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L’ambition d’Erdogan pour le Califat et l’échec de la démocratie turque. Par Aydogan Vatandas

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Source : Aydogan Vatandas, Consortium News, 25-06-2018

Le président turc Recep Tayyip Erdogan semble avoir gagné un autre mandat de cinq ans lors des élections dimanche dernier. Quel impact sur le futur de la démocratie turque, se demande Aydogan Vatandas.

Par Aydogan Vatandas

Lorsque le Parti de la justice et du développement (AKP) a pris le pouvoir en 2002, de nombreux intellectuels en Turquie et à l’étranger étaient convaincus que l’engagement du parti en faveur de la démocratisation était prometteur. Le premier mandat de la règle du Parti AKP qui est considéré comme un âge d’or, s’est globalement étendu de 2002 à 2007. Cette ère a été caractérisée par une croissance économique forte et ouverte, associée à d’importantes réformes démocratiques, allant d’une réorganisation radicale des relations civilo-militaires à la reconnaissance des droits des minorités, y compris les droits linguistiques et culturels des citoyens kurdes.

Ces bonnes performances initiales ont créé un certain niveau de confiance dans la gouvernance du Parti AKP parmi les intellectuels turcs, y compris le Mouvement Gülen, selon lesquels le Parti AKP éliminerait à terme tous les aspects antidémocratiques du système gouvernemental turc. Entre 2009 et 2011, le gouvernement du Parti AKP a réussi à créer un cadre juridique qui exclut la participation militaire turque à la vie politique, ce qui empêcherait les interventions militaires dont la Turquie a souffert dans le passé. Le résultat final, cependant, n’a pas été une démocratie consolidée comme prévu, mais une autocratie hautement personnalisée incarnée dans la figure de Recep Tayyip Erdogan.

Ce qui a mal tourné avec le Parti AKP et sa direction pendant la démocratisation de la Turquie reste une question importante. La performance du parti entre 2002 et 2007 n’était-elle que de la poudre aux yeux, Erdogan et son cercle étroit et oligarchique attendant un moment opportun pour appliquer leur programme secret et réel ? N’ont-ils jamais été démocratiques ? Ou bien Erdogan était-il obsédé par l’idée qu’il avait une mission messianique comme être le « calife » du monde musulman ?

Résilience des institutions kémaliste

On avance que l’échec du Parti AKP à développer une démocratie consolidée est profondément enraciné dans la tutelle traditionnelle des institutions kémalistes laïques (se perpétuant depuis Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne) sur le système politique turc. En conséquence, indépendamment de leur volonté ou non de démocratiser davantage le pays, la direction du Parti AKP a été contrecarrée par la résistance des institutions kémalistes au changement.

Un partisan de cette théorie est Ihsan Dagi, un libéral qui a soutenu les réformes menées par le Parti AKP dans son âge d’or. Dagi note que beaucoup de gens s’attendaient à la défaite de l’establishment de l’État kémaliste par une large coalition de libéraux, démocrates et conservateurs sous la direction politique du Parti AKP, ce qui mènerait à la création d’un régime démocratique avec une constitution libérale. Mais aujourd’hui, il observe que « le kémalisme est mort, mais son esprit d’état centralisé, jacobin et antilibéral a été réincarné dans l’AKP ».

État fort, société faible

Atatürk : fondateur de la Turquie moderne

On soutient que la Turquie a suivi la voie de la modernisation laïque en donnant la priorité à la création d’une nation forte et homogénéisée dirigée par l’élite politique au pouvoir.

Cet argument soutient que le système turc de gouvernance a été formulé dans le cadre d’un État fort et d’une société faible, ce qui constitue un obstacle majeur à la création d’une démocratie consolidée. Les gouverneurs et les gouvernés avaient une relation unidimensionnelle qui oppressait les gouvernés. En raison de cette situation historique, la société turque n’a jamais été en mesure d’établir une sphère autonome libre de tout contrôle étatique.

Comme la modernisation laïque affirmée n’a jamais donné la priorité à un renforcement des droits civils ou de la société civile, le système politique turc est toujours resté antilibéral et antidémocratique, même après l’avènement d’un système multipartite en 1946, toujours selon cette argumentation.

La duplicité d’Erdogan

Beaucoup d’universitaires ont suggéré que ce que la Turquie reçoit du pouvoir du Parti AKP est exactement ce à quoi elle aurait dû s’attendre. Par conséquent, c’était une erreur fondamentale de s’attendre à ce que le Parti AKP promeuve la démocratie turque.

Behlül Özkan, politologue à l’Université de Marmara, affirme que le Parti AKP est un parti d’extrême droite selon la littérature politique. Il dit :

« Supposer que l’AKP ferait avancer la Turquie était comme penser que Le Pen en France ferait avancer la démocratie. Lorsqu’il est placé dans le spectre droite-gauche, l’AKP croit qu’il a une mission sacrée et qu’il restera au pouvoir pour toujours. Aucune de ces notions n’est compatible avec la démocratie. Cet extrémisme se manifesterait à travers le racisme en Europe, alors qu’il deviendrait sectarisme en Turquie en ne considérant pas les autres partis comme des représentants de la nation. L’AKP est un modèle non pas pour le Moyen-Orient mais pour l’extrême droite en Europe sur la façon d’instrumentaliser la démocratie. »

La principale raison pour laquelle les intellectuels libéraux n’ont pas vu les véritables ambitions d’Erdogan était la conviction même que l’élimination de la tutelle militaire et d’autres institutions laïques telles que le pouvoir judiciaire serait suffisante pour instaurer une démocratie. Ce n’était pas le cas. Il est vrai que ces institutions n’ont pas réussi à créer une démocratie fonctionnelle dans le passé, mais il était erroné de croire que l’affaiblissement de ces institutions conduirait à l’émergence d’une démocratie.

