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29.juillet.202029.7.2020 // Les Crises

Malgré la pandémie, toujours plus de budget militaire et de guerre en Afghanistan – par Glenn Greenwald

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Source : The Intercept, Glenn Greenwald
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

La représentante républicaine du Wyoming Liz Cheney, sourit en arrivant pour une conférence de presse le 15 janvier 2019 à Washington, (AP Photo/Alex Brandon) AP

Alors que le pays est en proie à une crise de santé publique et au chômage, et que se polarise un mouvement de protestation soutenu contre les abus de la police, un programme massif de dépenses militaires de 740,5 milliards de dollars a été approuvé la semaine dernière par la commission des services armés de la Chambre des représentants, contrôlée par les Démocrates. La commission des services armés du Sénat, contrôlée par les Républicains, enverra presque certainement le dossier à la Maison Blanche pour signature, avec peu voire sans changement.

Comme nous l’avons signalé la semaine dernière, les démocrates militaristes et pro-guerre de la commission se sont joints à la représentante des Républicains, Liz Cheney, et à la faction pro-guerre qu’elle dirige pour former des majorités qui ont approuvé un amendement belliciste de plus. Parmi ces amendements, l’un d’entre eux, coparrainé par Cheney et le représentant démocrate du Colorado Jason Crow, a empêché l’administration Trump de retirer ses troupes d’Afghanistan, et un autre, dirigé par le représentant démocrate de l’Arizona Ruben Gallego, et Cheney, a bloqué le projet de la Maison Blanche de retirer 10 000 soldats stationnés en Allemagne.

Alors que ces deux amendements étaient destinés à bloquer les efforts de l’administration Trump pour ramener les troupes au pays, cette même faction bipartite pro-guerre a rejeté deux autres amendements qui auraient imposé des limites à l’agression et au militarisme de l’administration Trump : l’un parrainé par la démocrate Tulsi Gabbard pour exiger de l’administration Trump qu’elle fournisse une justification de sécurité nationale avant de se retirer du Traité sur les armes nucléaires à portée intermédiaire, ou INF, signé avec l’Union soviétique en 1987, et un autre pour imposer des limites à la capacité des États-Unis à armer et à aider de toute autre manière l’Arabie saoudite à bombarder le Yémen.

Site web du NPR

Le plus remarquable est peut-être le montant du budget militaire lui-même. Il est trois fois plus élevé que celui du deuxième pays le plus dépensier de la planète, la Chine ; il est dix fois plus élevé que celui du troisième pays le plus dépensier, l’Arabie Saoudite ; il est 15 fois plus élevé que le budget militaire du pays le plus fréquemment invoqué par les membres du Comité comme une menace pour justifier le militarisme : la Russie ; et c’est plus que ce que les 15 pays suivants réunis dépensent pour leur armée. Ils ont autorisé ce type de budget en pleine pandémie mondiale, alors que des dizaines de millions d’Américains nouvellement au chômage peinent à payer leur loyer.

Comment cela se fait-il ? Comment les démocrates parviennent-ils à présenter une image d’eux-mêmes fondée sur le dévouement aux causes progressistes et au bien-être du citoyen ordinaire tout en travaillant avec Liz Cheney pour s’assurer que de vastes ressources soient canalisées vers les fabricants d’armes, le secteur de la défense et les lobbyistes qui financent leurs campagnes ? Pourquoi un pays sans menace militaire d’une quelconque nation souveraine à ses frontières dépenserait-il près d’un trillion de dollars par an pour acheter des armes alors que ses citoyens sont sans soins de santé, sans accès à des écoles de qualité ou sans emploi ? Qui sont les membres du Congrès pour faire cela, et pourquoi ?

Ce sont des questions qui sont rarement examinées dans les salles de presse. Les sites d’information, les pages d’opinion et surtout les informations diffusées 24 heures sur 24 sur le câble sont obsédés par des banalités : le dernier tweet de Trump ou une remarque désinvolte lors d’un rassemblement ; diversions emblématiques d’une guerre de divertissement dans lesquelles le Congrès joue peu de rôle ; les remarques offensantes de personnes qui ont peu de pouvoir. En conséquence, ce que le gouvernement américain fait réellement – dans les rouages du Congrès et dans les coulisses des travaux des sous-commissions – ne reçoit que peu d’attention.

