Les Crises Les Crises
3.février.20193.2.2019 // Les Crises

Elizabeth Warren s’attaque à l’économie, brouille la politique étrangère

Merci 60
J'envoie

Source : Consortium News, Sam Husseini, 04-01-2019

4 janvier 2019

Il est impératif de critiquer les politiciens progressistes autoproclamés et d’analyser soigneusement leurs propos. Cela pourrait ouvrir la porte à des améliorations réelles de la politique, écrit Sam Husseini.

Dans son allocution du Nouvel An traitant de la création d’une commission exploratoire pour la présidence, la sénatrice Elizabeth Warren a soulevé un point important : « À l’heure actuelle, Washington fonctionne très bien pour les riches et les gens qui ont de bons contacts mais pas du tout pour les autres. »

Elle n’a pas dit « l’économie ne fonctionne pas bien » ou autre chose de ce genre, comme nous avons pu entendre de nombreux politiciens le dire maintes fois.

Elle a plutôt affirmé le contraire à plusieurs reprises : « Selon moi, Washington fonctionne très bien pour les grandes compagnies pharmaceutiques mais pas pour les gens qui essaient d’obtenir une ordonnance. Washington fonctionne très bien pour les universités privées à but lucratif et les organismes de prêts étudiants, mais pas pour les jeunes qui croulent sous l’endettement. Cette liste est interminable. Le problème que nous avons actuellement à Washington, c’est que tout marche très bien pour ceux qui ont de l’argent pour acquérir de l’influence. »

Au cas où quelqu’un n’aurait pas compris, elle l’a répété à nouveau : « Nous voulons un gouvernement qui ne travaille pas seulement pour les riches et les puissants. Nous voulons un gouvernement qui fonctionne pour tout le monde. »

Warren : prudente sur à qui profite la guerre. (Ben Wikler, Flickr)

Il est louable que Warren use de sa position et de ses capacités d’analyse pour éviter un piège rhétorique commun et qu’elle exprime l’évidence selon laquelle l’establishment fait largement le jeu des riches et de ceux ayant des relations lorsqu’il s’agit d’économie.

Silence sur ceux qui tirent profit de la guerre

Le problème, c’est qu’elle n’exprime pas cela de la même manière lorsqu’il s’agit de guerres sanglantes. Bien au contraire, sa liste de problèmes – les compagnies pharmaceutiques, les collèges à but lucratif et les établissements de prêts étudiants – omet ceux qui ont intérêt à ce que les guerres atroces se poursuivent.

Interrogée mercredi soir par Rachel Maddow au sujet de l’annonce récente de Trump concernant le retrait des troupes syriennes, Warren a déclaré que les guerres des États-Unis « ne marchaient pas ».

Elle n’a pas dit : « Les guerres fonctionnent très bien pour les entrepreneurs militaires, mais pas pour les citoyens ordinaires aux USA, en Syrie ou ailleurs. »

Warren, qui siège à la commission sénatoriale des forces armées, n’a pas dit : « Les guerres sont bonnes pour les riches qui en profitent, elles sont terribles pour les gens qui se font tuer. »

Au lieu de cela, Warren a en fait supprimée une partie de la rhétorique sur les guerres américaines ayant comme objectifs présumés la stabilité, les droits de l’homme ou la sécurité. Les bénéfices des entrepreneurs militaires ou des élites géopolitiques n’ont pas été examinés du tout.

Elle a dit qu’il était « correct » de retirer les troupes américaines de Syrie et d’Afghanistan, une position vraisemblablement positive, mais elle a ajouté : « Cela ne fonctionne pas, et prétendre qu’à l’avenir cela va fonctionner… c’est une forme de fantasme que nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de continuer à avoir. »

Ignorer les bellicistes

Mais une partie du fantasme consiste à ignorer totalement que les guerres fonctionnent vraiment très bien pour certains. En fait, si Warren entendait quelqu’un d’autre dire que « ça ne marche pas » au sujet de l’économie, elle les reprendrait probablement.

Warren a au moins le mérite d’avoir soulever la question de ce que pourrait être le « succès » des guerres perpétuelles, ce qui est certainement mieux que la plupart des cols blancs de Washington. Les partisans de la guerre perpétuelle « doivent définir en quoi consisterait la victoire dans ces guerres, à quoi elle ressemblerait et comment la mesurer », a-t-elle dit.

Mais, à l’image de la plupart des membres de l’establishment politique américain, Warren n’examine pas vraiment les motifs sous-jacents : « Lorsque vous vous retirez, vous devez vous retirer dans le cadre d’un plan, vous devez savoir ce que vous essayez d’accomplir dans l’ensemble du Moyen-Orient et les pièces du puzzle doivent s’emboîter », a dit Warren, ajoutant que « c’est pourquoi nous avons besoin d’alliés ».

