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27.novembre.201827.11.2018 // Les Crises

En tant que citoyen saoudien en exil, je sais ce que le régime fait pour faire taire ses détracteurs. Par Ali al-Ahmed

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Source : Ali al-Ahmed, Consortium News, 29-10-2018

Le 29 octobre 2018

En tant que citoyen saoudien exilé à Washington, D.C., Ali al Ahmed a fait l’expérience directe, depuis 2000, de ce que le gouvernement saoudien est prêt à faire pour faire taire ses critiques, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger.

Le meurtre de l’écrivain saoudien Jamal Khashoggi à Istanbul, après sa visite au consulat saoudien le 2 octobre, est troublant mais pas surprenant pour moi, ni pour d’autres écrivains et militants dissidents qui donnent une vision critique du royaume et qui en ont payé le prix, généralement par l’exil ou par des poursuites à l’encours de proches.

En tant que citoyen saoudien exilé à Washington depuis 2000, j’ai fait personnellement l’expérience de ce que le gouvernement est prêt à faire pour réduire au silence ses détracteurs à l’intérieur du pays comme à l’étranger. Ces actions remontent à 1979 déjà, lorsque le militant dissident et auteur Naser Al Saeed a été enlevé à Beyrouth, au Liban, en décembre de la même année.

On n’a jamais su ce qu’il était devenu, mais on croit généralement que les services de renseignement saoudiens ont payé des hommes armés de l’OLP pour l’enlever et le ramener à Riyad, où il aurait été tué en secret. (Ironiquement, Khashoggi a travaillé pendant de nombreuses années avec Turki Al Faisal, l’homme qui dirigeait les services de renseignements saoudiens à l’époque et qui est soupçonné d’avoir mené cette opération).

S’opposer à la famille royale saoudienne – surtout si vous préconisez une alternative progressiste au régime actuel – est une entreprise dangereuse, une réalité que j’ai toujours gardée à l’esprit depuis mon déménagement à Washington en 2000, après des études supérieures à Minneapolis.

Quand je suis devenu une voix reconnue de la réforme et de la démocratie, le gouvernement saoudien a utilisé la carotte et le bâton pour me faire taire. En mars 2004, l’ambassade saoudienne a saisi mon passeport lorsque j’ai tenté de le faire renouveler et m’a offert un aller simple pour mon pays. Depuis lors, le gouvernement a tranquillement fait de moi un apatride en me retirant ma nationalité, ce que je n’ai découvert que lorsque ma famille a essayé de faire des démarches administratives dans mon pays.

La monarchie essaie également de me convaincre de rentrer chez moi depuis 2002. En 2007, un haut responsable du renseignement saoudien s’est rendu à Washington pour organiser une rencontre entre l’ancien prince héritier et chef du renseignement saoudien (et frère du roi actuel), le prince Muqrin bin Abdulaziz, et moi-même, au Ritz Carlton Hotel à Tyson’s Corner.

Le prince Muqrin m’a demandé de rentrer chez moi en me promettant richesse et sécurité. J’ai répondu en demandant des excuses publiques à mes parents, et à ma mère en particulier, pour l’avoir jeté en prison. Il a répondu : « L’État ne s’excuse pas. »

Le gouvernement a également utilisé des ressortissants arabes pour m’attirer en Malaisie et au Liban, pays connus pour avoir livré des dissidents au gouvernement saoudien. J’ai eu le bon sens de refuser ces invitations et d’en informer le gouvernement américain.

Une révélation WikiLeaks

Un document WikiLeaks envoyé en 2013 par le ministère saoudien des Affaires étrangères à son ambassade à Washington (à l’époque dirigée par l’actuel ministre des Affaires étrangères Adel Al-Jubair) a ordonné la surveillance de l’Institute for Gulf Affairs (IGA), un groupe de réflexion indépendant fondé en 2001 [et dirigé par l’auteur de l’article, NdT].

De plus, le document indiquait avec précision que l’IGA traversait des difficultés financières – un détail que mon personnel et moi seuls connaissions et dont nous avons appris par la suite qu’il avait été divulgué au gouvernement par un ressortissant saoudien qui avait travaillé avec nous pendant un certain temps avant de rejoindre le gouvernement.

Au cours des derniers mois, j’ai reçu de nombreux courriels de phishing conçus pour pirater mon compte. L’un d’eux était particulièrement troublant parce qu’il illustrait jusqu’où le gouvernement saoudien est prêt à aller pour faire taire ses détracteurs à Washington. Le courriel comprenait une photo de moi assistant à un événement public à l’American Enterprise Institute, ce qui indiquait à coup sûr qu’un agent du gouvernement avait signalé ma présence, extrait ma photo d’une vidéo et me l’avait envoyée dans un courriel de phishing.

En juin dernier, le chef du Comité de relations publiques américano-saoudiennes, Salman Al Ansari, m’a qualifié de terroriste après que j’ai fait état de ses liens avec l’antisémitisme. J’ai répondu par une poursuite en justice, actuellement instruite par la haute Cour de Washington DC.