Cette dynamique médiatique est exacerbée par la pratique journalistique qui consiste à se focaliser sur les domaines dans lesquels les deux parties se chamaillent, tout en ignorant résolument les domaines très importants et nombreux dans lesquels elles trouvent un accord total – comme l’approbation de près d’un trillion de dollars de dépenses militaires et la garantie que la plus ancienne guerre de l’histoire des États-Unis se poursuivra sans fin. Lorsque les deux parties sont d’accord, comme c’est souvent le cas, c’est ennuyeux médiatiquement, donc généralement ignoré. Cela a le double effet de créer l’apparence que les deux parties ne sont jamais d’accord alors qu’en fait elles le sont constamment, tout en supprimant les politiques essentielles qui font pourtant l’objet d’un consensus bipartite massif.

En relatant l’approbation de ce budget militaire la semaine dernière, j’ai suivi les 14 heures de travaux de la commission. Ce fut remarquablement révélateur de la façon dont le gouvernement américain fonctionne réellement, de l’identité des coupables, de leurs motivations à poursuivre des politiques qui n’apportent manifestement aucun avantage pour les gens qu’elles prétendent représenter, et du vaste fossé entre l’image qu’elles se créent et la réalité de ce qu’elles font réellement à Washington.

Il est, bien sûr, impossible de comprendre le fonctionnement du Congrès sans connaître ceux qui y exercent le pouvoir. Le président de la commission des services armés de la Chambre des représentants, choisi par Nancy Pelosi et son groupe parlementaire, est l’obscur mais puissant représentant Adam Smith de Washington. Il soutient depuis longtemps les politiques pro-guerre, de l’invasion de l’Irak aux nombreuses dérives de la guerre Bush/Cheney contre le terrorisme, en passant par le blocage de la réforme de la NSA après le rapport Snowden ou la dénonciation des efforts de l’administration Obama pour réduire la présence des troupes en Afghanistan.

Lorsque Smith a eu un challenger progressiste en 2018, qui l’a critiqué pour ce militarisme, l’industrie de la défense, comme l’a rapporté mon collègue Lee Fang, a versé de l’argent pour s’assurer que leur loyal serviteur pro-guerre garde son poste de président de ce comité crucial.

Adam Smith lors d’une audition sur le budget de l’année fiscale 2019 le 12 avril 2018 à Washington. Photo : Alex Brandon/AP

Un épisode similaire s’est produit la même année lorsqu’un challenger progressiste est apparu pour se présenter contre l’ancien Marine et vétéran de la guerre d’Irak Jason Crow. Le leader de la majorité à la Chambre, Steney Hoyer, comme l’a également révélé Fang en publiant un enregistrement secret, a tenté d’écarter son adversaire de la course. Crow se joint maintenant à Liz Cheney pour poursuivre la guerre en Afghanistan. Les démocrates partisans de la guerre détiennent tous les pouvoirs en politique militaire et étrangère, car c’est eux que choisit la direction des démocrates de la Chambre.

Lorsque ces membres du comité retournent dans leurs districts bleus respectifs [le bleu est associé au parti démocrate, NdT] ils parlent sans cesse de sujets tels que le NRA, [National Rifle Association, NdT] les LGBT+ et des droits reproductifs – des questions qui n’engagent à rien et sur lesquelles ils n’ont que peu d’influence – afin de se faire passer pour de bons progressistes attentionnés, ce qui leur permet d’être réélus encore et encore dans les districts très bleus. Mais comme le montrent ces quelques échanges peu débattus, lorsqu’ils retournent à Washington, en fait, ils passent leur temps à collaborer avec les lobbyistes des fabricants d’armes pour s’assurer que le plus d’argent possible des contribuables soit détourné des programmes sociaux et versé dans les caisses de l’industrie de la « défense ».

