Les Crises Les Crises
7.août.20167.8.2016 // Les Crises

La culture du narcissisme, par Christopher Lasch

Merci 406
J'envoie

Source : Le Partage, Christopher Lasch, 14-06-2016

Parviendras-tu à repérer le narcissisme fièrement peint ici?

Parviendras-tu à repérer le narcissisme fièrement peint ici ?

Un article emprunté à l’excellent site des renseignements généreux (tiré de leur pdf disponible à l’adresse suivante).

Quel est l’impact du capitalisme sur notre psychisme ?

En 1979, le penseur américain Christopher Lasch proposa une interprétation psycho-sociologique des« middle-class » américaines dans son ouvrage « La culture du narcissisme ». Il y exposait comment, selon lui, la société capitaliste américaine produit des individus à tendance narcissique. Est-ce encore d’actualité ? Cela se limite-t-il aux seules classes moyennes américaines ? Il nous a semblé que cette analyse dépassait le cadre de son étude initiale. Nous avons donc tenté de rédiger une courte synthèse librement inspirée et volontairement réactualisée de cet ouvrage.
La concision — et donc le caractère quelque peu caricatural — de cette brochure suscitera sans doute un certain scepticisme. Les généralisations présentées ici mériteraient nuances et approfondissements. Qui pourrait, en effet, décrire la complexité de chaque individu par l’esquisse de quelques traits prétendument valables pour tous ? Cet exposé ne se base pas sur une analyse sociologique fine de la réalité. Il s’agit juste d’une tentative de mise en lumière des tendances psychiques qui nous semblent dominantes.
A la lecture des descriptions psychologiques qui vont suivre, une petite voix du fond de votre conscience soufflera peut-être « tiens, mais c’est moi ça! ». Soyons clairs : le but de cette brochure n’est pas d’éveiller des sentiments de culpabilité. Certes, il nous a semblé que les descriptions de Lasch nous invitent à examiner ce qui, au cœur de nos relations et de notre intimité, au centre de nos modes de pensée et de notre inconscient, est profondément capitaliste (ou pourrait être interprété comme tel). En cela, elles susciteront peut-être en chacun-e de nous un débat avec sa conscience. Mais, au-delà de son approche psychologique, cette analyse est avant tout une critique politique : elle soutient que le narcissisme n’est pas le propre de la nature humaine mais un phénomène social.
Enfin, précisons que notre propos n’est pas d’exposer en toute rigueur ce que pense Christopher Lasch, ni ce qu’il « faut » penser de ce qu’il pense. En ce sens, nous ne pouvons que vous conseiller la lecture de La culture du narcissisme.
ImageProxy.mvc

Quelques définitions en préambule…

Extraites du dictionnaire Petit Robert
Narcisse:
1. Plante monocotylédone (amaryllidacées) bulbeuse, herbacée, à fleurs campanulées blanches très odorantes, ou jaunes.
2. De Narcisse, personnage de la mythologie qui s’éprit de lui-même en se regardant dans l’eau d’une fontaine, et fut changé en la fleur qui porte son nom.
Narcissisme:
Admiration de soi-même, attention exclusive portée à soi.
« Le narcissisme est un concept qui ne nous fournit pas un déterminisme psychologique tout fait, mais une manière de comprendre l’effet psychologique des récents changements sociaux. […] De fait, le narcissisme semble représenter la meilleure manière d’endurer les tensions et anxiétés de la vie moderne. Les conditions sociales qui prédominent tendent donc à faire surgir les traits narcissiques présents, à différents degrés, en chacun de nous ».
Christopher Lasch, La culture du narcissisme
(Par la suite, en gras dans le texte, ce sont des citations de Christopher Lasch)
« Des avis de tempête, des présages de malheur, des allusions à des catastrophes hantent notre temps. Le sens de »choses-en-train-de-finir », qui a donné forme à tant de productions littéraires du XXème siècle, s’est maintenant largement répandu dans l’imagination populaire. »
Christopher Lasch, La culture du narcissisme
Des hantises peuplent l’imaginaire collectif. Elles favorisent l’émergence du narcissisme. Quelles sont-elles ?
L’individu occidental ressent la brutalité de la société. Il sait que les injustices y sont importantes, que la pauvreté et les inégalités progressent. Il voit les mendiants dans la rue, les chiffres du chômage. La société ne lui apparaît pas comme un système harmonieux ou bienveillant, mais plutôt comme un univers de conflits, avec des perdants et des gagnants, des dominants et des dominés.
Il a conscience des menaces qui pourraient ravager l’humanité, qu’elles soient d’ordre écologique (virus, catastrophe nucléaire, réchauffement climatique…), social et/ou politique (guerre, terrorisme, surpopulation, famine…). Ces apocalypses sont régulièrement brandies par les médias. Elles lui apparaissent à la fois proches et lointaines. Proches dans la mesure où il en entend souvent parler. Lointaines dans la mesure où il n’a pas prise sur elles. L’individu occidental se sent dépassé. « Chaque reportage lui présente une nouvelle catastrophe, arbitraire, imprévisible, sans aucune continuité avec le jour précédent ». Il se sent tout petit face à ces gigantesques problèmes. Convaincu que ses gestes quotidiens auront peu d’impact, il ne voit pas comment il pourrait, à son niveau, changer quoi que ce soit. Il sait que sa vie pourrait être bouleversée à tout instant. Il n’est pas à l’abri d’un accident, d’un licenciement, d’une agression, d’une maladie fulgurante, d’une souffrance intenable. Il va mourir, et il le sait. Plus le temps passe, plus cette pensée le hante. La vieillesse lui semble être une souffrance socialement cachée ou niée. Il pourrait se retrouver dans une maison de retraite sordide où, chaque jour, la pauvreté relationnelle s’ajoute aux souffrances physiques.
Quel est le sens de sa vie : la réussite professionnelle ? L’amour parfait ? Des enfants ? La quiétude ? L’individu occidental cherche du sens. Un profond vide intérieur l’étreint, une insatisfaction permanente, une frustration profonde. Il ne trouve pas de conduite claire à suivre. Les religions lui paraissent généralement désuètes ou dangereuses. Ce sentiment est accentué par les contradictions flagrantes de la plupart de ceux qui les pratiquent autour de lui. Même s’il tente parfois de se fixer une éthique personnelle, celle-ci est extrêmement difficile à atteindre, ce qui le culpabilise encore davantage. Pourtant, il rêve de devenir un grand sage apaisé et serein au milieu du tumulte social.
Son environnement social est globalement aride et impersonnel. Il peut, bien sûr, créer des liens amicaux dans son entourage, construire sa « tribu bienveillante ». Mais les comportements égoïstes, agressifs et impersonnels constituent son quotidien, dans les transports en commun, dans les magasins, sur les routes, sur les plages, etc. Ses relations professionnelles sont également superficielles, le plus souvent empêtrées dans des rapports hiérarchiques ou intéressés. Il se sent interchangeable, stressé, fatigué, dans l’attente du bouquet compensatoire « salaire-congés payés ».

La menace médiatique

« Pris dans un flux d’informations instantanées, surabondantes, omniprésentes et kaléidoscopiques, l’individu se sent au milieu d’un carrousel qui tourne autour de lui et n’y découvre aucun point fixe, aucune continuité : c’est le premier effet de l’information sur lui. Même pour les évènements majeurs, il a une peine inouïe à se former une vision juste au travers et au moyen des mille petites touches, variables de couleur, d’intensité, de dimensions, que lui apporte le journal. Dès le lendemain surgit un nouveau paquet d’informations qui exigent une nouvelle mise au point qu’il n’aura pas le temps de faire. Comme de plus, l’information est presque toujours de l’ordre de l’accident, de la catastrophe ou de la guerre, il a l’impression de vivre dans un monde incohérent où tout n’est que menace. »
Jacques Ellul, Le système technicien, éd Le Cherche-midi, 2004
A l’école, au travail, dans les magasins, dans ses loisirs, il évolue dans un univers d’indifférence, de relations éphémères, de rapports marchands. Son univers familial lui-même lui semble destructuré ou destructurable. Qui n’a pas entendu parler autour de lui de divorces, de familles dépecées, de luttes intestines entre fratries, d’enfants placés, de couples en souffrance ?
L’individu occidental n’a généralement aucun espoir de réel changement social ou politique. Les sphères de pouvoir lui paraissent lointaines, déconnectées de sa vie quotidienne. Il perçoit la« politique » comme un monde de corruption, de manipulation, de mensonge. Il n’y croit pas ou plus. Sa citoyenneté de soi-disant « démocrate » est vide, superficiellement sollicitée pour des élections dont les candidats ont été sélectionnés d’avance et dont il n’a qu’une vague connaissance des programmes, ou encore pour des campagnes de sensibilisation comme celles sur la sécurité routière, la contraception ou le tabagisme. La législation lui semble extrêmement complexe, incompréhensible — et d’ailleurs rarement expliquée. Il ne connaît que très partiellement ou confusément le fonctionnement de l’État ou de l’administration. Il est dépendant des experts pour comprendre cet univers (avocat, juriste, ingénieur, etc.).
Toutes ces pensées ne forment pas un « Tout » conscient en permanence dans le psychisme de chaque individu. Elles émergent plutôt de manière éparse, dans l’état de demi-conscience d’un réveil blafard, au creux d’un cauchemar, en filigrane d’une discussion, d’une pensée ou d’un soupir. C’est bien souvent un sentiment diffus, aussi bien dans la sphère consciente que dans l’inconscient. Mais ce climat social plonge l’individu occidental dans une angoisse sourde et latente. Au plus profond de lui, bien qu’il n’en ait pas forcément toujours conscience, il est désespéré.
Narcisse est prêt à naître.

