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8.avril.20248.4.2024 // Les Crises

Justice fiscale : les milliardaires détestent qu’on les taxe

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Le mouvement mondial visant à taxer les milliardaires, au grand dam des 1 %, prend de l’ampleur. Certes, l’impôt sur la fortune n’est pas la panacée aux problèmes ruineux causés par le capitalisme, mais le fait que les riches le détestent est une bonne raison de le poursuivre.

Source : Jacobin, David Moscrop
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Elon Musk s’exprime lors de la convention politique de l’Atreju, le 15 décembre 2023 à Rome, en Italie. (Antonio Masiello / Getty Images)

En 2023, les milliardaires du monde entier valaient collectivement 12 700 milliards de dollars. Pour avoir une idée de l’échelle, cela représente environ la moitié du PIB des États-Unis en 2023, qui s’élevait à 23 400 milliards de dollars. Comme l’indique Oxfam, entre 2020 et 2022, les 1 % les plus riches de la planète ont accumulé près de deux fois plus de richesses que le reste du monde réuni. L’organisation a également constaté que le milliardaire moyen parvient à payer un taux d’imposition inférieur à celui des travailleurs dont il tire sa richesse.

La richesse des ultrariches contraste fortement avec les personnes qui, dans le monde entier, luttent pour joindre les deux bouts. Les gens sont confrontés à la baisse de leur pouvoir d’achat et à un appauvrissement général, ce qui les pousse au bord du gouffre. Cette situation est évidente aux États-Unis et au Canada, où les crises immobilières et les prix élevés des denrées de base ont fait de la survie au quotidien un combat difficile. Les taux d’intérêt restent élevés et la menace d’une récession plane sur la tête des travailleurs.

Une taxe mondiale sur les milliardaires

En réponse à la richesse croissante et obscène des ultrariches, le Brésil est le fer de lance d’une campagne visant à instaurer un impôt mondial sur la fortune des milliardaires. Comme le rapporte le New York Times, le pays, qui assure actuellement la présidence tournante du G20, « a embrassé la cause avec ferveur ». En effet, le Brésil de Lula se préoccupe depuis un certain temps de la question des milliardaires et remporte des victoires en taxant ses ultra-riches nationaux sur leurs investissements offshore. Aujourd’hui, il est en faveur d’un accord international qui imposerait cette taxe à l’échelle mondiale. Cette mesure limiterait la capacité des plus riches de la planète à dissimuler leur fortune dans des paradis fiscaux et à éviter de remplir leurs obligations fiscales. Chaque année, ces paradis licites et illicites, utilisés par les grandes fortunes pour éviter de payer leur juste part de l’impôt, font perdre des milliards de dollars de recettes.

Le rapport 2024 sur l’évasion fiscale dans le monde de l’Observatoire fiscal de l’UE a révélé que la richesse offshore équivalait à environ 12 % du PIB mondial en 2022. L’échange d’informations bancaires a fait baisser le pourcentage de la richesse offshore non imposée, qui est passé d’environ 10 % du PIB avant les changements à un peu plus de 3 % aujourd’hui. Malgré ces améliorations, les plus riches d’entre nous ne paient toujours rien, ou presque, sur leurs énormes avoirs.

L’observatoire réclame un impôt mondial minimum sur la fortune de 2 % pour les milliardaires. Selon le groupe, cette mesure permettrait de collecter près de

250 milliards de dollars, soit à peu près l’équivalent du PIB du Portugal, auprès de moins de trois mille contributeurs. Le rapport ajoute : « Un impôt minimum mondial renforcé sur les sociétés multinationales, sans échappatoire, permettrait de collecter 250 milliards de dollars supplémentaires par an. » Il note que les fonds cumulés que ces deux mesures permettraient de lever sont équivalents à ce dont les pays en développement ont besoin pour gérer les effets du changement climatique – effets auxquels ils sont confrontés de manière disproportionnée grâce aux actions, passées et présentes, des États riches.

Ce n’est pas la panacée, mais c’est mieux que rien

La France est d’accord avec cette idée et pousse l’Europe à la soutenir. Au printemps dernier, l’administration Biden a proposé un impôt sur le revenu minimum des milliardaires qui « garantirait que les Américains les plus riches paient un taux d’imposition d’au moins 20 % sur l’ensemble de leurs revenus, y compris les plus-values non réalisées. » Pour enfoncer le clou, la Maison-Blanche s’est assurée que tout le monde savait qu’il ne s’agissait pas de punir les ultrariches pour leur réussite, mais plutôt : « S’assurer que les Américains les plus riches ne paient plus un taux d’imposition inférieur à celui des enseignants et des pompiers. »

Les ultrariches ont réagi à la proposition de Biden comme on pouvait s’y attendre, la décriant, la raillant et la déclarant mort-née. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il sera difficile pour Biden de faire adopter la mesure et de la protéger contre une inévitable contestation judiciaire qui pourrait aboutir devant la Cour suprême, dominée par les Républicains.