Quels alliés ? La France, la Grande-Bretagne et la Turquie – la puissance coloniale traditionnelle de la région ? Ou l’état d’Israël perpétuellement agressif et oppressif ? Ou l’Arabie saoudite tyrannique ?

Et ça c’est plutôt la question. La politique étrangère des États-Unis apparaît comme un gloubi-boulga – sans énoncé clair de ce qui est censé être accompli – parce que ses objectifs déclarés obscurcissent les objectifs réels.

L’idée que l’establishment américain entraîne le pays dans des guerres pour des raisons financières ou géopolitiques ultérieures doit être considérée comme la règle classique. Au lieu de cela, c’est très mal ficelé.

De toute évidence, les entrepreneurs militaires tirent profit des guerres.

Armes contre drogues

En effet, le pouvoir du « secteur de la défense » – euphémisme manifeste, semble être beaucoup plus important que delui des compagnies pharmaceutiques sur lesquelles Warren se concentre. Selon OpenSecrets.org, les cinq principaux entrepreneurs militaires – Northrop Grumman, Boeing, Lockheed Martin, General Dynamics et Raytheon – ont plus que doublé leurs dépenses politiques par rapport aux cinq plus grandes sociétés du secteur pharmaceutique (14,4 millions de dollars contre 7,7 millions). Pour en savoir plus, voir les écrits de William Hartung, tels que « Corporate Patriots or War Profiteers ? » [Patriotes institutionnels ou profiteurs de guerre ?]

Plus grave encore, les objectifs géopolitiques de l’establishment américain reposent souvent sur la guerre même. Dahlia Wasfi a plaidé en 2015 dans Battling ISIS : Iran-Iraq war redux que « La stratégie officieuse d’Obama pour combattre l’état islamique est peut-être calquée sur celle de Ronald Reagan pour l’Iran et l’Irak dans les années 1980 : une guerre longue et prolongée pour renforcer l’hégémonie américano-israélienne dans cette région ». Voir aussi de Robert Naiman « WikiLeaks Reveals How the U.S. Aggressively Pursued Regime Change in Syria, Igniting a Bloodbath » ainsi que « Is U.S. Policy to Prolong the Syrian War ? » [« WikiLeaks révèle comment les États-Unis ont agressivement poursuivi le changement de régime en Syrie, provoquant un bain de sang » et « La politique des États-Unis est-elle de prolonger la guerre de Syrie ? »]

Sanders : Receptif aux critiques ? (Gage Skidmore sur Flickr)

En 2015, le sénateur Bernie Sanders appelait de ses vœux une plus grande intervention saoudienne au Moyen-Orient en disant: Les Saoudiens doivent « se salir les mains ». Margaret Kimberley, David Swanson et moi-même l’avions critiqué pour cela.

Aujourd’hui, Sanders a pris les devants au Congrès en critiquant la guerre saoudienne au Yémen, ouvrant la porte à la possibilité d’un soulagement de cette immense souffrance. J’aimerais qu’il soit encore meilleur en matière de politique étrangère, mais il s’agit là peut-être d’un progrès important, bien que l’ACLU [American Civil Liberties Union : Union américaine pour les libertés civiles NdT] ait critiqué la résolution du Congrès.

Il est impératif de critiquer les politiciens présumés progressistes et d’analyser soigneusement leurs propos. Cela pourrait ouvrir la porte à des améliorations réelles de la politique, comme dans le cas de Sanders. Et dans le cas d’Elizabeth Warren, il s’agit simplement de lui demander de cesser d’occulter la guerre pendant qu’elle analyse les questions économiques.

Sam Husseini est un journaliste indépendant, analyste confirmé à l’Institute for Public Accuracy et fondateur de VotePact.org, qui encourage les démocrates et les républicains désenchantés à faire équipe. Suivez-le sur Twitter @samhusseini.

Source : Consortium News, Sam Husseini, 04-01-2019

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs - et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation. 

Commentaire recommandé

Alfred // 03.02.2019 à 07h39

Élisabeth Warren est la candidate de « gauche » de l’establishment contre la menace populaire véritablement anti guerre: Tulsi Gabard (qui a annoncé sa candidature pour la prochaine présidentielle).
Warren comme Sanders ne menace rien ni personne. L’irruption du peuple et de l’intérêt général dans la polio us c’est Gabard.