Il faut souligner que ce ne sont pas seulement les libéraux et les démocrates religieux turcs qui ont été victimes de la duplicité d’Erdogan. Même certaines organisations internationales de premier plan n’ont pas su prévoir l’avenir de la démocratie turque.

Par exemple, Angel Rabasa et F. Stephen Larrabee ont produit pour Rand Corporation en 2008 quatre scénarios possibles. Dans l’ordre, du plus probable au moins probable, ils l’étaient : 1) L’AKP poursuit une voie modérée, orientée vers l’UE ; 2) l’AKP poursuit un programme islamiste plus agressif ; 3) la fermeture judiciaire de l’AKP ; et 4) l’intervention militaire.

Pour les auteurs, une régression de la démocratie turque n’était pas probable, même dans le deuxième scénario, dans lequel « le gouvernement réélu de l’AKP poursuit un programme islamiste plus agressif. Avec le contrôle total des pouvoirs exécutif et législatif du gouvernement, l’AKP est en mesure de nommer des administrateurs, des juges et des recteurs d’université et même d’influencer les décisions en matière de personnel militaire ».

De nouveaux pouvoirs

Les auteurs concluent que ce scénario est moins probable parce qu’il conduirait à une plus grande polarisation politique et provoquerait probablement une intervention militaire. La plupart des Turcs soutiennent un État laïque et s’opposent à un État fondé sur la charia. En outre, l’adhésion à l’UE est un élément clé de la politique étrangère de l’AKP.

Le politologue Andrew Arato suggère que les intellectuels libéraux n’ont pas compris la logique des actions d’Erdogan, en raison de leur propre conflit avec la tutelle militaire. Ils considéraient la Cour constitutionnelle comme un simple instrument de cette tutelle, bien que la Cour ait eu ses batailles avec les structures bureaucratiques militaires dès les années 1970. La Cour a pris plusieurs décisions en faveur des positions du parti AKP (par exemple, en 2007, la décision de quorum a été rapidement contrebalancée par une décision autorisant un référendum sur la présidence) et a refusé de dissoudre le parti en 2008, certes lors d’un vote très serré. Ils ne comprenaient pas que dans le système turc, surtout avec l’existence d’un parti hégémonique, les tribunaux et le pouvoir judiciaire étaient des contrepoids importants.

Dans une thèse de doctorat à la U.S. Naval Postgraduate School, Clifford Anderson a souligné que l’objectif principal d’Erdogan était d’établir un pouvoir exécutif au-dessus du pouvoir judiciaire, ce qui violerait la séparation des pouvoirs. Il a en outre précisé que le Parti AKP avait assujetti l’État sans être contrôlé par d’autres partis ou branches du gouvernement. Il a ajouté que les décrets exécutifs et la législation indiquent les penchants autoritaires de ce régime, qui ont empêché tout progrès vers l’adhésion à l’UE, malgré les efforts initiaux du parti pour le contraire.

Selon Arato, alors que les dirigeants du Parti AKP, ainsi que de nombreux intellectuels libéraux, continuaient de considérer la Cour constitutionnelle comme un ennemi, le référendum de 2010 représentait une tentative de conquérir une branche du système de séparation des pouvoirs, à savoir le pouvoir judiciaire. Arato soutient que certaines des dispositions les plus attrayantes du programme ont servi de vitrine à un projet monolithique qui visait en fait à créer un type d’hyper-présidentialisme. Il a cherché à éliminer tous les obstacles à ce nouveau système, en particulier le pouvoir judiciaire qui avait établi sa compétence en matière d’amendements constitutionnels.

En fin de compte, Erdogan a remporté un référendum en 2017 qui lui a donné des pouvoirs présidentiels d’une grande portée, qu’il exercera maintenant après l’élection de dimanche. La présidence turque était auparavant une position symbolique, bien qu’Erdogan l’ait utilisée inconstitutionnellement pour exercer un pouvoir réel.

Le charisme dangereux d’Erdogan

Le 20 juillet 2016, Erdogan déclare l’état d’urgence dans le but d’éliminer ses ennemis internes. (Photo du gouvernement turc)

En plus de tous les obstacles systémiques à une démocratie consolidée en Turquie, je suggèrerai fortement que les traits de caractère et le style de leadership d’Erdogan ont également joué un rôle crucial dans la transformation du système politique en Turquie. Aylin Görener et Meltem Ucal, utilisant l’analyse des traits de leadership conçue par Margaret Hermann comme outil de recherche, ont examiné la rhétorique d’Erdogan pour analyser son style de leadership. Leurs recherches ont conclu que les convictions d’Erdogan « sont si profondément ancrées et ses priorités si bien établies, qu’il a tendance à ne voir que ce qu’il veut voir, [ce qui] le rend incapable de déchiffrer les nuances de la diplomatie et de naviguer avec succès dans les eaux difficiles des affaires internationales ».

L’étude révèle également que « sa tendance à la dichotomie le prédispose à considérer la politique comme une lutte entre le bien et le mal, le juste et l’injuste, les méchants et les victimes ». L’étude souligne que le modèle de scores d’Erdogan indique qu’il a une orientation « évangélisatrice » en politique, ce qui est le style de leadership résultant d’une combinaison de la tendance à contester les contraintes de l’environnement, de la fermeture à l’information et d’une focalisation sur les relations.

Les universitaires turcs Irfan Arik et Cevit Yavuz affirment qu’Erdogan a les qualités d’un leader charismatique. Cependant, ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour la démocratie turque. Les données historiques montrent que les tendances autoritaires couplées à une personnalité charismatique laissent le plus souvent la place à la dictature. Lewis, par exemple, montre comment les leaders charismatiques exacerbent souvent les frustrations et les préjugés de leurs adeptes par l’utilisation d’une « agression polarisée ».

Les universitaires António Costa Pinto, Roger Eatwell et Stein Ugelvik Larsen affirment que tous les dictateurs fascistes doivent posséder des capacités individuelles qui les rendent « extraordinaires » : « Ils ont besoin de disciples pour « comprendre » ou « apprécier » et relier leurs qualités et il doit y avoir une situation ou un événement qui exige ces capacités inhabituelles, ou qui pourrait « appeler » à la reconstruction du régime de manière à permettre l’application de nouvelles solutions aux problèmes ».

