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15.décembre.201515.12.2015 // Les Crises

Aux racines du djihadisme : Surenchères traditionalistes en terre d’islam, par Nabil Mouline

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Source : Le Monde Diplomatique, Nabil Mouline, 03-2015

Le monde musulman sunnite est confronté à un phénomène de réislamisation, avivé par la faiblesse des forces modernistes et des sociétés civiles ainsi que par la duplicité des pouvoirs politiques. Tout porte à croire que, malgré leur opposition idéologique, le wahhabisme saoudien et le courant des Frères musulmans vont poursuivre leur expansion. Leur avatar commun, le djihadisme, devrait lui aussi se renforcer.

Dans le monde arabe, les ambitions hégémoniques du traditionalisme musulman ne datent pas d’hier. Quelles que soient sa forme ou sa dénomination, ses dépositaires ont réussi à y occuper, depuis la seconde moitié du IXe siècle, une place centrale. Cela s’est fait au prix de combats acharnés, et au détriment d’autres discours dont certains étaient novateurs, ou du moins rénovateurs.

Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que l’ordre ancien est progressivement, quoique involontairement, secoué par le choc colonial. Des discours s’appuyant sur les systèmes de valeurs et de représentations occidentaux s’introduisent en terre d’islam. Ils offrent une nouvelle conception du monde et permettent à des courants intellectuels, politiques et religieux de s’épanouir. Le traditionalisme musulman ne disparaît pas pour autant. Après une période d’adaptation forcée au début du XXe siècle, ses promoteurs réapparaissent et prétendent jouer un rôle structurant en tant que défenseurs des vraies valeurs de l’islam contre une modernité trop envahissante. Le renouveau et l’expansion du traditionalisme, qu’il soit religieux (wahhabisme (1)) ou politico-religieux (frérisme (2) et djihadismes), ont plusieurs causes. Sans négliger les facteurs socio-économiques, dont l’importance est indéniable, il nous paraît nécessaire ici d’isoler quelques variables déterminantes et de les mettre en perspective.

Tout au long du XXe siècle, plusieurs pays musulmans ont essayé d’utiliser leur capital religieux pour étendre leur prestige et leur influence au niveau international. Mais l’expérience saoudienne est la plus impressionnante, par son ampleur et par sa longévité. Le wahhabisme, avatar du hanbalisme (l’une des quatre écoles juridiques et théologiques du sunnisme), se conçoit dès son apparition au XVIIIe siècle comme la seule vraie religion. Son interprétation littéraliste, conservatrice et exclusiviste de l’islam doit donc s’imposer à tous ; ceux qui la refusent sont déclarés égarés, hypocrites, hérétiques, voire mécréants. Cependant, les autorités politiques et religieuses saoudiennes n’ont pas les moyens humains et financiers de réaliser leurs ambitions, d’autant que leur doctrine souffre d’une mauvaise réputation en raison des accusations d’extrémisme portées par ses détracteurs, non sans fondement. Les choses vont changer radicalement au lendemain de la première guerre mondiale.

Le roi Abdel Aziz (dit Ibn Séoud), fondateur du royaume saoudien moderne, profite du contexte de recomposition de la région au lendemain du conflit pour tirer son épingle du jeu. Il entreprend, entre autres, une opération de grande envergure pour redorer le blason du wahhabisme, qu’il rebaptise salafisme. Son objectif : convaincre que cette doctrine est conforme aux croyances et aux pratiques orthodoxes des salaf — les trois premières générations de musulmans. Sa plus belle réussite dans ce domaine est sans doute d’avoir séduit plusieurs intellectuels et oulémas influents. L’entreprise de réhabilitation, doublée du prestige d’être resté le seul pays arabe indépendant entre les deux guerres (3), permet à cette doctrine d’acquérir le statut de nouvelle orthodoxie.

Pétrodollars et prosélytisme

La grande expansion du wahhabisme commence durant les années 1960, à la faveur des luttes qui opposent l’Arabie saoudite à l’Egypte et de l’augmentation substantielle des revenus du royaume grâce à l’exportation du pétrole. Pour se prémunir contre les ambitions panarabes du président égyptien Gamal Abdel Nasser, le pouvoir saoudien se pose comme le champion de l’islam et des valeurs traditionnelles en inaugurant une politique de « solidarité islamique ». Ainsi plusieurs organisations politiques, économiques, sociales, éducatives et religieuses (la Ligue islamique mondiale, l’Université islamique de Médine, etc.) voient-elles le jour, grâce notamment au concours des Frères musulmans exilés d’Egypte par Nasser et bien accueillis à cette époque.