9 réactions et commentaires

  • Alfred // 03.02.2019 à 07h39

    Élisabeth Warren est la candidate de « gauche » de l’establishment contre la menace populaire véritablement anti guerre: Tulsi Gabard (qui a annoncé sa candidature pour la prochaine présidentielle).
    Warren comme Sanders ne menace rien ni personne. L’irruption du peuple et de l’intérêt général dans la polio us c’est Gabard.

      +24

    Alerter
    • Marie // 03.02.2019 à 09h42

      « …dans la polio us… » qu’entendez-vous par là?

        +0

      Alerter
      • Duracuir // 03.02.2019 à 11h22

        lapsus calami, il fallait lire, « la politique us » je crois. Le correcteur auto a encore frappé.

          +4

        Alerter
    • Thibaut // 03.02.2019 à 12h28

      hmmm

      Tulsi Gabbard a aussi reçu comme d’autres pas mal de sousous des marchands d’armes on dirait:

      https://www.huffingtonpost.com/entry/tulsi-gabbard-anti-war-campaign-donations_us_5c530708e4b093663f5bfa69

      Être anti-« guerre » est un bon début, mais elle n’est pas encore revenue sur son attachement aux bombardements via joystick. Et elle a le même bug que les autres: la guerre c’est pas bien parce que NOS soldats meurent parfois et ça coûte une blinde d’argent public. Pas un mot pour les principaux concernés.

      On peut se dire que le tir nourri dont elle fait déjà l’objet est plutôt bon signe, mais il demeure que refuser de tuer des gens juste comme ça (une peu la base quand même), ou d’alimenter la machine de guerre, reste une position introuvable chez les 2 principaux partis.

        +7

      Alerter
      • Alfred // 04.02.2019 à 22h50

        Que pensez vous du voyage qu’elle a fait à Damas à l’époque ou il n’était pas encore question de laisser Assad s’en tirer comme ça (et avec de multiples bâtons dans les roues de l’ambassade us à Beyrouth)? Elle s’est exprimé à plusieurs reprises au sujet des victimes des agressions US.
        Si les actes comptent plus que les paroles je crois qu’il est difficile (vraiment difficile) de trouver en occident un représentant politique qui ait davantage prouvé sa bonne foi et sa relative independance. [modéré]
        Les rares fois ou des individus valables se présentent c’est un peu dommage de les amalgamer avec le lot commun des corrompus et des conformistes.

          +1

        Alerter
        • Thibaut // 05.02.2019 à 21h04

          Pas un amalgame, elle reste bien meilleure que la plupart, c’est juste frustrant que même elle n’arrive pas (encore) à dire stop aux assassinats par drone 🙂

            +0

          Alerter
  • s // 03.02.2019 à 16h24

    On peut se rappeler que lors des dernières primaires, Warren n’a jamais soutenu officiellement Sanders et que dès que Clinton a été officiellement désignée, elle a commencé à lui faire une cour pressante (c’en était gênant) dans l’espoir d’être choisie comme vice-présidente.

      +6

    Alerter
  • Casimir Ioulianov // 04.02.2019 à 14h46

    « Stun verba et voces , praterae nihil  » disait Ovide. Deux millénaires et demi plus tard on en est encore là en politique.
    Tout ces candidat pour le prix du meilleur costume dans plus grand carnaval du monde ont bien fait tourner les algos. Ils ont compris les éléments de langage qui ont fait élire Trump. Mais comme Trump, ils seront les premiers à sortir le gros bâton quand un état de la zone d’influence définit il y a près de deux siècles par Monroe ne payera pas le tribut.
    Trump à dit aux pauvre qu’il allait faire de leur pays un grand pays et que eux aussi allait en profiter ? Bah tiens … les mecs pouvaient même plus utiliser les cartes de rationnement pour pauvres (food stamps) à cause de la fermeture du gouvernement (shutdown). Pourquoi avaient ils fermé le gouvernement ? Parce que The Donald pouvait pas avoir son rideau de fer … Il ne manquait plus que « nos meilleurs soldats » pour garder le mur. Donc on a un « great again country » qui laisse crever de faim les gens sur son territoire pour un caprice de gosse inutile… « great » en effet.

    Bref : Des paroles , des mots et rien d’autre.

      +2

    Alerter
    • Myrkur34 // 10.02.2019 à 07h53

      Suffit de repenser à la campagne d’Obama et les résultats finaux de ses deux mandats pour comprendre que le même ramdam reviendra à chaque fois.
      Ce que l’on retiendra d’Obama ? Qu’il est « cool » à vie.
      Tout est tellement déconnecté que l’on en revient au fameux « C’est de la politique » pour évacuer au plus vite et garder le temps de neurones disponibles pour les choses foncièrement plus intéressantes.

        +1

      Alerter
  • Afficher tous les commentaires

Les commentaires sont fermés.

Et recevez nos publications