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29.juillet.201829.7.2018 // Les Crises

La Turquie consolide discrètement sa présence en Afrique, par Peter Kenyon

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Source : NPR, Peter Kenyon, 08-03-2018

Le président turc Recep Tayyip Erdogan serre les mains de la population locale à Port Soudan, au Soudan, le 25 décembre, l’un des nombreux endroits en Afrique où le dirigeant turc s’est récemment rendu. Kayhan Ozer/AP

Quand on pense aux grands investisseurs en Afrique, les États-Unis, la Chine, la Grande-Bretagne et la France peuvent venir à l’esprit. Mais au cours de la dernière décennie, la Turquie n’a cessé d’améliorer son image en Afrique, y compris dans certains des pays les plus perturbés du continent.

Récemment, des dizaines de ministres africains se sont pressés dans la salle de bal d’un hôtel d’Istanbul, planifiant le Sommet de coopération Union africaine-Turquie de l’année prochaine. Au cours d’une pause dans la réunion, Abdulkadir Ahmed-Kheir Abdi, ministre d’État somalien des affaires étrangères, a salué l’aide de la Turquie à son pays en proie à la famine, à la guerre civile et à une insurrection islamiste.

Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu prend la parole lors d’une conférence Turquie-Afrique à Istanbul, le 12 février. AP

« La Turquie est arrivée en Somalie pour la première fois en 2011, alors que personne n’osait y aller », a-t-il dit. « Il y [avait] une sécheresse, une famine, des activités terroristes et tout le monde est resté à l’écart. »

Abdi a dit que lorsque le président Recep Tayyip Erdogan et son épouse sont descendus de l’avion à Mogadiscio et ont visité un camp plein d’enfants affamés, ce fut un moment très fort. Et lorsque la Turquie a promis de l’aide et signé des accords commerciaux, d’autres pays ont suivi.

« Donc pour nous en tant que Somaliens, la Turquie est dans notre cœur à cause de l’aide qu’ils nous apportent en cas de besoin », a dit Abdi.

Depuis 2003, année où l’actuel président Erdogan a commencé à être le premier ministre de son pays, la Turquie est un acteur de plus en plus important en Afrique.

Erdogan a effectué plus de 30 visites sur le continent depuis son arrivée au pouvoir, dont une visite en Algérie, en Mauritanie, au Sénégal et au Mali au début du mois. Il est revenu en qualifiant la tournée de « productive », et a tweeté, « Nous voulons accompagner l’Afrique pendant qu’un nouvel ordre mondial est en train de se mettre en place ».

Les analystes disent que la Turquie a une foule de motivations, qu’elles soient culturelles, économiques ou géopolitiques.

Au cours des 15 dernières années, les échanges commerciaux de la Turquie avec les pays africains ont été multipliés par six pour atteindre 17,5 milliards de dollars, selon l’agence de presse officielle Anadolu. Une grande partie de ce commerce se fait avec des pays d’Afrique du Nord comme l’Égypte, mais la Turquie étend également sa présence au sud du Sahara. Il y a maintenant plus de 40 ambassades turques en Afrique, et la compagnie d’État Turkish Airlines, dessert plus de 50 destinations africaines. L’automne dernier, la Turquie a ouvert une base militaire en Somalie, sa première en Afrique et la plus grande de ses bases outre-mer.

Le Général Hulusi Akar, chef d’état-major des forces armées turques, au centre, et le Premier ministre somalien Hassan Ali Khayre, deuxième à gauche, visitent un nouveau centre de formation militaire turco-somalien à Mogadiscio, en Somalie, le 30 septembre. Farah Abdi Warsameh/AP

Si vous tombez malade en Somalie, vous pouvez être soigné à l’hôpital Recep Tayyip Erdogan. Les visiteurs arrivent à un terminal d’aéroport géré par une société turque et voyagent sur des routes tracées par l’autorité turque chargée du développement. La collecte des ordures est assurée par le Croissant-Rouge turc.

Il y a cependant des interrogations. Les critiques parmi les organisations non gouvernementales internationales et les groupes pro-transparence notent que la participation de la Turquie a été facilitée par des contrats somaliens non concurrentiels attribués par un État notoirement corrompu. Suivant les recommandations des conseillers, le gouvernement de Mogadiscio a commencé à renégocier certains de ces contrats.

La Somalie n’est pas le seul État africain en difficulté où la Turquie fait sensation. La Turquie renforce également sa présence au Soudan. Erdogan s’est récemment adressé au parlement soudanais et a parlé chaleureusement de l’homme fort du pays, Omar al-Bashir, accusé de crimes de guerre par la Cour pénale internationale.

« Mon frère al-Bashir et moi allons parler affaires, et je suis sûr que nous quitterons cet endroit en nous serrant la main sur un certain nombre de grands partenariats », a déclaré M. Erdogan.

