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20.septembre.202120.9.2021 // Les Crises

20 ans plus tard, le Pentagone n’a toujours aucun contrôle sur ses mercenaires

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Un nouveau rapport du GAO [Le Government Accountability Office est l’organisme d’audit, d’évaluation et d’investigation du Congrès des États-Unis chargé du contrôle des comptes publics du budget fédéral des États-Unis. Il fait partie de la branche législative du gouvernement fédéral des États-Unis,NdT] révèle des lacunes dans la surveillance des entreprises de sécurité privées de l’armée.

Source : Responsible Statecraft, David Isenberg
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

(Shutterstock/PRESSLAB)

On pourrait raisonnablement penser qu’au cours des 20 années qui se sont écoulées depuis les attentats du 11 septembre 2001, le Pentagone aurait finalement réussi à trouver le moyen d’exercer une supervision et un contrôle efficaces sur ses contractuels militaires privés.

Vous savez, les mercenaires en Afghanistan, en Irak et ailleurs, dont nous avons, de façon soudaine, appris l’existence lors des scandales de guerre bien connus maintenant dans des endroits comme Fallujah et Nisour Square. En d’autres termes, le gouvernement aurait dû établir une sorte de stratégie de surveillance depuis le temps.

Raisonnable peut-être. Mais c’est faux, selon un rapport publié le 29 juillet par le Government Accountability Office (GAO) des États-Unis :

Le ministère de la Défense (DOD) n’a pas été en mesure d’identifier de manière exhaustive les contrats et le personnel des sociétés de sécurité privées (PSC) soutenant les opérations d’urgence, humanitaires, de maintien de la paix ou autres opérations similaires.

C’est la façon élégante du GAO de dire que le gouvernement est toujours incapable d’avoir une bonne visibilité concernant les activités des PSC.

Un point de vue plus direct a été exprimé par Peter Singer, membre senior de la New America Foundation et analyste de longue date de l’industrie des contrats militaires privés, qui a tweeté ceci : « Nous sommes en 2021 et le Pentagone n’est toujours pas équipé pour gérer les contractants militaires privés qu’il engage depuis plus de deux décennies et qui ont fait perdre des vies et des milliards de dollars en Irak et en Afghanistan. »

Il ne s’agit pas seulement d’un problème de comptabilité. Ce qui est en jeu, c’est le risque d’une répétition des débâcles passées. Un article de Bloomberg a noté :

Le Pentagone doit améliorer le suivi et la transparence des sociétés de sécurité privées qui opèrent aux côtés des agences militaires et civiles américaines ou alors le risque est grand de répéter le massacre de citoyens irakiens en 2007 qui a entaché l’effort anti-insurrectionnel américain, selon l’agence de surveillance du Congrès.

« Si le ministère n’améliore pas ses moyens d’identifier, d’enregistrer, de suivre et d’évaluer son utilisation des contrats et du personnel PSC, les impacts stratégiques négatifs associés que le gouvernement américain a connus en Irak et en Afghanistan risquent de se reproduire. »

Malheureusement, ce problème n’est pas nouveau. Le gouvernement américain a eu du mal à effectuer le suivi de ses mercenaires depuis qu’il a commencé à les utiliser en Afghanistan et en Irak. Comme l’a déclaré Tina Won Sherman, l’analyste principale du rapport, dans un podcast du GAO :

[…] depuis plusieurs années nous signalons que le ministère de la Défense manque d’informations complètes sur le nombre de contractants qu’il emploie. Il n’est donc pas tout à fait surprenant que le ministère ne dispose pas d’une image complète de ses contractants de sécurité privés, notamment leur nombre, leur coût, leur localisation, les types d’opérations qu’ils soutiennent et le fait qu’ils soient armés ou non… L’une des raisons en est que le ministère ne dispose pas d’une définition cohérente des services de sécurité privés. Ainsi, des postes tels que ceux d’agent de sécurité et d’agent de patrouille de la police relèvent de cette définition, alors que d’autres postes tels que policier ou d’agent de patrouille du shérif n’en relèvent pas.

