Question posée par Olivier B. le 04/02/2019

Bonjour,

Nous avons reformulé votre demande initiale: «Bonjour. Le 22 janvier, lors de son discours à Aix-la-Chapelle, Emmanuel Macron a dit : «Et en vous écoutant, Madame la Chancelière, Monsieur le Président, à l’instant, je me souvenais avec émotion de ce que Madame de Staël disait parfois : «Lorsque mon cœur cherche un mot en français et qu’il ne le trouve pas, je vais parfois le chercher dans la langue allemande.» C’est assez étrange, on ne sait pas si c’était dans son discours, ou s’il improvise («en vous écoutant», «parfois») ce qui serait étonnant. Quoi qu’il en soit, cette citation, en tout ou partie, attribuée ou non à Mme de Stael, en français ou en allemand, est apparemment introuvable sur Internet, ni sur Google Books (qui indexe toute l’œuvre de Mme de Stael). Et elle correspond assez peu à ce qu’écrivait Mme de Stael sur la langue allemande. («Il est trop aisé d’écrire l’allemand assez bien pour être imprimé; trop d’obscurités sont permises, trop de licences tolérées»). Pourriez-vous enquêter pour retrouver si cette citation, qui a marqué les esprits ce jour-là, est bien véridique, et nous en communiquer alors la référence précise ? Merci d’avance.»

Votre question fait référence à la fin du discours d’Emmanuel Macron à Aix-la-Chapelle le 22 janvier 2019. Le président français fait une référence à Germaine de Staël (à partir de 14:21 dans la vidéo suivante) et qui se retrouve citée entre guillemets dans la retranscription de son discours sur le site de l’Elysée:

«Et en vous écoutant, Madame la Chancelière, Monsieur le Président, à l’instant, je me souvenais avec émotion de ce que Madame de Staël disait parfois : «Lorsque mon cœur cherche un mot en français et qu’il ne le trouve pas, je vais parfois le chercher dans la langue allemande.» Il y a des mots qu’on ne comprend pas, il y a des mots qu’on ne traduit pas, mais chacun de nos pas réduit l’écart de ces intraduisibles, et il y a des mots dont nos cœurs ont besoin, d’une langue l’autre. Parce que cette part d’incompréhensible nous rapproche. Parce que la part que je ne comprends pas en allemand a un charme romantique que le français, parfois, ne m’apporte plus. C’est indicible, c’est irrationnel, mais nous devons chérir cette part d’indicible et d’irrationnel qui ne sera dans aucun de nos traités, et qui est la part vibrante, magique, de ce qui nous rassemble aujourd’hui et de ce qui nous fait.»

Une citation inconnue pour trois experts de l’œuvre staëlienne

CheckNews est parti à la recherche de cette citation aussi bien en français («Lorsque mon cœur cherche un mot en français et qu’il ne le trouve pas, je vais parfois le chercher dans la langue allemande.»), qu’en allemand (selon la traduction de l’ambassade de France en Allemagne: «Wenn mein Herz ein Wort auf Französisch sucht, das es nicht findet, dann suche ich es manchmal in der deutschen Sprache.»). Malgré des recherches approfondies dans De l’Allemagne de Madame de Staël, un essai, où elle analyse longuement la langue allemande, nous ne l’avons pas trouvée ailleurs que dans le discours du président français.

Suspectant qu’il puisse s’agir d’une citation reformulée par Emmanuel Macron, nous avons contacté des connaisseurs de l’œuvre de Madame de Staël. Stéphanie Genand, la présidente de la Société des études staëliennes, a très clairement nié l’existence de cette phrase dans l’œuvre de la romancière : «Cette phrase n’a jamais été prononcée par Germaine de Staël et mieux vaudrait donc qu’Emmanuel Macron laisse sa mémoire tranquille. Être associée à une telle politique ne lui plairait guère et on la comprend aisément

Côté allemand, nous avons interrogé Jürgen Trabant, professeur à l’Institut de philologie romane à la Freie Universität de Berlin. Lui aussi ne connaît pas la citation prêtée par Emmanuel Macron à Madame de Staël: «J’étais moi-même à Aix-la-Chapelle, lorsque Macron a encore parlé des intraduisibles. Il en avait déjà parlé lors de son grand discours sur l’Europe. Les intraduisibles sont une reprise de Barbara Cassin, qui le tient de son côté de Wilhelm von Humboldt. Mais c’était nouveau pour moi que Madame de Staël, qui était une très bonne amie de Humboldt, ait dit cette phrase sur l’allemand. Je ne l’ai jamais rencontrée dans ma lecture de Staël.»

Jürgen Trabant nous renvoie alors vers Brunhilde Wehinger, «une grande staëlienne». À l’instar des deux experts interrogés, la professeure à l’université de Potsdam nous signale: «Malheureusement, je n’ai pas encore rencontré la citation mentionnée en lisant les travaux de Mme de Staël.» […]

Jacques Pezet

Source : Libération, Jacques Pezet, 06-02-2019

 


 

Macron et la citation fantôme – 28 Minutes

Source : Arte, 11-02-2019

Désintox débusque toutes les intox qui viennent polluer le débat public. Ce soir, une citation de Madame de Staël reprise par Emmanuel Macron passe au radar.

Source : Arte, 11-02-2019