Après la guerre israélo-arabe de juin 1967, qui sonne le glas du panarabisme, l’Arabie saoudite augmente son influence. Elle utilise ces organisations pour exporter son islam, et dépense sans compter. Alors que la Ligue islamique mondiale étend ses activités à des dizaines de domaines (construction de mosquées, aide humanitaire, jeunesse, enseignement, fatwas, apprentissage du Coran, etc.), l’Université islamique de Médine forme des Saoudiens et des étrangers à porter la « bonne nouvelle » à travers le monde. Depuis sa création en 1961, cette université a produit environ quarante-cinq mille cadres religieux de cent soixante-sept nationalités. Il faut ajouter à cela des milliers d’étudiants étrangers qui passent par d’autres organismes d’enseignement saoudiens, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, et par des réseaux d’enseignement informels. D’autres organismes officiels, officieux et privés ont vu le jour depuis, pour répondre à la demande d’un marché du religieux en perpétuelle croissance. Parallèlement aux voies institutionnelles, Riyad finance, généralement en toute discrétion, des individus, des groupes et des organisations qui servent plus ou moins ses desseins. Il aurait ainsi dépensé plus de 4 milliards de dollars pour soutenir les moudjahidins en Afghanistan durant les années 1980.

En tant que moyen de visibilité et d’expansion de premier ordre, le monde médiatique et virtuel n’échappe bien sûr pas à la vigilance des autorités politico-religieuses du royaume. Il est investi dès les années 1990. Des dizaines de chaînes satellitaires et des centaines de sites Internet éclosent. Les réseaux sociaux sont également pris d’assaut. Toutes sortes de services y sont proposés, parfois en plusieurs langues. Cet engagement dans les nouvelles technologies, financé par l’Etat, ne doit toutefois pas faire oublier les moyens de diffusion traditionnels. Par exemple, des millions de brochures, de cassettes, de CD et de livres pieux ont été distribués à travers le monde à des prix modiques, si ce n’est gratuitement, depuis les années 1980.

Grâce aux pétrodollars, à la présence de Lieux saints de l’islam sur le territoire saoudien, à la simplicité de ses préceptes et au zèle de ses adeptes, le wahhabisme s’est imposé comme une orthodoxie par rapport à laquelle tous les autres acteurs se positionnent désormais. Son arme la plus efficace reste sans doute la capacité de ses dépositaires à s’allier avec n’importe quel régime, ou tout au moins à s’en accommoder, pourvu qu’il les autorise à islamiser la société par le bas. La restauration du califat ne compte pas parmi leurs préoccupations. Ce qui n’est pas le cas de leurs principaux concurrents : les Frères musulmans.

Dès sa fondation vers 1928 par Hassan Al-Banna, la confrérie des Frères musulmans a pour objectif de recréer l’unité politique et religieuse originelle de l’oumma. Pour réaliser cette utopie, son fondateur envisage une stratégie téléologique : il faut d’abord islamiser la société par le bas en dépassant toutes les écoles juridiques et théologiques avant de conquérir le pouvoir et de créer des Etats islamiques. Ces Etats, qui assurent la suprématie des valeurs religieuses traditionnelles, s’engagent dans un processus d’intégration à travers des programmes de coopération intenses. Cela aboutit tout naturellement à l’abolition des frontières et à la proclamation du califat.

Bien que traditionaliste, le discours des Frères est relativement modéré durant les premières années de leur existence. Beaucoup d’idées occidentales, du moins dans leurs procédés rhétoriques, sont adoptées pour permettre l’entrée dans le champ politique moderne en vue de le contrôler. Si la confrérie s’étend très rapidement en Egypte et ailleurs, elle échoue à conquérir le pouvoir. A la fin des années 1940, elle s’engage dans un processus de radicalisation qui s’intensifie la décennie suivante à cause de la répression féroce que mène le régime de Nasser contre ses membres.

