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7.juillet.20207.7.2020 // Les Crises

La méthode Jakarta : croisade anticommuniste de Washington et massacres de masse

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Source : Scheerpost, Vincent Bevins
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Dans un nouveau livre, le journaliste se penche sur les massacres de la guerre froide en Asie et en Amérique latine qui définissent encore aujourd’hui la dynamique politique mondiale.

La guerre froide – la manière dont elle a été menée et brutalement gagnée par les États-Unis à l’échelle mondiale – définit la politique internationale depuis plus d’un demi-siècle. C’est l’argument central du nouveau livre du journaliste Vincent Bevins, « La méthode Jakarta : croisade anticommuniste de Washington et programme de massacres de masse qui a façonné notre monde ». Grâce à des recherches méticuleuses et à des entretiens approfondis avec plus d’une centaine de personnes dans plus d’une douzaine de pays et en plusieurs langues, Bevins fait le lien entre un programme de terreur parrainé par les États-Unis qui a tué plus d’un million de civils en Indonésie dans les années 1960 et le massacre de gauchistes au Brésil, au Chili et ailleurs au cours des années suivantes.

Le rapprochement que l’ancien correspondant étranger du Los Angeles Times fait entre ces tragédies nationales apparemment disparates ne se résume pas à un objectif despotique partagé par des gens comme Augusto Pinochet et Suharto pour s’emparer du pouvoir en exécutant toute opposition. Au contraire, le principal lien entre l’opération Condor en Amérique latine et les meurtres de masse en Asie du Sud-Est, est en fait le désir américain de supprimer brutalement ne serait-ce que le moindre soupçon de communisme dans le monde entier, dans son combat contre l’Union soviétique pour arriver à une hégémonie mondiale dans l’ère post seconde guerre mondiale. Apparemment, pour consolider sa nouvelle position sur la scène internationale, comme l’illustre le livre de Bevins, le gouvernement américain et la Central Intelligence Agency (CIA) étaient prêts à commettre des atrocités indicibles, à destituer des dirigeants démocratiquement élus et à soutenir des régimes dictatoriaux – tout cela a un impact non seulement sur la politique étrangère américaine actuelle, mais continuera de la définir tout au long du XXIe siècle.

« Le livre que j’ai finalement décidé d’écrire », explique Bevins, « raconte le massacre, en 1965, du parti communiste indonésien, et de beaucoup de personnes qui n’appartenaient pas au parti mais ont été accusées d’en faire partie. Je présente cela comme l’un des tournants les plus importants de la guerre froide.

« C’est une victoire pour les puissances occidentales, en particulier les États-Unis », poursuit l’auteur de la « Méthode Jakarta » [livre non traduit, NdT]. « La façon dont cette victoire a été obtenue – et c’est peut-être la raison pour laquelle nous n’en avons pas tellement entendu parler depuis – est qu’environ 1 million de civils innocents ont été enlevés et massacrés avec l’aide active du gouvernement américain. Ce succès a ensuite été si évident pour les gouvernements de droite du reste du monde, alliés des États-Unis et de la guerre froide, qu’il a été reproduit dans d’autres pays. Et c’est cela la méthode Jakarta ».

La conversation est une fascinante rencontre des esprits : l’animateur de « Scheer Intelligence » [Conversations réfléchies et provoquantes avec des américains de souche engagés en politique;NdT] a non seulement traversé le moment historique que Bevins décrit avec tant d’éloquence et d’efficacité, mais il a également rencontré et interviewé un grand nombre des principaux acteurs du livre pendant les trois décennies que Scheer lui même a passé au Los Angeles Times. Grâce à sa grande expérience et à sa connaissance de la politique de la guerre froide, Scheer expose ce qu’il considère comme l’une des principales conclusions que l’on peut tirer du livre de Bevins concernant un moment historique dont peu de gens auront entendu parler.

« Tout le monde oublie que le grand espoir né de la Seconde Guerre mondiale est que la plus grande masse de gens au monde qui avait été privée de ses droits, avait été réduite en esclavage, avait été colonisée, » dit Scheer, « Ils pensent que maintenant, avec les Nations Unies, avec le nouvel ordre mondial, nous allons avoir une chance pour trouver notre propre voie. Et cette capacité à définir leur propre histoire, écrire leur propre histoire, leur a été déniée – exactement, par les Soviétiques qui le font en Europe de l’Est, et par les États-Unis qui semblent bien le faire partout dans le monde.

« Et c’est bien de cela qu’il s’agit ici », conclut Scheer. « Nous avons renversé Sukarno, nous avons aidé à mettre Nelson Mandela en prison, nous avons contesté, miné Allende et détruit son gouvernement. Donc ce qui est vraiment en jeu ici, c’est le développement d’un modèle que vous avez défini très clairement dans votre livre, celui d’un capitalisme de clientélisme qui est extrêmement militarisé et dirigé par les généraux ».

Dans une comparaison effrayante, les deux journalistes parlent des morts causées par les régimes soviétiques et de celles que les États-Unis ont soit inspirées, soit soutenues ou même réalisées de diverses manières. Bevins cite l’historien John Coatsworth, qui a découvert qu’entre 1960 et 1990, les meurtres liés aux États-Unis « ont largement dépassé » le nombre de ceux dûs à leurs homologues communistes. Et cette histoire poignante ne se résume ni ne se termine avec les pays sur lesquels Bevins se penche dans son livre.

« J’ai trouvé au moins 20 pays dans le monde dans lesquels des alliés de la guerre froide soutenus par les États-Unis ont mené des programmes de massacre de civils innocents », affirme l’auteur. « Il s’agit donc de meurtres intentionnels de civils innocents, et non de gens tués par des bombes, la famine ou de mauvais gouvernements. Et puis si vous ajoutez les guerres en Indochine, je pense qu’il est assez clair que vous pouvez affirmer que la croisade anticommuniste de Washington, comme je l’ai précisé, a tué des millions de personnes innocentes au cours du XXe siècle ».

Dans le lecteur media ci-dessus, vous pouvez écouter la conversation entre Bevins et Scheer dans son entier alors que tous deux échangent sur la façon dont la politique moderne se déroule avec la guerre froide en toile de fond, et ce que cela dit des récits dont les Américains se nourrissent et auxquels ils s’accrochent concernant le rôle de leur pays dans l’histoire récente. Vous pouvez également lire la transcription de cet échange sous le générique.

RS : Bonjour, ici Robert Scheer avec une autre émission de Scheer Intelligence, où les données nous viennent de mes invités. Et je viens de lire ce livre incroyable, La méthode Jakarta, qui ressemble à un thriller d’espionnage. Et il n’est pas très long, il fait environ 250 pages. Mais je dirais qu’il ne se borne pas à présenter la thèse la plus provocante sur ce qu’a été toute la guerre froide ; en fait, sur ce qu’ont été les 70 dernières années de la politique étrangère. Mais ce n’est pas un ouvrage sensationnaliste, dans le sens où il est lumineux.

Et je veux commencer par les références de l’auteur, qui est journaliste et érudit, oserais-je dire. Et la puissance de cette thèse – permettez-moi de vous donner la thèse dans le sous-titre du livre : La croisade anticommuniste de Washington et le programme de massacres de masse qui a façonné notre monde. Ce sont des mots de combat : « le programme de meurtres de masse. » Et quand j’ai posé le livre après l’avoir lu, je n’ai cessé de penser au commentaire de Hannah Arendt lors du procès d’Eichmann à Jérusalem, ce criminel de guerre nazi. Et dont le titre était « La banalité du mal ». Et ce livre, croyez-le ou non, est en fait agréable à lire. Il y a des êtres humains dedans, des gens qui ont souffert mais qui ont survécu. Vous y découvrez la vie dans de nombreux endroits du monde, depuis le Congo jusqu’au Brésil en passant par l’Indonésie. C’est un voyage à travers 70 ans d’histoire.

Mais en dépit de sa clarté et sa facilité d’accès, il propose la thèse la plus dérangeante. Et je vais vous laisser exposer cette thèse, puis nous parler de vos références et de la méthodologie que vous avez adoptée. Il ne s’agit donc pas ici de bavardage sur Internet. Pour moi, c’est peut-être le livre le plus incontournable sur la guerre froide. Il y en a eu un grand nombre, mais celui-ci est actuel, il est ambitieux, et c’est le livre absolument indispensable si vous n’en lisez qu’un pour réfléchir à ce qu’a été toute cette période mouvementée, peut-être la plus mouvementée de l’histoire de l’humanité. Alors, partons de là, thèse et références.

VB : Oui, bien sûr. Eh bien, merci de me recevoir dans votre émission, tout d’abord, et merci beaucoup de tous vos commentaires. Je m’appelle Vincent Bevins, et je travaille comme journaliste et correspondant à l’étranger depuis un peu plus de dix ans. J’étais le correspondant au Brésil du Los Angeles Times, puis j’ai été envoyé à Jakarta pour couvrir toute l’Asie du Sud-Est pour le Washington Post. Et quand je suis arrivé là-bas, j’ai en quelque sorte découvert une histoire que je connaissais déjà, mais j’ai réalisé à quel point elle était importante pour l’histoire de cette région, pour la politique contemporaine de cette dernière, et en fait pour la politique contemporaine du monde entier.