Les stratégies de défense de Narcisse

« Le désastre qui menace, devenu une préoccupation quotidienne, est si banal et familier que personne ne prête plus guère attention aux moyens de l’éviter. Les gens s’intéressent plutôt à des stratégies de survie, à des mesures destinées à prolonger leur propre existence ou à des programmes qui garantissent bonne santé et paix de l’esprit. »
Christopher Lasch, La culture du narcissisme
Né du désespoir, Narcisse va rechercher le soulagement. L’être humain ne peut, en effet, raisonnablement vivre dans un tel climat d’angoisse et d’insécurité. Inconsciemment, son psychisme va mettre en place toute une série de mécanismes de défense

Se replier sur le présent

L’avenir est menaçant, la mort inévitable ? Nous ne pouvons pas lutter contre les menaces personnelles et collectives qui planent sur nos têtes ?
Autant ne pas y penser et vivre pour soi les instants qui restent. Narcisse se replie sur le présent, concentre son attention sur la journée, la semaine, l’année, les prochaines vacances. Ses projets de vie dépassent rarement la dizaine d’années ou l’espace temporel d’un crédit immobilier.
De la même manière que Narcisse évite de trop souvent penser à l’avenir, son passé l’intéresse peu. D’ailleurs, les seuls moments où il a étudié l’Histoire, ce fut à l’école. Ce n’était guère passionnant : de grandes dates historiques, des leçons à apprendre pour des examens (entre un cours de maths et un cours de biologie), une vision de l’Histoire aplanie et impersonnelle évitant généralement d’aborder réellement de front les destins des individus « non célèbres » (c’est-à-dire la majorité de la population — le destin des femmes étant encore plus fréquemment occulté), les plaies sociales encore béantes (Pour la France, citons par exemple : la Commune de Paris (1848), la guerre d’Algérie (1956-1962), l’accident nucléaire de Tchernobyl (1986), le génocide du Rwanda (1994)… autant d’évènements très rarement abordés dans l’enseignement secondaire). Ce désintérêt pour l’avenir et le passé est caractéristique d’une mentalité de survie. Narcisse va rechercher à combler ses besoins immédiats, afin d’accéder à un soulagement, ici et maintenant.

Se désintéresser de la « politique » et se divertir

Société inhumaine, travail éreintant, désastres menaçants… Vous connaissez tous cette petite phrase si souvent entendue : « De toute façon, on ne peut rien faire »; L’attitude de Narcisse reflète « la perte de tout espoir de changer la société, et même de la comprendre ». Il n’a aucune réelle espérance dans l’action étatique ou dans la participation au monde politique. Lorsque Narcisse vote, c’est généralement sans grande conviction ; il ne s’implique dans aucun parti ou syndicat.
Face au constat d’impuissance, autant se divertir : penser à soi et aux siens, se réconforter par la consommation de multiples gadgets ou de loisirs renouvelables à profusion. La publicité n’en propose-t-elle pas chaque jour ?
Pourtant, pourquoi Narcisse ne puise-t-il pas dans son insatisfaction et son désespoir l’énergie nécessaire pour construire une autre politique, d’autres modes de vie, un autre univers social et relationnel ? Pourquoi ne tente-t-il pas de changer ses conditions de travail, de modifier sa vie ?
Ces projets demandent une énergie importante, une prise de risque, des bouleversements de vie, un saut dans l’inconnu. Pourquoi troquer une position inconfortable mais habituelle, presque prévisible, contre un bouleversement de vie incertain, risqué, et donc encore plus angoissant ? Narcisse recherche la position la plus confortable et rassurante à court terme, celle qui apporte le plus de soulagement immédiat. Il apprend à « établir une étrange et paisible relation d’habitude avec la catastrophe sociale qu’il pressent en lui et autour de lui ».
ImageProxy.mvc

La pub, dopant du narcissisme

Omniprésente, la publicité joue un rôle fondamental dans la construction de l’imaginaire collectif. Elle nourrit le psychisme de Narcisse. Ce dernier y puise aussi bien sa jubilation apparente que son profond désespoir.
« A une époque moins complexe, la publicité se contentait d’attirer l’attention sur un produit et de vanter ses avantages. Maintenant, elle fabrique son propre produit : le consommateur, être perpétuellement insatisfait, agité, anxieux, blasé. La publicité sert moins à lancer un produit qu’à promouvoir la consommation comme style de vie. Elle « éduque » les masses à ressentir un appétit insatiable, non seulement de produits, mais d’expériences nouvelles et d’accomplissement personnel. Elle vante la consommation, remède universel aux maux familiers que sont la solitude, la maladie, la fatigue, l’insatisfaction sexuelle. Mais simultanément, elle crée de nouvelles formes de mécontentements, […] utilise et stimule le malaise de la civilisation industrielle. Votre travail est ennuyeux et sans signification ? Il vous donne un sentiment de fatigue et de futilité ? Votre existence est vide ? Consommez donc, cela comblera ce vide douloureux. […]
La propagande de la marchandise sert une double fonction. Premièrement, elle affirme la consommation comme solution de remplacement à la protestation et à la rébellion. […] Le travailleur fatigué, au lieu de tenter de changer les conditions de son travail, cherche à se revigorer en renouvelant le cadre de son existence, au moyen de nouvelles marchandises et de services supplémentaires. En second lieu, la propagande de la marchandise, ou de la consommation de celle-ci, transforme l’aliénation elle-même en une marchandise. […] Elle promet de pallier tous les malheurs traditionnels, mais elle crée aussi, ou exacerbe, de nouvelles manières d’être malheureux : l’insécurité personnelle, l’anxiété quant à la place de l’individu dans la société, l’angoisse qu’ont les parents de ne pas être capables de satisfaire les besoins de leurs enfants. […]
Bien qu’elle serve le statu quo, la publicité s’est néanmoins identifiée à un changement radical des valeurs, à une « révolution dans les manières et la morale ». […] Le dispositif de promotion de masse […] se met du côté de la femme (ou fait semblant) contre l’oppression masculine, du côté de l’enfant contre l’autorité de ses aînés. Il est logique, du point de vue de la création de la demande [consommation] que les femmes fument et boivent en public, qu’elles se déplacent librement […] L’industrie de la publicité encourage ainsi une pseudo-émancipation […] et déguise sa liberté de consommer en autonomie authentique. De même, elle encense et glorifie la jeunesse dans l’espoir d’élever les jeunes au rang de consommateurs de plein droit, avec téléphone, télévision, appareil haute-fidélité dans sa chambre […] Mais si elle émancipe femmes et enfants de l’autorité patriarcale, ce n’est que pour mieux les assujettir au nouveau paternalisme de la publicité, des grandes entreprises industrielles et de l’État.

Être dévoré par son envie de dévorer

« Les gens se plaignent d’être incapables de sensation. Ils sont à la recherche d’impressions fortes, susceptibles de ranimer leurs appétits blasés et de redonner vie à leur chair endormie. […] Ils bouillonnent d’une colère intérieure à laquelle une société bureaucratique, dense et surpeuplée, ne peut offrir que peu d’exutoires légitimes. »
Christopher Lasch, La culture du narcissisme
Les appétits de Narcisse sont énormes. Il cherche un but, un idéal, une obsession à embrasser. Il est le candidat idéal aux fantasmes de richesse, de puissance, de pouvoir et de beauté. Mais dans le même temps, il a conscience que ces appétits le rongent, qu’ils sont la source de son insatisfaction permanente. Au fond de lui, il voudrait se libérer de cette avidité, trouver une certaine quiétude, un repos.
L’indifférence et le détachement peuvent permettre à Narcisse de trouver une illusion de soulagement dans la tempête intérieure de désirs qui le dévorent. Cette attitude consiste à « être là tout en étant essentiellement ailleurs », tenter de se préserver d’une existence insupportable en se distanciant de celle-ci, en dissociant sa vie de sa pensée. Narcisse tend vers la psychose.
Il apprend, en effet, à ne pas tirer les conséquences de ses pensées, à nier à la fois l’évidence de sa réalité sociale et l’évidence de son désir de changement profond. Son détachement, ses phases de découragement, son immense lassitude témoignent d’un désir grandissant, impalpable ou épisodique mais profond de « tout lâcher ».
Reste aussi la voie des sensations fortes, l’alcool ou la drogue qui dissolvent le désir dans d’ardentes sensations de bien-être (Mais comme le souligne François Brune dans Le bonheur conforme : « Les drogués passent pour des marginaux qui fuient la société de consommation. En réalité, ils sont dans sa logique profonde, ils en sont les fruits les plus conséquents. La rencontre entre désir d’absolu et culture hédoniste produit la consommation de « paradis » artificiels… »).