L’impôt sur la fortune n’est pas une panacée. Il ne démantèlera pas la structure qui produit des milliardaires et laissera les travailleurs lutter pour se nourrir. Il ne financera pas une utopie socialiste, ni même une norme mondiale pour les États-providence. En outre, tout système international qui permettrait d’imposer un impôt minimum aux plus riches devrait être, en fait, assez solide. Si les riches sont bons à quelque chose, c’est à cacher leur richesse et à minimiser leur charge fiscale d’une manière ou d’une autre. Les Panama Papers l’ont certainement confirmé, s’il y avait jamais eu le moindre doute.

Un impôt de 2 % serait dérisoire. Bien sûr, dans un monde un tant soit peu juste, ce petit chiffre n’aurait aucune importance, car il n’y aurait pas besoin de taxes en premier lieu. En effet, il n’y aurait pas de catégorie de milliardaires, pas de classe de détenteurs de richesses jouissant du capital et du pouvoir de façonner les affaires dans leur intérêt, tandis que le plus grand nombre lutterait pour joindre les deux bouts et pour s’exprimer et se faire entendre dans la vie publique. Mais ce travail s’inscrit dans un projet à plus long terme, alors qu’aujourd’hui, ici et maintenant, nous bénéficions d’une chance supplémentaire d’obtenir un résultat prosocial.

Malgré les limites d’un impôt mondial sur la fortune, il y a des vertus qui font que l’entreprise en vaut la peine. Tout d’abord, l’extraction de centaines de milliards de dollars signifie que les États disposent de plus d’argent pour lutter contre le changement climatique, financer des programmes sociaux, construire des infrastructures, etc. Plus d’argent pour des projets collectifs d’importance sociale, c’est plus d’argent pour des causes bonnes et nécessaires.

Le fer de lance de l’impôt sur les milliardaires

L’instauration d’un impôt sur la fortune des milliardaires à l’échelle internationale donnera également un élan à d’autres initiatives visant à corriger les déséquilibres financiers et de pouvoir à l’échelle nationale et internationale. L’impôt minimum mondial de l’OCDE sur les multinationales, qui fixe un taux d’imposition minimum de 15 % pour les entreprises géantes et auquel 140 pays ont adhéré, est un exemple de la manière dont une telle dynamique fonctionne. C’est la preuve qu’un impôt transfrontalier sur les milliardaires est à la fois bienvenu et réalisable, aussi difficile que soit la lutte pour l’obtenir.

La mise en œuvre réussie d’un impôt sur les milliardaires indiquerait un changement de pouvoir modeste mais notable, une affirmation que le plus grand nombre – et les États qui sont ostensiblement censés les représenter – conservent effectivement un certain contrôle sur les quelques puissants qui exercent une influence disproportionnée sur les affaires sociales, politiques et économiques dans leur pays et dans le monde entier.

Le travail pour rééquilibrer les pouvoirs et inciter les ultrariches à contribuer à un niveau juste s’apparente au travail politique tel que le concevait le sociologue Max Weber, c’est-à-dire « un effort tenace et énergique pour tarauder des planches de bois dur », ce qui nécessite « tout à la fois de la passion et de la perspective ». Un impôt minimum sur la fortune frappant les milliardaires du monde entier représenterait un progrès dans le taraudage d’une solide planche, même si cela ne nous ferait pas d’emblée atteindre le but final.

*

David Moscrop est écrivain et commentateur politique. Il anime le podcast Open to Debate et est l’auteur de Too Dumb For Democracy ?Why we Make Bad Political Decisions and How We Can Make Better Ones.

Source : Jacobin, David Moscrop, 08-03-2024

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

RGT // 08.04.2024 à 09h50

« La France est d’accord avec cette idée et pousse l’Europe à la soutenir »…
Avec Micron et ses sbires qui dirigent le pays, d’un coup mon cerveau a bugué…

À moins que cette idée (saugrenue) ne cache l’éventualité d’ensuite leur reverser encore plus sous forme d’aide à la « solidarité » aux familles Arnault, Bolloré, Niel et consorts qui se retrouveront soudain en dessous du « seuil de pauvreté » (des milliardaires bien sûr) et qui ne pourront plus faire « ruisseler » leurs fortunes (dans la corruption des « élites » bien sûr).