La cible de 2023 et le califat

Mehmet VI : Le dernier sultan quitte le palais de Dolmabahçe, novembre 1922.

Dans plusieurs articles et discours d’Erdogan et de l’ancien ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu, les deux dirigeants semblent convaincus que les initiatives de l’AKP feraient de la Turquie un acteur mondial d’ici 2023, année du centième anniversaire de la création de la République turque. Après avoir considéré l’opposition de l’AKP aux symboles fondateurs de la République, l’objectif et la vision de 2023 est lié à la re-création de la nouvelle identité de l’État et de la nation.

Puisque le processus de construction de l’État se réfère au développement d’une entité politique avec des dirigeants, des institutions et des citoyens, la vision de l’AKP pour 2023 est un indicateur important pour voir comment une « projection imaginée du futur » est utilisée pour mobiliser la nation et recréer la Grande Turquie qui a perdu sa grandeur il y a cent ans. Il ne faut pas considérer cela seulement comme un voyage vers un avenir imaginaire, mais aussi comme un voyage dans le passé où l’identité collective turque grandiose s’est perdue. En examinant cette vision, il est tout à fait clair que son intention est de reconstruire une Grande Turquie, tout en ne promettant rien sur une société forte, les droits civils ou une démocratie consolidée.

La relation leader-disciple n’est pas une relation à sens unique et les deux agents se définissent l’un l’autre. En d’autres termes, les leaders ne peuvent pas opérer sans adeptes. Quant aux disciples d’Erdogan, il est évident que beaucoup d’entre eux le voient comme un « calife ».

Selon la politologue Maria Hsia Chang, le narcissisme pernicieux commence par un traumatisme collectif, comme une défaite nationale, une crise économique ou l’assujettissement par un autre groupe, souvent plus puissant. Cette défaite conduit la nation à s’interroger sur elle-même et sur son histoire, « ce qui se traduit par un sentiment omniprésent d’insécurité et une identité collective hésitante et faible ».

Chang soutient que le nationalisme narcissique « fonctionne comme un « saut dans le fantasme collectif » qui permet aux individus menacés ou anxieux d’éviter le fardeau de penser par eux-mêmes ». Par exemple, les résultats humiliants du Traité de Sèvres, l’abolition du califat et l’effondrement de l’Empire ottoman ont laissé une nation turque brisée et blessée dans leur sillage. Cette histoire douloureuse a été rappelée et utilisée par les dirigeants de l’AKP comme élément rhétorique et comme outil de compensation au cours de la dernière décennie.

Par exemple, l’écrivain turc Abdurahman Dilipak, qui est proche d’Erdogan, a déclaré que le califat reviendra avec la réélection victorieuse d’Erdogan en 2018. Lors de sa participation à une conférence en 2017 au Canada, Dilipak a déclaré que « si Erdogan gagne la présidence l’année prochaine, il deviendra le calife et que le calife [islamique] aura des commissaires travaillant dans les salles du palais présidentiel qui compte 1 000 chambres ».

Il a ajouté que le califat s’est déplacé au parlement turc, soulignant qu’après sa réélection, Erdogan nommera des conseillers de toutes les régions musulmanes du califat de divers pays islamiques. Celles-ci demanderont à l’Union Islamique d’avoir des représentants des régions du califat dans les mille chambres.

Et ce n’est pas seulement Dilipak ; Suat Onal, membre du Conseil de gouvernement du Parti de la justice et du développement, a déjà mentionné sur son compte Facebook que « Erdogan deviendra le calife en 2023 et Allah lui jettera sa lumière sur lui ».

« L’ombre de Dieu »

De même, en 2013, Atilgan Bayar, ancien conseiller de la chaîne d’information pro gouvernementale A Haber, a écrit qu’il reconnaissait Erdogan comme le calife du monde musulman et lui a exprimé son allégeance. Dans l’un de ses tweets récents, Beyhan Demirci, écrivain et adepte d’Erdogan, a également écrit qu’Erdogan est le calife et l’ombre de Dieu sur Terre. Certains de ses disciples sont même allés plus loin et ont dit des choses comme : « Puisque Erdogan est le calife, il a le droit d’utiliser l’argent gagné par la corruption pour ses objectifs politiques ».

Dans sa thèse intitulée Loss of the caliphate : The trauma and aftermath of 1258 and 1924 [Perte du califat : Le traumatisme et les séquelles des années 1258 et 1924, NdT] , la professeure assistante Mona F. Hassan de l’Université Duke note que de nombreux dirigeants musulmans ont aspiré à accroître leur prestige avec le titre suprême de calife. Comme je l’ai déjà écrit dans mon livre Hungry For Power [assoiffé de pouvoir, NdT],

« Outre les revendications du calife ottoman destitué, Abdülmecid et les ambitions apparentes de Sharif Husayn de La Mecque, les noms du roi Fu’ad d’Egypte, Amir Amanullah Khan d’Afghanistan, Imam Yahya du Yémen, le sultan ibn Sa’ud de Najd, le sultan Yusuf bin Hasan du Maroc, le Nizam d’Hyderabad, le Cheikh Ahmad al-Sanusi de Libye, l’émir Muhammad bin Abd al-Karim al-Khattabi du Rif marocain, et même celui de Mustafa Kemal ont tous été évoqués comme ayant des ambitions pour la position de calife. »

Il convient également de mentionner qu’Erdogan a déclaré en février 2018 que « la République de Turquie est une continuation de l’Empire ottoman ». Il a poursuivi en déclarant que « la République de Turquie, tout comme nos États précédents qui sont une continuation les uns des autres, est aussi une continuation des Ottomans ». Erdogan explique que « Bien sûr, les frontières ont changé. Les formes de gouvernement ont changé… Mais l’essence est la même, l’âme est la même, même beaucoup d’institutions sont les mêmes. »

Kadir Misiroglu, qui travaille avec Erdogan depuis les années 1980, reste résolument anti-laïque. Il a affirmé que les incursions de la Turquie en Syrie et en Irak permettront à Erdogan de ressusciter l’Empire ottoman et de se déclarer calife.