Se réfugier dans un cynisme confortable

« Le fatalisme fébrile sert de toile de fond à l’hédonisme à court terme d’un individu secrètement désespéré. »
François Brune, Le Bonheur conforme, éd Gallimard, 1996
Narcisse se réfugie dans le détachement critique et la distanciation ironique. Par la plaisanterie, la moquerie et le cynisme, il a en effet le sentiment que ses limites et ses craintes présentent moins d’importance. « Il donne ainsi aux autres et à soi-même, en démythifiant, l’impression de sublimer la réalité, même quand il s’y plie et fait ce qu’on attend de lui ». Par le cynisme, il se sent supérieur, même si son cynisme est né d’un sentiment inconscient de se sentir justement dépassé par les contraintes de son existence.
Ce détachement ironique masque sa profonde souffrance. Et dans le même temps, il paralyse sa volonté de transformer la société. Sans compter l’admiration que suscite celui qui se montre fin connaisseur de la décadence sociale… Même si le sport qui consiste à décrire sans fin, avec une complaisance variable, la catastrophe présente, n’est qu’une autre façon de dire « c’est ainsi ». L’humour agit « moins pour prendre quelque distance par rapport à ses angoisses que pour s’insinuer dans les bonnes grâces de son auditoire, obtenir son attention sans lui demander de prendre au sérieux l’auteur ou son sujet ».
D’ailleurs, Narcisse raffole d’autocritique humoristique. Se railler, c’est toujours charmer et désarmer la critique, s’auto-analyser complaisamment. A grand coups de mensonge, de cynisme, de divertissement, de négation, d’indifférence, Narcisse tente de s’accommoder, de s’arranger avec sa réalité sociale.

Les médias et le narcissisme

Narcisse trouve dans les médias de masse l’une des principales sources de ses angoisses et la confirmation de son impuissance :
Une consommation narcissique : « Que savoure-t-on exactement dans la consommation d’évènements ? Souvent ces mêmes émotions troubles que l’on recherche dans les fictions : la catastrophe (qui m’épargne), la révolte (qui m’honore), la grandeur (du héros emblématique auquel je m’identifie), le suspense (qui va gagner la guerre d’Irak ?), la compassion (provisoire), le sadisme (qui me flatte et que je dénonce aussitôt), bref tout un imaginaire lié à une complaisante dégustation de soi. »
Une illusion de domination du monde : Les médias nous donnent l’impression que le monde tourne autour de nous. « Plus nous sommes saisis par les évènements, plus nous sommes fortifiés dans le sentiment que l’époque existe bien, et que nous nous situons en plein centre, dans ce fameux cœur de l’actualité que les journalistes poursuivent comme le Saint Graal. »
Une illusion de participation collective au théâtre du monde : « L’événement satisfait notre besoin d’un faux semblant de vie démocratique. On se laisse gagner par la vague idée qu’il nous fait citoyens par le seul fait qu’on se branche sur lui, qu’on devient peuple souverain en absorbant ensemble et en direct les mêmes nouvelles (notamment politiques), et qu’il suffira d’en parler pour accéder au statut d’Opinion… Bref, à condition de le suivre assidûment, l’événement nous offre l’illusion d’une participation collective sous les espèces d’une consommation consensuelle. »
Éloge de la fuite : L’actualité est un divertissement permettant de fuir l’angoisse métaphysique, d’oublier l’ennui du quotidien. En arrière-fond s’exprime « la peur de la mort : non pas la mort comme un simple épisode terminal de l’existence, mais la mort au présent, c’est-à-dire à chaque moment la fin de chaque moment, ce que conjure précisément l’actualité en apportant à chaque instant une nouvelle, un renouveau […] l’événement idéal étant celui qui […] nous fait compatir à la mort des autres, tout en nous faisant oublier la nôtre… » Il s’agit de « conjurer le sentiment que nous poursuivons une existence mortelle par l’illusion que nous ne cessions de muter avec l’époque en mutation. »
Toutes les citations entre guillemets sont extraites de De l’idéologie aujourd’hui, François Brune, Parangon, 2004

Rechercher la valorisation de soi

« Puisque la société n’a pas d’avenir, il est normal de vivre pour l’instant présent, de fixer notre attention sur notre propre « représentation privée », de devenir connaisseurs avertis de notre propre décadence, et enfin, de cultiver un « intérêt transcendantal pour soi-même ». »
Christopher Lasch, La culture du narcissisme
Narcisse voudrait sa vie différente, mythifiée, grandiose. Or, comment la mythifier sans le regard des autres pour la contempler, sans un miroir pour se rassurer ? Le narcissisme rend séducteur : Narcisse cherche à ce que les autres l’aiment et l’admirent, reflètent son Moi grandiose. Manipulateur souvent habile, il est doué pour contrôler les impressions qu’il donne à autrui, formaliser et feinter la compréhension, charmer plutôt que convaincre. Il calcule ses expressions pour voir ses effets sur autrui, traque ses imperfections pour améliorer son pouvoir d’impressionner. Narcisse a d’ailleurs le sentiment d’être constamment surveillé par les autres. Mais, au final, il tire peu de satisfaction de ses prestations et, souvent, méprise intérieurement ceux qu’il parvient à manipuler. La dépréciation de son entourage est d’ailleurs systématique.
Parallèlement, Narcisse recherche constamment ceux qui irradient célébrité, puissance, charisme. Être associé aux « grands hommes » ne confère-t-il pas de l’importance ?
Mais « Si Narcisse admire un « gagneur » et s’identifie à lui, c’est parce qu’il a peur d’être rangé parmi les « perdants ». Il espère refléter quelque lumière de son astre ; mais une forte proportion d’envie se mêle à ses sentiments, et son admiration tourne souvent en haine si l’objet de son attachement fait quoi que ce soit qui lui rappelle sa propre insignifiance. »
Tout cela ne le satisfait pas. Il s’évalue sans cesse et doute beaucoup de lui-même. Son moral est oscillant et chaotique. Sa désillusion est permanente, source d’animosité et de mécontentement. Narcisse est de tendance dépressive. Quand il prend conscience qu’il devra peut-être vivre sans être célèbre et mourir sans que les autres ne se soient jamais rendus compte de l’espace microscopique qu’il occupe sur cette planète, c’est un coup dévastateur pour son identité. Narcisse a peur de faire partie des « médiocres », des gens « ordinaires », et méprise intérieurement les gens « normaux ». D’ailleurs, il raffole de la psychologie, y trouve un support de fantasme d’omnipotence et de jeunesse éternelle, l’équivalent moderne du Salut : « Je trouverai la santé mentale grâce à la psychanalyse! ». Il est le candidat idéal pour des analyses interminables. Narcisse cherche ainsi à apprendre à s’aimer suffisamment pour ne pas avoir besoin des autres pour être heureux.

La santé mentale, l’équivalent moderne du Salut ?

« N’ayant pas l’espoir d’améliorer leur vie de manière significative, les gens sont convaincus que, ce qui comptait, c’était d’améliorer leur psychisme : sentir et vivre pleinement leurs émotions, se nourrir convenablement, prendre des leçons de ballet ou de danse du ventre, s’immerger dans la sagesse de l’Orient, faire de la marche ou de la course à pied, apprendre à établir des rapports authentiques avec autrui, surmonter la « peur du plaisir ». […] Assailli par l’anxiété, la dépression, un mécontentement vague et un sentiment de vide intérieur, « l’homme psychologique » du XXème siècle ne cherche vraiment ni son propre développement ni une transcendance spirituelle, mais la paix de l’esprit, dans des conditions de plus en plus défavorables. […] Il se tourne vers [les thérapeutes] dans l’espoir de parvenir à cet équivalent moderne du salut : la « santé mentale ». »
Christopher Lasch, La culture du narcissisme

Ressentir une incapacité relationnelle

Bien qu’il en ressente un désir ardent, Narcisse ne sait pas s’entendre avec autrui. En témoigne son manque de curiosité à leur égard. Bien qu’il sache se mettre en scène, il est, le plus souvent, incapable de réellement s’attrister de la peine d’autrui, incapable d’éprouver des sentiments spontanés, incapable de s’intéresser aux autres sincèrement et durablement. Ses relations sont généralement insatisfaisantes. Narcisse est profondément désenchanté sur ses rapports humains, convaincu au fond de lui que la recherche de domination marque toutes les relations.
Pourtant, il proclame régulièrement des valeurs : Amitié, Amour, Intimité, Liberté. Mais, plus il les proclame, plus il a tendance à les fuir. Par exemple, son culte de l’intimité dissimule la crainte de ne jamais la trouver. Sa vie intérieure n’est d’ailleurs pas un refuge. Il la dévoile souvent pour séduire, être acclamé, n’hésite pas à mentir pour déclencher la sympathie. « Bien que Narcisse puisse fonctionner dans le monde de tous les jours et charme souvent son entourage (l’un de ses meilleurs atouts étant de se livrer à de « pseudos-révélations de sa personnalité »), sa dépréciation des autres, ainsi que son manque de curiosité à leur égard, appauvrissent sa vie personnelle et renforcent « l’expérience subjective du vide » ».
Angoissé par la dépendance et l’engagement, Narcisse préfère les « titillations affectives » et n’assume pas l’entière responsabilité de ses liaisons. Obsédé par la performance, il recherche la satisfaction sexuelle comme fin en soi, fait des demandes extravagantes, rongé par ses propres appétits. L’intensité de ses besoins l’amène à avoir des exigences considérables à l’égard de ses amis et de ses partenaires sexuels. Cependant, tout effrayé qu’il est par l’ardeur de ses besoins profonds, ceux des autres l’horrifient tout autant. Il refoule donc périodiquement ses exigences et ne demande qu’une relation désinvolte sans promesse de permanence d’aucune part. Il cherche à être aimé mais il a peur d’aimer.