Et si vous ne savez pas qui est dans le jeu, il vous est impossible de les punir lorsqu’ils font quelque chose de mal. Comme le GAO l’a reconnu dans une note de bas de page, « les responsables des contrats de l’armée de Terre et de l’armée de l’Air avec lesquels nous avons parlé ont déclaré qu’ils ne se souvenaient d’aucun cas de suspension ou de radiation d’une société PSC ». Et ce n’est pas comme si les PSC n’avaient pas fait des choses qui méritent d’être punies. Il suffit de lire les nombreux rapports publiés par les inspecteurs généraux spéciaux pour la Reconstruction de l’Irak et de l’Afghanistan pour trouver des exemples.

Ou encore, un autre rapport du GAO, publié le 4 août, sur la traite des êtres humains parmi les travailleurs étrangers employés sous contrat, qui constate que « le gouvernement américain a une politique de tolérance zéro en matière de traite des êtres humains, comme le prévoit une directive présidentielle, mais la traite des personnes (TIP), des travailleurs étrangers employés sous contrat par le gouvernement américain à l’étranger persiste. »

Un autre problème, encore plus grave, concerne le manque de ressources adéquates pour les personnes chargées de la surveillance. Ce problème date de loin et a été officiellement reconnu dans le rapport 2007 de la Commission Gansler.

Il faut savoir que depuis des décennies, le secteur des contrats de sécurité privée déclare qu’il est fortement réglementé et qu’il doit respecter de nombreux textes et directives militaires. C’est vrai, mais seulement en partie. Ce qu’ils oublient d’ajouter, c’est que le Pentagone ne finance pas suffisamment d’agents contractuels ou de représentants d’agents contractuels bien formés pour faire respecter toutes ces règles. Comme l’a noté Sherman :

Depuis 2009, le ministère a actualisé et clarifié les rôles et les responsabilités en matière de supervision des entreprises de sécurité du privé .

Il a également travaillé avec des organismes de réglementation pour s’assurer que les principes que les entreprises de sécurité privées doivent suivre sont conformes au droit humanitaire et le respectent. Toutefois, nous avons appris que, malgré ces mesures, le ministère ne surveille pas pleinement les rôles et les responsabilités des diverses entités de surveillance et ne s’assure pas non plus que ces normes et principes de respect du droit humanitaire sont respectés. C’est important pour le ministère afin de minimiser la probabilité que de tels incidents se produisent de nouveau.

La raison pour laquelle le Pentagone ne « surveille pas pleinement » ses contractants privés est en partie due au fait qu’il n’y a personne en charge du dossier. Comme le GAO l’a noté dans son résumé, « le DoD ne dispose pas d’un seul poste de haut niveau chargé de surveiller pleinement si le DoD et les diverses entités remplissent leurs rôles et fonctions de surveillance respectifs du PSC. Tant que ce poste n’existe pas, le DoD augmente les risques qu’il y ait des incidents que justement son cadre vise à prévenir. »

En d’autres mots, personne ne s’occupe du magasin. Comme l’indique le rapport du GAO :

Par exemple, le directeur d’un organisme de certification qui a certifié plus de 40 entreprises PSC a déclaré que dans les cas où il y a un incident impliquant une entreprise PSC du DoD qui pourrait affecter sa certification, ils n’ont aucun contact au ministère pour informer le DoD du problème. Ce fonctionnaire a noté que jusqu’à récemment, un fonctionnaire du DoD les aidait à résoudre les problèmes liés aux PSC, mais que ce fonctionnaire n’est plus au ministère et n’a pas été remplacé. De même, en juin 2020, des responsables de l’association du secteur des PSC ont déclaré qu’ils avaient contacté le DoD à plusieurs reprises au sujet des questions et des préoccupations de leurs entreprises membres liées au respect des contrats PSC du DoD, mais qu’ils n’avaient pas reçu de réponse satisfaisante du ministère.

Le Pentagone avait auparavant un bureau pour la politique et les programmes des entrepreneurs de contingence armée, dirigé par un officier de l’armée à la retraite, Chris Mayer. Mais il a quitté ce poste en septembre 2019 et n’a pas été remplacé.

Actuellement, le directeur principal du bureau Defense Pricing and Contracting (DPC) est le conseiller du bureau du sous-secrétaire à la Défense pour l’acquisition et le soutien concernant toutes les questions relatives à la politique des contrats de contingence.

