cette crise. Tous ceux-là deviennent des déserteurs, des mutins, les casseurs de l’esprit républicain.

La mise en avant systématique de la figure du «soignant-héros», dans cette émission cagnotte de France 2 comme dans la communication de l’exécutif, participe de cette rhétorique de l’union. Qui aurait envie de critiquer les soignants qui se sacrifient dans les hôpitaux ? Il faut effectivement avoir des qualités hors du commun pour accepter de travailler jour et nuit, au cœur de cette crise, pour des salaires horaires trop faibles, sans toujours toutes les protections indispensables (les masques bien sûr, mais aussi les surblouses, les charlottes, les surchaussures, etc.) La réalité, c’est que les personnels hospitaliers n’ont pas le choix : ils sont obligés de se comporter en héros. Ce rôle leur a été imposé. Pas seulement à cause du Covid-19. Mais aussi parce que ce nouveau virus vient percuter de plein fouet un hôpital en grave difficulté. Le discours de l’héroïsme sert ainsi à masquer le manque de moyens. Voire à le justifier. Si un système collectif résiste grâce aux sacrifices immenses de quelques-uns, à quoi bon l’améliorer ?

Dans ce contexte de crise, les plus jeunes comme les plus âgés, des étudiants aux retraités, sont envoyés «au front» sans armes ni munitions, pour reprendre la métaphore guerrière prisée par l’exécutif. Les personnels hospitaliers s’épuisent, physiquement et moralement, et risquent leur vie pour sauver la nôtre. Déjà plusieurs sont morts ou en réanimation. Nous ne voulons pas de héros qui portent à bout de bras l’hôpital, au prix de ces sacrifices inhumains.

Ne pas lâcher

Ce qui se joue avec la figure du héros apparaît alors plus nettement : même s’il s’agit de nous faire croire qu’il n’est question que d’émotions et de sentiments, on discerne en réalité un projet politique. Car le héros, c’est un demi-dieu, un personnage exceptionnel. Autrement dit, c’est promouvoir la puissance solitaire de l’individu plutôt que la réussite du collectif. Or l’hôpital n’a pas tant besoin de surhommes ou de surfemmes que d’avoir les moyens de fonctionner dignement. Les sacrifices d’aujourd’hui auraient pu être en grande partie évités si les personnels hospitaliers avaient été écoutés et si d’autres choix politiques avaient été faits.

D’autres crises, sociales, économiques, climatiques, succéderont à celle que nous vivons, qui n’est qu’une première alerte, terrible. A chacune d’entre elle, faudra-t-il accepter le chantage à l’union de ceux-là mêmes qui refusent de prendre les mesures qui permettent d’éviter ou au moins d’atténuer les crises et leurs conséquences sociales ? Nous ne pouvons pas à chaque fois congeler la vie politique et démocratique. Malgré la gravité de la situation, malgré le confinement, le débat sur l’avenir de nos services publics, de la santé mais aussi de la recherche, de l’éducation, est essentiel.

L’expression de désaccords n’est pas une sécession morale. C’est maintenant qu’il faut se battre pour le monde que nous voulons, ne pas lâcher, parce que si nous attendons poliment l’autorisation de parler, il sera trop tard. Et le jour d’après sera exactement le même que le jour d’avant.

Signataires : Julien Taieb, médecin à l’hôpital Européen Georges-Pompidou, Sonia Salimon, professeure de lettres, Melissa Hadoux, psychologue clinicienne, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Antoine Hardy, enseignant à SciencesPo, Hugo Huon, infirmier à l’hôpital de Lariboisière, Tamara Ben Ari, chercheuse à l’Inrae, mOlivier Berné, chercheur au CNRS, Christophe Le Tallec, aide-soignant, Baki Youssoufou, chef d’entreprise, Yacine Ait Kaci, président de la Fondation ELYX, Marie-Hélène Metzger, médecin de santé publique, AP-HP, Mélanie Teyssier, cadre de santé, membres du collectif ConfinésMobilisés, qui a lancé le 24 mars la pétition #JeNeSuisPasUnHéros : https://confinesmobilises.wesign.it/fr

Source : Libération, collectif ConfinésMobilisés, 31-04-2020

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BayBee // 05.04.2020 à 11h28

« Nous sommes en guerre » et comme lors de toute guerre, il faut mobiliser les entreprises pour produire des « armes » tels que des masques, des appareils respiratoires, des médicaments, etc …
Mais c’est plus facile de parler de soignants-héros ; en montrant l’arbre, le gouvernement essaie de cacher la forêt en feu …

12 réactions et commentaires

  • BayBee // 05.04.2020 à 11h28

    « Nous sommes en guerre » et comme lors de toute guerre, il faut mobiliser les entreprises pour produire des « armes » tels que des masques, des appareils respiratoires, des médicaments, etc …
    Mais c’est plus facile de parler de soignants-héros ; en montrant l’arbre, le gouvernement essaie de cacher la forêt en feu …

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    • gina // 05.04.2020 à 16h48