Le livre que j’ai finalement décidé d’écrire, plutôt que de rester là et y travailler à plein temps comme correspondant, raconte l’histoire du massacre du parti communiste indonésien, et de beaucoup de gens qui n’étaient pas dans le parti et qui, en 1965, ont été accusés d’en être membres. Et je présente cela comme l’un des tournants les plus importants de la guerre froide. Et c’est une victoire pour les puissances occidentales, en particulier les États-Unis. Et la façon dont cette victoire a été obtenue – et c’est peut-être la raison pour laquelle nous n’en avons pas tellement entendu parler depuis – est qu’environ 1 million de civils innocents ont été enlevés et massacrés avec l’aide active du gouvernement américain. Et ce succès a été tellement évident pour les gouvernements de droite du reste du monde, alliés des États-Unis dans le contexte de la guerre froide, qu’il a été reproduit dans d’autres pays. C’est la méthode Jakarta.

Ainsi, au Chili et au Brésil, Jakarta est utilisé pour désigner les programmes ultérieurs qui éliminent la gauche dans la construction de régimes capitalistes et dictatoriaux. Et ce que je veux dire, après avoir raconté toute cette histoire avec toutes les personnes impliquées, c’est que ce réseau international d’extermination de masse a été crucial dans la victoire de notre camp dans laguerre froide. Ce n’est pas la raison pour laquelle nous avons gagné la guerre froide, mais cela a été tellement fondamental dans le processus de la victoire de la guerre froide qui a été obtenue, que cela a fini par façonner la vie telle que nous la connaissons pour la grande majorité de l’humanité jusqu’à aujourd’hui.

RS : Eh bien, mais l’ironie de la situation, sa force, c’est que la vision de la guerre froide depuis le côté occidental est que nous étions confrontés à cet ennemi totalitaire évident qu’est le communisme. Monolithique, international, centré à Moscou, comprenant bien sûr la Chine, le Vietnam et tout autre — Cuba, ou tout autre pays qui osait, de quelque manière significative que ce soit, utiliser la guerre, la guerre civile, la révolution, était une menace pour la dignité humaine, pour la liberté, etc. Mais il y avait un autre camp, et peut-être qu’actuellement les gens l’ignorent Il y avait quelque chose qu’on appelait la troisième voie. Elle portait des noms différents, nation non alignée, etc.

VB : Effectivement.

RS : Et on y trouvait toute une série de gens qui essayaient aussi de forger l’histoire. Et c’était un mouvement issu du changement anticolonial. Après tout, le grand changement de la Seconde Guerre mondiale, c’est qu’elle a entraîné la disparition du colonialisme assumé, et c’est une nouvelle ère qui a été accueillie très positivement avec tout ce que cela veut dire. Et ce dont votre livre parle réellement, c’est de la destruction des alternatives, de la destruction de la capacité des gens à fabriquer leur propre histoire, et ce dans une grande partie du monde. C’est vraiment la force de ce livre. Nous avons contesté – et cela a été très bien accueilli ; ce n’était pas seulement l’Indonésie et le Brésil, qui sont deux immenses pays très peuplés et tout le reste. Nous avons participé à l’arrestation et à l’emprisonnement de Nelson Mandela en Afrique du Sud, à la mort de Lumumba au Congo, et on pourrait dérouler la liste. Votre livre soutient que le programme d’éradication de masse était au cœur d’une politique étrangère visant à nier le droit de la plupart des gens dans ce monde à forger leur propre histoire. Et que c’est ça qui a gagné, et qu’en conséquence, comme vous le dites à la fin du livre avec vos graphiques, vos faits, vos données, le fait est que le Tiers Monde n’a pas été capable de combler l’écart, de quelque manière que ce soit, avec les pays capitalistes les plus riches d’Europe occidentale et les États-Unis.

VB : Oui, c’est vrai. Donc je pense que le premier récit que vous présentez de la guerre froide, décrit un conflit entre les États-Unis, une démocratie libérale, et l’Union soviétique, un système fermé très différent. Ce n’est pas faux, non ? Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire. C’est une partie de l’histoire qui se concentre uniquement sur deux pays d’origine européenne, deux pays blancs, deux grandes puissances mondiales. Et la façon dont je présente l’introduction concernant le reste, le revers de la médaille, c’est qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y avait le Premier Monde, le Deuxième Monde et le Tiers Monde. Le Premier monde était constitué des pays riches d’Europe occidentale et des États-Unis, le Deuxième monde était le bloc communiste. Et puis il y avait les mouvements du Tiers-Monde, nous considérons le terme maintenant comme péjoratif, mais à l’époque, il était censé être porteur d’espoir, de nouvelle chance, de troisième acte, le sursaut des peuples qui étaient habitués à leur statut de colonisés, et qui avaient maintenant leur liberté.

Et grâce à leur liberté conquise, ils croyaient tous – et ce qui est très frappant quand on parle à tant des gens qui ont traversé ces expériences, c’est que dans les années quarante, cinquante et soixante, ils pensaient qu’ils allaient pouvoir prendre leur place sur la scène mondiale aux côtés des riches pays blancs. Et l’Indonésie était l’un d’eux, et pas seulement l’un des plus grands pays du monde à l’époque, comme elle l’est toujours ; l’Indonésie est née d’une lutte anticoloniale, qui a permis l’avènement du président Sukarno, qui était le chef de file de ce mouvement du Tiers Monde, l’un des dirigeants fondateurs, et l’un des membres fondateurs du mouvement des non-alignés.

Et le mouvement des non-alignés voulait se forger une voie indépendante du Premier et du Second mondes. Il est évident que le colonialisme était rejeté ; dans une large mesure, étaient aussi rejetées les versions les plus sauvages du capitalisme. Et par moments Sukarno était soutenu, entre autres, par le parti communiste indonésien. Et le Parti communiste indonésien – nous, quand nous pensons aux partis communistes, nous avons tendance à penser à l’Union soviétique. Et s’il est vrai que le parti communiste indonésien a été fondé d’une manière qui était loyale envers Moscou, c’était un parti qui n’était pas armé, c’était un parti qui connaissait une participation des masses, et c’était un parti qui aurait certainement gagné les élections si elles n’avaientpas été annulées l’année même où la CIA a financé une invasion, larguant des bombes sur tout le pays.

Je pense donc que vous avez raison de dire que ce qui s’est passé en fin de compte, c’est que beaucoup d’alternatives ont été détruites. Beaucoup de pays ont perdu leur capacité à choisir parmi une gamme complète d’options, c’est vrai. Beaucoup d’options ont donc été retirées de la table très violemment. Je ne suis pas sûr que c’était l’intention des États-Unis. J’aime à croire qu’une partie des idéaux fondateurs du pays a toujours été vivante, même dans les choses les plus horribles qui sont ressorties de la politique étrangère américaine au XXe siècle. Mais je pense vraiment que la façon dont les choses ont tourné fait que les voies possibles vers le développement ont été rejetées dans une violence brutale.

RS : Comment ça, ce n’était pas leur intention ?

VB : Eh bien, vous avez dit que ces programmes d’éradication de masse étaient… Je ne sais pas quelle est l’exacte formulation de vos propos, mais je pense que vous avez dit que…

RS : J’ai repris les mots de votre livre.

VB : C’est vrai, tout à fait.

RS : Je veux dire, j’ai lu le sous-titre avant. Je veux dire, c’était un programme de massacre. C’était… n’est-ce pas ? Cela a façonné notre monde. Je veux dire, regardez, vous nous présentez une série de personnages, vous savez, à la CIA et au Département d’Etat qui étaient des tueurs de sang froid.

VB : Oui, non, c’est vrai, certainement. Ils…

RS : L’un d’entre eux, celui qi en a été le principal architecte, s’est tué avec un fusil de chasse.

VB : Ouais.

RS : Vous savez, je veux dire, c’était… je ne sais pas ce que vous voulez, comment vous voulez les décrire, mais ils étaient… enfin, vous le décrivez… pourquoi ne pas nous parler de lui, mais il était instable dès le départ. Et ces gens jouaient avec le monde ; ils étaient les cow-boys ivres de leur propre sens du pouvoir et de la morale. N’est-ce pas là la description ?

VB : Non, je ne serais pas du tout en désaccord avec cela. Je pense que c’est vrai. Et donc oui, Frank Wisner, qui était en quelque sorte le chef du premier programme d’opérations secrètes de la CIA, a été très actif dans le coup d’État qui a renversé la démocratie en Iran en 1953, le coup d’État guatémaltèque en 1954. Il a été très influent dans l’organisation d’une campagne de bombardement de la CIA en Indonésie en 1958. Et il s’éloigne un peu de la scène alors que sa santé commence à décliner. Mais je pense que vous avez absolument raison de dire que si –je pense que si c’était quelqu’un d’autre, n’importe quel autre pays qui avait fait cela, je n’aurais pas essayé d’être aussi circonspect il y a un instant. Je pense qu’il est vrai que tous ceux qui ont fait quelque chose de mal dans l’histoire du monde, ils croient d’une manière ou d’une autre qu’ils aidaient, ou que c’était justifié. Et j’ai rencontré le fils de Frank Wisner, et il m’a dit que son père était persuadé qu’il combattait le communisme. Et je crois qu’il le pensait vraiment, mais je ne sais pas vraiment jusqu’à quel point. Parce que je pense qu’on peut dire la même chose de tous ceux qui ont déjà réalisé quelque chose, vous savez.

Je ne suis donc pas sûr qu’il n’existe pas de preuve irréfutable que la volonté de l’establishment de la politique étrangère américaine était de supprimer des options au Tiers-Monde. Mais ce que nous savons c’est que c’est ce qui s’est passé. Et nous savons avec certitude qu’au moment où ce massacre de masse a commencé en Indonésie en 1965 — c’était après qu’ils aient déjà essayé de se débarrasser du parti communiste indonésien de deux manières différentes. Ils étaient très désireux de se débarrasser du président Sukarno. Nous savons qu’une fois que le massacre a commencé, ils ont aidé, ils ont fourni un soutien matériel, ils ont encouragé d’autres meurtres et ils ont récompensé les meurtriers.

