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25.octobre.202225.10.2022 // Les Crises

Yémen : La fin du cessez-le-feu plonge à nouveau le pays dans la guerre

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Les rebelles houthis sortent « vainqueurs », renforçant leur pouvoir et leur influence, tandis que les Saoudiens restent embourbés dans un conflit dont ils ne peuvent se sortir.

Source : Responsible Statecraft, Bruce Riedel
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Les partisans Houthi se rassemblent pour marquer le jour de l’Achoura à Sanaa, au Yémen, le 8 août 2022. REUTERS/Khaled Abdullah

L’expiration du cessez-le-feu de six mois sans prolongation au Yémen est un revers majeur pour l’Arabie saoudite, qui reste coincée dans un bourbier coûteux dont elle veut désespérément sortir.

Entre-temps, l’administration Biden a fait de la fin de la guerre au Yémen une priorité absolue, de sorte qu’elle sera également affectée par la fin de la trêve. Les rebelles chiites zaydites connus sous le nom de Houthis, en revanche, sont les vainqueurs de la guerre et exercent leur pouvoir.

La trêve, négociée par les Nations Unies en mars, a mis fin à toute activité militaire majeure, mais a souvent été violée par les deux parties lors de petits affrontements. Le blocus du nord du Yémen contrôlé par les Houthis n’a été que partiellement levé. C’est pourquoi les Houthis exigent maintenant que le « siège » soit complètement levé et que, sans cela, le cessez-le-feu deviendra une « impasse ». Le blocus est responsable de la catastrophe humanitaire et de la malnutrition massive qui ont fait des dizaines de milliers de victimes.

Les Houthis ont démontré leurs capacités militaires lors d’un grand défilé à la fin du mois dernier pour marquer leur prise de Sana’a il y a huit ans. La parade comprenait des véhicules blindés, des mortiers et de l’artillerie. Le clou du spectacle a été le largage par des hélicoptères de chocolats et de raisins secs sur la foule. Abdul Malik al Houthi, le commandant des rebelles, a prononcé un discours dans lequel il a affirmé que tous les équipements avaient été fabriqués au Yémen, y compris les drones et les missiles balistiques qui ont été utilisés pour frapper des cibles en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.

En réalité, les drones et les missiles sont basés sur des systèmes iraniens introduits clandestinement au Yémen malgré le blocus saoudien, ce qui souligne l’impact de l’Iran sur le conflit. Soutenir les Houthis ne coûte rien à l’Iran et enlise les Saoudiens dans une guerre coûteuse qui a mis en évidence les faiblesses de l’armée saoudienne. Téhéran se félicite également des difficultés que la guerre crée pour Washington.

Les États-Unis et les quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité ont rencontré l’Union européenne et d’autres pays pour proposer la prolongation du cessez-le-feu le mois dernier. Ils ont noté que la trêve a permis à 21 000 Yéménites de quitter le pays par avion, beaucoup pour recevoir des soins médicaux, souvent en Jordanie. C’est un rare cas de collaboration entre les puissances.

Les Houthis sont intensément anti-américains et ne font pas confiance à Washington pour être des interlocuteurs équitables étant donné le soutien américain de longue date aux Saoudiens sur le plan diplomatique et militaire. Et la rencontre du président Joe Biden avec le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane à Djeddah n’a fait que renforcer leur antipathie à l’égard des États-Unis.

Si les combats à grande échelle reprennent, le prince héritier Mohamed Ben Salmane – désormais Premier ministre saoudien – est le grand perdant. L’intervention saoudienne de 2015 au Yémen – une action téméraire, mal planifiée et mal exécutée – est sa signature en matière de politique étrangère. MBS sera désormais coincé dans une guerre qu’il ne peut pas gagner, et qui laisse les villes saoudiennes ouvertes aux attaques de missiles et de drones. Pire, si les Saoudiens reprennent les frappes aériennes dans le nord, il y a une forte probabilité de victimes civiles, ce qui nuira encore plus à l’image publique déjà mauvaise du Royaume.

Malheureusement, les États-Unis n’ont aucun moyen de pression sur les Houthis. L’objectif louable de Biden de mettre fin à la guerre est en péril, et il n’a pas de bonnes options pour revenir au cessez-le-feu. Le seul espoir maintenant réside dans la pression internationale, sinon c’est le peuple yéménite qui continuera à souffrir le plus.

Source : Responsible Statecraft, Bruce Riedel – 04-10-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Lt Briggs // 25.10.2022 à 18h15

« Malheureusement, les États-Unis n’ont aucun moyen de pression sur les Houthis »

Disons plutôt que les Américains les ont tous utilisés mais que ça ne fonctionne pas. Il ont beau armer, équiper et assister l’armée saoudienne tout en maintenant un blocus strict autour du port de Hodeïda, empêchant ainsi toute aide humanitaire, les Houthis tiennent toujours.

En novembre 2019, Armed Conflict Location and Event Data project (Acled), un projet de l’Université du Sussex, affirme avoir recensé au moins 100 000 morts dans les combats et les bombardements du conflit au Yémen depuis 2015, sans compter les victimes de la crise humanitaire ( source : https://www.liberation.fr/planete/2019/11/01/la-guerre-au-yemen-a-fait-plus-de-100-000-morts_1761008/ ). Le nombre de victimes a évidemment augmenté depuis 2019.