      « Car le héros, c’est un demi-dieu, un personnage exceptionnel. Autrement dit, c’est promouvoir la puissance solitaire de l’individu plutôt que la réussite du collectif »
      Cela résume parfaitement la stratégie politique de ces lobbys qui nous réaffirment que s’il y a de l’aide à trouver, c’est de gueux à gueux Après avoir cassé l’impôt progressif et redistributif. Surtout ne leur demandez rien…Il faut vous habituer à la fin du modèle français que les libéraux appelaient tous de leurs voeux depuis 50ans).Et pire, ils nous font l’aumône, après et avant de nous faire les poches (car tout y passera, ils sont voraces)

        +16

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  • Bientôt 78 ans // 05.04.2020 à 12h19

    Faire des « héros » de soignants que l’on n’est même pas foutu de protéger adéquatement d’un virus mortel, cela s’apparente à:

    1. distribuer des décorations de « héros » à des combattants envoyés au casse-pipe sans armes,

    2. mieux exploiter les femmes en en faisant les « reines du foyer »…

    Nul doute que les combattants, les femmes… et les soignants apprécieront.

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  • Berrio // 05.04.2020 à 12h47

    On est dans le Care : nous sommes tous unis dans un grand mouvement compassionnel qui encourage et soutient les employés de l’hôpital.
    Nous sommes tous égaux par nos dons (parfois organisés par lARS) qui se substituent au financement de l’Etat de droit.

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  • calal // 05.04.2020 à 13h36

    c’est aussi efficace que les nounours et les bougies allumees pour les victimes des attentats.
    C’est laborit qui a raison: nous sommes des animaux et le cerveau limbique nous impose apres un stimuli soit une reaction (fuite ou agression) soit une inhibition (avec somatisation).

    Nos dominants manipulent ces faits biologiques de plusieurs manieres:
    – detournement de l’aggressivite en soupape de securite par les manifestations de soutien (les peluches,les post de soutien)
    – inhibition de la reaction en noyant le cerveau de stimulis contradictoires ( couper les cheveux en quatre et complexifier le probleme jusqu’a ce que l’on ne sache plus quel choix faire parmi la multitude de possibilite et de baratin).

      +10

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  • CouCou // 05.04.2020 à 13h39

    Bien plus que des héros, les personnels soignants sont des victimes !
    De même nous ne sommes pas en guerre. Nous ne pouvons pas être en guerre contre un virus, non doué de personnalité propre. Ce n’est qu’une sémantique détournée qui servira de mauvaise excuse pour détruire l’état social et les libertés.
    Quant à l’union nationale, oui tous unis contre Macron et tous les représentants de cette caste abjecte qui ne se préoccupe pas de l’intérêt collectif, mais de l’intérêt particulier de l’ultra minorité qu’ils représentent (les 0.01%).

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  • Sam Foulesboule // 05.04.2020 à 14h01

    Chaque fois qu’une autorité quelconque vous met en avant comme « héro », méfiez-vous, il y a de fortes chances qu’elle vous prenne pour un con et que vous soyez le dindon de la farce !

      +15

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  • LibEgaFra // 05.04.2020 à 16h44

    Chaque jour le rideau se déchire un peu plus: et ce que nous pouvons voir c’est que les responsables ne sont pas dignes d’occuper les fonctions qu’ils occupent.

      +6

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  • Michel // 05.04.2020 à 16h47

    Je trouve dommage que depuis quelques temps, particulièrement sur la crise du Coronavirus, de nombreux articles relayés sur le blog soient issus de média traditionnels notamment Marianne et Libé (mais aussi Les Echos et d’autres). Ce site n’a-t-il pas pour objectif de montrer des points de vue autres que ceux largement couverts par les mainstream ?

    Car cette façon de publier autant d’articles de la presse générale pour dire la même chose (critique du gouvernement) ça devient une ligne directrice plus qu’une autodéfense intellectuelle.

    Heureusement il reste des dossiers (Pr Raoult), des chaines youtube, des interviews (Chomsky) etc qui sont aussi relayés, mais pourquoi autant et aussi fréquemment ces articles de la grande presse?

      +1

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    • Bats0 // 05.04.2020 à 18h08

      Parce que ça fait longtemps que je ne lis plus la presse mainstream, et que si cet article n’avait pas été relayé par les-crises, je serai passé à côté de la pétition.
      Ensuite, je ne lis pas tout, sauf si le sujet m’intéresse; surtout en ce moment, faut savoir faire le tri.

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  • Azuki // 05.04.2020 à 22h24

    Un petit dessin vaut mieux qu’un long discours, ramassé sur Twitter : https://haricophile.org/bricabrac/equipement_du_personnel_soignant.jpg

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  • Casimir Ioulianov // 06.04.2020 à 15h21

    Ça me rappelle le Film Stalingrad :
    – Vous êtes deux , voici un fusil chargé pour toi et un clips de 5 cartouches pour toi. Toi tu prends le fusil et tu cours en tirant , toi tu le suis et tu récupère le fusil pour continuer quand il est mort.
    – Et si je veux pas courir ?
    – Le camarade Commissaire politique a un pistolet AVEC des balles, lui, et il tire sur tout ceux qui courent pas assez vite à son goût.

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