L’obsession du califat ne se limite pas aux islamistes politiques. Par exemple, le nombre de recrues de l’EI a énormément augmenté après que son chef Abu Bakr al-Baghdadi s’est proclamé calife. « Indépendamment de l’idéologie, des individus du monde entier qui se sentaient réprimés par leurs propres gouvernements, dont la plupart n’étaient pas en mesure de garantir leur sécurité personnelle ou une infrastructure durable, se sont précipités pour rejoindre son armée. L’essentiel est que le concept de califat n’est pas difficile à vendre, que ce soit dans un État autoritaire, dans les pays musulmans sous-développés ou dans les pays développés où les musulmans sont le plus souvent stigmatisés », selon un article de Cynthia Lardner de juin 2017, Erdogan : Self-Proclaimed Caliphate ? [Erdogan : Caliphat autoproclamé ?, NdT]

Un califat est un État dirigé par un intendant islamique connu sous le nom de calife – une personne considérée comme le successeur du prophète de l’Islam, Mahomet (Muhammad bin Abdullah), le prophète de toute la communauté musulmane. Le mot calife désigne en fait le dirigeant de la communauté mondiale des musulmans, ou oumma. Au cours des siècles qui suivirent la mort du prophète Mahomet en 632 de notre ère, les dirigeants du monde musulman furent appelés califes, ce qui signifie « successeur » en arabe. En 1924, Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la nouvelle République turque, abolit le califat.

Le calife a longtemps été considéré par de nombreux musulmans comme le représentant légitime de Dieu sur terre, héritier d’une chaîne de succession ininterrompue remontant jusqu’au prophète Mahomet.

Le professeur Zeki Saritoprak souligne que l’EI et certains islamistes politiques utilisent largement les thèmes eschatologiques et le « califat » dans leur idéologie, en particulier certains récits que l’on trouve dans les hadiths, le recueil de récits de paroles et d’enseignements du Prophète :

« Il n’est dit nulle part dans le Coran ou les hadiths que le devoir des musulmans est d’établir un califat, et en fait, l’idée d’un État islamique n’existait pas avant le milieu du XIXe siècle. Je pense que s’ils sont tellement obsédés par un État c’est parce qu’ils ont oublié comment appliquer les règles à eux-mêmes, et qu’ils ont donc le désir d’imposer les règles aux autres. L’EI est donc une version de l’islam politique qui, en tant que philosophie de gouvernement, considère que l’islam peut être imposé à une population du haut vers le bas. Cela va en fait à l’encontre des principes coraniques, qui se concentrent sur l’individu en tant qu’univers en soi-même », a dit Saritoprak.

Il a poursuivi :

« Une chose dont les adeptes de l’Islam politique ne sont généralement pas conscients, c’est que le temps est un interprète du Coran. Certains versets du Coran doivent être interprétés dans les conditions de notre époque et non dans les conditions du Moyen Âge. Par conséquent, je ne pense pas qu’un califat ou un État islamique soit nécessaire pour que l’islam s’épanouisse au XXIe siècle. Il semble que l’avenir de l’Islam soit dans la coopération avec l’Occident et avec le christianisme. Il n’y a pas d’impératif dans le Coran pour détruire l’Occident ou les chrétiens. Bien au contraire, l’Islam devrait être construit sur la civilisation occidentale, et non pas chercher à la détruire. Ceux qui voient des problèmes en Occident devraient être réconfortés par les paroles de Said Nursi, qui a dit que les aspects négatifs de l’Occident finiront par se dissiper et qu’il peut y avoir un rapprochement entre les civilisations occidentale et islamique. »

Selon Ali Vyacheslav Polosin, directeur adjoint du Fonds de soutien à la culture, aux sciences et à l’éducation islamiques, « Erdogan a utilisé l’image du califat et des valeurs islamiques traditionnelles pour gagner en popularité au Moyen-Orient, en espérant la gagner partout dans le monde ». Il a expliqué que « après qu’Erdogan est devenu président, il a commencé à se positionner dans la publicité par l’image non seulement en tant que président de la République turque, mais aussi en tant que lecteur du Coran, comme s’il irradiait une sorte de « nur », de la lumière. C’est plus l’image d’un calife, d’un dirigeant de vrais croyants, que celle du président d’une république, surtout si l’on considère que la Turquie a une très grande expérience dans ce domaine. Donc les revendications ne sont pas si infondées. »

D’un point de vue méthodologique, l’établissement d’un État islamique peut sembler très attrayant pour de nombreux musulmans, mais en réalité, cela ne résoudra peut-être pas les problèmes des êtres humains. Si vous fournissez les meilleures règles et que vous les remettez entre les mains de personnes corrompues, ces règles seront également utilisées pour la corruption. L’attrait du califat aveugle de nombreux musulmans sur la réalité de leur situation et de leur moralité.

Erdogan ne s’est pas déclaré comme le nouveau calife du monde musulman. Mais ses actions peuvent être un signe avant-coureur de ce qui pourrait arriver.