C’est dans ce contexte de crise que sont nées les idées de Sayyed Qotb (1906-1966), l’un des idéologues de la confrérie. En 1950, cet ancien journaliste opère un revirement idéologique qui aura des conséquences immenses sur le champ politico-religieux arabo-musulman. Il considère en effet que le monde dans lequel il vit est tombé dans l’apostasie. Les vrais croyants, désormais minoritaires, doivent accomplir une « émigration » en se séparant spirituellement et physiquement des sociétés impies. Après avoir créé une plate-forme solide, ces élus doivent se lancer à la conquête du pouvoir pour instaurer l’Etat et la loi islamiques dans le cadre d’un djihad intégral. Cette culture d’enclave, qui n’est pas nouvelle dans l’histoire musulmane, devient très rapidement le socle du djihadisme contemporain. Son hybridation avec le wahhabisme, le mawdoudisme (4) et des idéologies européennes — notamment fascistes et communistes — la rendent encore plus redoutable entre les mains de groupes comme Al-Qaida, le Front Al-Nosra et l’Organisation de l’Etat islamique.

Si la majorité des Frères musulmans conteste les arguments de Qotb, ne bascule pas dans le djihadisme et lui préfère l’activisme, elle ne s’éloigne toutefois pas du traditionalisme ; elle doit en effet conserver sa part de marché. Même s’il y a des particularismes locaux, le dénominateur commun des mouvements se réclamant de près ou de loin de ce groupement est la volonté d’islamiser les sociétés. Cela sans pour autant abandonner le rêve d’une prise, partielle ou intégrale, du pouvoir, soit par l’entrisme, soit par le jeu démocratique.

De leur côté, et quelle que soit leur obédience politique, les régimes qui s’installent au pouvoir après les indépendances instrumentalisent la religion, notamment le traditionalisme. L’échec ou l’inexistence d’un projet de construction nationale leur permet d’utiliser cette valeur refuge par excellence. Dans un premier temps, ils estiment que le contrôle des acteurs et le monopole du discours religieux passent par la mainmise sur les institutions, comme Al-Azhar en Egypte, la Zitouna en Tunisie et la Qaraouiyine au Maroc. Cette politique a un effet pervers : les représentants de ces institutions, qui étaient en situation de quasi-monopole, se retrouvent non seulement discrédités durablement, mais également concurrencés par de nouveaux acteurs religieux, notamment les Frères musulmans et les wahhabites. Le champ spirituel se retrouve ainsi fragmenté. Pis, une surenchère traditionaliste s’engage.

Les Frères musulmans contre la gauche

Tout en restant sur leurs gardes, la plupart des régimes essaient d’utiliser ces entrepreneurs religieux à leur avantage dès le début des années 1970. Pour se débarrasser des mouvements d’opposition, plusieurs régimes, dont ceux d’Anouar El-Sadate en Egypte et de Hassan II au Maroc, utilisent ainsi les Frères musulmans. Sous l’œil bienveillant des autorités, ces derniers affaiblissent durablement les positions de la gauche, notamment dans les établissements d’enseignement, les universités, les syndicats, etc. Mais les choses ne s’arrêtent pas là. Les régimes vont jusqu’à puiser dans le répertoire des Frères, à la fois pour les satisfaire et pour leur couper l’herbe sous le pied. Cela concerne non seulement le domaine de la loi (la constitutionnalisation de l’islam, voire de la charia, le statut personnel, des articles du code pénal, etc.), mais également l’éducation (les programmes scolaires) et les médias. Pour couronner le tout, les chefs d’Etat ne manquent plus aucune occasion de manifester publiquement leur piété (accomplissement des rituels, notamment le pèlerinage à La Mecque, organisation de cérémonies religieuses, construction d’édifices de culte, etc.).

Même si les régimes tolèrent et instrumentalisent les Frères musulmans, la méfiance reste de mise. Ils n’oublient pas que l’objectif ultime de ces derniers demeure la prise du pouvoir. Ils ne manquent ainsi aucune occasion d’essayer de les décrédibiliser, de les affaiblir et même de les anéantir. Cela a été par exemple le cas en Arabie saoudite après une contestation frériste au début des années 1990. D’autres régimes ont essayé, notamment après les attentats du 11 septembre 2001, de s’appuyer sur les confréries soufies pour arriver au même objectif. En vain.