Il existe une poche de résistance contre la guerre et l’impérialisme au sein de la commission et du Congrès au sens large, en particulier à gauche et, dans une certaine mesure, dans la droite isolationniste. Mais, comme le prouve l’audition de la commission des services armés de la Chambre des représentants de la semaine dernière, ils sont dépassés en nombre par les Adam Smith, Jason Crow et Liz Cheney qui travaillent en tandem bipartite pour assurer leur défaite et maintenir un rythme de guerre sans fin pour les États-Unis.

Et on ne saurait trop insister sur le rôle central que joue dans tout cela la « menace russe » concoctée et follement exagérée. Les membres du comité pro-guerre des deux partis ont invoqué à maintes reprises la menace effrayante de Moscou et du Kremlin pour justifier ce budget disproportionné d’impérialisme et d’agressivité.

Après avoir passé de nombreuses heures à regarder ces travaux de commission et à parler à plusieurs personnes ayant une connaissance approfondie de la commission, j’ai décidé qu’il serait très utile de consacrer l’épisode de cette semaine de SYSTEM UPDATE [Chaine youtube du journal l’Intercept, NdT] à montrer comment cette commission fonctionne et ce qu’elle a fait la semaine dernière afin que la lumière soit faite sur ces travaux habituellement cachés. Nous sommes très fiers de l’émission que nous avons produite cette semaine car elle remplit l’objectif de fournir des analyses approfondies de questions complexes mais extrêmement importantes qui reçoivent beaucoup moins d’attention médiatique qu’elles ne le méritent.

Le programme peut être visionné sur la chaîne YouTube de l’Intercept ou sur le lecteur ci-dessous :

Source : The Intercept, Glenn Greenwald
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

Océan de sagesse // 29.07.2020 à 08h14

La guerre c est la paix !
La liberté c est l esclavage !
L’ignorance c est la force !
Rien de nouveau chez Orwell , rien de nouveau chez l état voyou !

14 réactions et commentaires

  • Océan de sagesse // 29.07.2020 à 08h14

    La guerre c est la paix !
    La liberté c est l esclavage !
    L’ignorance c est la force !
    Rien de nouveau chez Orwell , rien de nouveau chez l état voyou !

      +27

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  • Lulu // 29.07.2020 à 09h06

    Thank you for this clear and well researched work which answered my questions about US politics.

      +3

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  • ez // 29.07.2020 à 10h45

    Faut-il s’en étonner? Dans un monde en contraction où la compétition fait rage entre puissances et individus pour l’accès aux ressources, les US feront tout pour rester l’hégémon…

      +8

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  • Casimir Ioulianov // 29.07.2020 à 13h10

    Deux points à ajouter à l’article.
    Sanders et ses soutiens ont quand même réussi à faire passer une réduction de ce budget qui était initialement aux alentours de 794 milliards de dollars.
    Mais j’ai comme l’impression que ça s’est fait au dépends d’un système de santé à payeur unique vu le tout récent vote de rejet du DNC à ce sujet par 125 voies contre 36.
    Au final on se rend compte que House of Cards est bien en dessous de la réalité en ce qui concerne le degrés des « petits arrangements entres amis » dans la politique US. Pour le dire diplomatiquement.

      +1

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  • Fernet Branca // 29.07.2020 à 19h20

    Une question .Quand les USA deposent-ils le biplan ….euh….le bilan. Car à part les Iphones aussi indispensables que les Rolex et assemblés en Chine, Hollywood et les séries Netflix ils n’exportent plus rien. Boeing était déjà au plus mal avant la crise Covid, le pétrole de shiste c’est la cata,…

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    • Vincent Lambert // 29.07.2020 à 22h34

      « Lire les commentaires ignorants des chiffres ou des grands équilibres sur ce site est toujours pour pour moi un intense instant de franche rigolade. »
      Tant mieux pour vous.
      [Modération : Nous compléterons à l’avenir, pas de souci ! Merci]

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    • Barbe // 30.07.2020 à 02h42

      Ils exportent leur monnaie pardi.
      Notre problème.