Il n’y a donc pas à tergiverser à ce sujet ; je pense que vous avez raison. Je pense que c’est, c’était la violence la plus brutale contre des innocents qui ne savaient même pas que cela pouvait leur arriver. Parce qu’ils n’en étaient pas – le Parti communiste indonésien n’était pas un mouvement de guérilla armé. C’était un parti de masse avec peut-être 25% du pays impliqués d’une manière ou d’une autre. C’était le genre de chose dans laquelle vous vous engagiez quand vous étiez enfant, si vous vous intéressiez à l’histoire, l’éducation, la politique ou la culture. C’était — être dans ce parti ne signifiait en aucune manière que étiez un méchant. Et c’est l’une des choses les plus frappantes qui est ressortie de toutes mes heures et heures d’entretiens avec les survivants.

RS : Oui, et la force de votre livre – laissez-moi vous dire, au fait, combien de langues connaissez-vous ?

VB : Pour ce livre, j’ai réalisé des interviews en quatre langues. J’ai donc réalisé des interviews en espagnol, en portugais et en indonésien. Je peux en quelque sorte me débrouiller en allemand. Mais oui, la recherche était importante–

RS : OK. Je veux donc que cela soit su, parce que ce n’est pas du journalisme d’hélicoptère, vous savez, où vous avez sauté en parachute ou quelque chose comme ça, où vous avez fait quelques interviews avec des chauffeurs de taxi et où vous êtes arrivés à une grande conclusion. Ce livre, même s’il ne fait qu’environ 260, 270 pages, est tout d’abord très bien documenté, basés sur des recherches in extenso, et vos interviews sont réalisées dans la langue maternelle. Dans le cas de l’Indonésie, ce n’est pas facile, puisqu’il semble y en avoir une quarantaine. Et donc ce je veux dire, c’est n’oublions pas les recherches ici, parce que je pense que les recherches et la façon dont elle sont approfondies – parce que j’ai vérifié beaucoup de vos notes de bas de page.

VB : C’est vrai.

RS : Vous savez, parce que dans ce livre, il y a beaucoup de choses que je ne savais pas, et je pensais en savoir beaucoup sur le sujet. Je veux dire, j’ai en fait rencontré Sukarno.

VB : Ouais.

RS : Vous savez qui était très largement impliqué. J’ai également interviewé Bobby Kennedy, et le concernant vous avez des citations très incisives à la fin où il critique une politique américaine qu’il avait auparavant approuvée. Je l’ai interviewé le jour où il a été abattu, assassiné. Et je sais que sa transformation était réelle. Et donc, vous savez, j’ai lu ce livre et j’ai été très impressionné. Et le fait est que vous nous présentiez non pas ce chiffre abstrait – ou pas abstrait, mais « un million de personnes sont mortes en Indonésie » – vous nous présentez des gens dont les femmes ont été violées, tuées, assassinées, torturées. Vous nous présentez des gens qui l’ont aussi été eux-mêmes. En fait, vous nous présentez – vous avez conduit un entretien avec le président du Brésil, qui a été torturé sous l’un de ces régimes, n’est-ce pas ?

VB : Oui, c’est vrai.

RS : La force de ce livre est donc qu’il ne s’agit pas d’une sorte de spéculation de salon, ou d’écriture académique dans le pire sens du terme. C’est un témoignage oculaire de l’histoire, mais il est éclairé par la documentation. Vous avez parcouru les dossiers du Département d’Etat. Je veux dire, ce n’est pas mon travail de vanter votre livre, mais il se trouve que je pense que c’est un excellent livre. Et vous savez, et je veux juste le faire savoir. On ne peut pas — tout simplement, on ne peut pas ignorer ce livre.

Et je veux en venir à quelque chose – c’est pourquoi j’ai commencé par la Banalité du mal d’Hannah Arendt. J’ai passé toute ma vie à interviewer beaucoup de gens dans le monde entier, et on retrouve certains d’entre eux dans votre livre. J’ai interviewé Fidel Castro pendant quelques heures, et de manière assez critique, et j’ai interviewé Gorbatchev, et beaucoup de gens – et Sukarno qui est dans votre livre, et j’en ai croisé pas mal. Et ils présentent tous bien. Et ils présentent tous bien; c’est ça. Et ils ont des gens autour d’eux qui les aident à présenter bien.

Mais l’intérêt du jugement d’Hannah Arendt — c’est que cela n’empêche pas que ce soit le mal. Et vous avez une statistique qui vient de, vous savez, Freedom House, qui a été une assez grande donneuse de leçons pendant la guerre froide, et qui reçoit des fonds du gouvernement et ainsi de suite. Mais ils ont fait un calcul, qui est que plus d’innocents sont morts à cause de notre politique – ou autant ; je ne me souviens pas de la citation exacte, vous vous en souviendrez – qu’à cause des communistes. N’est-ce pas ?

VB : C’est vrai.

RS : Entre 1960 et 1990. C’est une citation accablante dans ce qui était censé être une bataille entre le monde libre et le monde totalitaire, que ce monde libre a réussi à tuer plus d’innocents.

VB : Oui, c’est – ce que cette citation signifie, c’est que John Coatsworth, qui est historien, a pris les chiffres de Freedom House, parce qu’il voulait prendre des chiffres qui étaient suffisamment anti-communistes pour le nombre de meurtres qui avaient été commis en Union soviétique et dans le bloc soviétique de 1960 à 1990. Et il a découvert que le nombre de meurtres commis par les alliés des États-Unis en Amérique latine au cours de la même période, entre guillemets, « dépassait largement » ce chiffre. Et moi, à côté – je veux dire, j’ai conduit des entretiens dans 12 pays, j’ai interviewé probablement 125 personnes. J’ai passé deux ans à essayer de trouver les gens qui permettraient à cette histoire de prendre vie dans un petit livre ; je voulais que ce soit quelque chose de digeste. Mais j’ai trouvé au moins 20 pays dans le monde où les alliés de la guerre froide soutenus par les États-Unis ont mené des programmes d’éradication de civils innocents. Il s’agit donc de meurtres intentionnels de civils innocents, et non de gens tués par des bombes, par la famine ou par de mauvais gouvernements. Et puis si vous ajoutez les guerres en Indochine, je pense qu’il est assez clair que vous pouvez soutenir que les États-Unis, la croisade anticommuniste de Washington, comme je l’ai dit, a tué des millions de personnes innocentes au XXe siècle.

RS : Eh bien, Robert McNamara dans le documentaire « Brumes de guerre » dit que 3 millions de personnes sont mortes, et c’était encore au début de la guerre, quand il était en Indochine. Laissez-moi faire une remarque sur votre livre, parce que nous avons beaucoup parlé de l’Indonésie. Et beaucoup de gens pensent bien, d’accord, on sait ce qu’il s’est passé pour l’Indonésie, des films poignants ont été tournés sur les massacres qui s’y sont déroulés, etc. Et puis, pour certains — nous considérons toujours notre propre promotion de la torture ou de l’implication dans le meurtre de civils comme quelque chose d’exceptionnel, vous savez, comme une aberration, etc. C’est ce que votre livre montre clairement – parce qu’en fait, l’Indonésie ne représente pas la plus grande partie du livre. On va au Brésil, on va au Chili, on va dans beaucoup d’endroits. Et ce que vous soutenez dans ce livre – corrigez-moi si je me trompe – c’est que la raison pour laquelle on appelle cela méthode Jakarta c’est que les tueurs dans d’autres pays pensaient utiliser la méthode utilisée à Jakarta. Et c’est une méthode – et nous devrions être clairs sur ce point – c’est qu’elle n’a pas seulement été approuvée par certains agents voyous de la CIA et du Département d’État. Vous avez Henry Kissinger qui se frotte joyeusement les mains au sujet des meurtres et du chaos. Vous avez le New York Times – on parle beaucoup de nos jours de fake news.

VB : Effectivement.

RS : Vous avez le New York Times et d’autres journaux importants – le L.A. Times, le Washington Post – vous savez, j’ai aussi travaillé au L.A. Times pendant de nombreuses années. Vous avez ces journaux de renom, respectés, qui tolèrent les meurtres de masse et la torture. Ils les dissimulent, les couvrent, regardent ailleurs. C’est un… c’est un réel arrêt de mort pour eux dans votre livre. Pour citer James Reston, un des personnages les plus admirés, n’est-ce pas ? Le bon vieux chef de bureau du New York Times à Washington. Tout le monde pensait que c’était un type formidable. Et il sait qu’ils se baladent, tuant des gens qui n’ont pas commis d’actes de violence, qu’ils les tuent systématiquement et qu’ils effacent à partir d’une liste de meurtres établie par la CIA. Et il approuve tout ça.

VB : Ouais, il…

RS : Le New York Times a approuvé sa ligne éditoriale.

VB : Oui, James Reston, la rubrique qu’il a écrite, le titre était « Une lueur en Asie ». Et cette « lueur », le genre de lueur d’espoir qu’il a trouvée dans cette partie du monde, était que le parti communiste indonésien avait été détruit. Et bien sûr, il savait qu’il avat été détruit par la violence de masse. Il ne savait pas, probablement à l’époque, que le Département d’État remettait des listes de personnes à tuer à l’armée indonésienne. Cela, c’est ce qu’un employé du département d’État a déclaré plus tard.