C’est ainsi que, devant la montée des Frères musulmans après les soulèvements populaires de 2011, plusieurs régimes de la région découvrent les « bienfaits » du wahhabisme : l’antifrérisme, l’antimodernisme politique et l’appel à obéir absolument aux gouvernants. Ils n’ont pas manqué de les utiliser, ce qui laisse prévoir des collusions dans les prochaines années. Tout laisse donc penser que le traditionalisme religieux poursuivra son expansion, d’autant que les sociétés civiles sont balbutiantes et que le champ intellectuel, notamment moderniste, est en ruine.

Nabil Mouline

Chercheur au Centre d’études interdisciplinaires des faits religieux (CEIFR) à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), auteur de l’ouvrage Les Clercs de l’islam. Autorité religieuse et pouvoir politique en Arabie saoudite (XVIIIe-XXIesiècle), Presses universitaires de France (PUF), Paris, 2011.

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Commentaire recommandé

Muslim // 15.12.2015 à 09h18

L’auteur oublie tout de même de mentionner ce qui a participé du succès des Frères musulmans dans les « basses » classes et autres damnés de ces pays, et qui est la partie disons « associative » de ces mouvements, contre la misère, l’analphabétisme, l’insécurité, etc. A eux-seuls ils représentent toutes les sortes d’associations caritatives et actives que l’on peut voir en Occident, du moins celles qui s’occupent de la misère populaire et des « pauvres » en général (une écrasante majorité de ces populations). Ils sont et restent populaires par les actions qu’ils ont mené, plus que par l’idéologie qui s’y cachent. Une famille que tu nourris, que tu habilles, et que tu aides lors des difficultés du quotidien, devient ton obligé.

Je peux comprendre qu’il est nécessaire d’avoir un contexte global, mais il ne faut pas oublier d’ausculter la réalité et comprendre pourquoi les populations adhèrent viscéralement à ces mouvements, ils ont été malheureusement les seuls à s’occuper d’elles, là où l’état est extrêmement défaillant et littéralement absent.

21 réactions et commentaires

  • woz // 15.12.2015 à 04h29

    Sur le jihadisme, un article bien plus intéressant figure dans le numéro de décembre de Harper’s. Son auteur est Andrew Cockburn, frère de Patrick et Alexander, eux aussi excellents journalistes. L’article s’intitule: Une relation spéciale. Les USA s’allient à nouveau à al-Qaida

    http://harpers.org/archive/2016/01/a-special-relationship/1/

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    • Charles Michael // 15.12.2015 à 06h48

      Oui, c’est un peu ce qui manquait, le soutien britannique puis après WWII l’accord US avec les Saouds, l’appui US aux Frères, etc…

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      • Alae // 15.12.2015 à 13h41

        Il y manque aussi l’indexation du dollar au pétrole en 1973 moyennant la protection armée et le soutien politique de l’Arabie Saoudite par les USA.
        http://petrodollar.org/

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  • Alfred // 15.12.2015 à 08h20

    Merci pour cet article qui constitue je crois le descriptif le plus proche de ce qui s’est passé.
    Le fait que les gauchos arabe aient été continuellement annihilés (eux ne sortaient pas de prison) alors que l’on utilisait les frères (un coup dans la prison un coup dehors) est une réalité dont on voit les conséquences. On peut remarquer d’ailleurs que le printemps arabe qui a le moins tourné à l’aigre le doit essentiellement à un syndicat (UGTT) qui était un des rares acteurs sociaux à forte légitimité. Ce n’est pas du tout un hasard à mon avis.
    Et c’est une leçon à prendre pour le futur chaotique qui nous attend en France, alors que tout les acteurs ont considérablement perdu en légitimité…

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  • Werrebrouck // 15.12.2015 à 08h55

    Article intéressant qui permet de comprendre que dans le monde musulman qui fait suite à l’effondrement de l’empire Ottoman, les Etats chargés d’en assurer la succession sont fragiles: c’est moins la religion qui se trouve enkystée dans l’Etat que l’Etat qui se trouve enkystée dans la religion.
    http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/12/la-nature-de-l-etat-islamique.html

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  • Muslim // 15.12.2015 à 09h18

    L’auteur oublie tout de même de mentionner ce qui a participé du succès des Frères musulmans dans les « basses » classes et autres damnés de ces pays, et qui est la partie disons « associative » de ces mouvements, contre la misère, l’analphabétisme, l’insécurité, etc. A eux-seuls ils représentent toutes les sortes d’associations caritatives et actives que l’on peut voir en Occident, du moins celles qui s’occupent de la misère populaire et des « pauvres » en général (une écrasante majorité de ces populations). Ils sont et restent populaires par les actions qu’ils ont mené, plus que par l’idéologie qui s’y cachent. Une famille que tu nourris, que tu habilles, et que tu aides lors des difficultés du quotidien, devient ton obligé.