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      • Zakfa // 02.08.2020 à 15h06

        Ils ont 750 milliards de budget militaire. Donc tu achètes même si ils n’ont rien à te vendre…

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  • Zevengeur // 30.07.2020 à 10h09

    Le seul point positif dans tout cela est qu’ils ne font pas grand chose de ces budgets pharaoniques au vu de l’étendue de la corruption et des gaspillages massifs.
    Voir l’exemple du goufre F35, l’avion le plus cher du monde surnommé la « dinde volante » car truffé de dysfonctionnements majeurs.

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    • Blabla // 31.07.2020 à 11h06

      Le budget des USA n’a pas pour objectif d’améliorer la vie du peuple, même pas de protéger le pays, mais tout simplement d’enrichir les grandes entreprises en leur donnant des marchés insaturables où la sacro sainte de la libre concurrence ne s’applique pas (essayez de vendre un matériel à l’USAF quand vous êtes une société mexicaine, voire même une petite société US).
      Le monde US est donc une foire d’empoigne où tout le monde doit tout acheter, même le vital, au prix fort (et/ou en sacrifiant la qualité) et en payant des impôts qui ne profitent qu’à certains qui se sont taillés un marché réservé ne servant même plus à rien (cf. le F-35)
      Le seul espoir est que leur cupidité fait maintenant se déliter leur armée

        +2

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  • christian gedeon // 31.07.2020 à 11h30

    Malgré la pandémie toujours plus de guerre en :
    Lybie,Mali,Centrafrique,Nigéria,Niger,Kenya,Mozambique,Somalie, grands lacs,Irak,Syrie, et bientôt sur vos écrans,Liban,Israël,Egypte vs Turquie,Arménievs Azerbaïdjan, Inde vs Chine,pakistan vs Inde,Iran vs On ne sait pas,etc…se limiter à l’Afghanistan?!

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  • Alain // 01.08.2020 à 02h49

    De tout temps la menace extérieure a été pour les états le meilleur moyen de s’assurer la loyauté de la population. Plus le pays se délite à l’intérieur, plus il faut de ces guerres extérieures pour maintenir la patriotisme autour du drapeau et c’est pour cela que l’agressivité américaine est en expansion continue hors de tout contrôle de la logique qui voudrait qu’il faut vraiment être inefficace pour se sentir menacé par un pays dont les dépenses militaires sont 15 fois inférieures aux vôtres (et plus si l’on additionne celles des vassaux décérébrés)

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  • Josy // 01.08.2020 à 18h15

    Tous ces gens utilisent des étiquettes qui ne signifient rien comme pour beaucoup de politiciens de chez nous. Ils ne se préoccupent pas du sort de la société : ils se retrouvent entre pairs qui ont le même « standing » .
    Ils touchent beaucoup plus d’argent en étant actionnaires des fabricants de chaos , entreprises et subventions détournées , trafics liés aux commissions et aux détournements de fonds mais aussi de gains mafieux en tous genres apportés en flux vers ces élites au dessus de tout soupçon par la grâce des relations croisées et des secrets d’initiés qui circulent sans trop sortir du milieu.
    Les USA me paraissent ruiner leur pays , épuiser leurs ressources , aller vers la catastrophe en espérant le miracle ;une monnaie qui vaudrait quelque chose , l’accès garanti aux richesses des autres sans risquer de perdre les guerres qu’ils vont déclencher.
    Hélas il me semble que les responsables politiques que nous voyons sur la scène , comme ceux ne l’OTAN ou de l’UE, ressemblent à la cour de Marie Antoinette . La corruption , les intrigues , les décisions péremptoires ne sont ni des stratégies ni des moyens de réussir face à des adversaires cultivés, intelligents , prudents , éloquents et ayant l’autorité de ceux qui inspirent confiance parce qu’ils ne se conduisent pas comme des voyous sans foi ni loi.

      +0

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