J’ai reçu des dizaines de menaces de mort, dont certaines sérieuses.

Dans un cas, un jeune Saoudien m’a dit qu’il viendrait à Washington pour me tuer après que j’ai tweeté que le prince héritier Mohamed bin Salman était « faible d’esprit » pour payer 200 milliards de dollars pour construire un méga projet solaire qui remplacerait la Chine comme premier fournisseur de panneaux solaires du monde. J’ai donné cette information à l’ambassade des États-Unis à Riyad et, heureusement, ils lui ont refusé un visa.

Le gouvernement essaie aussi de faire pression en s’en prenant à ma famille, une tactique saoudienne courante. Deux de mes frères ont été arrêtés, et l’un d’eux est en prison depuis plus de 20 ans au motif qu’il est mon frère. Mes neveux ont également été arrêtés ; l’un d’eux a été condamné à huit ans de prison pour avoir assisté à une manifestation.

Ma famille – parents, frères et sœurs, neveux, cousins et cousines, ainsi que de nombreux parents et amis – n’est pas épargnée par les persécutions politiques. Deux de mes cousins ont été tués pendant le soulèvement de 1979, le premier soulèvement populaire arabe. J’ai moi-même été emprisonné à l’âge de 14 ans et j’ai évité de me faire capturer de justesse à plusieurs reprises en fuyant le pays.

Mon histoire n’est pas unique : le gouvernement saoudien persécute régulièrement d’autres dissidents. Le mois dernier, Ghanem Al Dosary (notre Jon Stewart), célébrité des réseaux sociaux et satiriste de renom, a été agressé par plusieurs saoudiens devant Harrods, le célèbre grand magasin de Londres. Cette attaque en plein jour a été filmée, mais aucun des assaillants n’a été arrêté et le gouvernement britannique n’a pas encore fourni d’explication pour son inaction.

Il y a quelques semaines, un jeune homme de Virginie-Occidentale m’a contacté par l’intermédiaire d’un ami commun pour demander de l’aide concernant sa demande d’asile. Cet individu, M. Hamad Al Sudairi, avait été poignardé par un ressortissant saoudien qui l’avait entendu critiquer la corruption en Arabie saoudite. Une critique aussi légère est une raison suffisante pour qu’un fanatique pro-régime tente de commettre un meurtre. L’affaire est maintenant devant un tribunal de Virginie-Occidentale.

La disparition violente de Khashoggi, attribuée au le gouvernement de l’Arabie saoudite, vise à intimider les autres dissidents pour les faire taire et/ou les faire capituler. Malheureusement pour le régime saoudien, l’histoire nous apprend que les despotes ne parviendront jamais à supprimer complètement les voix de la liberté.

Pour ma part, je peux dire que j’ai hérité de cet esprit de dissidence qui peut conférer à notre peuple le pouvoir d’établir un gouvernement moderne accordant des pleins droits pour tous. Ce rêve ne mourra jamais, quel qu’en soit le prix. Nous n’avons qu’une seule vie, et nous devons faire en sorte qu’elle en vaille la peine.

Cet article a été publié à l’origine dans The Daily Caller.

Ali al Ahmed est le fondateur et président de l’Institute for Gulf Affairs.

Source : Ali al-Ahmed, Consortium News, 29-10-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Weilan // 27.11.2018 à 08h32

« Le mois dernier Ghanem Al Dosary, célébrité des réseaux sociaux et satiriste de renom, a été attaqué en plein jour devant le fameux magasin Harrods à Londres. Cette attaque a été filmée mais aucun des assaillants n’a été arrêté et le gouvernement britannique n’a pas encore fourni d’explication pour son inaction ».
Ben non, c’est normal !
Une moitié des forces de police britannique est à la poursuite des méchants Russes qui ont empoisonné Skripal et l’autre moitié surveille l’ambassade d’Equateur afin d’appréhender Julian Assange.

11 réactions et commentaires

  • Weilan // 27.11.2018 à 08h32

    « Le mois dernier Ghanem Al Dosary, célébrité des réseaux sociaux et satiriste de renom, a été attaqué en plein jour devant le fameux magasin Harrods à Londres. Cette attaque a été filmée mais aucun des assaillants n’a été arrêté et le gouvernement britannique n’a pas encore fourni d’explication pour son inaction ».
    Ben non, c’est normal !
    Une moitié des forces de police britannique est à la poursuite des méchants Russes qui ont empoisonné Skripal et l’autre moitié surveille l’ambassade d’Equateur afin d’appréhender Julian Assange.

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    • Zevengeur // 27.11.2018 à 09h38

      Et la dernière moitié a des instructions discrètes du pouvoir de ne pas importuner l’ami saoudien pour des histoires sans importance !