La mosquée el-Geyf sur l’île de Suakin, au Soudan. Bertramz/Wikimedia Commons

Le Soudan a accordé à la Turquie un bail à long terme et des droits pour restaurer les bâtiments de l’époque ottomane sur l’île soudanaise de Suakin, dans la mer Rouge. L’île était autrefois une escale pour les pèlerins musulmans qui se rendaient à la Mecque.

Sedat Aybar, directeur du Centre de recherche sur l’Afrique à l’Université d’Aydin à Istanbul, affirme que le fait de mettre en valeur la Turquie en tant que défenseur du patrimoine musulman fait partie de la motivation du projet de restauration de l’île de Suakin. Le gouvernement est intéressé à « réactiver le souvenir turc » de la présence des Turcs dans les territoires africains contrôlés par l’Empire ottoman jusqu’à la fin des années 1800, dit-il.

Ceci, dit-il, « est une partie très importante de la restauration des sites musulmans en ruines sur l’île ».

Mais la motivation première de la présence du pays en Afrique est d’ordre économique.

L’Afrique dispose des ressources naturelles dont la Turquie a besoin pour ses secteurs manufacturier et industriel, y compris le pétrole et le gaz, et l’Afrique a besoin de revenus, d’infrastructures et d’emplois pour sa population.

Aybar considère la présence militaire de la Turquie en Somalie davantage comme un investissement économique à long terme que comme une démonstration de la puissance turque.

Alors que de vastes régions de la Somalie sont toujours sous le contrôle des extrémistes d’al-Shabab, M. Aybar affirme qu’un meilleur environnement en matière de sécurité est essentiel à l’amélioration de l’économie du pays d’Afrique de l’Est.

Et cela aide aussi la Turquie, dit-il : « Une Somalie stable et plus sûre procurera à la Turquie des retombées économiques plus positives ».

Source : NPR, Peter Kenyon, 08-03-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Fabrice // 29.07.2018 à 08h27

La Turquie ne fait que ce que nous faisons depuis des décennies et ce que la Chine ainsi que les américains du Nord font.

Mais qui se soucie des africains sauf quand ils se pressent à nos frontières poussés hors de chez eux par le pillage en règle ainsi que la déstabilisation ou corruption systèmatique de leur pays par ces mêmes profiteurs ?

14 réactions et commentaires

  • Haricophile // 29.07.2018 à 07h39

    Les africains devraient se méfier, car Erdogan est aussi fiable qu’un vendeur de balai brosse, il tourne sa chemise plus vite que son ombre et ses promesses n’engagent que ceux qui y croient. D’ailleurs ce comportement me rappelle un autre pays… comment s’appelle-t-il déjà…. ah oui : Les USA.

      +8

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  • Brigitte // 29.07.2018 à 08h00

    Ce que je vais dire est d’une grande banalité mais la Turquie est le reste de l’empire Ottoman qui s’est effondré au début du siècle dernier. Nous vivons bien en France sur une illusion de grandeur qui date en partie d’un passé plus lointain….
    Dit d’une façon plus directe les turcs veulent leur part du gâteau en Afrique et ils utilisent habilement leur influence passé comme porte d’entrée, la religion en première ligne bien sur. Nous sommes bien mal placés pour les critiquer et puis faut-il laisser l’Afrique aux chinois, qui eux n’ont pas besoin du passé pour y assoir leur puissance future.

      +12

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  • Perret // 29.07.2018 à 08h11

    La coopération turque en Afrique est effectivement sérieuse et porte sur des manques importants dans les équipements locaux. Par ex en Côte d’Ivoire, l’ambassadrice de Turquie a offert l’une des deux seules ambulances totalement équipée pour les premiers secours du pays.
    L’affaissement de la présence française depuis le premier passage d’Alain Juppé au Quai d’Orsay en 1993-1995, avec la destruction de la coopération et l’américanisation forcée de notre diplomatie a ouvert une brèche dans laquelle tous se sont précipités. Cela fait 25 ans de démission…
    Nous payons aussi les incohérences de notre politique proche-orientale. Turcs, Syriens, Libanais (Hezbollah et alliés chrétiens), Iraniens sont présents en Afrique et ont une revanche à prendre sur nous. Et ils sont en synergie avec les Russes et avec les Chinois.

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    • gotoul // 29.07.2018 à 11h06

      Juppé a juste fait son boulot de « Young Leader ». Depuis les « Young Leaders » se succèdent à de nombreux postes du pouvoir aggravant d’autant notre vassalité.

        +9

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  • Fabrice // 29.07.2018 à 08h27

    La Turquie ne fait que ce que nous faisons depuis des décennies et ce que la Chine ainsi que les américains du Nord font.

    Mais qui se soucie des africains sauf quand ils se pressent à nos frontières poussés hors de chez eux par le pillage en règle ainsi que la déstabilisation ou corruption systèmatique de leur pays par ces mêmes profiteurs ?