Il est important de garder à l’esprit que la création de l’État turc a toujours joué un rôle crucial dans la configuration de la société en tant qu’agent constitutif. Alors que le rôle constitutif de l’État a été exercé dans le passé avec une vision laïque du monde, ce rôle constitutif semble aujourd’hui être passé à la direction de l’AKP et en particulier à Erdogan lui-même, ce qui suggère que la mission de l’État est maintenant d’élever une génération religieuse. Cela indique que l’aspect « ingénierie sociale » d’un « État constitutif » n’est pas exclu, comme l’a clairement dit Erdogan : « la nouvelle constitution sera en harmonie avec les valeurs de notre nation. »

Alors qu’Atatürk se considérait comme le sauveur de la nation ? une sorte de demi-dieu ? l’establishment séculier de l’État a agi en conséquence. Erdogan et sa bureaucratie semblent convaincus qu’ils ont aussi la capacité de construire leur propre État, leur propre société et même des mythes. Le charisme autoritaire d’Erdogan et sa personnalité narcissique prouvent qu’il serait prêt à gouverner la Turquie en tant que « leader unique incontestable », mais pas en tant que leader démocratique. Des données facilement disponibles démontrent que les leaders charismatiques autoritaires avec des personnalités narcissiques, ont tendance à être des dictateurs.

Je soutiens fermement que l’objectif d’Erdogan pour 2023 et son ambition de ressusciter le califat n’a pas seulement été formulé pour idéaliser sa domination, mais aussi pour servir d' »appel » à cette reconstruction du régime.

Un échange de pouvoir des élites

Malgré l’élimination de la tutelle militaire sur le système politique pendant l’ère du parti AKP, la Turquie a connu plusieurs faiblesses historiques et structurelles qui l’ont empêchée de devenir un État démocratique. Les efforts d’Erdogan pour exclure les militaires turcs du système politique ne visaient pas à consolider la démocratie, mais plutôt à créer un système autocratique selon ses souhaits.

Ce que la Turquie connaît donc depuis des années, c’est la « charismatisation/Erdoganisation » des institutions politiques turques à travers l’idéalisation de l’objectif de 2023 et un avenir imaginaire du califat qui a endommagé non seulement les institutions démocratiques, mais aussi conduit à des changements radicaux dans la politique intérieure et étrangère turque. En raison des obstacles systémiques à la démocratie, tout ce qui émerge en Turquie dans un avenir proche ne sera pas une démocratie consolidée, mais plutôt un échange de pouvoir entre les élites.

Cet article a été publié à l’origine sur Politurco.

Aydogan Vatandas est un journaliste turc chevronné et rédacteur en chef de Politurco.

Source : Aydogan Vatandas, Consortium News, 25-06-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Commentaire recommandé

Jaaz // 04.10.2018 à 12h05

Article intéressant, mis à part le délire sur le califat (qui me surprend d’ailleurs de la part d’un analyste turc, sauf si l’article est à destination de l’étranger).
Dommage que n’est pas développé la conception de la laïcité à la turque, qui est très différente de la française, et qui est à l’origine de beaucoup d’incompréhension en FR. Ex. basique: bien qu’Etat laïque, en TR les imams sont des fonctionnaires. l’Etat a donc un contrôle total sur la religion, à l’inverse de ce qui se pratique en FR.
Par ailleurs, pour moi, Erdogan n’est qu’un pur produit de la TR. Un homme politique puissant et charismatique à la tête d’un Etat lui-même très fort, dans une culture nationale de déférence face à l’autorité.
Ataturk était un personnage purement autocratique (malgré l’imaginaire des commentateurs FR), qui a installé durablement l’armée à la tête de l’Etat. Pour déloger l’armée, dans un tel contexte culturel et politique, il fallait un parti et un leader proposant les mêmes caractéristiques que l’armée: l’autorité et le conservatisme.
Mais Erdogan a surtout réussi électoralement car il a réussi politiquement, socialement et économiquement.
Ex: la TR d’auj, est 3 fois plus riche que la TR de 2002… tout ça en l’espace d’une quinzaine d’années. Du jamais vu dans l’histoire du pays. Là se trouve la légitimité d’Erdogan. Aucunement dans les fantasmes de califat ou de religion.
Le Coran ne nourrit pas le ventre, ne fait pas rouler les voitures et ne paie pas les crédits…

25 réactions et commentaires

  • J // 04.10.2018 à 09h59

    Ne pas oublier que pendant des siècles le poste de calife, quelqu’un qui est notamment habilité à déclarer la guerre ou la paix au nom de tous les sunnites, a été occupé par les sultans siégeant à Istanbul. Et aussi, que la nostalgie du califat tenaille des dizaines de millions de musulmans. Voir le succès, en termes d’influence (militairement c’est une autre histoire, pas forcément finie d’ailleurs) de Daesh.

      +0

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    • Jaaz // 04.10.2018 à 14h52

      Vous êtes dans le fantasme mainstream le plus absolu: Daesh n’influence personne dans le M-O, encore moins dans les pays où il est présent. Il est dommage qu’on entende jamais les Syriens de Syrie ou Irakiens d’Irak. Car ils vous diraient tous la même chose: c’est une création des US et de ses sbires. La preuve la plus frappante étant que la RU a su les anéantir en quelques semaines ou mois (ça aurait pu être bien plus rapide sans les obstacles de l’OTAN et de leurs partenaires locaux), là où la fameuse (fumeuse plutôt) « coalition internationale » (regroupant les principale puissances mondiales) a lamentablement échoué (comme c’est étrange…). Personne n’est dupe dans cette région du monde. Mais on continue, notamment en Europe, de penser qu’il s’agit d’une création 100% originale… La blague…

        +6

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      • K // 04.10.2018 à 16h25

        Je n’ai lu personne affirmer que Daech était une « creation 100% originale ».
        Plus généralement, vos 2 commentaires (J et Jaaz) ne sont pas incompatibles. Daech a été copieusement sponsorisé par l’ouest ET Daech a une grande influance sur les sunites Irakiens, Syriens et mondiaux.

          +1

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        • Jaaz // 04.10.2018 à 16h34

          Pouvez-vous expliquer en quoi le terrorisme internationale façon daesh a influencé les sunnites mondiaux?

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          • K // 04.10.2018 à 18h59

            Il suffit de constater le nombre de Sunnites dans le monde (et en France) qui ont rejoint l’Etat Islamique pour se rendre compte que cette organisation a une grande influence. Et pour être exhaustif il faudrait ajouter les milliers de Sunnites Francais (ou non) qui soutiennent Daesh mais qui n’ont pas le courage de rejoindre ses rangs.