Connaissez-vous UN SEUL être humain qui accepte dans la joie de reverser un part de sa fortune pour l’ensemble de la collectivité ? (sans compter qu’une partie non négligeable sera reversée sous forme de CICE et autres escroqueries).

Avec les « simples gueux » c’est facile : on vient saisir leurs avoirs manu militari sous peine d’être fusillé sur la place publique et traîné dans la boue comme « fraudeur », « pilleur », « parasite social » (pour faire peur aux autres).

Dans le cas des plus grandes fortunes, il suffit simplement aux délinquants de rappeler aux « décideurs » que sans le « mécénat » de ces « généreux donateurs » lesdites « élites » n’auraient JAMAIS pu se hisser au sommet de l’état et qu’avec leurs compétences ils pointeraient à « France Travail » et habiteraient sous les ponts.

N’oubliez jamais que l’argent de la corruption qui ‘ruisselle » au sommet de TOUS LES ÉTATS (particulièrement ceux qui s’autoproclament « libres ») provient TOUJOURS de fraudes diverses et que les plus gros « bienfaiteurs » sont les pires d’entre tous.

6 réactions et commentaires

  • RV // 08.04.2024 à 08h39

    Paul Jorion dans « Le Monde » du 24/04/2012 :
    – Accorder de nouveau la priorité aux salaires plutôt que favoriser l’accès au crédit, lequel est nécessairement cher et se contente de repousser à plus tard la solution des problèmes se posant d’ores et déjà.
    – Mettre hors la loi la spéculation en rétablissant les articles de la loi française qui l’interdisaient jusqu’en 1885.
    – Mettre hors d’état de nuire les paradis fiscaux en interdisant aux chambres de compensation de communiquer avec eux dans un sens comme dans l’autre.
    – Abolir les privilèges des personnes morales par rapport aux personnes physiques, privilèges ayant permis de transformer de manière subreptice dans nos démocraties le suffrage universel en suffrage censitaire.
    – Redéfinir l’actionnaire d’une société comme étant l’un de ses créanciers et non l’un de ses propriétaires ; établir les cours à la Bourse par fixing journalier.
    – Eliminer le concept de « prix de transfert » qui permet aux sociétés d’échapper à l’impôt par des jeux d’écriture entre maison mère et filiales.
    – Supprimer les stock-options pour instaurer une authentique participation universelle.
    – Réimaginer les systèmes de solidarité collectifs, au lieu des dispositifs spéculatifs voués à l’échec en raison de leur nature pyramidale que sont l’immobilier ou l’assurance-vie, par lesquels on a cherché à les remplacer.
    Enfin, dans un monde où le travail disparaît, la question des revenus doit être mise à plat et faire l’objet d’un véritable débat. On assisterait alors au retour de l’ambition et du courage, désespérément absents aujourd’hui.

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  • RGT // 08.04.2024 à 09h50

    « La France est d’accord avec cette idée et pousse l’Europe à la soutenir »…
    Avec Micron et ses sbires qui dirigent le pays, d’un coup mon cerveau a bugué…

    À moins que cette idée (saugrenue) ne cache l’éventualité d’ensuite leur reverser encore plus sous forme d’aide à la « solidarité » aux familles Arnault, Bolloré, Niel et consorts qui se retrouveront soudain en dessous du « seuil de pauvreté » (des milliardaires bien sûr) et qui ne pourront plus faire « ruisseler » leurs fortunes (dans la corruption des « élites » bien sûr).

    Connaissez-vous UN SEUL être humain qui accepte dans la joie de reverser un part de sa fortune pour l’ensemble de la collectivité ? (sans compter qu’une partie non négligeable sera reversée sous forme de CICE et autres escroqueries).

    Avec les « simples gueux » c’est facile : on vient saisir leurs avoirs manu militari sous peine d’être fusillé sur la place publique et traîné dans la boue comme « fraudeur », « pilleur », « parasite social » (pour faire peur aux autres).

    Dans le cas des plus grandes fortunes, il suffit simplement aux délinquants de rappeler aux « décideurs » que sans le « mécénat » de ces « généreux donateurs » lesdites « élites » n’auraient JAMAIS pu se hisser au sommet de l’état et qu’avec leurs compétences ils pointeraient à « France Travail » et habiteraient sous les ponts.