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    • Leïla // 30.07.2018 à 21h39

      La différence est que les turques, Chinois…ne débarquent pas avec leur armée. certainement des contrats mais pas l’armée…cela fait toute la différence. Je constate que M6 et Bouteflika enterrent peu à peu la hache de guerre stupide…probablement pour pouvoir lutter efficacement contre l’occident. Ces pays étaient du reste les prochaines victimes des barbares venus du nord …secret de polichinelles au Maghreb.
      Le roi se meurt et tient à laisser un pays pacifié à son fils…tout à son honneur ! Je regrette que le Maroc pour des raisons financières ait été impliqué au Yémen…la faute de M6 ! Pour le reste, c un quasi sans faute diplomatique !
      En revanche la diplomatie du coup de canon occidentale va à brève échéance se retourner contre elle !
      Là ou la France, la GB, les USA passent…tout trépasse. Pas les peuples of course mais leurs zélites corrompues….les grandes fortunes de France en ont vécu, en vivent et en périront entraînant dans leur sillage malheureusement la plèbe (dont je suis). By the way, qui a vu des images du massacre des libyens…quelle pudeur !..Kadhafi a annoncé la couleur bien avant d’être torturé et mis à mort par les soldats français. Quel pays laissent on aux jeunes ??? Affligeant !

        +1

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  • L’Africain // 29.07.2018 à 11h37

    Je confirme. En Centrafrique, à Bangui, l’une des écoles les plus sérieuses est l’école turco-centrafricaine.
    Avec des arrières pensées prosélytes sans doute… et économiques sûrement.

      +4

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  • Duracuir // 29.07.2018 à 12h03

    La Turquie se renforce en Afrique
    La Russie se renforce en Afrique
    La Chine se renforce en Afrique
    Les USA se renforcent en Afrique
    Israel se renforce en Afrique.
    Le Royaume Uni voit son influence s’effondrer en Afrique
    La France voit son influence s’étioler en Afrique.

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    • Jaaz // 29.07.2018 à 22h22

      Le problème des Francais en Afrique c’est qu’ils se sont longtemps (et encore aujourd’hui) comportés littéralement comme les cowboys au far west. Une telle attitude est viscéralement rejetée par les Africains. Et que dire du franc CFA, de l’intervention militaire au Mali, en Centrafrique ou le coup contre Gbagbo?
      La France, contrairement à d’autres pays et notamment la Turquie, a toujours préféré s’illustrer par le « hard » power plutôt que par le soft. Son influence, maintenue par la force et la domination économique, s’érode inexorablement, et c’est tant mieux, car cela l’incitera à plus de coopération, et plus d’équilibre.

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    • Leïla // 30.07.2018 à 21h49

      USA et Israël…vous êtes sûrs ? Demandez aux congolais ce qu’ils en pensent ! 6 millions de morts congolais…une guerre dont les médias se gardent bien de parler…faut pas croire, ils ont aussi internet et les réseaux sociaux !
      Les maliens ne se sont pas tournés vers les USA mais la Russie. Les médias les plus lus sont RT et Sputnik…pas CNN…autre époque ! Qui écoute encore RFI, Reuters, l’AFP ???

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  • Chris // 29.07.2018 à 12h20

    Erdogan reprend à son compte la politique menée par feu Kadhafi, en moins voyant et plus opportuniste…
    Tant qu’il est membre de l’OTAN, réhabilite des monuments religieux, fait du commerce et soutient le jihadisme mercenaire, l’Occident le laisse prendre sa part du gâteau.

      +3

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    • Jaaz // 29.07.2018 à 22h27

      Sauf que la Turquie n’est pas la Libye. L’un est l’héritier d’un empire dominateur, l’autre un pays colonisé. Erdogan est élu démocratiquement, l’autre était un dictateur, qui avait cependant un certain appui de sa population.
      Et « l’Occident  » ne laisse certainement pas faire, il y a concurrence et elle est féroce.

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      • Leïla // 30.07.2018 à 21h42

        Féroce est le synonyme de génocidaire ? …je ne savais pas !

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  • Rond // 29.07.2018 à 19h39

    Les yeux se tournent vers l’Afrique, enfin ! Mais pas pour son bien.
    Largement pillée depuis des siècles par les occidentaux, les cupides de toute la planète, anciens et nouveaux, lorgnent désormais sur l’énorme pactole restant parce qu’ailleurs, les ressources sont déjà bien entamées ou en voie d’épuisement. Ils préparent l’avenir, se justifient-ils.
    Un exemple parmi bien d’autres : Nos terres sont mortes, exsangues, par des pratiques culturales irresponsables. Alors tous en cœur, allons détruire celles de nos voisins Africains , ils n’en font rien …
    Et quand nous aurons fini, nous trouverons bien une autre terre. Nous sommes tous responsables de ce désastre parce que nous laissons faire des « criquets pèlerins », pour notre bien être …
    Comment, il n’y a pas d’autre terre ?
    Soupir …

      +4

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