Le GAO est bien connu pour sa politesse envers les organisations au sujet desquelles il rédige un rapport. Néanmoins, sa conclusion est ici sans appel et sans équivoque.

Bien qu’il faille reconnaître les efforts du ministère pour améliorer la gestion du dossier PSC, il est possible qu’il n’ait pas été à la hauteur et qu’il risque de perdre les gains réalisés au cours de la dernière décennie s’il ne porte pas une attention soutenue à son programme PSC. Le DoD doit mieux identifier et suivre son personnel PSC si l’on veut que le risque auquel il est confronté soit identifié et traité de manière satisfaisante avant le prochain Nisour Square (massacre en 2007 de 17 Irakiens par des mercenaires de la société américaine Blackwater, NdT).

En bref, 20 ans plus tard, le Pentagone n’a toujours pas réussi à créer, ne serait-ce qu’une carte de pointage efficace pour ses acteurs PSC. Le ministère de la Défense dispose de meilleures procédures pour suivre la disparition d’un fusil qu’il n’en a pour suivre les contractuels portant des armes. Étant donnée l’histoire des contractants militaires privés en Afghanistan, en Irak et ailleurs, c’est tout simplement inacceptable.

Source : Responsible Statecraft, David Isenberg, 06-08-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

James Whitney // 20.09.2021 à 08h35

Et alors ? La seule chose qui compte, c’est que les décideurs ramasse le fric avec un débit très élevé.

Mon fonds de pension étasunien réalise énormément de bénéfices avec ses investissements dans le caca-rente (merci RGT !), et si le contribuable doit payer, tant pis. Et si les pauvres meurent, pareil.

C’est les plus mal payés qui font fonctionner l’économie : les éboueurs, les femmes de ménage, le personnel de santé, les enseignants, etc. Ils mérite beaucoup plus que le clapping de 20 heures.

6 réactions et commentaires

  • James Whitney // 20.09.2021 à 08h35

    Et alors ? La seule chose qui compte, c’est que les décideurs ramasse le fric avec un débit très élevé.

    Mon fonds de pension étasunien réalise énormément de bénéfices avec ses investissements dans le caca-rente (merci RGT !), et si le contribuable doit payer, tant pis. Et si les pauvres meurent, pareil.

    C’est les plus mal payés qui font fonctionner l’économie : les éboueurs, les femmes de ménage, le personnel de santé, les enseignants, etc. Ils mérite beaucoup plus que le clapping de 20 heures.

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  • Patrick // 20.09.2021 à 10h06

    Il y a deux ou trois ans , il y avait eu une tentative d’audit des comptes du Pentagone ( sans doute à la demande de l’administration de l’abominable Trump ).

    Résultat : abandon de l’audit , les auditeurs envoyés pour ce boulot ont été infoutus de comprendre d’où venait et où partait le pognon ( pas d’inquiétude , il ne doit pas être perdu pour tout le monde )
    Alors au milieu de tout ça , vous pensez bien que les contrats des mercenaires ne sont qu’un des éléments parmi tant d’autres de ce vaste bazar.

      +11

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  • Olivier77 // 20.09.2021 à 10h30

    Quand on ne veut pas, il ne faut pas s’attendre à grand chose. Pas de contact au DoD, c’est juste pas de chance personne ne veut d’un poste à problème.

      +2

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  • Davout // 20.09.2021 à 11h27

    Vous n’avez pas encore compris qu’aux USA plus rien ni personne n’a de contrôle sur rien. Un général qui avoue benoîtement qu’il a trahi son pays en communiquant avec l’adversaire Chinois pour torpiller son commandant en chef, des gouverneurs qui font le contraire du fédéral, une cour suprême qui refuse son boulot premier d’arbitrage entre les états, des généraux(encore) qui torpillent la sortie d’Afghanistan voulue par le Potus.
    Un FBI et un DOJ qui montent des dossiers foireux contre le POTUS avec l’aide illégale des services secrets. Juges qui bloquent des lois fédérales ou étatiques, comtés qui veulent quitter des états, gouvernants qui refusent de faire respecter l’ordre. Une tel effondrement de la chaîne de commandement s’appelle une révolution. Et ça ne date pas de Biden, ni même de Trump. La première gravissime preuve de cette révolution intervint au retour de Kerry de Syrie, secrétaire d’État avec un accord de sortie de crise validé par Obama , POTUS et commandant en chef, et dés le lendemain, une hallucinante tribune des chefs d’état majors dans le NYT dénonçant cet accord comme néfaste pour les USA
    A l’époque, aucun media n’avait réagi à cet invraisemblable précédent dans l’histoire US et même dans l’histoire des démocraties. A partir du moment où l’exemple d’une telle mutinerie, totalement impunie, était lancé, la porte était ouverte. Depuis, ce sont tous les rouages qui sont en vrille .