Mais il est absolument vrai qu’à ce stade de la guerre froide, la plupart des grands médias américains considéraient en quelque sorte comme leur devoir patriotique, pratiquement, d’aider les États-Unis dans leurs opérations secrètes. Et la CIA et les services de renseignement britanniques, juste avant que le massacre des Indonésiens ne commence, ont très activement contribué à répandre ces mensonges sur ce que le parti communiste indonésien avait fait. Et on croît toujours ces mensonges à ce jour. Donc beaucoup de gens que j’ai rencontrés en Indonésie – et j’ai passé beaucoup de temps à me rendre là bas et revenir et à vivre auprès d’eux, et à parler – vous savez, il a fallu probablement deux ans pour joindre tous les gens qui acceptaient de parler, et qui pouvaient parler, et qui pourraient vraiment faire de ce livre un livre. Parce que beaucoup de gens ne veulent pas parler, parce que encore aujourd’hui, la propagande les concernant – répandue par la dictature de Suharto, par la CIA, par le MI6 – est toujours considérée comme une réalité.

Ils vivent donc souvent dans la pauvreté ; ils sont en quelque sorte isolés et chassés de la société indonésienne. Parce que l’histoire qui a été racontée en 1965 est qu’ils avaient participé à une sorte de rituel satanique et sadique de torture sexuelle pour assassiner des généraux. Tout cela est entièrement inventé, et Suharto le savait. Il est très probable que les officiels américains – non, nous sommes sûrs que les officiels américains savaient qu’il mentait. On ne sait pas très bien comment il a inventé cette campagne de propagande d’une force incroyable. Parce que sans cette campagne de propagande incroyablement forte, trois mois plus tôt, le Parti communiste était probablement l’entité politique la plus populaire du pays. Ils auraient gagné les élections, comme la CIA l’a elle-même reconnu.

RS : Eh bien, ils auraient gagné les élections au Vietnam, et Ho Chi Minh aurait pu être élu. Ils auraient probablement gagné les élections en Italie en 48. Mais ce que le livre montre clairement – et je veux en revenir à James Reston. Je ne veux pas nuire à vos chances d’avoir une bonne critique dans le New York Times. Mais avec un peu de chance, ils se rendent compte qu’il s’agit d’une histoire en demi-teinte, non seulement pour le New York Times, mais aussi pour ce qu’était le journalisme grand public. Que lorsque, vous savez, la vérité est la première victime lorsque vous partez en guerre. Mais je veux contester ce que vous venez de dire : « Ils ne savaient pas. » Et je me souviens qu’un de nos rédacteurs du L.A. Times m’a dit un jour, lorsque j’ai demandé pourquoi nous ne savions pas pour le Golfe du Tonkin – qui est dans votre livre, la fable créée pour le Vietnam. Eh bien, notre éditeur était à la Maison Blanche, vous savez ; d’autres personnes étaient à la Maison Blanche à cette époque avec Lyndon Johnson. Et il m’a dit :  » C’est trop beau pour qu’on ait à le vérifier. »

VB : C’est exact.

RS : Et si James Reston – qui était après tout le chef de bureau du New York Times à Washington – ne savait pas que des trucs horribles se passaient en Indonésie, au Brésil ou ailleurs et que vous décrivez, c’est parce qu’il ne voulait pas savoir. Parce qu’il était en train de dîner avec ces gens là. Ils fraternisaient, ils socialisaient ensemble. Et je veux en donner quelques exemples, parce que vous avez de la documentation dans ce livre où ils reconnaissent – vous savez, Kissinger et tous ces gens reconnaissent qu’ils font ça. Ce n’est pas comme si, vous savez, oh, nous ne savions pas. Ils s’encourageaient. Et en fait, l’argument principal de votre livre – je ne veux pas trop insister sur ce point, parce que vous savez – mais il me semble que ce que vous dites est qu’ils étaient tout excités à l’idée d’avoir un modèle d’éradication de masse qui, pensaient-ils, produirait un bon résultat pour la façon dont ils envisageaient l’expansion capitaliste partout dans le monde. En gros, n’est-ce pas à cela que le livre aboutit ?

VB : Oui, oui. Je ne sais pas qui a décidé quand cela allait fonctionner comme ça. Mais il est absolument vrai, en ce qui me concerne, qu’en 1965, le meurtre de masse d’un million de gauchistes non armés représentait un énorme succès pour le projet plus vaste de la guerre froide. Il a donc été reproduit dans de nombreux autres pays avec l’aide des États-Unis. Maintenant, il y a des preuves – vous savez, certains de ces chiffres vont et viennent. Ainsi, certaines personnes qui se trouvaient en Asie du Sud-Est se rendent immédiatement au Guatemala, et puis commencent en 1966 au Guatemala des programmes de meurtres de masse d’un type très suspect. Et puis bien sûr, je pense que vous avez parlé de Kissinger ; Pinochet au Chili prend le pouvoir après que des terroristes de droite aient passé un an ou deux à peindre « Jakarta arrive » ou simplement « Jakarta » sur les murs des gauchistes à Santiago. Et ce message se veut très clair. Il est censé dire : nous allons vous tuer comme ils les ont tués en Indonésie. Et avec le coup d’État soutenu par les États-Unis en 1973, c’est exactement ce qu’il s’est passé. Et c’est précisément, les États-Unis savaient précisément ce que cela signifiait que Pinochet ait pris le pouvoir. Et les États-Unis se sont servi de leur influence en aidant les nations sud-américaines à organiser l’opération Condor, qui était l’organisation internationale de meurtres de masse, par laquelle les dictatures sud-américaines travaillaient trans-frontières pour trouver et éliminer les opposants à leurs projets politiques.

RS : C’est vrai. Et dans votre livre, vous affirmez très clairement que les États-Unis ont été complices de l’emprisonnement de Nelson Mandela, maintenant reconnu comme probablement le plus grand héros des 50 dernières années, ou figurant certainement parmi les tout premiers de la liste.

VB : C’est vrai.

RS : Et je pense que c’est, vous savez, le pouvoir – nous savons qu’il y a des gouvernements ouvertement criminels dans le monde, et vous n’avez pas de mal à les reconnaître. Ils ne sont pas très doués pour se dissimuler, même si concernant l’Allemagne il y avait beaucoup de partisans aux Etats-Unis qui pensaient, eh bien, vous savez, Mussolini en Italie fait circuler les trains à l’heure, et après tout, Hitler fait du bon travail, et Mercedes l’aime bien et tout ça. Mais ce dont nous parlons ici, la puissance de ce livre, je pense, n’est pas — bon OK, donc nous avons fait de vilaines choses, et les Russes évidemment, les Soviétiques ont fait de vilaines choses. Mais ce qui est vraiment en question ici, c’est de savoir si nous avons tiré les leçons des l’expériences humaines pour proposer des alternatives.

VB : C’est vrai.

RS : Et les gens que vous décrivez, vous savez, n’étaient,pour la plupart, pas communistes. Ils avaient quelques partisans qui l’étaient, mais vous ne pouvez pas dire ça pour Nehru en Inde, vous savez, ou même pour le chef du parti indonésien, j’oublie son nom. C’étaient des gens qui étaient nationalistes, ils se souciaient de leur pays. Sukarno, par exemple…

VB : Oui, Sukarno n’a jamais été communiste. Il a travaillé avec eux, mais…

RS : Il était anticommuniste. Et Sukarno – je sais, j’étais au Cambodge en 1964, je crois, quand Sukarno a pris la parole, son discours à la conférence du peuple indochinois, etc. Et Sihanouk, qui était un nationaliste et un Tiers-Mondiste neutre et indépendant. Vous savez, cela a été soutenu dans tout le Tiers-Monde, et tout le monde oublie que le grand espoir qui ressort de la Seconde Guerre mondiale est que la plus grande masse de gens au monde qui ont été privés de leurs droits, qui ont été réduits en esclavage, qui ont été colonisés – après tout, on compte 5 millions d’esclaves d’Afrique et du Brésil, c’est vrai, qui n’ont jamais obtenu leurs droits. Je veux dire que votre livre contient beaucoup de documentation. L’Indonésie, ce n’était pas un endroit que les Hollandais dirigeaient de façon gentillette. Le colonialisme était brutal et vicieux ; ces gens viennent de l’exploitation par le colonialisme. Ils pensent que maintenant, avec l’ONU, avec le nouvel ordre mondial, nous allons avoir une chance de trouver notre propre voie. Et cette capacité à définir sa propre histoire, à bâtir sa propre histoire, est déniée – oui, par les Soviétiques, qui le font en Europe de l’Est, et par les États-Unis qui semblent le faire partout ailleurs dans le monde.

Et c’est bien de cela qu’il s’agit ici. Nous avons renversé Sukarno, nous avons aidé à mettre Nelson Mandela en prison, nous avons contesté, miné Allende et détruit son gouvernement. Donc ce qui est vraiment en jeu ici, c’est l’élaboration d’un modèle que vous avez défini très clairement dans votre livre, celui d’un capitalisme de clientélisme, militarisé à outrance, dirigé par les généraux. On trouve tout ça dans les documents du Département d’État américain et de la CIA, qui privilégient le régime militaire des généraux, vous voyez ? Et l’ironie de toute cette histoire, c’est que non seulement nous punissons ce Tiers-Monde et l’empêchons de se moderniser au nom de la modernisation, mais l’ironie est que les pays communistes s’avèrent très bons pour y parvenir par eux-mêmes. Donc, comme vous le soulignez à la fin de votre livre, le pays du Tiers-Monde qui a le mieux réussi c’est la Chine.

VB : Oui.