« Notre société fait qu’il est de plus en plus difficile pour un individu de connaître une amitié profonde et durable, un grand amour […] les relations personnelles […] prennent un caractère de combat. »

Narcisse veut tout, tout de suite, mais ne veut pas s’engager. « Bien décidé à manipuler les émotions des autres tout en se protégeant lui-même de toute souffrance affective, chacun, par mesure de sécurité, s’ingénie à paraître superficiel, affiche un détachement cynique, qu’il ne ressent qu’en partie, mais qui devient une habitude, et, en tout cas, remplit d’amertume les relations personnelles, ne serait-ce qu’à force d’être proclamé. En même temps, on attend des relations intimes la richesse et l’intensité d’une expérience religieuse. »
S’il se sent mal à l’aise lorsqu’il lui arrive de faire des demandes, c’est parce qu’il redoute que l’autre ne se sente du même coup autorisé à lui en faire à son tour. Narcisse a du mal à imaginer un besoin affectif qui ne cherche pas à dévorer l’objet auquel il s’attache. Il condamne violemment la jalousie et la possessivité, et fait preuve d’une familiarité désinvolte, évitant tout engagement affectif mais l’exigeant de son partenaire. Prônant souvent le désengagement affectif comme vertu, Narcisse est le candidat idéal aux théories de « l’amour libre ». Mais, passé la période d’euphorie, il est généralement déçu et ressent un profond détachement affectif. Il se plaint d’une incapacité émotionnelle à ressentir quoi que ce soit, « plus gelé à l’intérieur, plus animé à l’extérieur ».
Simultanément, Narcisse aspire à se libérer de sa propre avidité et de sa colère, à atteindre un détachement tranquille au-delà de toute émotion, à dépasser sa dépendance à l’égard des autres. Il rêve d’être indifférent aux relations humaines et à la vie elle-même : il pense qu’il serait ainsi capable d’en accepter la précarité.

ImageProxy.mvc

Être à la fois victime et bourreau

Narcisse a tendance à projeter partout les angoisses et agressions qu’il reçoit : dans sa vie intime, professionnelle ou politique. Il reproduit le sentiment d’être instrumentalisé en instrumentalisant, transpose la brutalité de sa vie sociale dans sa vie intime. Toutes les rencontres, même les plus intimes, deviennent alors l’occasion d’utiliser l’autre comme un objet de plaisir ou de pouvoir. Narcisse reproduit souvent inconsciemment, dans ses relations, l’exploitation qu’il ressent ou subit.
La plupart du temps dominé et dépassé par les évènements, il saisit toutes les occasions de se comporter en dominant. Par exemple, « Narcisse connaît souvent une grande réussite dans sa vie professionnelle. Il lui est facile de manipuler les impressions personnelles : la maîtrise qu’il a de leurs subtilités est un atout pour lui dans les organisations professionnelles et politiques où le rendement compte moins que la « visibilité », « l’élan » et un beau « tableau de chasse ». […] L’environnement interpersonnel surpeuplé de la bureaucratie moderne, dans lequel le travail revêt un caractère abstrait, presque totalement dissocié de son exécution, encourage et souvent récompense, par sa nature même, une réaction narcissique. »
L’une des caractéristiques du système capitaliste consiste à transformer les victimes en bourreau. Ce statut ambivalent contribue à une fracture mentale et à des comportements sociaux en contradiction les uns avec les autres.
« Nous sommes trop inattentifs, ou trop occupés de nous-mêmes, pour nous approfondir les uns les autres : quiconque a vu des masques, dans un bal, danser amicalement ensemble, et se tenir par la main sans se connaître, pour se quitter le moment d’après, et ne plus se voir ni se regretter, peut se faire une idée du monde. »
Vauvenargues, Maximes et pensées, éd du Rocher, 2003

Vivre dans la contradiction

Dans son livre 1984, Orwell décrivait la « double-pensée », cette capacité de l’être humain d’intérioriser deux affirmations opposées. Cette déstructuration des liens logiques est palpable dans la personnalité de Narcisse. Par exemple :
Il prône « la coopération et le travail en équipe tout en nourrissant des impulsions profondément antisociales » et s’enferme souvent dans des attitudes de « tolérance hostile ».
Il rejette la religion mais apparaît comme un être de croyances, dans la mesure où il délègue sans cesse à d’autres ce qu’il doit penser et faire (experts, entreprises, sectes, etc. ).
Il est extrêmement cynique et désabusé par le monde politique mais continue à voter pour tel ou tel parti.
Il exalte le respect des règlements mais triche dès qu’il peut. Il se conforme aux normes sociales « par crainte d’être puni par autrui, mais il se voit souvent comme un hors-la-loi et se représente les autres de cette manière. »
« Il se veut superficiellement détendu et tolérant, ne cherche pas à imposer ses propres certitudes aux autres, mais il se crispe sur ses positions s’il se sent attaqué. »
Il bouillonne de désirs et de colère mais se veut sociable, incolore, soumis.
Il combine le « sentiment d’une décadence de la société » avec une « utopie technologique ». La certitude que nous courons à la ruine côtoie une croyance implicite en le progrès de la technique.
Nous pourrions multiplier ces exemples, et nous en trouverons sans doute de nombreux autour de nous ou en nous-mêmes.

La double-pensée

« La méfiance à l’égard de la publicité, tout en continuant à consommer, le rejet de la politique-spectacle, tout en se passionnant pour ce qui s’y déroule, font de nous des êtres paradoxaux. Ce brouillage idéologique auquel la publicité contribue fortement nous amène à adhérer à des « certitudes » de plus en plus opposées : l’idéal du tout automobile et la saturation des routes, le triomphe de la communication et l’expansion des solitudes, les sirènes de la croissance économique et la marée du chômage. Il faut croire tout et son contraire, ce que l’écrivain Orwell appelait dans 1984 « la double-pensée ». Il s’agit d’une véritable fracture mentale où chacun doit faire tenir ensemble les tristes données de l’expérience quotidienne et l’incessante imprégnation d’une idéologie ambiante qui « positive à mort ». »
François Brune, De l’idéologie aujourd’hui, éd Parangon, 2004
ImageProxy.mvc

Le narcissisme comme phénomène social

Extrait de De notre servitude involontaire, Alain Accardo, Agone, 2001
« Toute société reproduit sa culture – ses normes, ses postulats sous-jacents, ses modes d’organisation de l’expérience – dans l’individu, sous la forme de la personnalité. Comme le disait Durkheim, la personnalité est l’individu socialisé. »
Christopher Lasch, La culture du narcissisme
La science sociale a mis « en lumière le fait fondamental de la socialisation, […], structuration simultanée d’agents collectifs (groupes de toutes dimensions et toutes structures) et d’agents individuels (membres de ces groupes) porteurs de propriétés adéquates. De ce point de vue, la vieille opposition classique individu/société se révèle dépourvue de tout fondement autre qu’une croyance métaphysique. […] Un système social, quel qu’il soit, existe toujours sous cette double forme : autour de nous sous une forme objective, dans le foisonnement des institutions, appareils, organisations, techniques, classements, distributions, répartitions, réglementations, codes, etc., et en nous sous forme d’ensembles structurés, plus ou moins cohérents et compatibles, de dispositions personnelles, inclinations, tendances, motivations, compétences et aptitudes à fonctionner dans un tel environnement objectif. Pour qu’un système social fonctionne et se reproduise, il faut qu’il y ait une relative congruence entre structures externes et structures internes façonnées par une même histoire. […] Notre Moi se construit à partir des structures objectives existantes : par le biais de sa socialisation, l’individu en intériorise la logique de fonctionnement et en incorpore les modèles et les normes, au fil des expériences liées à sa trajectoire personnelle. Deux sociétés différentes, ou deux époques historiques différentes d’une même société, ne peuvent façonner le même type d’individu. En retour, à mesure qu’il se construit, l’individu tend à s’autonomiser relativement (à devenir un sujet) et à réagir sur les structures en place pour les reproduire et les modifier tout à la fois dans des proportions variables.
Tel est le contenu sociologique minimum qu’il importe de donner à la notion de social, faute de quoi l’analyse des faits sociaux ne peut que s’enliser dans d’insurmontables antinomies entre un dehors sans rapport avec un dedans et un dedans sans lien avec un dehors. […] Ainsi donc, lorsque nous proclamons notre hostilité au « système capitaliste », et que toutes les critiques que nous formulons s’adressent exclusivement à ses structures économico-politiques objectivées, il est clair que notre analyse s’est arrêtée à mi-chemin et que nous avons oublié de nous interroger sur la partie intériorisée du système, c’est-à-dire sur tout ce qui en nous contribue à faire fonctionner ces structures, causes de tant de dégâts autour de nous.
Car enfin, ces structures économico-politiques ne pourraient pas fonctionner sans le concours de ce que certains sociologues ont appelé un « esprit du capitalisme », c’est-à-dire sans une adhésion subjective des individus qui engage, au-delà même des idées conscientes et des sentiments explicites, les aspects les plus profonds et les plus inconscients de leur personnalité, tels qu’ils ont été façonnés par leur socialisation dans le système. […] Si un système nous produit (ou contribue à nous produire) en tant que membres de tel groupe à telle époque, cela veut dire que, par le biais de mécanismes sur lesquels on est encore loin d’avoir fait toute la clarté, les déterminations sociales que nous intériorisons deviennent véritablement chair et sang. Le social s’incarne en chaque individu, et ses déterminations, une fois incorporées à notre substance, jouent par rapport à notre façon d’être au monde le même rôle à la fois indispensable et non perceptible que nos os et nos tendons jouent dans notre locomotion, […], elles ne sont plus ressenties comme des contraintes extérieures mais comme des mouvements dont le point de départ se situe dans l’intimité la plus profonde de notre moi. […]
Il est toujours possible de contraindre une masse d’agents sociaux à l’obéissance en recourant à une répression plus ou moins féroce. Mais un système fonctionnant uniquement à la coercition ne serait pas viable longtemps. Pour éviter d’avoir à casser continûment des têtes, il vaut mieux façonner durablement les corps et « l’esprit » qui les habite. Pour la longévité d’un système, il faut impérativement que ceux qui le font fonctionner soient disposés à le faire de leur plein gré, au moins pour l’essentiel. Et plus leur adhésion est spontanée, moins ils ont besoin de réfléchir pour obéir, mieux le système se porte. […]
On comprendra mieux ainsi pourquoi je considère que la critique d’un système capitaliste ne peut s’en tenir aux méthodes traditionnelles de lutte économique et politique, et se contenter de mettre en cause les structures objectives de l’ordre établi (par exemple le marché incontrôlé des capitaux financiers ou la politique de privatisation des services publics ou le caractère technocratique de la construction européenne, etc.), mais qu’elle doit, en outre et en même temps, mettre en cause la part que nous prenons personnellement, même et surtout si ce n’est pas intentionnel, à la « bonne » marche de l’ensemble. Ce retour réflexif de la critique du système sur elle-même est une entreprise difficile car elle ne peut que heurter, de prime abord, la bonne conscience des opposants au système, qui croient généralement avoir assez fait en dénonçant le caractère pernicieux des structures objectives de l’ordre capitaliste en leur refusant leur adhésion expresse, sans même soupçonner en quoi une telle prise de position critique, en raison même de son caractère partiel, peut contribuer au fonctionnement du système. »