Les États-Unis arment massivement l’agressé en Ukraine, tout en armant massivement l’agresseur dans la guerre du Yémen. Le droit international à la carte. Dans les deux cas, on a des guerres parties pour durer tandis que l’industrie américaine de l’armement tourne à plein régime et remplit ses coffres. C’est peut-être ça, le point commun.

5 réactions et commentaires

  • John V. Doe // 25.10.2022 à 08h24

    Les USA n’ont plus beaucoup d’influence sur les Saoudiens, pour preuve le refus de ceux-ci de retarder la diminution de la production de pétrole afin de favoriser la réélection d’une majorité Démocrate dans les chambres. La menace à peine voilée de MBS de se fournir en armes russes si les USA font des blocages sur ce plan n’arrange rien.

    Alors, qui sera le faiseur de paix dans ce conflit embourbé ? L’Iran après tout recommence à être accepté par le monde arabe mais la révolte qui la secoue sur le modèle des « révolutions colorées » ne lui donne que peu de crédit international. La Russie a d’autres chats à fouetter. L’ONU ?

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    • John V. Doe // 25.10.2022 à 13h32

      J’ai oublié d’ajouter la volonté affirmée de l’AS de rejoindre les BRICS (Bresil, Russie, Inde, Chine et C°) https://www.defenddemocracy.press/us-ally-expresses-desire-to-join-brics/ Une organisation civile détestée à Washington et qu’évidemment, ils essayent de « casser » alors qu’elle se renforce à force d’années.

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      • RGT // 26.10.2022 à 17h04

        Sans oublier que les saoudiens acceptent désormais de vendre leur pétrole en Reminbi (Yuans) sans passer par les pétrodollars ce qui est le pire affront qui puisse être fait à l’Empire.

        Saoudiens bien sûr suivis par les autres pétromonarchies qui sont ravies de ne plus être payées en monnaie de singe qui peut à chaque instant ne plus avoir la moindre valeur (hormis celle de faire du P.Q.) si les USA décident de sanctions à l’égard de ces pays…

        À mon avis, la dédollarisation du pétrole sonne le début de la décomposition US et plus ce phénomène s’étendra plus les USA auront des difficultés à entretenir leur arsenal militaire et le train de vie de leurs oligarques.. Ça commence à sentir le sapin du côté de Washington.

        Pour « calmer » les houtis, il suffirait de se rapprocher de l’Iran et de lever toutes les sanctions, ce qui bien sûr n’est pas envisageable car dans ce cas ce serait l’ensemble de la communauté pro-israélienne qui se mettrait à gueuler, accompagnée bien sûr de la communauté sunnite…

        Bref, concernant le Yémen, les USA sont dans une belle mouise (pour être poli) et le calme pourrait venir d’un rapprochement entre saoudiens et iraniens sous la houlette des russes et des chinois, ce qui ne me semble pas impossible.

        Plus le temps passe plus le roi est nu. Mais méfions nous, quand il est acculé c’est à ce moment là qu’un fauve en train de prendre conscience qu’il va mourir est le plus dangereux.
        Et quitte à crever, il est capable d’exterminer tous les autres êtres vivants pour ne pas perdre la face vis à vis de sa propre mégalomanie.

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  • Savonarole // 25.10.2022 à 12h24

    En pratique l’AS n’a pas réussi un seul gain territorial consolidé, a branqué l’opinion publique internationale contre elle à grand renfort de crimes de guerre, a renforcé le pouvoir politique de leurs adversaires au Yemen au dépends des autres factions, a mis en danger ses propres populations sur son territoire et perdu le soutient militaire de ses aliés locaux. Le tout face à des pegus en babouches qui roulent en 103SP, tirent avec des Lee Enfields et utilisent des drones faits avec les moyens du bord en mode McGyver …
    Que voulez vous qu’il y ait à négocier dans ces conditions ? Un retour à la situation ante n’est même pas vraiment possible… Quid de Socotra ? MBZ a été un peu plus prompt à se retirer du conflit en se servant au passage , sentant sans doute arriver un scenario à l’Afghanne, ou plutôt à la Syrienne avec des frontières mal définies où ça se chicotte de temps à autres dans un sale conflit larvé pendant des décénies. MBS n’a plus comme choix que de sortir le chequier, que ça soit pour continuer ou un solde de tout comptes reste à determiner.

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  • Lt Briggs // 25.10.2022 à 18h15

    « Malheureusement, les États-Unis n’ont aucun moyen de pression sur les Houthis »

    Disons plutôt que les Américains les ont tous utilisés mais que ça ne fonctionne pas. Il ont beau armer, équiper et assister l’armée saoudienne tout en maintenant un blocus strict autour du port de Hodeïda, empêchant ainsi toute aide humanitaire, les Houthis tiennent toujours.

    En novembre 2019, Armed Conflict Location and Event Data project (Acled), un projet de l’Université du Sussex, affirme avoir recensé au moins 100 000 morts dans les combats et les bombardements du conflit au Yémen depuis 2015, sans compter les victimes de la crise humanitaire ( source : https://www.liberation.fr/planete/2019/11/01/la-guerre-au-yemen-a-fait-plus-de-100-000-morts_1761008/ ). Le nombre de victimes a évidemment augmenté depuis 2019.

    Les États-Unis arment massivement l’agressé en Ukraine, tout en armant massivement l’agresseur dans la guerre du Yémen. Le droit international à la carte. Dans les deux cas, on a des guerres parties pour durer tandis que l’industrie américaine de l’armement tourne à plein régime et remplit ses coffres. C’est peut-être ça, le point commun.

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