    Je peux comprendre qu’il est nécessaire d’avoir un contexte global, mais il ne faut pas oublier d’ausculter la réalité et comprendre pourquoi les populations adhèrent viscéralement à ces mouvements, ils ont été malheureusement les seuls à s’occuper d’elles, là où l’état est extrêmement défaillant et littéralement absent.

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    • Muslim // 15.12.2015 à 10h36

      « Le monde musulman sunnite est confronté à un phénomène de réislamisation, avivé par la faiblesse des forces modernistes et des sociétés civiles ainsi que par la duplicité des pouvoirs politiques. »

      Cette entrée est aussi critiquable, la foi est une donnée que ne semble pas intégrer à son interprétation l’auteur, elle est difficilement quantifiable ou qualifiable, mais elle est une des données principales de la réislamisation. Au-delà des théories pour tenter d’expliquer ce que l’Occident ne veut pas voir et entendre, les sociétés arabo-musulmanes ne sont pas entrées dans l’ère de la consommation de masse, les structures traditionnelles, sociales et familiales ont été ébranlées sans être fondamentalement touchées, elles sont toujours en place et prêtes à être « réparées », aucune idéologie moderne n’est venue véritablement concurrencer l’Islam, j’entends par là « a eu les moyens de concurrencer l’Islam chez les masses abandonnées ». Le pilier « Foi » est omniprésent et ne sera pas détruit, parce que sa base populaire le préservera, ils n’ont que ça. C’est certainement très difficile à comprendre vu d’Occident, malgré un gros effort d’empathie.

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      • Chris // 15.12.2015 à 12h38

        C’est bien pour cette raison (consommation basique solidaire au sein d’une gestion clanique, schéma économique antinomique à celui des familles nucléaires occidentales, consommatrices compulsives, donc pourvoyeuses de gros profits pour les transnationales) que les Occidentaux attaquent frontalement les pays arabo-musulmans, outre la spoliation de leurs ressources minières et fossiles.
        Le modèle néo-libéral colonisateur tel un cancer, doit absolument être imposé à la planète entière, peu importe les conséquences environnementales, sociétales et civilisationnelles.

        « Le pilier “Foi” est omniprésent et ne sera pas détruit, parce que sa base populaire le préservera, ils n’ont que ça » L’Europe connut un grand pareil développement au Moyen-âge qui était une époque de grande foi chrétienne.
        Ce fut une époque où les foires, hôpitaux-écoles, corporations, sécurité, se développèrent un peu partout : la femme médiévale pouvait ouvrir son propre commerce ou atelier. Cette période est malheureusement très méconnue des Français qui la cite toujours en négatif, alors qu’elle posa les bases actuelles.
        D’humaniste, le projet dérapa en « Lumières ! », époque où le matérialisme (techniques et sciences) l’emporta sur le spirituel et l’éthique, signant du même coup les conquêtes colonisatrices génocidaires. Ce mouvement n’a jamais cessé depuis et s’accélère dans sa forme délétère, avec son pendant semble-t-il irréversible : le déclin spirituel occidental entrainant la ruine probable de notre civilisation. Rome connut le même destin. Sic transit gloria mundi.

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      • bourdeaux // 15.12.2015 à 23h16

        C’est à mon avis beaucoup moins la faiblesse des forces modernistes que leur puissance destructrice qui provoque la réislamisation. Je me demande souvent, par exemple, quelle image de lui-même peut bien donner l’occident à ces sociétés dont les structures sociales et familiales sont encore vivantes, lorsque nous nous livrons à cette innovation anthropologique d’une intrigante bizarrerie consistant à célébrer des mariages entre personnes de même sexe. De ce point de vue-là, les sociétés laïques ont, elles aussi, leurs radicaux, qui peuvent épouvanter des sociétés traditionnalistes autant que peuvent le faire chez nous des prédicateurs salafistes.