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            • Jaaz // 04.10.2018 à 22h59

              Vous parlez donc de quelques milliers de sunnites dans le monde qui ont choisi le mercenariat en rejoignant daesh? Et notamment des centaines de cassoss manipulés par nos renseignements ? Ok.. Juste à comparer avec le milliard de sunnites dans le monde. Sacrée influence en effet.
              Ne vous y trompez pas: meme si vous ne les entendez pas dans nos médias, Les musulmans du monde, à 99,9999%, savent pour qui roule cette internationale terroriste, puisque 99,9999% de leurs victimes sont eux-mêmes des musulmans. Cette simple évidence qui nous échappe volontairement, est bien comprise par les peuples concernés depuis le premier jour ou sont apparus ces terroristes de daesh.

                +1

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      • J // 04.10.2018 à 18h24

        Bien sûr, si on considère que Daesh n’a d’influence que sur ceux qui passent à l’acte terroriste, c’est très limité. Mais c’est très naïf. D’abord, une stratégie terroriste sérieuse n’a jamais consisté à faire le plus de mal possible (la preuve, il arrive qu’on la contre en lui en faisant commettre plus qu’il ne lui en faut). Donc mesurer la force et l’influence de Daesh ou Al Qaida au nombre de terroristes concrets est très naïf. Et il y a un projet, et un souhait collectif porté par des dizaines de millions de personnes, d’imposer la loi islamique à la planète. C’est d’ailleurs une injonction coranique (8:39, 9:29, etc.). Cela implique une gamme de moyens qui vont de la séduction la plus suave au terrorisme, les deux étant nourris aux pétrodollars et complémentaires (je ne dis pas que tous en sont conscients). Ceux qui jouent la séduction vont forcément condamner le terrorisme. Croire qu’ils s’y opposent et s’y opposeront forcément toujours de toutes leurs forces est aussi très naïf.

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  • Kokoba // 04.10.2018 à 10h54

    Qu’Erdogan se transforme en autocrate pur et dur et rétablisse le califat est une possibilité très réelle mais pour l’instant l’histoire n’est pas écrite. Attendons de voir.

    Il est tout de même amusant de constater qu’il existe encore des personnes en Europe et en France qui travaillent à une intégration de la Turquie dans l’Union Européenne.

    Une autre chose amusante, c’est de voir qu’il a des personnes qui croyaient que l’affaiblissement de l’armée par l’AKP était une bonne chose qui allait obligatoirement amener plus de démocratie. Un pari plutot optimiste…

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    • Jaaz // 04.10.2018 à 11h32

      Je crois qu’on nage en plein délire (européen) avec ces histoires de califat. Même dans ses fantasmes les plus fous, Erdogan n’aurait jamais pensé qu’on lui attribuerait de telles intentions (qui ne sont d’ailleurs évoquées qu’en Europe curieusement, aucunement dans les médias turcs).
      Première chose qu’il faut rappeler: Erdogan est un homme politique extrêmement pragmatique. Il sait que la Turquie et le monde arabe-musulman sont culturellement et politiquement antagonistes. Et il n’ignore pas que l’empire ottoman a mal terminé. Il n’a nullement l’ambition (car aucune possibilité) de remettre en place un empire déchu. Par contre, il n’a jamais caché son ambition de faire de la TR un acteur majeur de la mondialisation, en se référant à l’histoire glorieuse de l’empire.
      Croire par ailleurs qu’une telle éventualité puisse se produire est méconnaitre totalement ce qu’est la TR d’aujourd’hui.
      Mais il est vrai que rares sont les vrais connaisseurs de la TR aujourd’hui, et notamment en FR. C’est un pays très complexe et déroutant, spécialement pour ceux qui ont une vision binaire des réalités.

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    • Chris // 04.10.2018 à 16h05

      Article très intéressant.
      Erdogan aurait tous les outils et opportunités pour devenir un avatar d’Hitler si l’Occident lui fournissait les moyens financiers et technologiques comme durant l’entre-deux guerre allemande : profil psychologique, monde musulman charcuté et déstabilisé, idiot utile jusqu’ici tenu en laisse par la Calamité Internationale à travers l’OTAN, prochain turk-stream assurant son indépendance énergétique (la Russie multi-culturo-confessionnelle n’est pas un obstacle), désir de reconstruction nationale en s’appuyant sur le passé ottoman (De Gaulle eut le même réflexe avec une France laminée par deux guerres et pertes assumées des colonies), redistribution des cartes à l’échelle mondiale.
      Démocratie… Cessez donc de dire des gros mots ! Un mot utilisé à toutes les sauces en Occident pour flatter l’individualisme consumériste des manants au profit des élites et leurs lobbies qui nous bernent.
      Démocratie, mot qui à l’entendre ou le lire finit par me donner de l’urticaire.
      Une « démocratie » dont les « valeurs », lois et GOPE sont strictement aux mains de l’UE, es-Soviet suprême européen, sur lequel caracole l’oriflamme de l’OTAN ! Rappelez-vous, la franchise de Juncker : « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Mettez-vous ça bien dans la tronche !