      +11

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  • JnnT // 21.09.2021 à 09h47

    Franchement comique. Ces sociétés de mercenaires sont aussi employées pour faire le plus sale du sale boulot. Si le DoD les contrôlait vraiment, il assumerait une responsabilité dont il veut justement se dégager en les employant. Le DoD rappelle qu’il ne contrôle pas pour proclamer bien fort son innocence. C’est juste une précaution.

    Sinon, en Chine on compte environ 25 sociétés de mercenaires – dont quelques-unes seulement sont autorisées à porter des armes dans le le pays. Et Akademi/Blackwater – qu’on ne présente plus – entretiendrait des liens avec certaines d’entre elles. Logique : l’Asie est une zone de croissance possible pour le mercenariat et avoir des Chinois comme partenaires permet d’entrer sur ce marché.

      +3

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  • RGT // 21.09.2021 à 11h49

    De toutes façons, aux USA et comme d’ailleurs dans TOUTES les « grandes démocrassies du monde libre » ceux qui contrôlent vraiment les institutions ne sont pas les pantins « élus » qui n’ont AUCUN pouvoir réel et doivent courber l’échine devant les « grands de ce monde » en ne servent que de courroies de transmission pour permettre à ces derniers de continuer à prospérer.

    Et toutes les « révolutions » qui se sont produites dans le « monde devenu enfin libre » n’ont été que des intrigues de palais destinées à permettre à ceux qui détenaient le pouvoir économique (en France les bourgeois très friqués à la fin du XVIII ème siècle) de pouvoir avoir les mains libres et de n’avoir de comptes à rendre à personne.

    Ne vous étonnez donc pas si les « décisions » au niveau du sommet de l’état ne servent que les intérêts de quelques grandes familles sans scrupules qui n’hésitent pas à expédier les « gueux » dans des boucheries inutiles (pour les gueux) mais qui leur seront fort profitables à long terme.

    Et bien sûr en cas de défaite leurs valets serviles ils passeront entre les gouttes et seuls leurs « têtes de gondole » seront blâmés voire dans le pire des cas traduits devant les tribunaux.

    Pendant ce temps les « élites » continueront leur petit business en tentant de se faire oublier mais pour revenir en force quand la situation sera apaisée.

    Regardez simplement ce qu’il est advenu des Krupp, BASF, Daimler-Benz et les autres « ténors » de l’industrie allemande après la seconde guerre mondiale qui leur a été si profitable… Juste pour l’Allemagne, mais c’est partout pareil dans les autres nations « démocratiques ».

    La seule alternative réelle d’en être débarrassés sera quand une génération de « parvenus » encore plus cupides et avides de pouvoir parviendra à les évincer pour « libérer le peuple » et être calife à la place du calife.
    Pour l’instant la génération Elon Musk n’est pas encore mûre mais leurs descendants n’auront aucun scrupule à dézinguer les Rockfeller et leurs alliés.

    Et qui payera l’addition selon vous ?
    Comme lors de la « révolution » française, ce ne seront certainement pas les « nouvelles élites » mais bel et bien les « moins que rien ».

    Tant que la population n’aura pas compris que le problème c’est l’état centralisé elle sera maintenue en esclavage (avec quelques miettes de biscuit donnée en pâture aux fidèles serviteurs zélés de ce système) il n’y aura pas de libération possible.

    Et bien sûr si cela se produit enfin il faudra ensuite être très vigilant pour éviter qu’une nouvelle version de ces parasites ne parvienne à infiltrer les institutions afin de les détourner à leur avantage.

      +4

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