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3.octobre.20233.10.2023
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L’épizootie hémorragique bovine, une maladie « purement commerciale » ? – Par Yann Faure

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Cette fois, on ne pourra pas reprocher aux pouvoirs publics d’avoir manqué de vigilance ou de réactivité vis-à-vis d’une menace sanitaire.

Par Yann Faure

Ce mercredi 20 septembre, la Direction Départementale de la Protection des Populations (DDPP) des Pyrénées Atlantiques a brusquement sonné l’alarme : « Le virus provoquant la maladie hémorragique épizootique chez les ruminants d’élevage est arrivé en France ! »

Branle-bas de combat

« Le virus de la MHE a été repéré et formellement identifié sur deux bovins d’élevage dans le Pays Basque ainsi que sur un autre dans les Hautes-Pyrénées », a annoncé la DDPP, mercredi. Dans les heures qui ont suivi, l’alerte est devenue nationale. Sud-Ouest d’abord, France Bleu ensuite … dans la foulée Radio France l’a relayée dans son flash de minuit. Le lendemain, l’Anses à son tour choisissait de communiquer sans délai, peu avant que le Ministère de l’Agriculture ne publie, via son site, des directives sur la conduite à tenir pour endiguer la propagation virale : surveillance renforcée, isolement des animaux contaminés, interdiction de transport des animaux dans un rayon de 150 km, désinsectisation préconisée, etc.

A la suite du journal Le Monde, la presse nationale s’emballait alors pour cette nouvelle émergence, incitant le public à tendre attentivement l’oreille.

Mais de quoi s’agit-il exactement ? Un virus transmis par une espèce spécifique de moucherons piqueurs dit « culicoïdes » qui se gave du sang d’une bête et en infecte une autre, en venant se nourrir sur elle ensuite. Comme on l’a popularisé depuis 2020, il existe trois types principaux de « zoonoses » avec des mécanismes de diffusion distincts : 1) Transmission aéroportée, 2) Par contact avec des fluides ou ingestion 3) Vectoriel. Lorsque la maladie se propage par l’intermédiaire d’un insecte hématophage : moustique, tique, puce ou moucheron, on dit qu’elle est « vectorielle ». Nous sommes dans ce cas.

Dans ce registre, le monde de l’élevage a régulièrement affaire à des situations délicates à gérer. Actuellement, dans les pays du nord, on redoute et on suit la progression de la Fièvre du Nil Occidental dont le vecteur est un moustique. Pour ce qui est des interactions homme-bétail en Europe, les Pays-Bas ont connu, il y a dix ans, une grave crise autour de la Fièvre Q, une bactérie qui a provoqué des centaines de morts à travers le pays en se propageant, à distance, aux bourgs situés à proximité des fermes intensives caprines. De leur côté, les bœufs et les vaches de pâturage, en France comme ailleurs, sont régulièrement mordus par des tiques, avec des conséquences diverses : babésiose, anaplasmose, ehrlichiose, borréliose… Face à ces désagréments pénibles, les paysans n’hésitent pas à exposer de manière « raisonnée » leurs génisses aux tiques, afin qu’elles s’immunisent.

La MHE n’est pas une « zoonose »

Quand une nouvelle maladie arrive et qu’elle déclenche une réaction forte de la collectivité, on cherche évidemment à évaluer les risques, comprendre comment elle se propage, qui elle touche, quels dégâts elle occasionne.

Le virus de la MHE comporte une multitude de variants de gravités inégales. Celui-ci est le sérotype 8. Pour le combattre, on ne dispose d’aucun vaccin. Ce virus a été découvert en 1955 en Amérique du Nord. Puis on a constaté sa présence sur plusieurs continents. En général, dans des zones chaudes. Le sérotype 8 est rare : il a été observé pour la dernière fois en 1982 en Australie. Récemment il a ré-émergé en Tunisie. Depuis octobre 2022, des troupeaux italiens – en Sicile et en Sardaigne – puis espagnols, ont été infectés. Le traçage de sa remontée vers le nord, à la faveur du réchauffement climatique permettant à ces moucherons de résister davantage aux hivers du sud de l’Europe, avait placé la France en situation de vigilance depuis déjà plusieurs mois. Les autorités sanitaires conseillant aux éleveurs de tester par PCR, dès l’apparition de signes cliniques comparables à ceux de la Fièvre Catarrhale Ovine, l’autre grande maladie des ruminants, plus connue sous le nom de « maladie de la langue bleue ». Pour laquelle il existe par contre un vaccin – un « blockbuster », comme on dit dans l’industrie pharmaceutique.