En guise de conclusion

« Le type de révolution intellectuelle auquel l’oeuvre de Lasch nous invite ne pourra être que très mal accueilli par le public « éclairé », celui qui se sait, par droit divin, situé à jamais dans le camp du Bien et de la Vérité. […] sans doute parce que pour lui, une idée n’est pas tant un moyen de comprendre le monde que celui d’apaiser ses propres inquiétudes. »
Jean-Claude Michéa, préface de La culture du narcissisme
Finalement, qui est Narcisse ? Est-ce une caricature ? Est-ce une description de comportements parfois décelables en nous et autour de nous, à des degrés divers ?
Vous avez sans doute noté ou ressenti de multiples contradictions dans cet exposé qui ne se présente pas comme une « bulle de cohérence » mais comme un questionnement sur ce qui, dans notre vie intime et nos rapports personnels, semble constituer les mêmes structures de domination que celles que nous critiquons au niveau politique et social.
Répétons-le, il ne s’agit là que d’interprétations de la réalité sociale, réalisées à partir de ce que nous avons compris des analyses de Christopher Lasch. Cet exposé, trop concis, aurait gagné à étudier dans quelle mesure les médias, le système politique actuel, le travail, l’école ou encore la publicité constituent autant d’encouragements et d’exutoires créant et avivant le narcissisme. En effet, nous sommes convaincus que le système actuel a tout intérêt à favoriser la « production » en grand nombre de Narcisses. Par leur conformisme et leur cynisme, ces derniers sont en effet, à court terme, les meilleurs garants de l’ordre établi et de la culture de consommation hédoniste.
Laissons le mot de la fin à Christopher Lasch : « [Est-ce] criminel que les citoyens blancs de la classe moyenne se complaisent à examiner leur moi, alors que leurs compatriotes moins chanceux luttent et crèvent de faim [?] Il faut cependant comprendre que ce n’est pas par complaisance mais par désespoir que les gens s’absorbent en eux-mêmes, et que ce désespoir n’est pas l’apanage de la seule classe moyenne. […] L’effondrement de la vie personnelle ne provient pas de tourments spirituels réservés aux riches, mais de la guerre de tous contre tous, qui a toujours fait rage dans les couches inférieures de la population et qui s’étend à présent au reste de la société […] [le narcissisme] se révélant essentiellement une défense contre les pulsions agressives plutôt qu’un amour de soi. »
Source : Le Partage, Christopher Lasch, 14-06-2016

Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs - et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation. 

Commentaire recommandé

RGT // 07.08.2016 à 09h32

la Commune de Paris (1848)

Petite erreur à corriger : La Commune de Paris na pas eu lieu en 1848 mais en 1871, petite erreur de 23 ans nommée Napoléon III….
Juste après la guerre de 1870 durant laquelle le gouvernement de la France a baissé son froc mais Paris resté imprenable.
Et le gouvernement a exigé que la Commune de Paris lui donne les canons que la population avait acheté avec ses propres fonds pour se défendre…

Comme d’habitude, les pleutres corrompus exigent des peuples (héroïques dans ce cas) une soumission totale pour préserver leurs fesses… Chaque ville de France a sa « rue Thiers »…

Autre info pour les incultes : La Commune de Paris n’était pas « communiste » au sens marxiste du terme.
Elle était anarchiste proudhonienne (cherchez un seul « leader », vous n’en trouverez pas). Les marxistes ont instrumentalisé la mémoire de cet événement pour le détourner à leur avantage (et pour pisser sur la tombe de Proudhon par la même occasion).

46 réactions et commentaires

  • Vladimir Tchernine // 07.08.2016 à 04h50

    Certes, on se reconnait! Et alors? Lasch (comment ça se prononce au fait?) a totalement raison comme tout le commentaire autour! Mais que ce qu’on fait? Rien! Des petits soubresauts de conscience c’est tout ce qu’on peut se permettre pour ne pas être en sus trop hypocrite !

      +6

    Alerter
  • J // 07.08.2016 à 07h04

    Du narcissisme, il en faut quand même un peu, à dose certes modérée. On ne peut pas vivre sans un minimum d’estime de soi. Le tout est qu’il n’entre pas trop en concurrence avec celui des autres (perversité narcissique bien connue).
    Le dessinateur Sempé a publié, dans les années 1970, un recueil intitulé « L’information consommation », où il démontait, en caricaturant à peine, les ressorts de la pub de son temps (qui n’ont pas forcément bien changé).
    De mémoire, une présentation pour je ne sais plus quoi se termine par : « Et toutes les nénettes directo dans votre sexy-room ».
    Sur un autre dessin, un grand magasin est hérissé d’annonces grandiloquentes : « Devenez une super-femme ! » avec illustrations inspirées de Super(wo)man. Dessous, une foule de braves ménagères écoute les explications d’une présentatrice d’un nouveau gadget culinaire.
    Un autre dont je me souviens, le patron ou un dirigeant d’une agence de pub examine le montage d’un groupe de jeunes très branchés (comme on ne disait pas encore mais on comprend), et d’un enthousiasme plus qu’expressif pour un scooter (ou peu importe, c’est de mémoire). Le type conclut (en substance) : « Pas mal, mais il faudrait montrer par quelque chose qu’il est aussi de gauche » (ça, ça ne marcherait peut-être plus aujourd’hui).

      +2

    Alerter
    • Annouchka // 07.08.2016 à 09h50

      « Le narcissisme il en faut un peu (…) on ne peut pas vivre sans estimé de soi ».
      Non, c’est justement là le problème » : la personnalité narcissique, c’est etre confronté à un problème de défaut d’estime de soi.
      Le narcissique cherche désespérément qui il est, au fond de lui il ne rencontre que du vide: par exemple Don Juan est narcissique : il a besoin de séduire des femmes qu’il considère comme attirantes pour se valoriser ses à ses propres yeux, mais dès que la fille lui cède, elle pert son intérêt puisque justement elle a été séduite par un homme comme lui qui est si « nul » et si « vide ».
      Le pervers narcissique est dans la même logique : il a besoin de dominer (c’est à dire de détruire intérieurement) l’autre pour se prouver qu’il est puissant parce que justement il se sent vide et à peur de ne pas être puissant.

        +19

      Alerter
      • bluetonga // 07.08.2016 à 13h10

        Il me semble excessif de restreindre ici le narcissisme à son acception pathologique. J’aurais plutôt tendance (comme Lasch?) à le considérer comme une attitude, une conséquence naturelle d’un mode de vie matérialiste et individualiste.

        Notre vie est devenue très confortable. Elle nous a affranchi à la fois de la quête des besoins essentiels et des obligations vis-à-vis d’autrui. N’ayant plus besoin de lutter ensemble pour survivre, nous nous détournons des autres et perdons en même temps notre capacité à établir des liens de confiance. Dans un monde largement virtualisé, paraître est non seulement suffisant, mais souvent indispensable. Nos vêtements, nos objets, nos discours ont remplacé nos actes. Pour vaincre l’anonymat, il ne faut plus être utile, il faut être visible. Dès lors, notre « progrès » nous condamne au « narcissisme ».

          +18

        Alerter
      • Jean // 07.08.2016 à 14h17

        Je ne suis pas certain que l’on puisse confondre la personnalité du pervers narcissique avec celle du narcissique. Le premier a besoin de l’autre comme on peut avoir besoin d’un outil pour réaliser un objectif, que cette outil devienne utilisable par amour ou par crainte lui importe peu. Ce qui distingue le pervers narcissique c’est l’impossibilité de l’empathie et la bonne conscience. Le pervers narcissique se sait puissant, parce qu’il n’est pas entravé par l’empathie, et n’a pas besoin de se sentir aimé pour s’estimer. Le narcissique au contraire cherche à convaincre sa victime, et lui-même, que le personnage qu’il a créé mérite d’être aimé. Le narcissique doit avant tout se séduire pour s’estimer et ne peut donc pas utiliser tous les moyens pour arriver à cette fin.

