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[2000] George H.W. Bush, la CIA et le dossier du terrorisme d’État. Par Robert Parry

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Source : Consortium News, Robert Parry, 23-09-2000

Il y a quarante deux ans, une voiture piégée explosait à Washington tuant l’ancien ministre des affaires étrangères du Chili Orlando Letelier, un acte de terrorisme d’état que la CIA et son directeur George H.W. Bush ont tenté de dissimuler, a rapporté Robert Parry le 23 septembre 2000.

Au début de l’automne 1976, après qu’un assassin du gouvernement chilien a tué un dissident chilien et une femme américaine avec une voiture piégée dans Washington DC, la CIA de George H.W. Bush a fait fuiter un faux rapport, disculpant la dictature militaire chilienne et envoyant le FBI sur une fausse piste.

L’évaluation bidon de la CIA, diffusée par le biais du magazine Newsweek et d’autres médias américains, a été diffusée en dépit du fait que la CIA a maintenant admis savoir que le Chili participait à l’opération Condor, une campagne transfrontalière visant les dissidents politiques, et que la CIA elle-même avait des soupçons quant au rôle de la junte chilienne dans les attentats terroristes de Washington.

Dans un rapport au congrès de 21 pages le 18 septembre 2000, la CIA a reconnu officiellement pour la première fois que le cerveau de l’attaque terroriste, le chef du renseignement chilien Manuel Contreras, était un agent appointé par la CIA

Le rapport de la CIA a été publié presque 24 ans jour pour jour après les meurtres de l’ancien diplomate chilien Orlando Letelier et de son assistante américaine Ronni Moffit, qui sont morts le 21 septembre 1976 lorsqu’une bombe contrôlée à distance a déchiqueté la voiture de Letelier alors qu’ils roulaient sur Massachusetts Avenue, un tronçon majestueux de Washington connu comme l’allée des Ambassades.

Dans le rapport, la CIA a également reconnu publiquement pour la première fois qu’elle avait consulté Contreras en octobre 1976 au sujet de l’assassinat de Letelier. Le rapport ajoutait que la CIA était au courant du rôle présumé du gouvernement chilien dans les meurtres et incluait cette suspicion dans un message interne envoyé le même mois.

« Le premier rapport de renseignement de la CIA contenant cette allégation était daté du 6 octobre 1976 », un peu plus de deux semaines après l’attentat, a révélé la CIA.

Néanmoins, la CIA – alors dirigée par George H.W. Bush, directeur de la CIA à l’époque – a divulgué pour un usage public, une évaluation validant le redouté service de renseignement du gouvernement chilien, la DINA, qui était alors dirigé par Contreras.

Le diplomate chilien Orlando Letelier, assassiné lorsque des terroristes de droite ont fait exploser sa voiture à Washington le 21 septembre 1976. (Wikipédia)

S’appuyant sur la parole de la CIA de Bush, Newsweek a rapporté que « la police secrète chilienne n’était pas impliquée » dans l’assassinat de Letelier. « L’agence [La CIA : NdT] en est arrivée à cette décision parce que la bombe était trop grossière pour être le travail d’experts et parce que le meurtre, survenu alors que les dirigeants chiliens courtisaient le soutien américain, ne pouvait que nuire au régime de Santiago. » [Newsweek, 11 oct. 1976]

Bush, qui est devenu plus tard le 41e président des États-Unis (et le père du 43e président), n’a jamais expliqué son rôle dans la publication de la fausse couverture qui a détourné l’attention des vrais terroristes. Bush n’a pas non plus expliqué ce qu’il savait de l’opération de renseignement chilienne dans les semaines qui ont précédé la mort de Letelier et Moffitt.

Esquiver la divulgation

En tant que correspondant de Newsweek en 1988, une douzaine d’années après l’attentat de Letelier, alors que Bush père était candidat à la présidence, j’ai préparé un article détaillé sur la manière dont Bush avait traité l’affaire Letelier.

L’ébauche de l’article comprenait le premier compte rendu de sources de renseignement américaines selon lequel Contreras était un collaborateur de la CIA vers le milieu des années 1970. J’ai également appris que la CIA avait consulté Contreras au sujet de l’assassinat de Letelier, information que la CIA ne voulait pas confirmer.

Les sources m’ont indiqué que la CIA avait envoyé son chef de l’antenne de Santiago, Wiley Gilstrap, pour parler avec Contreras après l’attentat. Gilstrap a ensuite envoyé un message au siège de la CIA à Langley, en Virginie, avec l’assurance de Contreras que le gouvernement chilien n’était pas impliqué. Contreras a dit à Gilstrap que les tueurs les plus probables étaient des communistes qui voulaient faire de Letelier un martyr.

Mon projet d’article décrivait également comment la CIA de Bush avait été avertie en 1976 des plans secrets de la DINA [Direction du renseignement chilien : NdT] d’envoyer des agents, dont l’assassin Michael Townley, aux États-Unis avec de faux passeports.