RS : Et la Chine développe sa propre variante d’une sorte de capitalisme et de clientélisme, tout comme la Russie de Poutine. Ils y seraient allés de toute façon si c’était lleur objectif. Apple n’a jamais eu de problème pour travailler en Chine, vous savez. Ils n’avaient pas besoin de tuer des millions de gens.

VB : Non, absolument. Et puis, juste pour aborder cette question du capitalisme de clientélisme, j’ai fini par trouver ce livre qui va très loin dans l’exploration de la littérature universitaire sur la guerre froide. Et il y a un très bon historien qui a cette thèse selon laquelle une grande partie du Tiers monde précédent a été dirigée sur sa voie actuelle par les conflits de la guerre froide, et en quelque sorte ils continuent de vivre dans ce système. Et il aborde la question d’un point de vue très académique, mais en tant que correspondant qui a vécu en Amérique latine pendant la quasi-totalité de la dernière décennie, et qui a vécu en Asie du Sud-Est ces trois dernières années. Il est tout à fait conforme à mon expérience de regarder le Brésil et de penser, oh non, ben, c’est une société qui a été mise en place par un coup d’état militaire en 1964.

En Indonésie, c’est encore plus extrême. Ainsi, les militaires que nous avons formés et mis au pouvoir en 1965 contrôlent toujours largement le pays. Il est encore illégal de dire la vérité sur ce qu’ils ont réellement fait en 1965. Et je pense qu’il est assez tragique, si on regarde la majeure partie du monde qui était sous la colonisation directe de l’Europe, qui était considérée comme le Tiers Monde, ce genre de capitalisme de clientélisme – ce système où vous devez en quelque sorte enfreindre les règles pour vous entendre, vous ne savez jamais vraiment si vous allez tomber dans une pauvreté affreuse si vous ne vous accomodez pas des oligarques qui sont aux commandes — malheureusement je pense que c’est en ce moment un système qui pour beaucoup de peuples du monde est quelque chose de familier. Et cette expérience est celle que nous perdons lorsque nous nous concentrons sur la guerre froide uniquement dans l’optique d’une forme de jeu entre espions de Moscou et de Washington. Car comme vous l’avez dit, c’est la grande majorité des peuples du monde qui l’ont vécu, et ils formaient cette troisième équipe.

RS : Et bien, c’est une fiction qui était plutôt confortable dès le début. Je veux dire, après tout, que s’est-il passé en Indonésie ? Les Hollandais voulaient y retourner, et un mouvement nationaliste ; que s’est-il passé au Vietnam ? Les Français y sont retournés, mais ils ont été vaincus, et nous avons alors soutenu un néocolonialiste, vous savez, Ngo Dinh Diem. Je veux dire, vous prenez pays après pays – et c’est là que je veux en venir, à cette banalité du mal. Vous ne pouvez soutenir, ne serait-ce que pendant une seconde que Henry Kissinger ne connaissait pas chaque centimètre du chemin, comme Christopher Hitchens l’a brillamment analysé dans sa critique de Kissinger. Il était obligé qu’il soit au courant. Ils savaient, et ils en étaient tout excités, et vous avez trouvé la documentation qui le confirme cas après cas. Et nous n’avons pas rendu justice au livre. Je veux élargir un peu le débat. Parce que les gens peuvent penser, encore une fois, que l’Indonésie est une exception. Mais votre livre ne concerne pas majoritairement l’Indonésie. Il s’agit du monde et de ce qu’il est arrivé au monde. Parlez-nous donc de ces autres cas du Chili et du Brésil. Et vous en savez beaucoup sur le Brésil. Je crois que vous y êtes en ce moment même, n’est-ce pas ?

VB : Oui, je suis à São Paulo. Je n’étais pas censé y être, mais l’élection que je devais couvrir au Chili a été annulée, et ensuite ma tournée de promotion pour le livre a été annulée, alors j’ai décidé de rester à São Paulo. Donc oui, je veux dire, je vais y aller par ordre chronologique. En 1945, les États-Unis sont de loin le pays le plus puissant du monde, bien plus que l’Union soviétique. Et ils créent la CIA, et la CIA essaie d’abord de s’en prendre au bloc soviétique, et ils échouent. Ce sont des types qui sont en grande partie des types de Yale appartenant à la classe supérieure, et ils sont très ambitieux, très déterminés de voir le travail fait, de combattre le communisme. Mais ils ne peuvent pas le faire dans le bloc de l’Est ; ils se plantent.

Et c’est alors qu’ils se tournent vers le Tiers Monde, n’est-ce pas ? Et alors qu’Eisenhower entre en scène, le premier grand succès de cette équipe d’opérations secrètes mise sur pied par Frank Wisner, l’un des personnages principaux de l’histoire, se passe en Iran en 1953. Et puis il y a le Guatemala en 1954. Et je raconte cela dans le livre à travers le point de vue des Indonésiens qui viennent d’être libérés, ou qui viennent de se libérer du colonialisme, et ils regardent ce qui s’est passé en Iran et au Guatemala, et ils pensent oh, non, non, non, non, peut-être que finalement le colonialisme n’est pas terminé. Peut-être qu’ils vont revenir. Et ils regardent vers le Vietnam, et les États-Unis qui aident activement les Français à tenter de reconquérir l’Indochine. Et Sukarno arrive avec un – eh bien, il arrive avec toutes sortes de – il est très, c’était un vrai philosophe et presque une sorte de figure prophétique. Il se rapprochait plus du père fondateur que du bon président. Il a en quelque sorte inventé une philosophie du pays, mais il a inventé beaucoup de termes, et l’un d’entre eux était tout simplement le néocolonialisme comme étant une caractéristique déterminante du XXe siècle. Il a donc fédéré tous ces pays.

RS : Puis-je vous interrompre une seconde ? L’une des grandes qualités de votre livre – j’aime faire ces interviews parce que j’apprends des choses. J’ai beaucoup appris de votre livre. C’est vrai. Je pense, je veux le dire de nouveau, je pense que c’est le livre indispensable – le livre indispensable à lire sur la guerre froide. Et je pensais connaître Sukarno. J’étais en Indonésie pendant une période très difficile. Vous savez, je pensais connaître la situation. Mais jusqu’à ce que je lise votre livre, je n’avais aucune idée, tout d’abord, du rôle de la langue dans l’unification de l’Indonésie. Ni de la compétence que Sukarno – nous pensons que ces gens sont comme les représentent les médias, comme des personnages de dessins animés simplistes, surtout s’ils sont dans le Tiers Monde. Combien de langues parle Sukarno… Comme vous ? [Rires] Vous parlez cinq langues. Il en connaissait plus !

VB : Beaucoup plus, beaucoup, beaucoup plus. Je pense que c’était de l’ordre de neuf ou dix. Et puis Francisca et Zain, les autres personnages principaux du livre, en parlaient quelque chose comme huit, neuf ou dix. Et c’est le – je veux dire, c’est juste – je veux dire, juste pour s’écarter un peu du sujet, c’est quelque chose qui lorsque j’en parle aux Américains, et ils disent comme ça euh… je suis nul en langues, c’est un don que je n’ai pas. Et moi, je me dis qu’en Indonésie, eh bien tout le monde en parle au moins trois ou quatre. Et c’est la réalité de la vie dans cette partie du monde, la réalité de la vie en temps colonial, la réalité d’être dans un pays où tant de nations différentes vivent les unes sur les autres en même temps. Il vous faut —

RS : Eh bien, revenons à Sukarno – je suis désolé, Sukarno – non seulement il était spécial, mais on banalise – ou, vous savez, quand j’ai lu votre livre, je me suis dit : oui, Sukarno, allez au diable avec votre aide. Ca c’était le titre du Daily News, du New York Times : Je n’ai pas besoin de votre aide. Eh bien, il synthétisait un sacré tas de sagesse, de connaissances et d’expérience lorsqu’il a dit que nous ne pouvions pas dépendre de votre aide, parce qu’alors vous nous posséderez. Et c’était vrai pour Nehru, c’était vrai pour tous ces gens qui étaient les troisièmes – vous voyez, Papandréou en Grèce. Je veux dire, vous pourriez faire défiler toute la liste, Olof Palme en Suède. Le mouvement des non-alignés nous disait quelque chose et ce que votre livre saisit, je pense, mieux que quiconque que j’ai vu récemment. Parce que beaucoup des victimes dont vous parlez travaillaient dans le mouvement des non-alignés, parce que Sukarno a joué un rôle vraiment fondamental. Et ce qu’ils nous disaient, c’est qu’ils ne voulaient pas être définis par la guerre froide. Ils ne voulaient pas être définis par la rivalité entre les États-Unis et l’Union soviétique ou la rivalité entre la Chine et les États-Unis. Ils voulaient être les artisans de leur propre histoire, et tant l’Union soviétique que les Chinois et les États-Unis, vous tous, qui essayez d’interférer avec leur histoire – et c’est vrai aussi des anciennes puissances coloniales, les Français et les Néerlandais, etc.

Et votre livre est vraiment un témoignage de liberté. Il dit : pourquoi ces gens ne peuvent-ils pas façonner leur propre histoire ? Pourquoi ne pourrions-nous pas leur faire confiance pour fabriquer leur propre histoire ? Et ce que vous montrez, c’est qu’au nom de la démocratie, nous étions un bon rival du communisme soviétique et que nous refusions aux gens la possibilité d’être les artisans de leur propre histoire. Et d’une certaine manière, comme vous le dites, nous avons gagné la guerre froide précisément – « nous » étant les États-Unis – parce que les États-Unis ont été plus violents et plus déterminés à contrôler les gens et les intimider en fin de compte, de manière plus efficace.