          +3

        Alerter
        • Annouchka // 07.08.2016 à 17h30

          Et en quoi le pervers narcissique est-il narcissique alors?
          Vous dites,  » il se sait puissant parce qu’il n’est pas entravé par l’empathie », mais le manque d’empathie , est-ce que ce n’est pas la caractéristique de tous les pervers (et des psychopathes )?

            +2

          Alerter
          • Jean // 07.08.2016 à 18h14

            D’après ce que je comprends, les deux narcissiques sont nombrilistes mais ce qui fait la spécificité du pervers narcissique c’est que c’est un malade mental, irresponsable, alors que le narcissique n’est que sujet à une hallucination conceptuelle passagère, ce qui ne le rend pas incapable d’empathie, ni n’en fait un être dénué de toute moralité. Le narcissique décide, plus ou moins consciemment, de se tromper lui-même alors que le pervers narcissique est victime d’une pathologie contre laquelle il ne peut rien faire.
            Cette distinction me semble importante à l’heure où certains psychologues expliquent le comportement de certains hommes politiques par la maladie mental du pervers narcissique. C’est ce qui distingue, à mon avis, Trump(narcissique) de Clinton(pervers narcissique).

              +4

            Alerter
    • VAZY Francky // 07.08.2016 à 12h18

      C’est le genre de confusion typique dont les politiques/médias se servent pour mieux vous tromper/manipuler. Le narcissisme est une forme de perversion égocentrique et égoïste, qui altère le lien social et qui pervertit les relations humaines. L’estime de soi est une chose très différente, c’est le besoin d’appartenance décrit par Maslow, qui est empirique et hiérarchisé, non pas par son expérience, mais par la comparaison de son expérience au niveau social ou sociétal. Ainsi, on pourrait résumer votre confusion de cette manière. Ce que vous « croyez » n’est pas ce que vous « savez ». Ce qui vous rend plus fort, plus assuré, c’est votre savoir, et non vos croyances. Le narcissique croit qu’il est le plus beau et le plus fort, mais fait abstraction de tout ce qu’il n’aime pas en lui ou chez les autres, impose son seul point de vue par tous les moyens possibles, ce qui ne couvre jamais son environnement proche, et crée inévitablement des tensions sociales. C’est un paradoxe ou le narcissique essaye de séduire la société, mais s’en exclu lui même par son comportement, ce qui génère des frustrations, peut aboutir à une perversion du même type. L’estime de soi se construit elle sur l’expérience, sur les échanges, et non par le nombrilisme. De facto, son spectre est plus étendu, et l’équilibre est mieux respecté…

        +12

      Alerter
      • geoffrey // 07.08.2016 à 12h30

        bonjour, bonsoir,
        superbe article !!!
        le truc à ne pas oublier, c’est que ce qui se passe ne se passe pas par hasard !!!
        c’est voulu, par les dominants, le 1% !!! la superstructure de notre société pousse au narcissisme, à l’effondrement de la Morale, la disparition de la mémoire…
        faire de nous des zombies, des robots infantilisés et donc hyper-fragiles psychiquement parlant.
        et dire que certains voient le communisme comme la pire des dystopies !
        [Modéré]
        geoffrey, communiste belge

          +12

        Alerter
  • Foussignargues // 07.08.2016 à 09h21

    Qu’est-ce qu’on fait, devant la pertinence de cette analyse ? Bonne question !
    Il semble évident qu’échapper complètement au narcissisme est presque impossible, formatés comme nous le sommes, tous les jours. Alors, que faire ?
    Je ne vois qu’une seule issue : l’action collective. Ce n’est qu’en s’y engageant qu’on peut sortir, peu ou prou, de la contemplation complaisante et désespérée de son propre nombril…

      +8

    Alerter
    • Orangina Twist // 07.08.2016 à 10h12

      Bonjour,
      En fait, tout se passe un peu comme si nous nous étions coupés d’une partie de nous, celle du lien à une communauté, une collectivité, un groupe avec une histoire, des repères, des rites de passage, des limites, un groupe référence à tout le moins. Et c’est là l’autre effet du capitalisme, d’avoir brisé les groupes humains avec les valeurs associées qui du simple fait de leur existence retardait l’âge d’or de cette théorie économique.
      Nous avons détruits les particularismes, condamner les dialectes, mépriser ceux qui avaient un rapport à la terre, aux autres différent du notre pour n’en garder aujourd’hui qu’un triste produit touristique quelque peu dépaysant. Les rites, les règles, les coutumes, les représentations du monde des groupes ont de tout temps eu rapport avec l’économique en ce sens que le second découlait des premiers.
      Or, aujourd’hui, c’est exactement l’inverse, comment s’étonner dès lors que nous soyons si perdus, chargés de mots mais si peu d’idées, d’intensité vitale.
      Comme dit un proverbe qu’on retrouve sous une forme ou une autre dans la plupart des cultures à travers le monde, un arbre sans racines, il perd ses feuilles avant de tomber.

        +8

      Alerter
  • RGT // 07.08.2016 à 09h32

    la Commune de Paris (1848)

    Petite erreur à corriger : La Commune de Paris na pas eu lieu en 1848 mais en 1871, petite erreur de 23 ans nommée Napoléon III….
    Juste après la guerre de 1870 durant laquelle le gouvernement de la France a baissé son froc mais Paris resté imprenable.
    Et le gouvernement a exigé que la Commune de Paris lui donne les canons que la population avait acheté avec ses propres fonds pour se défendre…

    Comme d’habitude, les pleutres corrompus exigent des peuples (héroïques dans ce cas) une soumission totale pour préserver leurs fesses… Chaque ville de France a sa « rue Thiers »…

    Autre info pour les incultes : La Commune de Paris n’était pas « communiste » au sens marxiste du terme.
    Elle était anarchiste proudhonienne (cherchez un seul « leader », vous n’en trouverez pas). Les marxistes ont instrumentalisé la mémoire de cet événement pour le détourner à leur avantage (et pour pisser sur la tombe de Proudhon par la même occasion).

      +26

    Alerter
    • fanfan // 07.08.2016 à 20h20

      Colloque Henri Guillemin et la Commune
      Le colloque sur la Commune de Paris aura lieu le samedi 19 novembre 2016, de 9h30 à 17h30 et se déroulera dans un amphithéâtre de l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 à Censier.
      Le colloque visera à mieux faire connaître la Commune – ce moment tellement emblématique de l’Histoire nationale – en mettant en lumière les faits mal connus, les vérités cachées et en démythifiant les récits de l’Histoire officielle, à l’image des travaux et de l’engagement d’Henri Guillemin.
      http://www.henriguillemin.org/evenements/colloque-henri-guillemin-et-la-commune-date-et-lieu-fixes/

        +2

      Alerter
    • Torsade de Pointes // 08.08.2016 à 12h41

      Il s’agit sans doute des journées de juin 1848.

        +0

      Alerter
  • david Durand // 07.08.2016 à 09h38

    Lasch est le plus grand penseur du XX ème siècle. Il est méconnu car difficile à lire mais terriblement pertinent. Son livre sur la révolte des élites fut un depucellage intellectuel. À lire mais on en ressort pas indemne car il nous montre l’arrière de notre village potemkine social et culturel.

      +11

    Alerter
  • Homère d’Allore // 07.08.2016 à 09h52

    « Qu’est-ce qu’on fait ? »

    Certains petits exercices sont utiles.

    Le plus simple est de limiter, dans son vocabulaire, les pronoms personnels.
    Éviter autant que possible le « je, moi, mon ».
    Au restaurant, par exemple, plutôt que de commander en disant « je prendrai en entrée… », dire « la terrine de poisson en entrée ».

    Plus sérieusement, avec ses proches, éviter de parler de sa vie, ses problèmes, son travail, um so weiter, et orienter les discussions vers des sujets d’intérêt général (comme ceux abordés sur ce blog).

    Certes, l’action collective peut représenter une alternative mais les organisations sont remplies, quasiment à tous les niveaux, d’égotistes ou de pervers voulant profiter du groupe pour se mettre en avant. Ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas de « chefs », mais que ceux-ci devraient être sélectionnés sur d’autres critères que leur égo surdimensionné.

      +15

    Alerter
    • Annouchka // 07.08.2016 à 10h27

      Les « ego surdimensionnés » sont effectivement une plaie, notamment dans les organisations reposant sur le bébévolat.
      Apres, il est aussi très dangereux d’oublier son individualité, de se dire que l’individu n’est rien en dehors de la collectivité à laquelle il appartient (idee que l’on retrouve parmi la plupart des groupes ayant perpétré des meurtres de masse, les nazis par exemple)
      Lasch dit je crois que le narcissisme est le stade ultime de l’individualisme. Je dirais que c’est plutot une perversion de l’individualisme – ou plus exactement d’un individualisme purement matérialiste (d’où le rôle de la consommation, consommation de biens matériels ou prétendument spirituels)

        +10

      Alerter
    • lon // 07.08.2016 à 12h10

      und so weiter , et non um so weiter

      avec ses proches, ne pas parler de soi ?