    N’oubliez jamais que l’argent de la corruption qui ‘ruisselle » au sommet de TOUS LES ÉTATS (particulièrement ceux qui s’autoproclament « libres ») provient TOUJOURS de fraudes diverses et que les plus gros « bienfaiteurs » sont les pires d’entre tous.

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    • Catherine // 08.04.2024 à 13h05

      « Connaissez-vous UN SEUL être humain qui accepte dans la joie de reverser un part de sa fortune pour l’ensemble de la collectivité ? »
      C’est possible mais est-ce « crié sur tous les toits » ? Ce qui est crié, c’est la célébrité et les grandes fortunes, afin que nous les « admirons » ?
      Généralement, le reversement, ce sont des dons à des associations. Je ne sais pas si cela englobe votre expression « ensemble de la collectivité » puisque l’association ne représente qu’une partie de la collectivité.
      L’actrice étatsunienne Angelina Jolie verse des sommes conséquentes à des associations et s’inverstit auprès de certaines depuis sa jeunesse. En 2006, elle déclarait qu’elle reversait 1/3 de ses revenus aux associations. C’est possible donc, je pense que c’est extrêmement rare. https://feminamag.com/societe/lengagement-des-stars/angelina-jolie-20-ans-dengagement-humanitaire
      https://www.arcinfo.ch/sante/angelina-jolie-donne-le-tiers-de-ses-revenus-a-des-causes-humanitaires-39592 (2006)

      Il y a le député François Ruffin (certes n’est pas une « fortune » de milliardaires) qui reversait 3000€/mois pendant son premier mandat (aujourd’hui je ne sais pas) à des associations donc une grande partie de son revenu de député. Combien de député et députéee pouvant le faire, le fait ? https://www.marianne.net/politique/un-apres-francois-ruffin-se-paye-toujours-au-smic-la-prochaine-fois-je-m-accorderai-une (2018)

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    • azuki // 08.04.2024 à 23h57

      «Connaissez-vous UN SEUL être humain qui accepte dans la joie de reverser un part de sa fortune pour l’ensemble de la collectivité ? (sans compter qu’une partie non négligeable sera reversée sous forme de CICE et autres escroqueries).»

      J’en connais plein, mais aucun n’est milliardaire. Les plus généreux sont «les smicard» qui assez fréquemment peuvent reverser jusqu’à 10% de leurs revenus pour aider leurs «prochains», je devrait dire sacrifier leur nécessaire vital; Les gens aisés, ce serait plutôt comme la chanson de Jacques Brel «les dames patronesses» et moins de 0.2 à 0.000001% de leur revenus non vital selon la richesse…

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  • Savonarole // 08.04.2024 à 12h56

    On a pas fait cesser l’esclavage en instaurant une taxe sur les esclaves… on a interdit l’esclavage et sanctionné les esclavagistes.
    Que les gens qui ont réussi à avoir une utilité sociale en profitent sans nuire, ça ne dérange personne. Les parasites en revanche …en général ça se soigne sinon c’est l’hôte qui survit pas.

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  • Bouddha Vert // 09.04.2024 à 02h40

    Comme il l’écrit lui même, ça na changera rien mais c’est pour le geste en attendant d' »atteindre le but final ».
    Il s’est arrêté à l’introduction?
    Les milliardaires sont un symptôme pas une cause de l’état des lieux, oligarchies et mondialisation.
    Macron s’est fait élire avec pour slogan, entre autres, d’avoir une France avec plus de milliardaires et ça marche, alors pourquoi les USA abandonnerait-il cette manière de gouverner?
    Tout le monde veut des millions pour des futilités ou de grands projets, c’est ce qui autorise les civilisations.
    Il me semble qu’historiquement, mais c’est encore spéculatif, la civilisation de l’indus aurait économiquement était prospère avec pouvoir et richesses bien partagées…
    Dans l’adversité la fraternité n’est pas loin… à l’abondance et au confort s’ajoute souvent l’oubli de l’altérité, le mépris des contingences même lorsqu’elles sont humaines.
    Ajoutons à cela que les solutions keynésiennes touchent des limites dans les pays « équipés », que la relance économique induit de la transformation de ressources, alimentée à 80% par des hydrocarbures, ce qui peut expliquer pourquoi nos intellos de « gauche » ne sont plus là, les perspectives matérielles sont en berne.
    Les religions sont globalement flippantes et la spiritualité est accaparée par les gourous et autres margoulins.
    Les conditions de l’abondance ou du progrès éternel s’évanouissent, milliardaires et gens de peu, il faut atterrir et accessoirement redéfinir des attentes politiques avec la sobriété matérielle en guide.

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