VB : Eh bien je pense, je veux dire, nous avons gagné la guerre froide, ou la guerre froide s’est terminée, vous le savez, principalement parce que l’Union soviétique s’est effondrée. Mais je pense vraiment que la violence utilisée par les États-Unis a joué un rôle primordial dans la façon dont la guerre froide a été remportée. Et la façon dont la guerre froide a été gagnée a d’énormes retombées sur la façon dont la vie est vécue sur cette planète. Et je voudrais revenir sur ce que Sukarno a dit, sa très célèbre phrase, à la fin de sa présidence : « Allez au diable avec votre aide ». Et cela est souvent présenté dans la presse occidentale comme, ah, c’est un joker, il est fou, il ne veut pas entendre raison. La CIA avait déjà autorisé son assassinat à ce moment-là. La CIA avait déjà bombardé son pays, tuant des civils innocents, essayant de briser l’Indonésie. Donc généralement, au début, généralement ces pays anticoloniaux ou même communistes, le Vietnam étant un exemple, généralement au début de la guerre froide, ils ont essayé de travailler avec les États-Unis. Et après 5, 10, 15 années amères, ils ont réalisé, non, ils ne jouent pas le jeu, ça ne va pas marcher. Ils… ils viennent pour me récupérer. Et ils ont donc essayé de se défendre, et dans de très rares cas, ça a marché. Mais dans le cas de l’Indonésie, ça n’a absolument pas marché.

RS : Exact, et la diabolisation ou la banalisation de tout autre leader politique dans le monde – et comme je l’ai dit, nous l’avons fait avec Nelson Mandela ; c’était juste un communiste – c’est arrivé, et c’est dans votre livre. D’ailleurs, il y a tellement de bonnes parties dans votre livre. Même si elles sont brèves. Les gens veulent tout savoir du golfe du Tonkin, vous en faites une excellente description. S’ils veulent en savoir plus sur le renversement du Mossadegh, comment le Chah est revenu au pouvoir, ce qu’est l’Iran, vous avez une très bonne description. Mossadegh est devenu un personnage animé [Mohammad Mossadegh, né le 16 juin 1882 à Téhéran et mort le 5 mars 1967 à Ahmadabad, homme d’État iranien. Il est le cofondateur du Front national iranien et Premier ministre par deux fois, de 1951 à 1952, puis de 1952 à 1953, date du renversement de son gouvernement par un coup d’État, NdT]. On a fait du dernier grand nationaliste en Iran un simple personnage animé de jeu vidéo. [“The Cat and the Coup” https://kayhanlife.com/culture/film/video-game-revisits-mossadeghs-overthrow-1953-coup/ NdT].

Nous n’avons donc jamais pris ces gens au sérieux. Nous n’avons jamais pensé qu’ils se souciaient de leur propre pays, qu’ils se souciaient de leur peuple. Et pourtant, ils étaient ceux qui se sacrifiaient ; presque tous avaient fait de grands sacrifices pour lutter contre le colonialisme. Ils ont même été de notre côté, par exemple dans le cas des Vietnamiens, Ho Chi Minh pendant la guerre. Je voudrais mentionner, pour conclure, en termes d’autorité. Parce que vous savez, je suis d’accord avec vous ; je n’essaie pas d’étiqueter les gens quand je dis « la banalité du mal ». Et quand j’ai lu votre livre, cela m’a ramené à certaines personnes que j’ai connues, ou rencontrées, ou interviewées. En parlant du renversement de Mossadegh par exemple, l’une d’elles est Kermit Roosevelt que j’ai interviewé par téléphone quand j’étais au L.A. Times.

VB : Vraiment ?

RS : Et il a écrit un livre, je l’ai sur mon étagère, sur toute cette question. Et dans cet entretien il a très clairement précisé qu’il ne voulait pas que ce qu’il a fait en Iran – renverser le dirigeant – devienne un exemple. Et comme vous le soulignez dans votre livre, il a refusé de suivre Allen Dulles qui a dit : « Oh, génial, faisons maintenant la même chose en Amérique latine ».

VB : Le Guatemala, oui. En 54, il…

RS : Oui, au Guatemala. Et une autre personne que j’ai interviewée lorsque je faisais beaucoup de trucs sur le Vietnam – et je vous fais cadeau de ça uniquement pour appuyer votre thèse, pas pour la contredire…

VB : Non, non, s’il vous plaît.

RS : – c’était le général Lansdale. Et le général Lansdale, qui a été le premier à développer ce genre d’idée de contre-insurrection pour la démocratie. Et Lansdale l’a fait aux Philippines, qui a été l’un des premiers modèles. Et puis il s’en est bien sûr inspiré pour le faire au Vietnam. Mais je me souviens m’être baladé dans Washington avec le général Lansdale. Lorsque je lui posais des questions, il m’a dit, sortons d’ici, sortons du bureau. Il était dans un bureau à la Maison Blanche avec Food for Peace. Et il était très clair sur le fait que cela ne devait pas servir de modèle pour d’autres pays, ce qui s’était passé aux Philippines. Et enfin, je voudrais terminer avec cet exemple de Bobby Kennedy, et l’évoquer. Parce que vous avez raison dans votre livre – cela relevait, soit dit en passant, nous devrions être clairs, des démocrates et des républicains. La plupart des crimes que vous décrivez dans ce livre, ou un bon pourcentage d’entre eux, ont été commis sous des présidents démocrates.

VB : C’est vrai.

RS : N’est-ce pas ? Et, mais Eisenhower était là pendant une partie de cela, et Richard Nixon était certainement là pendant une partie. Donc je ne dis pas que ce n’est pas bipartisan. Mais l’un d’entre eux que vous visez vraiment est Jack Kennedy. Et Bobby Kennedy était très proche de son frère, non seulement en tant que procureur général mais aussi en tant que conseiller et tout le reste. Et pourtant, dans votre livre, je ne sais pas si vous l’avez devant vous, mais il y a une citation très impressionnante de Bobby Kennedy, lorsqu’il était déjà sénateur à l’époque.

VB : Oui, c’est vrai.

RS : Vous l’avez sous la main ?

VB : Oui,oui, je l’ai. Juste, vous savez, juste un petit rappel, JFK au Congrès dans les années 50 arrivait et affirmait des choses avec lesquelles nous serions probablement d’accord de nos jours sur les droits du Tiers Monde à choisir son propre destin, sur le fait que les peuples post-coloniaux avaient la liberté de choisir la voie qu’ils voulaient. Et Sukarno le savait, et Sukarno était enthousiaste à l’idée que JFK devienne président. [omission] John F. Kennedy, en tant que membre du Congrès dans les années 50, était quelqu’un qui – et c’était rare à Washington à l’époque – était bien connu comme quelqu’un qui soutenait les droits du Tiers Monde à choisir son propre destin, à avoir la liberté de choisir la voie qu’il voulait. Et Sukarno le savait, et Sukarno était très enthousiaste à l’idée que JFK devienne président. Aujourd’hui, nous savons, bien sûr, que JFK, en tant que président, a dû faire face à la CIA qui faisait tout ce qu’elle faisait, et il s’est impliqué dans toute l’Amérique latine. Et dans l’administration de JFK, Bobby Kennedy n’était pas connu pour sa timidité à utiliser les techniques de l’ombre ou les opérations secrètes en Amérique latine. Il était considéré comme très agressif, même à Washington. Aujourd’hui, en 1966, après la mort de son frère, il est le seul homme politique américain de premier plan à dénoncer ce qui s’est passé en Indonésie. Et j’ai ici la citation : en janvier 1966, il a déclaré : « Nous nous sommes élevés contre les massacres inhumains perpétrés par les nazis et les communistes. Mais allons-nous également dénoncer le massacre inhumain en Indonésie, où plus de 100 000 communistes présumés n’ont pas été des auteurs mais des victimes ? Et bien sûr, ce nombre est bien sous estimé. Mais vous avez absolument raison, je pense que dans de nombreux cas, les gens entrent dans le système de la politique étrangère américain avec de bonnes intentions ; ils finissent par faire des choses qu’ils ne veulent pas que d’autres personnes

fassent et puis ils prennent du recul et deviennent observateurs et les regardent faire.

RS : Eh bien, voilà pourquoi je veux terminer sur ce point — Hannah Arendt, pour les gens qui ne la connaissent pas, on peut dire que très probablement personne n’a écrit de manière plus efficace sur l’ attrait, la rationalisation, les mécanismes de fonctionnement des activités totalitaires. Et cette expression, « la banalité du mal » – tout le monde oublie que l’Allemagne était une société qui était très admirée dans toute l’Europe sans aucun doute mais aussi aux États-Unis. Et les allemands tenaient de grands registres, ils avaient une rationalisation très efficace, ils revendiquaient des citations de grands penseurs comme étant des leurs, vous savez, probablement l’exemple le plus frappant du mal dans le monde moderne. Mais ils pouvaient le dissimuler en citant les Grecs, vous savez, et les Romains ou qui vous voulez.