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      • kadeem // 16.12.2015 à 00h44

        @Muslim
        Le pilier “Foi” est omniprésent et ne sera pas détruit, parce que sa base populaire le préservera, ils n’ont que ça. C’est certainement très difficile à comprendre vu d’Occident, malgré un gros effort d’empathie.

        Absolument d’accord .
        La Foi en un Dieu Unique c’est la force de l’Islam.Quelques soient les infiltrations de toutes formes inimaginables soient-elles,elles n’ébranleront pas d’un micro millimètre la Foi.

          +1

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        • Alfred // 16.12.2015 à 14h31

          Pour avoir vécu quinze années en pays musulmans (et non quinze jours en station baĺeaire), je me permets quand même d’apporter quelques nuances.
          La pression sociale me semble un élément très significatif de l’affichage de la foi (l’intensité réelle de cette foi étant inconnaissable par autrui et très variable d’une personne à l’autre).
          J’ai rencontré des athés désespérés (authentiquement indépendamment de la pression sociale) nés musulmans mais malheureux d’avoir perdu la foi (deux cas). Des athés pas malheureux mais très secrets (on ne dit JAMAIS ces choses là à un autre musulman, où que ce soit), pas si rares. Des croyants en un dieu unique mais très loin des cinq pilliers … En quantités!
          Et aussi des amis treś trés proches apparemment peu croyant (bière à gogo etc..) désolés et triste pour moi parceque j’irai en enfer.
          Et aussi des gens pieux mais superstitieux (saints, esprits et compagnie) pas mal (loin des villes).
          « Des vrais de vrais » de plus en plus au fur et a mesure que le temps passait (mais quelques vrais tartuffes).
          Les gens qui croient en un dieu unique sont largement majoritaires mais la proportion de gens qui adhèrent réellement à toute la ˋAqida me parrait impossible à quantifier compte tenu de la pression sociale.
          Bref je pense d’une part qu’il ne faut pas tout confondre (foi et environnement) et d’autre part que la réalité concrète de la pratique est suffisement variée depuis des siècles pour induire une hétérogénéité indépendamment de toute « infiltration » comme vous dites.
          Quant au micro milimetre il s’est déjà manifesté avec la montée en puissance des petits soldats de la foi saoudiens du Maroc à l’Indonésie…
          Et il se peut que ça bouge d’autres micro millimètres d’ici 500 ans (dans un sens ou dans l’autre).
          L’hypocrisie religieuse était très répandue à l’époque où l’Europe était croyante (Mais le dar al islam y échappe bien sur) et je pense EN particulier aux moments de menaces ou de chaos (inquisition, etc).
          Les traditions (et la foi en est une) tiennent les sociétés cohérentes et debout.
          Mais le fait de ne compter que sur la seule foi et de détruire les traditions pour les remplacer par une seule comme le font les wahhabites met au contraire ces sociétés en danger.
          Je ne suis pas compétent pour savoir si l’islam superstitieux du papy qui m’a appris à pêcher est plus légitime que celui estampillé petro-dollars mais il me semble que remplacer l’un par l’autre à toute force met la société en danger aussi sûrement que sa disparition complète.
          Cordialement

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    • alfred // 15.12.2015 à 10h46