        +4

      Alerter
      • Homère d’Allore // 07.08.2016 à 13h22

        Merci pour la correction. En effet, « und so weiter ». Lapsus calimi.

        « Parler de soi avec ses amis » Si c’est pour se mettre en avant, voici l’opinion de Balthazar Gracian dans « Le Héros »:

        « L’affectation est le contrepoids de la grandeur. La perfection doit être en toi et la louange en la bouche d’autrui. Celui qui a l’impertinence de se préconiser lui-même mérite bien d’être puni du silence de tous les autres. L’estime se laisse persuader à l’éloquence muette des qualités personnelles et non à une ridicule ostentation.
        (…)
        Deux fois grand est celui qui a toutes les perfections & n’a point de langue pour en parler. Comme il n’a point d’yeux pour lui-même, chacun en a cent pour le regarder de tous côtés. »

        Et si c’est pour raconter ses problèmes, voici un autre avis de Gracian dans ‘L’Homme de Cour »:

         » Les plaintes exitent plutôt la passion à nous offenser que la compassion à nous consoler; elles ouvrent le passage à ceux qui écoutent pour nous faire la même chose. Quelques uns, en se plaignant des offenses passées, donnent lieu à celles de l’avenir au lieu du remède & de la consolation qu’ils prétendent. »

          +4

        Alerter
    • Sébastien // 07.08.2016 à 13h50

      La réponse qui vient toujours après avoir bien flatté son « égo collectif » est: chacun peut agir -au quotidien-individuellement-chacun de son côté.
      Amusant, non?

        +4

      Alerter
      • alfred // 07.08.2016 à 17h26

        C’est bien vu. On est bien forcé de reconnaître que c’est tout à fait ça. C’est amusant « jaune ».

          +1

        Alerter
  • Betty // 07.08.2016 à 11h19

    « Narcisse se noie dans son reflet sans jamais comprendre qu’il s’agit d’un reflet, explique Lasch. Il prend sa propre image pour quelqu’un d’autre et cherche à l’embrasser sans penser un instant à sa sûreté. La leçon de l’histoire n’est pas que Narcisse tombe amoureux de lui-même mais que, incapable de reconnaître son propre reflet, il ne possède pas le concept de la différence entre lui-même et son environnement. »

      +6

    Alerter
    • geoffrey // 07.08.2016 à 12h18

      bonjour, bonsoir,
      très fine analyse : comme si la personnalité de narcisse avait été anéantie – atomisation culturelle par le capitalisme, et qu’il redevenait un enfant curieux de tout, fasciné par son environnement mais dénué de mémoire ou de capacité critique. Sa vie devient une sorte de spectacles continus.
      [Modéré]
      geoffrey, communiste belge

        +1

      Alerter
    • Jean // 07.08.2016 à 15h06

      Narcisse tombe amoureux de l’illusion de lui-même, son reflet dans l’étant(sic). C’est parce qu’il ignore qui il est réellement qu’il se noie dans ce qu’il croit/veut être. Si il ignore qui il est c’est parce qu’il se cherche dans le monde extérieur, là où il n’y a que des reflets de sa réalité intérieur.

        +2

      Alerter
      • pythos // 08.08.2016 à 10h27

        Tout commence avec Descartes : « Je pense donc je suis » qui met l’Ego au centre de tout ! et qui mène à la chute de l’individu, à l’opposé de tout chemin mystique qui « tue » l’ego afin de viser le « Tout »…
        A méditer 🙂

          +0

        Alerter
  • Olympi // 07.08.2016 à 11h35

    Que faire ? Le narcissique a honte de lui, il a honte de son vide intérieur, alors pour se cacher il consomme, joue au même jeu néolibérale que les autres. La solution, c’est arrêter d’avoir honte, le principe du néolibéralisme est de faire croire à l’individu qu’il est responsable de sa vie, complétement responsable de sa vie, responsable de sa réussite scolaire, responsable de trouver un bon boulot, responsable d’atteindre ses objectifs, responsable de son divorce, responsable de son licenciement, responsable de sa santé, etc. Alors sans allé vers l’irresponsabilité de l’individu, il faut remettre les choses à sa place, et notamment la justice. Si l’homme moderne ne vote plus, c’est parce que l’état a abandonné son pouvoir. Le premier rôle historique et social de l’état est de rendre justice. Rendre justice dans une démocratie c’est protéger le faible du fort. Le miracle du néolibéralisme est d’avoir réussi à faire croire que le combat du faible et du fort est juste, car ce n’est finalement que de la méritocratie. Alors que non, le fort est fort et reste fort parce qu’il est fort (voir l’inégalité : rendement du capitale > à la croissance, de Piketty).

    Donc cela passe par un retour de l’État, et en premier lieu de sa souveraineté, souverain devant tout autre il pourra pleinement rendre justice. Après on pourra débattre de la justesse des lois.

      +5

    Alerter
  • VAZY Francky // 07.08.2016 à 11h59

    Pour ceux que cela intéresse, la triade sombre de la psychologie/psychiatrie est articulée autour de trois comportements sociaux typiques.

    – Le narcissisme qui est souvent révélateur d’un complexe d’infériorité.
    – Le machiavélisme qui lui est révélateur d’une impuissance apprise, d’un incapacité à raisonner dans l’ordre établit, et une propension à contourner ou pervertir les règles, à tricher pour gagner.
    – Le sadisme, qui traduit la volonté de nuire et d’éliminer ses concurrents sociaux/sociétaux.

    Tous sont fondateurs des pires psychoses, psychopathies, maladies mentales diverses et avariées par leurs excès.

    Ainsi, vous noterez que sur bien des forums publics, sur des supports d’information idéologiques comme le Monde ou le Figaro, les administrateurs laissent des « trolls », des gens qui peuvent parfois être atteints de ces troubles de manière psychopathique, sévir en toute impunité. En plus d’être une instrumentalisation de l’opinion, ce qui est sous-jacent, c’est l’irresponsabilité ou le manque de formation des modérateurs et administrateurs, et qui se servent ou abuse de ces malades mentaux, qui abusent de leur faiblesse, dans un but purement idéologique. Le problème, c’est que à force, cela crée des tensions incroyablement destructrices dans la société, un forme de manipulation mentale appelée « impuissance apprise »…

      +2

    Alerter
  • VAZY Francky // 07.08.2016 à 12h07

    Petit ajout concernant le narcissisme. La première chose que l’on vous apprend en psychologie/psychiatrie, c’est l’effet miroir. Soit que l’on reproche toujours à son prochain ce que l’on n’aime pas, ne supporte pas pour soi même. De la même manière, le narcissique essaye de se convaincre qu’il est le plus beau et le plus fort en accentuant ce qu’il pense être ses atouts et points forts. Autrement dit, nous sommes en face d’une perversion, car au lieu de se juger par rapport aux autres, de s’auto évaluer, on fait appel à l’égocentrisme, à sa seule expérience, pour s’imposer dans la société. Ce qui de facto génère une forte contradiction, ou forcément le sujet narcissique sera en conflit avec le spectre de la société qu’il cherche pourtant à séduire par son comportement. Ce n’est pas pour rien que les psychologues et psychiatres n’aiment pas les narcissiques, car ils représentent à eux seuls un défi de taille, soit l’évaluation de leur capacité d’intégration sociale, et dont le périmètre est extrêmement variable d’un individu à l’autre…

      +3

    Alerter
  • Eric83 // 07.08.2016 à 12h08

    Nous sommes manipulés par les dominants pour servir leurs intérêts. La culture du capitalisme et de l’individualisme produit des personnalités narcissiques jusqu’aux redoutables pervers narcissiques, autrement dénommés manipulateurs destructeurs et qui semble-t-il sont de plus en plus nombreux.

    Différents facteurs influent sur notre personnalité et la culture du capitalisme en est un parmi d’autres. Un éclairage intéressant sur ces facteurs et un potentiel éclairage sur nos propres chemins de vie :

    « La répétition des scénarios de vie – Demain est une autre histoire » de Jean Cottraux.

      +2

    Alerter
  • lon // 07.08.2016 à 12h15

    “Everyone, deep in their hearts, is waiting for the end of the world to come.”

    Chacun , au fond de lui-même, attend la fin du monde

    Haruki Murakami , 1Q84

      +8

    Alerter
  • Jacques // 07.08.2016 à 12h42

    Après un tel exposé narcissique sur le narcissisme, il pourrait alors s’agir de savoir comment sortir de ce piège pseudo-réflexif.

    Une piste pourrait-elle consister à se servir du miroir pour se regarder « dans les yeux » ?

    Si quelques éléments de réponses pragmatiques sont semés au fil du propos quand bien même ils sont « dénoncése cyniquement comme marqueur de narcissisme, une recherche d’authenticité plutôt que de spontanéité est-elle de nature à servir une réflexivité effective ?

    En préalable, il restera pourtant probablement à savoir comment « dépasser » nos propres peurs pour ne serait-ce qu’entamer une telle démarche.

      +0

    Alerter
    • Sébastien // 07.08.2016 à 13h57

      Une des pistes, me semble-t-il consiste à exiger le changement pour soi, et non pour les autres.
      Autrement dit « Aide-toi, et le Ciel t’aidera ».
      La limite de cette possibilité? Admettre qu’on a besoin des autres pour se changer soi-même. Limite ou au contraire capacité de couper les comportements « malsains »?