Et ce que je pense que ce que votre livre révèle, c’est que toute une série de personnages qui sont toujours admirés, ou du moins traités avec la dignité du bien, ont eu des choix difficiles à faire – non. Parce qu’ils ont lu ces rapports. Vous savez, la torture n’a pas commencé avec Abu Ghraib ou Guantanamo ou ailleurs. La torture était aussi américaine que la tarte aux pommes. Et la destruction des Amérindiens – les nourrissons étaient jetés dans les flammes. Benjamin Madley à l’UCLA, vous savez, il a écrit un livre très frappant à ce sujet, et ça, c’était au XIXe siècle. Et donc, ce que votre livre remet en question – et vous savez, j’hésite à en mettre trop, parce que ce n’est peut-être pas votre interprétation. Mais ma lecture en est qu’il remet en question cette notion pernicieuse de l’innocence américaine. Et votre livre affirme que — non. Ce ne sont pas des excès, la façon dont on défend My Lai [Le massacre de Mỹ Lai est un crime de guerre américain — au cours de la guerre du Viêt Nam — qui a fait entre 347 et 504 morts civils dans la république du Viêt Nam, le 16 mars 1968 ; NdT, vous savez ? C’était une politique de torture, de violence, de massacre d’innocents, de sabotage des élections, de destruction du nationalisme, de toute vie politique pour les gens, d’intrusion dans leur vie, et tout ça c’était calculé. Et ça a été entériné parce qu’on pensait que ça fonctionnerait.

Et ce que ça a fait, c’est que ça a rendu le monde plus sûr – sûr selon votre notion du capitalisme américain, ou quelle que soit votre idéologie. Mais il est certain que le mot « capitalisme » doit y figurer, car on l’associe à une certaine notion de marchés, d’expansion et d’accès. Et en réalité, il me semble que ce que votre livre dit, c’est que ce qui a été gagné n’est pas la liberté et des opportunités plus grandes pour les gens, parce que vos statistiques à la fin montrent que le Tiers Monde n’a pas du tout prospéré. Et beaucoup de gouvernements que nous avons contribué à créer sont totalitaires ; ils n’ont pas cessé de l’être. Ce que nous avons gagné, c’est que nous avons rendu le monde sûr pour une variante du capitalisme américain. Rapace, expansionniste, exploiteur.

VB : Oui, eh bien, ce qui a été gagné, c’est le monde que nous occupons tous aujourd’hui. Et ce que j’ai essayé en quelque sorte de reconstituer en parlant avec tous ces gens qui l’ont vécu dans le Tiers Monde dans les années 50, 60 et 70, c’est qu’ils pensaient que le monde en 2020 serait très différent. Et la façon dont ce monde dans lequel nous vivons a été gagné, la méthode Jakarta, comme je l’appelle, en fait partie. Et que cela nous plaise ou non, la méthode Jakarta a fonctionné. Elle a été efficace.

RS : Laissez-moi donc finir en prenant vos deux mondes. Vous êtes un érudit, et vous fouillez vraiment les documents, vous consultez les dossiers. Vous avez des compétences linguistiques, vous connaissez les pays dans lesquels vous allez. Mais vous êtes aussi journaliste, vous savez, vous allez chercher le côté humain, vous parlez aux gens ordinaires. Et je pense que le grand défi dans votre livre – c’est un bon défi, c’est un correctif important – est que vous niez notre droit à faire des stéréotypes et à être méprisant et à marginaliser les autres acteurs dans le monde. Vous nous présentez – et je n’ai pas du tout discuté de cela, mais vous nous présentez des gens ordinaires qui sont vraiment héroïques. Par « ordinaires », je ne veux pas dire qu’ils sont inintéressants, mais ils viennent de villages ordinaires. Ils viennent, parfois, de la campagne. Il y a des gens, vous savez, qui ont une ethnicité qui se démarque, disons être chinois en Indonésie, qui doivent changer leur nom. Il y a une belle palette de personnages.

Faites-nous en part, et nous terminerons avec ça. Mais ce sont les gens à qui nous avons fait du mal. Ce n’est pas un jeu vidéo. Des êtres humains voient leurs maris, leurs femmes et leurs enfants être tués. Ils sont torturés, leur vie est bouleversée. Et vous nous présentez – c’est pourquoi c’est, je dirais, un plaisir à lire. Parce que c’est un livre sur la survie et le courage. Et c’est ce qui, en fait, dans votre livre, forme un arc qui relie le Brésil à l’Indonésie. C’est aussi l’histoire de réfugiés.

VB : Oui, alors je prends quelques personnes d’Indonésie, quelques uns de la classe supérieure, quelques uns qui sont paysans, une famille chinoise qui finit par fuir l’Indonésie pour le Brésil. Et il y a une petite communauté d’Indonésiens au Brésil maintenant qui tous ont fui la violence raciste soutenue par les États-Unis, et jusqu’à ce jour, la plupart d’entre eux ne savent pas qu’elle a été soutenue par les États-Unis. Mais je pense que j’ai choisi ceux qui sont vraiment intéressants. J’ai parlé à beaucoup de gens, et j’ai choisi quelques personnes qui, je pense, sont devenues des héros pour moi dans ma propre vie. Je veux dire que Francisca, qui vit maintenant à Amsterdam, qui a 94 ans, qui a participé à la lutte anticoloniale et qui a fini par être traductrice pour le mouvement du tiers-monde, allant partout en Afrique et en Asie et rencontrant les dirigeants de ce tout nouveau monde, élevant ses enfants et finissant par souffrir à sa manière pendant les évènements de 1965, est une héroïne. Et je pense qu’il y a un autre personnage, Benny, que vous avez mentionné, qui malheureusement – ah, je ne veux pas trop en dévoiler. Mais Benny est – encore une fois, c’est un vrai héros, qui a fini par se trouver impliqué à l’ONU. Et il traverse l’année 1965 à sa manière, mais il a ensuite une influence sur la révélation au monde de ce que Pol Pot a fait et sur la lutte pour un Cambodge libre.

Et je veux raconter la même histoire que celle que les gens connaissent déjà, mais avec des gens différents comme personnages principaux, n’est-ce pas ? Il y a donc des responsables de la politique étrangère américaine qui sont les protagonistes, mais il y a aussi des gens en Indonésie qui nous font voir le monde d’une manière très différente, qui regardent le monde depuis l’Indonésie, dans les années quarante, cinquante et soixante, et qui travaillent en quelque sorte très dur pour construire un nouveau monde. Et je pense que c’est ce qui rend le livre si intéressant, ce qui a fait que j’ai trouvé si intéressant de parler et d’écrire sur ce livre, c’est de parcourir les arcanes de leur vie en interaction avec ces grands phénomènes mondiaux que beaucoup d’entre nous pensions connaître, mais au moins pour ma part, je ne savais pas du tout comment beaucoup de gens les avaient vécus.

RS : Alors,voilà, c’est tout pour cet entretien. Mais laissez-moi vous dire que je vous suis vraiment reconnaissant du sérieux de la démarche que vous avez entreprise. Vous savez, parce que, que vous soyez torturé par un communiste ou que vous soyez torturé par un socialiste démocrate ou un capitaliste démocrate, peu importe ce qu’ils prétendent etc.

Et un dernier exemple qui rejoint les deux, que vous décrivez avec Benny dans votre livre, et le Cambodge et Pol Pot, c’est un exemple parfait de cela. Voici Sihanouk, le souverain de ce petit pays, qui comptait à l’époque 6 millions d’habitants. Et nous avons plongé Sihanouk et le Cambodge dans la guerre froide. Et les Chinois aussi, les Soviétiques, les Vietnamiens, d’accord ? Et ce pays neutre qui faisait partie de ce mouvement avec Sukarno et Nehru et tout le monde, essayant de trouver sa propre voie – une voie cambodgienne, une voie indonésienne, une voie brésilienne pour faire face aux complexités du développement dans le monde moderne – nous les avons plongés dans cette guerre froide. Tout comme les Soviétiques, les Chinois et les autres. Et Pol Pot était quelqu’un qui, au Cambodge, après notre bombardement du Cambodge et notre refus d’accepter Sihanouk en tant que leader neutre du tiers-monde, dirigeant de la troisième voie, ce qu’il était clairement – il n’était guère communiste, il était royaliste et etc -, nous avons déstabilisé ce pays.

Et ce maniaque de Pol Pot, qui avait une vision rurale délirante du communisme, finit par être, une fois de plus, l’un des grands auteurs de génocide. Il tue un million de ses concitoyens dont le crime est de porter des lunettes ou des trucs du même style. Et ce qui est le plus paradoxal, et que vous décrivez dans votre livre, c’est que Pol Pot était en fait quelqu’un que les États-Unis préféraient aux Vietnamiens, qui venaient de s’en débarrasser et le mettaient à la porte. Et ils le préféraient parce qu’à l’époque, nous nous livrions à des manoeuvres avec les communistes chinois. Et ils étaient les soutiens de Pol Pot. Et voilà, d’un seul coup, ce tueur génocidaire, il leur convient. Et le président, que j’admire à bien des égards, certainement en tant qu’ancien président, Jimmy Carter, était le président qui a dit non, nous allons tendre la main même lorsque Pol Pot a été jeté dehors, nous allons toujours tendre la main à une coalition qui incluait Pol Pot. Parce que nous ne pouvons pas, nous ne voulons pas rompre avec les communistes chinois sur cette question.

Cela montre bien de quoi parle vraiment votre livre. C’est le cynisme profond de notre politique, et en fin de compte, notre cynisme n’était certainement plus inoffensif. Il n’était plus bénin – peut-être n’êtes-vous pas d’accord avec cela, mais en lisant votre livre, j’en suis arrivé à la conclusion que ce n’était pas plus bénin que les gens que nous avions identifiés comme l’ennemi sans foi, les communistes athées.

VB : Oui, je ne pense pas qu’il y ait de preuves à l’appui, si ce n’est une sorte de foi nationaliste aux Etats-Unis que l’on nous enseigne, mais je ne pense pas qu’il existe des preuves pour soutenir l’affirmation que nous étions plus bienveillants, non. Mais je veux dire, je sais que nous avons continué pendant longtemps, mais je veux vraiment vous demander, comment avez-vous rencontré Sukarno et qu’avez-vous ressenti ? Pouvez-vous dire comment il était en tant que personne ?