      Les états étaient certainement corrompus mais il serait malhonnête de passer sous silence certaines « réalisations ». Ce que vous dites laisse penser à une anarchie laissez-fairiste qui n’avait pas cours au début, jusqu’à ce qu’elle soit imposée de l’extérieur au prétexte de modernisation et d’ouverture au libre marché. Les prix des denrées de base subventionnées a été une réalité très forte et la condition de la survie pour bien des régimes. L’effort d’éducation a parfois été réel… pour former des chômeurs très compétents. L’incurie et la corruption se remarquent simplement plus dans des pays pauvres que dans des pays riches.
      Par contre je vous suis sur le fait que la vie associative a été laissée aux islamistes. Mais comme l’explique l’article au sujet des « Sorbonnes » locales c’est surtout que tout ce qui existait a été phagocyté par les régimes en place. C’est le cas des mouvements scouts par exemple.
      Par ailleurs la charité des islamistes est une charité très orientée et très politique comme celle des américains. Les bénéficiaires sont sélectionnés (s’ils ne sont pas amis c’est qu’ils sont appelés à le devenir). Cette sélection n’est pas toujours visible mais elle est toujours pensée. Et il n’est pas question de s’allier à qui que ce soit pour le bien des populations concernées. C’est exclusif. « Nos » pauvres. Et il est très important que la main qui reçoive sache bien qui est la main qui donne, sinon c’est pas la peine…
      Après c’est une question « d’intensité ». Ce que vous dites est plus vrai pour le Hezbollah et le Liban (état quasi féodal, confessionnel et finalement jamais né) et moins vrai pour Ennahdah et la Tunisie (dictature « progressiste » devenue dictature « commerciale ») aux deux extrêmes du spectre.
      En résumé l’instrumentalisation des réalités sociales est une réalité dans tous ces pays mais on peut remarquer que ce n’est pas cela qui les différencie: Entre l’Algérie riche à la manne mal redistribuée l’Égypte sous perfusion Américano-Saoudienne et la Syrie et la Tunisie avec peu de ressources, ce qui fait la différence ce n’est pas la « charité » islamiste (partout) mais le maintien ou non d’une société civile vivante plus vaste que la clientèle du régime et la bourgeoisie locale mondialisée. J’ai bien peur que la Tunisie reste une exception car on ne construit pas une société civile hors sol une fois qu’elle a été détruite dans sa variété et partout le pauvre des campagnes reculées ou des périphéries urbaines n’a que peu de choix pour s’investir et « faire communauté »: le clientélisme du régime (plus ou moins lointain) ou le clientélisme islamiste (plus ou moins proche).

        +2

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      • Muslim // 15.12.2015 à 11h07

        Vous faites une interprétation ou une analyse vue du ciel, ce que je dis est que l’ « attachement » des populations des pays dits musulmans, pour ces mouvements (au-delà des Frères musulmans, il y en a dans tous les pays), et qui sont originellement quasi-exclusivement islamiques, est une des données principales à appréhender. Ces organisations sont implantées, enracinées et ne sont pas vues par ces populations comme des officines dirigées par des « forces » extérieures (je ne crois pas non plus qu’elles le sont, du moins les bénévoles qui sont en première ligne pour tendre la main et aider ne sont pas « achetés » ou « vendus », et c’est ce qui leur importent).

        Pour faire simple je ne parle pas des stratégies des uns et des autres, je me place du côté de ceux qui reçoivent de ces organisations des denrées, biens et services qui soulagent grandement leur quotidien. Je dis aussi que ces organisations sont populaires dans la rue arabe, et que les grandes manigances que nous voyons et dont nous discutons n’ont pas pied dans la réalité de ces gens. C’est aussi vrai en Algérie, qu’en Égypte ou en Tunisie. Les grandes villes et stations balnéaires ne doivent pas faire illusion sur la réalité de l’arrière-pays.

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        • Alfred // 15.12.2015 à 12h47

          Je suis d’accord avec tout ce que vous dites (et aussi sur votre post précédent sur l’ébranlement des sociétés et sur le pilier qui reste fort). Je me place effectivement du côté des stratégies. Je me demande en fait comment va se faire la transition de l’Algérie. Comment le régime va se renouveller ou les années noires réapparaître tôt ou tard…
          Sans projet politique et social alternatif qui puisse se structurer, ce sera l’éternelle redite. Si « on » (suivez mon regard) voulais faire une Syrie bis en Algérie « on » pourrait (en « agitant » plus car ce serait quand même plus difficile). En tant que français ça me terrifie.

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          • Jeanne L // 15.12.2015 à 15h33

            [ Si “on” (suivez mon regard) voulais faire une Syrie bis en Algérie “on” pourrait ]

            dites-vous…

            J’ai tout de même pour idée, sans connaître l’Algérie, qu’elle a elle, une des premières subit le choc de l’islamisme (re)- conquérant politique.