        +2

      Alerter
  • Toff de Aix // 07.08.2016 à 17h44

    Seuls ceux qui font du bruit sont visibles. La majorité silencieuse, celle qui refuse la publicité, à jeté sa télé aux orties et s’investit dans l’après de cette Humanité qui forcément va finir (et est en train de mourir en fait) elle, ne fait pas de bruit. Et elle avance.

      +3

    Alerter
  • Jean Louis // 07.08.2016 à 18h23

      +0

    Alerter
  • theuric // 07.08.2016 à 20h21

    Je ne suis qu’en parti mais qu’en parti seulement en accord avec les auteurs de ce long texte.
    Il est vrai que les gens s’emmerdent mais songeons d’abord au ruptures symboliques et sociales que nous avons vécu depuis seulement quelques décennies entre la disparition des religions, le communisme en était une de remplacement, et celle de l’agriculture, 60% de la population était encore agriculteur dans les années trente.
    Le narcissisme n’est pas mauvais en soit, c’est lui qui nous dit qui nous sommes, tout comme l’égo nous montre nos propres limites, ainsi, quel est pour moi la valeur de ce texte une fois que je l’aurais laissé en lecture pour tous?
    Ça, c’est l’égo qui me le dit si celui-ci est stable.
    Là où justement nous devrions méditer c’est justement la question d’avoir un point de fixation d’existence, thème que trop rapidement abordé et qui, pourtant, ne peut que nous être central.
    L’être et l’avoir, le narcissisme et l’égo, ne peuvent être délimités que si nous avons en nous un repère, ce point fixe symbolique sur lequel notre existence peut s’appuyer.

      +0

    Alerter
    • theuric // 07.08.2016 à 20h44

      Nous menons trois existence en une, existence sociale, psychique et la nôtre en propre, notre vie, quoi.
      Mais pour que l’ensemble puisse s’harmoniser, puisqu’il s’agit toujours d’harmonisation de notre être pour ne pas être dans le mal-être, il faut donc comprendre ce qu’est ce point fixe auquel je donne la définition suivante:
      C’est la représentation collective (dans le sens de société) et personnelle (le et étant important), sensible (voulant dire avoir du sens) autant de notre passé, présent et futur, d’évidence (soit conscient et inconscient) de notre représentation du monde et de la raison de notre existence en son sein.
      C’est cela qui nous manque, même si la société telle qu’elle s’est bâtie n’a fait qu’accentuer les immenses déséquilibres que les pertes de repères passés ont pu générer.
      Ainsi n’est-il pas étonnant que provienne des États-Uni-D’Amérique l’exacerbation de nos angoisses telles qu’elles furent décrites plus haut, puisque ce pays est fait soit d’émigrants ayant fuit ou de peuplades aborigènes traumatisés par des massacres.

        +0

      Alerter
      • theuric // 07.08.2016 à 21h02

        La raison d’être de notre existence nous devient une question existentielle centrale justement parce que les réponses passées se sont révélées obsolète (je n’y pose pas de jugement de valeur quelconque).
        De plus, thème que j’ai pu déjà abordé ici, nous vivons une période d’effondrement idéologique, ce qui fait que les croyances politiques transitoires, qui avaient pour un temps remplacé les transcendances d’autrefois, sont en train de se déliter.
        Ce qui redouble ces angoisses autant en violence qu’en profondeur, ce qui fait aussi que des jeunes puissent suivre n’importe quelle idéologie que peu de temps auparavant ils ne connaissaient en rien, quitte à tuer et à en mourir.
        De fait, il me paraît que la seule transcendance aventureuse, dans tous les sens du terme, auquel l’être humain ne peut qu’être amener à se confronter c’est de dépasser le berceau de notre espèce qu’est notre planète originelle, la Terre nourricière, pour partir voyager et vivre dans l’espace ainsi que d’ensemencer de vie les planètes en étant dépourvue.

          +0

        Alerter
        • theuric // 07.08.2016 à 21h08

          Peut-être est-ce cette réalité là qui nous angoisse tous plus que toute autre chose.
          Mais ça se fera, soit après de longues et profondes réflexions puis actions réfléchies, en évidence personnelle et collective, soit par quelques obligations, contraints et forcés que nous serions par une série d’événements vers lequel notre inconscient, un puissant archétype aurait dit Jung, nous aurait tous mené.
          De cela j’en suis intimement convaincu et, ce, depuis fort longtemps!

            +0

          Alerter
  • Francis // 07.08.2016 à 22h10

    La montée du narcissisme va de pair avec le déclin des pratiques religieuses. On cherche la transcendance ailleurs et le Salut immédiat, réactualisé en permanence. Les réseaux sociaux donnent de nouvelles modalités au narcissisme; lui qui était une pathologie individuelle devient un déterminant collectif. On peut y voir une nouvelle forme de survivalisme; une réaction à cette époque nihiliste où l’on court après les pokemons parce que la quête n’existe plus.

      +4

    Alerter
  • noDJ // 08.08.2016 à 01h00

    « Les individus se retranchent de la sphère publique et se réfugient dans un monde exclusivement privé, perdant ainsi le « sens de soi-même (sense of self) » qui rend possible toute éthique. Le sens de soi-même n’existe en effet que lorsque les individus sont dégagés des contraintes matérielles et n’ont plus à lutter pour leur survie. Sans projet, otages d’un monde hallucinatoire sans réalité ni objets (même la science ne construit plus de réalité puisqu’elle fait tout apparaître comme possible), mais dopé par le marketing et les simulacres, les individus n’ont plus de modèles auxquels s’identifier. Le double échec du communisme et de la social-démocratie les laissent orphelins de tout idéal politique. Leur moi devient un moi vide (an empty self) que se disputent des lobbies devenus quant à eux les derniers acteurs de la scène politique. »
    La Culture de l’égoïsme, dialogue (1986) entre Cornelius Castoriadis et Christopher Lasch. Quatrième de couverture.

      +2

    Alerter
  • Cyrano // 08.08.2016 à 14h31

    attention NARCISSE ne s’est jamais noyé… OVIDE dans la troisième partie de ses « Métamorphoses » en fait le fils du dieu Céphise et de la nymphe Liriope. D’une beauté sans égale il attire le désir de la nymphe Echo. Mais Narcisse ne la calcule pas !! Et voila la pauvre Echo tombant malade. Elle implore alors l’aide de Némésis. La tragédie va se jouer lors d’une partie de chasse. Narcisse faisant halte près d’une fontaine est frappé par le sortilège. Dans le miroir de l’eau c’est un autre être qu’il croit voir. Frappé de stupeur il ne parvient plus à détacher son regard de cette divine beauté. Il plonge et replonge le bras pour essayer de s’en saisir mais en vain ! Torturé par cette impossible désir il finit par saisir que ce visage est le sien. Prisonnier de l’infernal sortilège il comprend que seul la mort l’en délivrera et c’est en se frappant au sang qu’il atteindra enfin la délivrance. En signe de deuil, ses sœurs, les naïades, et les dyades se coupèrent les cheveux. Voulant porter le corps vers un bûcher elles constatèrent qu’il s’était transformé en fleur.

      +0

    Alerter
  • Benjamin S // 08.08.2016 à 16h38

    Merci pour le travail, je ne connaissais pas cet auteur.
    Votre article fait étrangement et directement écho aux récentes interview de Chritophe Koppel, jardinier amateur qui anime l’association de permaculture « Brin de paille Alsace ».
    Après de nombreuses années de pratique, il revient sur la relation au vivant et ce qui peut l’entraver notamment l’ego :
    – au sujet de l’ego et l’apiculture naturelle (à 1:09:32) https://youtu.be/pdSQIdkZuGs?t=1h9m32s
    – au sujet de l’ego et l’initiation à la permaculture (à 51:52) https://youtu.be/agVgapgfsws?t=51m52s

      +0

    Alerter
    • Inqualifiable // 08.08.2016 à 18h06

      Benjamin S, ce livre pourrait peut-être bien vous passionner… 😉

      https://www.amazon.fr/Soigner-lesprit-guérir-Terre-lécopsychologie/dp/2830915690

      I.

        +0

      Alerter
      • Ben // 08.08.2016 à 19h35

        Oui, peut-être, je vais regarder. Je suis déjà bio et j’ai de fameuses tendances vegan. Je ne suis pas sûr que c’est de cela dont parle Lasch.

        Je voulais simplement dire, il y a une opposition claire entre les anciens, comme Aristote et saint Thomas, et les modernes. Lasch dit des choses très classiques dans un environnement moderne. Carlyle aussi dit la même chose que Lasch.

        Lasch est subversif parce qu’il est classique. Il y a beaucoup de choses qu’il choisit de ne pas dire.

          +0

        Alerter
  • Ben // 08.08.2016 à 17h49

    Je ne sais pas ce que le capitalisme a à voir avec le narcissisme. Lasch décrit la même chose que saint Thomas d’Aquin à travers les analyses de l’orgueil, de la vaine gloire et de la malice dans la Somme Théologique. Par contre, son absence de solution est symptomatique.

      +0

    Alerter
  • Inqualifiable // 08.08.2016 à 18h00

    A chaud, après première lecture, je pense qu’il y aurait nombreux parallèles et recoupements à faire avec le livre de D-R Dufour « Le divin marché »…

    Pour un résumé et une critique : http://appli6.hec.fr/amo/Public/Files/Docs/69_fr.pdf

    I.

      +0

    Alerter
  • Afficher tous les commentaires

Les commentaires sont fermés.

Et recevez nos publications