Les deux maladies ont en commun de prendre pour cible les cerfs des forêts qui font office de réservoir sauvage secondaire … et aussi de « sentinelle », car en y succombant les cervidés rendent plus visible la présence du virus. Néanmoins, ceux-ci sont plus victimes collatérales que vecteurs. Avant tout autre cause et plutôt que la faune sauvage ou les échanges d’animaux domestiques, les experts ont tendance à incriminer principalement la circulation des vents…

Reste qu’en vérité, aucune de ces deux maladies n’est une zoonose. Ce sont des arboviroses (transmission par piqûres), comme la fièvre jaune et la dengue… à la différence cruciale qu’elles n’infectent pas les humains. La viande et le lait des bêtes contaminées restent consommables. Pour nous, elles ne présentent donc aucun risque. Par ailleurs, les bestiaux ne se transmettent pas ces maladies sans la présence des moucherons. Quant aux symptômes, ils vont de la fièvre à la boiterie, en passant par des lésions buccales et des détresses respiratoires. Enfin, en ce qui concerne spécifiquement la maladie hémorragique épizootique (MHE), le taux de mortalité est de 1% chez les bovins, d’après Stephan Zientara, le directeur adjoint scientifique du laboratoire de santé animale de l’Anses.

Un moyen de peser sur les négociations commerciales

On peut légitimement se poser la question : pourquoi simultanément sonner le tocsin et s’empresser de donner des informations rassurantes ? Sans compter que sur le site de l’Anses, il est précisé que les mesures de restriction imposées n’empêcheront pas le virus MHE de continuer à s’étendre. La Confédération Paysanne n’a pas tardé à relever ces contradictions pour contester le plan d’action gouvernemental, indiquant dans un communiqué de presse que les conséquences seraient dramatiques pour la filière puisqu’un tiers des bovins de race allaitante sont destinés à l’exportation. Et surtout, que selon elle, les décisions prises étaient disproportionnées… s’agissant d’une maladie somme toute assez inoffensive, vu qu’elle ne se transmet pas aux humains et qu’elle cause moins de 1% de perte au bétail. Le syndicat paysan n’hésitant pas à qualifier la MHE de « maladie purement commerciale ».

« C’est une aberration. Les nomenclatures de ces maladies sont d’une autre époque et n’ont plus aucun sens. Aujourd’hui, ce genre d’évènement est surtout utilisé pour fermer des marchés et nous priver de débouchés à l’export » explique Sylvie Colas, secrétaire nationale du pôle sanitaire de l’organisation. Précisant ensuite qu’au cours des négociations, chaque pays essaie de tirer dans son sens et qu’il y a une bataille autour du « statut indemne ». Lequel ouvre des opportunités quand on l’obtient et en ferme quand on le perd. Le meilleur exemple récent tournant autour de la déclaration obligatoire de la Fièvre Catarrhale Ovine ; et de la quasi obligation de vacciner pour bénéficier collectivement de ce précieux statut indemne … « au plus grand bénéfice de l’industrie pharmaceutique », note la syndicaliste.

Dans le cas de la MHE, la situation va porter préjudice en premier lieu aux troupeaux de montagne qui sont dans les estives pyrénéennes ou aux propriétaires des troupeaux du Gers qui vont sur les coteaux herbeux. En particulier, ceux qui, exactement à cette époque de l’année, doivent vendre des taurillons et des brouteurs vers l’Italie. Ou, pour ce qui concerne le Pays Basque, adresser des moutons vers l’Espagne. Sylvie Colas tient donc à signaler que « c’est encore l’élevage paysan qui va payer le prix fort » parce que les trésoreries vont se retrouver à sec. Aggravant la crise de la transmission dans une période où deux tiers des petites exploitations ne sont pas reprises, « ce qui conduit à une concentration et à une augmentation de la taille des cheptels entre quelques mains ». Et de conclure, sur le ton de la confidence, avoir « vraiment l’impression que c’est fait exprès ! »… et ne plus avoir aucune confiance dans la PAC européenne : « C’est un véritable rouleau compresseur contre l’agriculture paysanne ! »

Et à la fin, c’est l’intensif qui gagne …

La Confédération Paysanne a donc appelé l’Etat à la rescousse, à la fois pour qu’on indemnise au plus vite les éleveurs impactés afin de les empêcher de sombrer. Et pour obtenir la révision de réglementations européennes qu’elle juge inadaptées. L’un des paradoxes mentionnés étant l’interdiction d’exporter des animaux vivants dans des pays limitrophes, pourtant eux-mêmes touchés. Ce qui apparaît lourd de conséquences dans le contexte actuel où la reproduction, l’engraissement et l’abattage s’effectuent de plus en plus en des lieux séparés et distants. La chaîne de valorisation étant de ce fait rapidement interrompue chaque fois que les transferts de bêtes sont limités ; avec de lourdes répercussions financières à la clef.