Le vice-président de l’époque, George H.W. Bush, lors d’une réunion à la Maison-Blanche le 12 février 1981. (Bibliothèque Reagan)

En apprenant cette étrange mission, l’ambassadeur des États-Unis au Paraguay, George Landau, a envoyé un message à Bush au sujet de l’affirmation du Chili que Townley et un autre agent se rendaient au siège de la CIA pour une réunion avec Vernon Walters, le suppléant de Bush. Landau a également envoyé des copies des faux passeports à la CIA.

Walters a répondu par télégramme qu’il n’était au courant d’aucun rendez-vous prévu avec ces agents chiliens. Landau a immédiatement annulé les visas, mais Townley a simplement modifié ses plans et a continué son chemin vers les États-Unis. Après son arrivée, il a enrôlé des Cubains-Américains de droite dans le complot contre Letelier et s’est rendu à Washington pour placer la bombe sous la voiture de Letelier.

La CIA n’a jamais expliqué les mesures qu’elle a prises, le cas échéant, après avoir reçu l’avertissement de Landau. Une suite naturelle aurait été de contacter la DINA et de lui demander ce qui se préparait ou si un message concernant le voyage avait été mal acheminé. Le rapport de la CIA de 2000 ne fait aucune mention de ces aspects de l’affaire.

Après l’assassinat, Bush a promis l’entière coopération de la CIA pour retrouver les assassins de Letelier-Moffitt. Mais au lieu de cela, la CIA a pris des mesures contraires, telles que la mise en place de la fausse disculpation et la rétention de preuves qui auraient mis en cause la junte chilienne.

« Rien de ce que l’agence nous a donné ne nous a aidés à résoudre cette affaire », a déclaré le procureur fédéral Eugene Propper lors d’une entrevue en 1988 pour l’article que je préparais pour Newsweek. La CIA n’a jamais fourni le câble de l’ambassadeur Landau au sujet de la mission suspecte de la DINA ni des copies des faux passeports qui comprenaient une photo de Townley, l’assassin en chef. La CIA de Bush n’a pas non plus divulgué sa connaissance de l’existence de l’opération Condor.

Des agents du FBI à Washington et en Amérique latine ont résolu l’affaire deux ans plus tard. Ils ont découvert l’opération Condor par leurs propres moyens et ont retracé l’assassinat jusqu’à Townley et ses complices aux États-Unis.

En 1988, alors que le vice-président Bush citait son travail à la CIA comme un élément important de son expérience gouvernementale, je lui ai posé des questions sur ses actions dans les jours qui ont précédé et suivi l’attentat contre Letelier. Le chef d’état-major de Bush, Craig Fuller, a répondu en disant que Bush « n’aura aucun commentaire sur les questions spécifiques soulevées dans votre lettre ».

Il s’est avéré que la campagne de Bush n’avait pas grand-chose à craindre de mes découvertes. Lorsque j’ai soumis mon projet d’article – avec son compte rendu exclusif sur le rôle de Contreras en tant que collaborateur de la CIA – les éditeurs de Newsweek ont refusé de publier l’article. Le chef du bureau de Washington, Evan Thomas, m’a dit que le rédacteur en chef Maynard Parker m’avait même accusé d’être « à la poursuite de Bush ».

Les aveux de la CIA

Vingt-quatre ans après l’assassinat de Letelier et 12 ans après que Newsweek a démoli la première explication de la relation Contreras-CIA, la CIA a admis avoir payé Contreras comme une source de renseignement et l’avoir consulté au sujet de l’assassinat de Letelier.

Pourtant, dans le rapport sommaire de 2000, l’agence d’espionnage cherchait à se présenter davantage comme une victime que comme un complice. Selon le rapport, la CIA a critiqué en interne les violations des droits de l’homme commises par Contreras et s’est montrée sceptique quant à sa crédibilité. La CIA a déclaré que son scepticisme précédait le contact de l’agence d’espionnage avec lui au sujet des meurtres de Letelier-Moffitt.

« La relation, bien que correcte, n’a été ni cordiale ni sereine, d’autant plus que des preuves du rôle de Contreras dans les violations des droits humains sont apparues », a déclaré la CIA. « En décembre 1974, la CIA a conclu que Contreras n’allait pas améliorer sa conduite en matière de droits humains. …

« En avril 1975, les rapports des services secrets ont montré que Contreras était le principal obstacle à une politique raisonnable en matière de droits de l’homme au sein de la junte, mais un comité inter-agences [du gouvernement Ford] a demandé à la CIA de maintenir ses relations avec Contreras. »

Le rapport de la CIA ajoute qu’« un paiement unique a été versé à Contreras » en 1975, date à laquelle la CIA a entendu parler pour la première fois de l’opération Condor, un programme transfrontalier mené par les dictatures militaires sud-américaines pour traquer les dissidents vivant dans d’autres pays.