RS : Eh bien, c’est juste un écho de votre livre. Et l’une des raisons pour lesquelles je suis si enthousiaste, c’est que, vous savez, j’avais des amis qui étaient à gauche et ils… vous savez, ils pensaient oh non, ces Vietnamiens combattent, et ils sont révolutionnaires, ou d’autres gens. Et je suis allé au Cambodge en fait tout à fait par accident ; je voulais aller en Chine. C’était difficile d’y entrer, nous étions en 1964. J’étais allé au Vietnam et j’ai traversé la frontière. J’ai été émerveillé par ce pays. J’ai même écrit un article, j’ai demandé de laisser ce pays tranquille. Ne les entraînez pas dans la guerre froide. Depuis Phnom Penh, j’ai écrit une lettre qui fait vraiment écho à ce que je dis à propos de votre livre. J’ai demandé, laissez-les trouver leur propre voie. Leur prince joue du Coltrane, vous savez. C’est un musicien de jazz. Le fruit tombe de l’arbre quand il est temps de le manger. Vous savez, c’est un pays merveilleux. Et puis nous avons été confrontés à une incroyable violence en les entraînant dans la guerre, et Sukarno était le parangon de ces personnes neutres, ces neutralistes que vous décrivez dans votre livre, ces personnes qui étaient une espèce en danger dans le monde parce qu’ils essayaient d’éviter tant les États-Unis que la Russie à l’époque.

Il a donc organisé une assemblée du peuple indochinois, et il se trouve que j’étais le seul correspondant autorisé à y assister. J’y étais et j’y ai assisté. Et Sukarno en était l’intervenant de marque, le grand orateur. Mais le Viêt-cong était là, venant du sud et du nord, et beaucoup d’autres mouvements différents. Et Sukarno était à l’époque reconnu comme le grand leader de la Troisième Voie. Je pense que c’est grâce à l’invitation de certains des gens qui l’accompagnaient ou quelque chose du style. J’ai oublié les circonstances exactes, j’oublie tout, mais j’ai fini par aller en Indonésie. Et j’y étais pendant… je ne me souviens pas des dates exactes, je pourrais vérifier. Mais il y avait déjà la répression de la communauté chinoise, ou une attaque à l’époque où j’étais là-bas, et la déification des Chinois. Et encore une fois, en lisant votre livre, j’ai réalisé que c’était quelque chose de manipulé par des étrangers, dans une certaine mesure.

VB : Donc, en 1961, après que la CIA ait bombardé le pays en 1958, nous avons fini par assurer la formation des militaires et par faire venir une grande partie de l’armée indonésienne pour étudier au Kansas. Et comme une sorte de stratagème de l’armée soutenue par les Etats-Unis pour gagner plus de pouvoir économique dans le pays, ils ont réprimé les Chinois, qui étaient à la tête de beaucoup d’entreprises. Et voilà pourquoi, à partir de 1961, des pogroms anti-chinois soutenus par les États-Unis ont été menés par l’armée. Il semble donc que c’est dans le prolongement de tout ça que vous y étiez.

RS : Mais le soutien- OK, nous avons continué, j’ai eu mon heure de gloire avec vous. [Rires] Et je vais vous facturer ça comme une introduction. C’est une heure qui valait la peine. Mais pourquoi ne pas terminer en mentionnant votre livre, [La méthode jakarta]. Et résumez moi en deux phrases la Méthode Jakarta.

VB : Eh bien, la méthode Jakarta est l’histoire du mouvement du Tiers Monde et de sa destruction, et de la façon dont tout cela affecte profondément le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Et oui, j’espère vraiment que d’autres pourront jeter un coup d’œil et tirer leurs propres conclusions de ce qu’elle leur dit du monde actuel, ou des États-Unis, ou des possibilités d’un monde globalisé au XXIe siècle.

RS : Eh bien, je pense que cela mène aussi à la conclusion selon laquelle les gens devraient être autorisés à façonner leur propre histoire, et conteste l’arrogance qui, d’une certaine manière, vous savez, dans votre cas, vous connaissez toutes ces langues. Mais la plupart d’entre nous n’en connaissent aucune. Et nous n’avons pratiquement jamais voyagé, sauf en touristes, dans tous ces pays. Et le livre est vraiment une puissante riposte à la notion d’innocence américaine. Il est réfléchi et assez destructeur au plus haut niveau. C’est un exemple de la banalité du mal, mais nous ne l’avons pas inventée. Nous devons en être tenus pour responsables. Je voudrais donc conclure sur cette note. Et vous citez des films dans votre livre que les gens devraient voir, il y en a une liste. Alors, allez-y, lisez le, La méthode Jakarta. Il ne parle pas seulement de l’Indonésie. Et d’ailleurs, le sujet est profond et important et, certes, déprimant, mais l’écriture en est excellente.

VB : Merci infiniment.

RS : Et sans le déprécier, sans le simplifier, vous transmettez au travers de ce livre un témoignage incroyable, ou du moins une partie importante du témoignage sur la guerre froide. C’est une lecture incontournable. J’espère qu’il recevra les critiques et l’attention qu’il mérite. Et c’est le cas pour cette édition de Scheer Intelligence. Christopher Ho de KCRW s’en occupe et le fait poster sur le site de cette grande station de radio. Natasha Hakimi Zapata s’occupe de la rédaction. Lucy Berbeo s’occupe de la transcription. Et Joshua Scheer est le producteur et réalisateur et tout le reste à Scheer Intelligence. A la semaine prochaine pour une autre émission. D’accord.

VB : Un très grand merci à vous.

Source : Scheerpost, Vincent Bevins
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

jules Vallés // 07.07.2020 à 07h54

C’est une vieille pratique du pays phare « de la liberté », commencée avec le massacre des indiens, et déjà peaufinée durant la guerre américano-philippine 1899-1902, cad bien avant la « croisade » anti-communiste ! Les USA sont un pays qui s’est érigé dans la violence, et qui est fasciné par celle-ci, à n’importe quel problème, il y a forcément une réponse brutale à appliquer, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur !

Les crimes de guerre des États-Unis sont des crimes de guerre et des violations des lois et coutumes de la guerre commises par les forces armées des États-Unis depuis la signature des Conventions de La Haye de 1899 et 1907. Celles-ci incluent l’exécution sommaire de prisonniers ennemis combattants, le mauvais traitement des prisonniers au cours des interrogatoires, la pratique de la torture et l’utilisation de la violence contre les civils non-combattants.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Crimes_de_guerre_des_%C3%89tats-Unis

6 réactions et commentaires

  • jules Vallés // 07.07.2020 à 07h54

    C’est une vieille pratique du pays phare « de la liberté », commencée avec le massacre des indiens, et déjà peaufinée durant la guerre américano-philippine 1899-1902, cad bien avant la « croisade » anti-communiste ! Les USA sont un pays qui s’est érigé dans la violence, et qui est fasciné par celle-ci, à n’importe quel problème, il y a forcément une réponse brutale à appliquer, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur !

    Les crimes de guerre des États-Unis sont des crimes de guerre et des violations des lois et coutumes de la guerre commises par les forces armées des États-Unis depuis la signature des Conventions de La Haye de 1899 et 1907. Celles-ci incluent l’exécution sommaire de prisonniers ennemis combattants, le mauvais traitement des prisonniers au cours des interrogatoires, la pratique de la torture et l’utilisation de la violence contre les civils non-combattants.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Crimes_de_guerre_des_%C3%89tats-Unis

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    • Charles Michael // 07.07.2020 à 09h21

      Et tout indique que ça continue au proche et Moyen Orient avec le soutien US/OTAN aux djihadistes « modérés »
      un colonialisme 2.0 à base de révolutions de couleur, ONG et Droits de l’Hommisme des Blancs contre les Indigènes.

      régimes de sanctions contre pays et populations insoumis
      bombardement et interventions militaires sans fin.

      la France est avide d’y participer, ne l’oublions pas.

        +18

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  • Ovni de Mars // 07.07.2020 à 08h32

     » Bevins cite l’historien John Coatsworth, qui a découvert qu’entre 1960 et 1990, les meurtres liés aux États-Unis « ont largement dépassé » le nombre de ceux dûs à leurs homologues communistes. »

    Il faut vraiment faire de la publicité à cette vérité. Nous avons été abreuvé de propagande atlantiste depuis des décennies. Il faudrait également parler du génocide culturel planétaire mené par les Etats-Unis d’Amérique détruisant les cultures locales remplacées par le capitalisme et la société de consommation.

      +37

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  • Christian Gedeon // 07.07.2020 à 09h44

    Méthode Pekin. Grand bond,mille fleurs,révolution culturelle….et massacres de masse. C’est typiquement le genre d’article qui ne sert à rien,en fait. Ou en serons nous si nous jugeons ad vital aeternam les pays sur le passé. On ne devrait même pas adresser la parole à un allemand,ou à un Hutu ou à un Turc etc… la litanie pourrait faire le tour du monde .

      +2

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  • gilles // 08.07.2020 à 13h02

    Sergio Leone dénonçait à sa façon l’atmosphère criminogène des premiers États-Unis, pendaisons, lynchages dans ses films : Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus, Le bon, la brute et le truand.
    Regardez la scène de la pendaison :
    https://www.youtube.com/watch?v=aabohqvy0_4

      +2

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  • Patrick // 13.07.2020 à 11h29

    Ce livre, par ce qu’on lit ici, mérite largement une traduction en français Est-ce prévu ?

      +3

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