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  • Jaaz // 04.10.2018 à 12h05

    Article intéressant, mis à part le délire sur le califat (qui me surprend d’ailleurs de la part d’un analyste turc, sauf si l’article est à destination de l’étranger).
    Dommage que n’est pas développé la conception de la laïcité à la turque, qui est très différente de la française, et qui est à l’origine de beaucoup d’incompréhension en FR. Ex. basique: bien qu’Etat laïque, en TR les imams sont des fonctionnaires. l’Etat a donc un contrôle total sur la religion, à l’inverse de ce qui se pratique en FR.
    Par ailleurs, pour moi, Erdogan n’est qu’un pur produit de la TR. Un homme politique puissant et charismatique à la tête d’un Etat lui-même très fort, dans une culture nationale de déférence face à l’autorité.
    Ataturk était un personnage purement autocratique (malgré l’imaginaire des commentateurs FR), qui a installé durablement l’armée à la tête de l’Etat. Pour déloger l’armée, dans un tel contexte culturel et politique, il fallait un parti et un leader proposant les mêmes caractéristiques que l’armée: l’autorité et le conservatisme.
    Mais Erdogan a surtout réussi électoralement car il a réussi politiquement, socialement et économiquement.
    Ex: la TR d’auj, est 3 fois plus riche que la TR de 2002… tout ça en l’espace d’une quinzaine d’années. Du jamais vu dans l’histoire du pays. Là se trouve la légitimité d’Erdogan. Aucunement dans les fantasmes de califat ou de religion.
    Le Coran ne nourrit pas le ventre, ne fait pas rouler les voitures et ne paie pas les crédits…

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    • Mr K. // 04.10.2018 à 13h19

      @Jaaz

      Que signifie sur le drapeau national de la Turquie la grande étoile dorée entourée de plus d’une dizaine de petites étoiles en cercle (voir photo avec Erdogan dans l’article ci-dessus)?

      Ce rajout au drapeau national Turc date de quand?

      Y-a-t-il un rapport avec l’empire Ottoman?

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      • Jaaz // 04.10.2018 à 14h20

        Il s’agit du sceau de la présidence de la république. Je ne crois pas qu’il ait un rapport avec l’empire.

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        • Mr K. // 05.10.2018 à 07h28

          @Jaaz
          Il y a certainement un RAPPORT DIRECT AVEC L’EMPIRE OTTOMAN :

          Sur le drapeau Turc modifié devant lequel Erdogan pose, Les 16 étoiles périphériques représentent certainement « …les seize empires turcs ou turcophones qui se sont succédé depuis l’Asie centrale, au IIe siècle, jusqu’à l’apothéose ottomane. »

          La grande étoile centrale représentant le présent avec le renouveau néo-ottoman et la continuation de ce glorieux passé par Erdogan?

          Voir le dernier paragraphe « Références au passé glorieux » de cet article publié initialement par « le monde » :

          http://www.ataturquie.fr/le-fantasme-neo-ottoman-du-president-erdogan/

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          • Jaaz // 05.10.2018 à 10h15

            Je l’ignore, mais le drapeau n’a pas été officiellement modifié. Il s’agit du drapeau qui flotte au palais présidentiel, et c’est le sceau de la présidence de la république turque.
            Par contre, il faut quand même rappeler que le délire ridicule sur le « néo-ottomanisme » ou le « califat » (je ris en tapant ce terme…) provient généralement des critiques d’Erdogan.
            Qu’Erdogan se réfère effectivement à un passé glorieux est un classique turc, vu que le nationalisme turc est très fort. Mais ce n’est pas un nationalisme de conquête, mais surtout d’unité.
            Je rappelle que la TR n’est pas un pays avec un peuple « homogène », mais une multitude d’ethnies de l’ouest, de l’est, du sud et du nord, qu’il a fallu unir sous un même drapeau et une même idéologie.

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            • Mr K. // 05.10.2018 à 11h36

              Désolé de vous contredire mais ce rajout sur le drapeau officiel que l’on voit derrière Erdogan sur des photos officielles n’est pas anodin.

              Concernant la fibre néo-ottomane d’Erdogan elle est difficilement discutable quand il revendique publiquement pour la Turquie le contrôle du nord de la Syrie et du nord-ouest irakien, les villes d’Alep et Mossoul comprises.

              Extrait d’un article du 12 octobre 2016 intitulé « Qu’a déclaré Erdogan? Nouveau plan : Frapper à l’extérieur, pas à l’intérieur. », du journaliste Ibrahim Karagul, dans le journal en ligne Yeni Safak, pro-gouvernemental et pro AKP (parti d’Erdogan) :

              « Un couloir turc de la Méditerranée à la frontière iranienne est nécessaire. […]
              […] La ligne Mossoul-Alep est notre ligne de défense. Une Turquie qui n’est pas présente à Mossoul et à Alep ne pourra pas se protéger. »

              https://www.yenisafak.com/en/columns/ibrahimkaragul/what-did-erdogan-say-new-plan-hitting-on-the-outside-not-inside-2033444?n=1

              Même si peut-être possiblement par pur électoralisme, la Turquie d’Erdogan a bien des visées territoriales déclarées : sur la Syrie englobant Alep, sur l’Irak englobant Mossoul.

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    • John V. Doe // 04.10.2018 à 16h54

      La richesse de la Turquie, elle a du plomb dans l’aile actuellement et ce n’est pas parti pour s’arranger. Les accords avec la Russie apportent de la sécurité politique et de l’énergie mais ne fait guère marcher le commerce. Et bouder l’Europe montre ses limites quand Erdogan est face tout seul à l’autoritarisme US. D’ailleurs, le désir de réconciliation s’est fait très vif lors des dernières rencontres avec les Allemands qui, au moins en apparence, ont pourtant du mal à oublier les derniers affronts diplomatiques. Enfin, tant que l’argent européen échangé contre le blocage de l’immigration arrive…

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      • Jaaz // 04.10.2018 à 22h41

        Le commerce vous dites? Précisément ! La richesse de la TR ne repose pas sur une rente pétrolière ou gazière, ni sur l’exportation de soja ou de mais, mais sur ses industries, le tertiaire, et sur l’avenir d’une jeunesse particulièrement bien formée. La lire turque en baisse va d’ailleurs booster l’exportation, les conséquences seront donc limitées.
        Ce n’est donc qu’un passage, elle a vu bien pire il y a 20 ans.
        Et personne n’a intérêt à ce qu’elle plonge, trop d’intérêts occidentaux en jeu.
        Quant à l’aumône versée par l’UE pour les plus de 3 millions de réfugiés sur son sol, vous croyez vraiment que la TR s’enrichit avec alors qu’elle les nourrit loge? A comparer avec son PIb de 900 milliards de $…