Pourtant, notre pays se trouve parmi ceux de l’UE qui consomment le plus de viande par habitant. Et le commerce de viande constitue un commerce important pour la France qui produit annuellement deux millions de tonnes de porc, 1,6 millions de tonnes de bœuf (premier producteur de l’UE) et plus d’un million de tonnes de volailles. Alors que nous en importons des quantités folles, nous exportons de manière à peu près équivalente. L’exportation de bœuf, concernée au premier chef par l’émergence de la MHE, représente à elle seule, plus d’un milliard d’euros. Ce qui fait dire à Sylvie Colas que « on verra bien si le discours du Ministère de l’Agriculture ne va pas changer » quand la maladie va remonter plus au Nord et toucher le Limousin, la Vendée ou la Nièvre, là où se trouvent les plus gros cheptels largement destinés aux marchés étrangers.

Présent, début septembre, au « salon des productions animales » de Rennes, vitrine bretonne de l’agro-industrie, Marc Fresneau, le Ministre de l’Agriculture, n’a pas manqué de donner des gages à ses hôtes, indiquant qu’il visait « un objectif de reconquête de la production standard », souhaitait « travailler sur l’entrée de gamme » pour concurrencer les importations à bas coût. Il y a annoncé notamment, qu’à l’échelle nationale, « il faudrait construire 400 nouveaux poulaillers par an » en batterie, visiblement pas angoissé pour un sou par l’ampleur catastrophique de la grippe aviaire qui, non seulement touche de plus en plus d’espèces, mais inquiète pour la santé publique planétaire. Une revanche de l’intensif sur fond de paupérisation des consommateurs de milieu populaire et des classes moyennes, touchés par l’inflation. Non contents de subir une baisse de pouvoir d’achat sans la moindre tentative d’intervention du gouvernement pour limiter les marges, ou redistribuer les gains, ceux-ci seront bientôt invités à avaler plus de viande bas de gamme pour apaiser leur faim.

Ainsi, tout se passe comme si, plutôt que de s’attaquer aux causes profondes des crises sanitaires, on utilisait la peur réflexe contemporaine envers les zoonoses pour régler des différends commerciaux. Il est aussi possible que la Confédération Paysanne n’ait pas tout-à-fait tort de se défier des orientations de cette politique agricole, visiblement déterminée à tourner la page des annonces antérieures en faveur de l’agriculture paysanne. Focaliser sur les épizooties mineures plutôt que sur les menaces zoonotiques majeures ; et produire pour pas cher, quels que soient les coûts sociaux et environnementaux cachés … telle est, semble-t-il, la ligne fixée par ceux qui nous dirigent.

Photo : Benon, France, 14 avril 2017, pixinoo, Shutterstock

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Auguste Vannier // 03.10.2023 à 09h55

Ce n’est pas être paranoïaque que de soupçonner qu’il pourrait s’agir d’une question essentiellement commerciale.
L’agriculture paysanne est un moyen pour les agriculteurs de développer des compétences leur garantissant une autonomie économique, et pour les citoyens et les territoires de jeter les bases d’une alimentation de qualité et de sortir de la dépendance aux industries de la malbouffe.
On peut faire confiance au lobbying ayant l’oreille idéologique de la macronie pour se saisir habilement de toutes les opportunités qui se présentent.
[modéré]

9 réactions et commentaires

  • calal // 03.10.2023 à 07h56

    Article interessant qui m’interroge sur deux points:
    – peut on « soupconner » la pac europeenne d’etre une menace contre l’agriculture paysanne et dans le meme souffle « appeler a l’intervention de l’etat »?
    -si la france est un des premiers producteurs de viande et que des marches etrangers se ferment a elle,peut etre que baisser les prix de certains produits permettraient d’en ecouler plus sur le marche interieur?