        +13

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  • Marie // 27.11.2018 à 09h53

    Et pendant ce temps là l’ex roi d’Espagne va serrer la pince au prince héritier de Ryad; il est coutumier du fait : en pleine crise sociale en Espagne, il serrait la patte des lions lors d’un safari…

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  • christian gedeon // 27.11.2018 à 10h55

    L’Arabie saoudite,devenue horizon ultime de la défense des droits de l’être humain depuis l’affaire de qui on sait. Mais oui,mais non…on oublie tranquillement le reste du monde,comme çà…L’Angola,tiens. Des centaines de milliers d’expulsés,et un paquet de morts au passage,le tout dans un silence,mais alors dans un silence étalon,si j’ose dire. Rien,que dalle…les effroyables massacres de l’Afrique des lacs,jour après jour…rien,que dalle. Pas un mot. Les attentats de venus ininterrompus au Pakistan et en Afghanistan? Rien,pas un mot.. Bien pratique ce Kashooggi,décidemment. Et je ne dis rien de l’Iran où les pendaisons aux grues sont quotidiennes…

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    • Arnaud // 27.11.2018 à 13h56

      Un « silence étalon ». Bien dit.
      Matière coeff. 12 dans le cursus journalistique à Sciences Po !

        +3

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      • christian gedeon // 27.11.2018 à 16h51

        Mdr!!! ce sujet notamment africain m’interroge chaque jour un peu plus. L’Afrique n’intéresse pas,ou alors à la marge. Pour par exemple descendre Bolloré en flammes. Pour le reste,on a l’impression très désagréable qu’un mort africain compte pour du beurre (de cacahouètes). Et encore. Tout le monde ou presque s’en fout. Il y a de quoi rester pantois. Pourquoi cette peur de parler de l’Afrique,ou alors ce mépris,ou alors cette indifférence,je ne comprends tout simplement pas. La vérité est qu’un jour,çà nous retombera sur le coin de la cafetière,sans aucun doute. Nous sommes aveugles et sourds. les pires étant les « anticolonialistes professionnels » de service,qui au prétexte de ne pas toucher à l’indépendance des pays africains(!) et « d’expier l’esclavage  » plaident pour laisser ce continent si important aller à veau l’eau. Moi,je vous le dis. Soit nous nous occupons sérieusement de l’avenir des peuples africains,soit un jour,ils nous manqueront gravement,parce que nous avons besoin d’eux plus qu’ils n’ont besoin de nous,en définitive. Vive l’Afrique!

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        • bouddha vert // 27.11.2018 à 21h18

          Pourquoi écrivez vous « un jour,çà nous retombera sur le coin de la cafetière »?

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  • DocteurGrodois // 27.11.2018 à 11h22

    L’assassinat à la Scarface de Kashoggi à Istanbul a été du pain béni pour la Turquie, le Qatar… et la CIA qui n’aime pas MBS car contrairement à son prédécesseur il ne l’ont pas sous contrôle mais avec lequel Trump pensait pouvoir s’arranger malgré tout.

    Or en rackettant et en punissant le clan princier, MBS menace directement des intérêts industriels et financiers profonds qui sont incarnés individuellement jusqu’au moindre cousin. Par exemple punir Untel revient à punir Lockeed Martin.

    Ceci expliquant cela, on comprend mieux pourquoi le scandale de cet assassinat ait été amplifié plutôt qu’étouffé, et que Trump ait fait cadeau des sanctions pétrolières contre l’Iran. Carotte et bâton.

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    • Michel B. // 27.11.2018 à 22h19

      Une chose me fascine dans les commentaires médiatiques, notamment depuis le meurtre de Kashoggi, sur l’Arabie Saoudite : il nous y est fait une présentation linéaire dans le temps de la nature et de la ligne de son régime, le témoignage de cet article est également dans cette veine.

      Or, il y a eu à l’automne 2017 une purge sans précédent dans les sphères d’influence du Royaume, accompagné d’un changement de leadership. Tout ce qu’on peut récemment lire fait comme si cet évènement majeur n’existait pas, et n’avait eu aucun impact.

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  • RGT // 27.11.2018 à 18h32

    « … un des administrateurs de la direction de l’architecture, du patrimoine et des jardins du Sénat … »

    Il leur a confié des secrets d’état en effet, de par ses hautes fonctions à un poste très sensible.

    Désormais, les coréens du nord connaissent le secret qui permet au sénat d’avoir des parterres de tulipes aux couleurs chatoyantes et des rosiers à l’odeur si subtile.

    De la haute trahison qui mérite de ressortir la guillotine !!!

    Au fait, qu’en est-il des écoutes téléphoniques par la NSA de Mollande fonçant à couilles rabattues sur son fougueux destrier pour rejoindre sa belle ?

    Zut, je me suis trompé d’article concernant la dernière remarque : Elle concerne Wikileaks et Assange.
    Le monde est petit.

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  • Leïla // 28.11.2018 à 22h48

    La rendition (plus ou moins restitution) de prisonniers est pratiquée par les états unis, la France, la GB..depuis longtemps !
    Haïti est gangrenée par des gangs  » restitués  » par les américains !
    La France a volontairement  » restitué  » des prisonniers dans des pays ou l’on torture…

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