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  • serge // 04.10.2018 à 12h20

    C’est bien pour cela que les troupes turques sont à Afrin et ne vont probablement pas respecter les accords de Sotchi d’avec les russes pour continuer de contrôler Idlib par ses proxys. Comme le fait de muscler leur emprise sur le nord de Chypre ( Ah le gaz…) et les nombreuses incursions au-dessus des îles grecques le long de ses côtes. Et que probablement, ils vont s’insérer plus physiquement dans le nord de l’Irak et de la Syrie sous couvert de haine du PKK.
    Le tout en s’impliquant fortement dans tous les pays européens où les communautés turques sont présentes en vue de les enrôler comme soutien pur et dur.
    Déjà que l’on avait le wahhabisme comme pression sociétale non négligeable, les velleités de recréer l’empire ottoman n’arrangent rien.
    De mon point de vue, la Turquie est bien plus à surveiller pour notre avenir que les routes de la soie chinoises.

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    • Jaaz // 04.10.2018 à 12h30

      Toutes les incursions ou interventions que vous décrivez avaient déjà régulièrement lieu longtemps avant la prise de pouvoir par l’AKP, notamment en Irak, Syrie (à l’époque où le PKK et son leader étaient hébergé chez Assad père) et je ne parle pas de Chypre.
      Etat fort = nationalisme fort. Voilà en réalité le véritable ciment qui permet d’agréger une diversité ethnique peu commune et éviter toute velléité de sécession ou même revendication régionaliste.

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      • daniel // 04.10.2018 à 14h44

        Simple: continuité, par delà les époques et institutions.
        Serge a raison; annexer environ 10% du territoire syrien et empiéter largement dans le nord de l’Irak, 2 zones kurdes, devraient nous alerter sérieusement. N’oublions pas toutes les misères faites aux kurdes du nord, qui sont autant d’ exactions sinon de crimes.

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        • Jaaz // 04.10.2018 à 15h07

          Depuis quand il y a annexion? la présence des forces turques ne vaut pas annexion. Pas plus, j’imagine, la présence des soldats US ou FR, notamment, dans les zones censés être aux mains des terroristes de daesh. Que la TR cherche a lutter contre le PKK et ses affiliés sécessionnistes est une constante de la politique turque. C’est une limite absolue pour elle. Il en va de même, j’imagine, pour tous les pays confrontés à ce type d’entités armées sécessionnistes. Son problème est avant le PKK, qui n’est pas un regroupement de démocrates laïcs authentiques pro-LGBT, comme on voudrait le croire en Europe.
          Quant aux Kurdes d’Irak, la TR est un partenaire tant politique qu’économique de la région kurde, le KRG. Les interventions turques sont dues au fait que l’état-major du PKK se trouve dans les montagnes du Kandil, ce que le KRG n’accepte d’ailleurs pas, d’où de récurrents conflits PKK-PDK de Barzani.

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          • daniel // 04.10.2018 à 18h56

            Soit, pas annexions mais tentatives d’annexions par turquisation forcée et nettoyage ethnique , surtout à Efrin/Afrin mais aussi dans le triangle de Azaz, Jarabulus, Al-Bab, où l’emprise turque est plus prononcée parce que plus plus ancienne. Toute la zone est syrienne par traités signés entre la Turquie et la France mandataire dans les années 1932-1939. L’attribution à la Turquie du Sandjak d’Alexandrette par la France est considérée comme exorbitante par les syriens qui ont quelque mémoire. La présence turque par conquête, en Syrie, est donc illégale. C’est aussi simple que ça. Ce devrait être une limite absolue parce que jamais les habitants de cette zone, et leurs forces de défense, n’ont montré d’hostilité envers les Turcs quand ils se tenaient du bon côté de leur frontière.
            Il va de soi que toutes présences de forces étrangères en territoire syrien, non sollicitées par le gouvernement syrien, sont injustifiées, Daech devenant un prétexte évanescent.

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  • la vieille gauloise // 04.10.2018 à 13h42

    De toute manière, la situation géographique de la Turquie , entre Orient et Occident , fera que ce pays sera toujours écartelé entre
    des positions antagonistes Il serait bien que la mentalité politique
    de la Turquie mûrissent dans une neutralité apaisée et continue à vivre dans son  » business as usual  » comme elle a très bien su le faire dans son Histoire

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    • Jaaz // 04.10.2018 à 14h42

      La TR joue d’ailleurs très bien de son positionnement géographique entre est et ouest, nord et sud, à cheval sur deux continents, dit-on. Raison pour laquelle elle n’a jamais opté franchement vers une direction, car c’est tout bonnement impossible ainsi que son histoire le montre. C’est la source aussi de bien des incompréhensions, notamment en Europe.
      Le « business as usual » est toujours « as usual » en TR, il n’a même jamais été aussi « usual » depuis que l’AKP est au pouvoir. Il est vrai que l’armée, lorsqu’elle contrôlait tous les rênes du pouvoir, et notamment éco, s’accaparait la majeure partie du PIB, ce qui limitait la croissance du pays. Derrière la domination de l’armée, il y avait avant tout une domination économique.
      Même s’il existe des institutions solides, des élections régulières, il n’existe pas d’esprit authentiquement démocratique en TR. Erdogan n’a donc rien inventé. C’est en cela qu’il est le pur produit de l’histoire nationale.
      Et c’est la même choses de ses opposants, car ils ont baigné dans la même culture politique.
      E. Todd nous enseigne qu’en dehors des pays anglo-saxons (plus tardivement de la FR) l’autorité et le respect de la hiérarchie sont des valeurs communes à bien des peuples eurasiatiques. La TR n’échappe pas à cette constante et cette analyse anthropologique et culturelle aide vraiment à comprendre notamment les points communs entre des pays qui peuvent paraître aussi différents que l’ALL., la RU, ou la TR.

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