            Les centaines de milliers de morts de la guerre de libération, et de la guerre civile, l’abandon où elle a été laissée par ceux qui ont pendant des siècles pillé ses richesses et exploité ses habitants, en ont fait une « pionnière » dans les tentatives de destruction, de mise au pas idéologique, de réappropriation des esprits par l’obscurantisme, en même temps qu’on peut penser que plus qu’ailleurs des formes de résistance s’y sont développées et ont permis un certain rééquilibrage (pour l’instant), certes c’est fragile, mais malgré tout alors qu’il y a des frontières si longues avec le bourbier lybien et la Tunisie toujours instable, l’Algérie bon an mal an se maintient au bord d’un nouveau gouffre.
            J’ai dans l’idée que l’Algérie peut ne pas y tomber à nouveau, car elle s’en est sortie d’une certaine façon.

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            • Alfred // 17.12.2015 à 10h05

              Après avoir fait ce commentaire sur l’Algérie je viens de trouver ceci qui peut vous intéresser (ou l’on parle des américains et du GIA entre autre choses):
              http://www.comite-valmy.org/spip.php?article6654
              A vous de voir.

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  • José // 15.12.2015 à 09h59

    La genèse de ce mouvement comme antidote au socialisme panarabe de Nasser, et éventuellement comme suite possible de l’opération Ajax, aurait gagné à être développée.

      +7

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    • Adriano // 15.12.2015 à 13h02

      C’est effectivement un bon point. Je me souviens avoir vu dans un documentaire l’importance des « conseils » prodigués par H. Kissinger à Anouar el-Sadate, pour mieux instrumentaliser les Frères Musulmans afin d’affaiblir l’élan de Nasser pour mettre en oeuvre le panarabisme. Ou comment aligner les intérêts d’un rival de Nasser sur le plan national à ceux des Etats-Unis dans la région.

      On se souvient également des images des conférences de presse de Nasser, où celui-ci raille les fondamentalistes et fait rire tout l’auditoire. Si les Frères Musulmans et autres mouvements traditionalistes existaient en Egypte depuis le début du XXe, il convient de reconnaître que la portée de leur discours, du temps de Nasser, était largement amoindri – voire ridiculisé.

      Autrement dit, on ne peut s’empêcher de lier ce réveil fondamentaliste à l’implication des Etats-Unis pour « mettre de l’ordre » dans la région et éviter qu’une puissance dominante n’émerge, en particulier sous la bannière du panarabisme et du socialisme.

      Je ne juge pas ce choix – elle s’inscrit parfaitement dans la doctrine américaine en matière de politique étrangère, notamment à l’époque – mais la situation actuelle, à savoir une partie du monde où ces mouvements traditionalistes internationalistes se renforcent, découle en grande partie de ce choix stratégique originel.

        +7

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  • Alae // 15.12.2015 à 14h58

    Les pétromonarchies s’enfoncent dans le ridicule : une nouvelle coalition internationale « anti-terroriste » vient de naître sous la direction de… l’Arabie Saoudite. Evidemment, la Turquie en fait partie, ainsi que le Qatar et les Emirats Arabes Unis.
    https://www.rt.com/news/325929-islamic-coalition-terrorism-saudi/

    Pour compléter la collection de mafieux et de sponsors du terrorisme, n’y manque plus que l’Ukraine.

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    • Renaud 2 // 15.12.2015 à 21h50

      Oui, il ne serait pas étonnant que les djihadistes arrivent dans le Dombass et en Crimée…

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  • christian gedeon // 15.12.2015 à 18h08

    Viré ,mais ce n’est pas grave,je reviens par la fenêtre…l’autre aspect inquiétant du moment est limpossibilité manifeste pour les « intellectuels « en général et pour les intellectuels musulmans qu’on entend(les autres ,on ne les entend pas,et pas de leur faute),à concevoir le monde dit arabo musulman,comme autre chose que musulman.Ils se placent ontologiqument dans le concept oummamesque de l’Islam religion et état et monde. Din wa dawlat wa 3alam…c’est quand même très stupéfiant. Mais il semble que ce postulat ait fait son chemin,y compris chez les « intellectuels  » occidentaux,qui ne ‘adressent jamais aux peuples de ce monde autrement « qu’aux musulmans . C’est en soi une extraordinaire victoire des fondamentalistes que d’avoir réussi à imposer ce rapport absurde à un milliard et demi d’êtres humains rapport qui consiste à les definir par leur « religion  » et seulement par leur religion. Étonnant,non?

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