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    • calal // 04.10.2023 à 08h14

      mais je croyais que le metier des agriculteurs c’etait de « nourrir les francais » ?
      on m’aurait menti?
      J’aurais du comprendre que le metier des agriculteurs c’est de nourrir les francais solvables?
      Donc on en est au point ou il faut choisir entre des agriculteurs qui se pendent ou des francais insolvables qui meurent de faim?
      Beaucoup l’ont dit et ont prevenu: on arrive a un point ou les choix seront entre une mauvaise solution et une tres mauvaise solution. Il faut elire et n’obeir qu’a des chefs qui auront le courage et l’honnetete de choisir la mauvaise solution plutot que de continuer sur le chemin des tres mauvaises solutions qui ne servent qu’a perpetuer un ordre social qui maintient en place des dominants devenus incompetents et decadents…
      ps: comment sont fixes les prix du marche de la viande? ce marche est il aussi efficace que le marche de l’electricite?

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    • Bouddha Vert // 05.10.2023 à 13h40

      L’intervention de l’état peut être exclusivement normatives et législative, ce qui dans les faits redonne la puissance au politique et dans le meilleur des cas à une fraction du peuple plus large, donc représentative.
      Concernant le prix et les volumes de la viande, il est indispensable de baisser tous nos cheptels et surtout bovins. En manger moins et de meilleur qualité.
      Evidemment ce sont des slogans et tout reste à faire, mais s’organiser autours de l’idée que nous disposerons de moins en moins de tout redonnera plus d’importance aux actions de chacun et à l’importance du collectif.
      La technostructure va s’affaiblir, trouver les moyens d’une plus grande acceptabilité de la représentation politique fait partie des chantiers.
      https://www.youtube.com/watch?v=ZoGH7d51bvc

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  • Sylphe // 03.10.2023 à 09h14

    Les poulets Ukrainiens vont empoisonner les français les plus pauvres, ils n’arriveront pas jusqu’à 64 ans !

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  • RémyB // 03.10.2023 à 09h47

    bonjour,
    deux réponses à calal
    1-oui, bien sûr, l’ue impose des règles qui étouffent les paysans
    2-baisser le prix des bovins ne fera pas baisser les prix de la viande aux consommateurs, par contre il fera couler les paysans

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  • Auguste Vannier // 03.10.2023 à 09h55

    Ce n’est pas être paranoïaque que de soupçonner qu’il pourrait s’agir d’une question essentiellement commerciale.
    L’agriculture paysanne est un moyen pour les agriculteurs de développer des compétences leur garantissant une autonomie économique, et pour les citoyens et les territoires de jeter les bases d’une alimentation de qualité et de sortir de la dépendance aux industries de la malbouffe.
    On peut faire confiance au lobbying ayant l’oreille idéologique de la macronie pour se saisir habilement de toutes les opportunités qui se présentent.
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    • Dominique65 // 03.10.2023 à 13h07

      L’agriculture paysanne est à l’agriculture ce que le petit commerce est à la distribution. Tous les deux n’occupent plus qu’un marché de niche.

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  • Bouddha Vert // 03.10.2023 à 22h34

    Nos technostructures répondent à un dogme, celui de la compétition mondiale qui n’autorise aucun frein.
    Il est d’ailleurs bien connu que les menaces zoonotiques ne sont dangereuses que lorsqu’elles proviennent d’Asie…
    Nos technostructures en abattant la petite paysannerie restent logiques avec leur mandat, la PAC ne servira pas la paysannerie mais les grosses exploitations qui font tourner le PIB en réclamant forces machines, moult phytosanitaires et engrais avec des volumes à même de jouer sur le village monde.
    Reste comme l’écrit Dominique65 les marchés de niche qui, à mon sens, sont les espaces dans lesquels se fait l’organisation des mondes de demain.
    Y a du TAF, on ne va pas s’ennuyer.

      +5

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  • calal // 04.10.2023 à 08h30

    La perte de marches exterieurs deviendrait elle une catastrophe economique pour certains gros acteurs de l’agriculture parce qu’ils auraient ete trop gourmands et se seraient trop endettes pour investir dans des capacites de production de plus en plus importantes?

    L’exportation est elle favorise par la « force » d’un marche interieur? Est ce que vendre cher de la viande sur un marche interieur solvable permet de degager des marges pour augmenter la production et aller conquerir des marches a l’exterieur,surtout dans une periode ou les banques creeaient beaucoup trop de credit?

    bref cet article est il encore une facette de la fin de la mondialisation et de la financiarisation a outrance? Qui va payer l’addition de la mauvaise gestion de cette periode? l’etat c’est a dire la plupart des citoyens via les taxes sur l’essence et la tva? Socialisation des pertes et privatisation des profits comme d’habitude?

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