« La CIA a demandé à Contreras des informations sur les éléments de preuve qui sont apparus en 1975 concernant un effort officiel de coopération dans le domaine du renseignement du Cône Sud – [Argentine, Chili, Uruguay et Paraguay : NdT] l’opération Condor – s’appuyant sur une coopération informelle pour suivre et, dans quelques cas au moins, tuer des opposants politiques. En octobre 1976, il y avait suffisamment d’informations pour que la CIA décide d’approcher Contreras à ce sujet. Contreras a confirmé l’existence de Condor en tant que réseau d’échange de renseignements mais a nié son rôle dans les exécutions extra-judiciaires. »

De plus, en octobre 1976, la CIA a déclaré qu’elle avait « élaboré » comment elle aiderait le FBI dans son enquête sur l’assassinat de Letelier, qui avait eu lieu le mois précédent. Le rapport de l’agence d’espionnage n’offre cependant aucun détail sur ce qu’elle a fait. Le rapport ajoutait seulement que Contreras était déjà suspecté de meurtre à l’automne 1976.

« A cette époque, le rôle possible de Contreras dans l’assassinat de Letelier est devenu un problème », selon le rapport de la CIA. « Fin 1976, les contacts avec Contreras étaient très rares. »

Même si la CIA a fini par reconnaître la probabilité que la DINA était derrière l’assassinat de Letelier, rien n’indique que la CIA de Bush ait cherché à corriger la fausse impression créée par ses fuites dans les médias qui affirmaient l’innocence de la DINA.

Le vice-président de l’époque, George H.W. Bush, en compagnie du directeur de la CIA, William Casey, à la Maison-Blanche, le 11 février 1981. (Bibliothèque Reagan)

Après le départ de Bush de la CIA suite à l’investiture de Jimmy Carter en 1977, l’agence d’espionnage a, selon le nouveau rapport, pris ses distances avec Contreras. « En 1977, la CIA a rencontré Contreras une demi-douzaine de fois ; trois de ces contacts visaient à obtenir des informations sur l’assassinat de Letelier », selon le rapport de la CIA.

« Le 3 novembre 1977, Contreras a été muté à une fonction sans lien avec le renseignement, de sorte que la CIA a coupé tout contact avec lui », ajoute le rapport. « Après une courte lutte pour conserver le pouvoir, Contreras a démissionné de l’armée en 1978. Dans l’intervalle, la CIA a recueilli des informations précises et détaillées sur l’implication de Contreras dans l’assassinat de Letelier. »

Des mystères subsistent

Bien que le rapport de la CIA en 2000 contienne le premier aveu officiel d’une relation avec Contreras, il ne fait pas la lumière sur les actions de Bush et de son adjoint, Walters, dans les jours précédant et suivant l’assassinat de Letelier. Il n’explique pas non plus pourquoi la CIA de Bush a publié de fausses informations dans la presse américaine pour blanchir la dictature militaire chilienne.

Tout en fournissant un résumé de 21 pages sur ses relations avec la dictature militaire chilienne, la CIA a refusé de divulguer des documents datant d’un quart de siècle plus tôt au motif que ces divulgations risquaient de mettre en péril ses « sources et ses méthodes ». Ce refus s’est opposé à l’ordre précis du président Bill Clinton de révéler autant d’informations que possible.

Peut-être la CIA cherchait-elle à gagner du temps. Avec le siège de la CIA officiellement rebaptisé le George Bush Center for Intelligence et avec des vétérans des années Reagan-Bush qui dominent encore la hiérarchie de la CIA, l’agence d’espionnage pouvait espérer que l’élection du gouverneur du Texas, George W. Bush, la débarrasse des demandes d’ouverture des dossiers au peuple américain.

Pour sa part, l’ancien président George H.W. Bush a déclaré son intention de jouer un rôle plus actif dans la campagne pour l’élection de son fils. En Floride, le 22 septembre 2000, Bush s’est dit « absolument convaincu » que si son fils était élu président, « nous restaurerons le respect, l’honneur et la décence que mérite la Maison Blanche ».

Le regretté journaliste d’investigation Robert Parry, rédacteur en chef fondateur de Consortium News, a publié de nombreux articles sur Iran-Contra pour The Associated Press et Newsweek dans les années 1980. On peut acquérir son dernier livre, America’s Stolen Narrative, [L’histoire volée de l’Amérique NdT] en version imprimée ici ou en version électronique sur (Amazon et barnesandnoble.com).

Source : Consortium News, Robert Parry, 2000

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Commentaire recommandé

Louis Robert // 15.01.2019 à 11h33

GHW Bush: “I’ll never apologize for the United States of America ever. I don’t care what the facts are.”

https://m.youtube.com/watch?v=10qatUWwIeg

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